La prise en compte des spécificités nationales en matières de droits de l’Homme au niveau Européen: les arrêts Omega et Grogan de la Cour de Justice de l’Union Européenne, par Blandine Gayral
RESUME : La Cour de Justice de l’Union Européenne a progressivement pris en compte les droits fondamentaux reconnus par les Constitutions respectives de ses Etats membres dans sa jurisprudence, puis les droits de l’Homme reconnus par la CESDH. Cette appréhension par une Union jusqu’ici perçue comme ayant un caractère exclusivement économique d’autres valeurs plus fondamentales a été saluée par beaucoup. Cependant, porter une trop grande attention aux désirs des Etats membres ou d’un Etat membre en particulier, est susceptible de rentrer en conflit avec la règle de primauté du droit européen sur les sources constitutionnelles. Ce problème a pris toute son ampleur en raison de l’approbation trop générale par la Cour de la prévalence de valeurs fondamentales parfois minoritaires sur les libertés de circulation.
« Selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect et, à cet effet, cette dernière s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré » (Schmidberger, §71). En effet, « la montée en puissance de la référence aux droits fondamentaux dans le droit de l’Union Européenne est une des évolutions les plus marquantes du droit européen » (Bergé, Robin-Olivier, Introduction au droit européen, 2008). Le Traité de Rome, créant la Communauté Européenne en 1957 (qui devint Union Européenne en 1992), avait pourtant des aspirations purement économiques. Les droits qu’il protégeait à travers ses dispositions relevaient exclusivement des quatre libertés de circulation. La priorité de la Communauté Européenne à sa création, et dans ses premières années, était de créer un marché commun en abolissant toutes barrières au commerce. Cependant, les activités économiques entrainent nécessairement des conséquences sur, entre autres, l’environnement, la société, les individus et la sécurité (Chalmers, p. 701). L’Union Européenne, notamment à travers la CJUE, s’est donc bien vite rendue à l’évidence qu’il lui fallait prendre en compte d’autres valeurs, et en particulier les droits fondamentaux, afin de s’affirmer sur la scène internationale ainsi que pour légitimer sa position aux yeux des Etats membres. Ainsi, ses arrêts Stauder (Arrêt 26/69, 1969, §7) et Internationale Handelsgesellschaft (Arrêt 11/70, 1970, §4) ont indiqué que, dorénavant,« le respect des droits fondamentaux fai[sait] partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assur[ait] le respect ». De plus, depuis le Traité d’Amsterdam de 1997, l’article 6 TUE indique que l’Union Européenne respecte la Charte des droits fondamentaux, ainsi que la CEDH, et «[les] traditions constitutionnelles communes aux États membres ». La même idée est reprise par l’article 67 TFUE qui dispose que « L’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».
D’une absence générale de référence aux droits fondamentaux dans son texte fondateur, l’Union Européenne a donc peu à peu incorporé ces nouvelles valeurs. La Cour essaie à travers sa jurisprudence de prendre en compte les valeurs constitutionnellement protégées au sein des pays membres. Mais dans la mesure où les valeurs auxquelles il est fait référence semblent pouvoir varier d’un pays à l’autre il peut se révéler difficile pour la Cour de les appréhender. Les arrêts Grogan et Omega illustrent bien la façon dont la Cour s’efforce de composer avec les différences entre les Etats membres en termes de protection des droits fondamentaux.
Si des critiques se font toujours entendre sur la prépondérance des enjeux économiques, et le mépris d’autres valeurs fondamentales, elles se sont bien amoindries depuis le début de l’incorporation des droits de l’Homme dans la jurisprudence européenne, qui fut, il est vrai, un peu chaotique. L’article de Coppel et O’Neill, « The European Court of Justice : Taking Rights seriously ? » (1991) exprimait une réelle inquiétude de l’époque quant aux motivations qui avaient poussé la Cour à incorporer les droits de l’Homme dans sa jurisprudence. Si on ne peut plus douter de la bonne foi de la Cour à la lumière de ses arrêts les plus récentes sur le sujet, on peut légitimement s’interroger sur les défis auxquels l’Union Européenne doit désormais faire face dans ce processus d’intégration des droits fondamentaux. Après avoir analysé l’attitude de la Cour face à l’incorporation des droits de l’Homme dans sa jurisprudence, nous verrons ce que l’arrêt Omega a apporté à la protection des spécificités nationales en matière de droits fondamentaux ; et plus généralement ce que les développements de la Cour dans ces matières peuvent faire présager.
L’Incorporation des droits de l’Homme au niveau européen
La première référence aux droits fondamentaux dans la jurisprudence de la Cour remonte à 1969 (Stauder v. Ulm). Leur importance fut réaffirmée très vite après lorsque la cour déclara dans l’arrêt Simmenthal que « le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit protégés par la Cour de Justice ». Cependant si ce nouvel intérêt de la Cour pour des valeurs non-économiques fut loué, les raisons qui la poussèrent à s’y intéresser le furent moins. En effet, ce fut pour beaucoup une tentative par la Cour de retrouver davantage de légitimité ; « une tentative de protection du concept de suprématie » (Professor Joseph Weiler in Cassese and Clapham (eds), Human Rights and the European Community (1991) vol II, pp580-1). Certains Etats membres, et en particulier l’Allemagne et l’Italie, avaient critiqué le fait pour la Communauté Européenne de ne pas protéger les droits fondamentaux tout en essayant de légitimer la primauté du droit européen sur les droits internes. Ils craignaient qu’autoriser ainsi des normes à prévaloir au niveau interne alors qu’aucune garantie ne pouvait être donnée sur leur respect des droits de l’Homme serait trop risqué. La saga « Solange » en particulier montre que certains pays, en l’occurrence l’Allemagne, n’étaient prêts à accepter la primauté du droit européen que dans la mesure où les principes constitutionnels fondamentaux étaient respectés. Dans un second temps, des critiques portèrent sur la portée de la protection des droits fondamentaux. Alors même que ceux-ci avaient été formellement incorporés dans la jurisprudence de la CJUE, ils n’étaient pas jugés capables de remettre en cause des libertés économiques, pierre angulaire de l’Union Européenne. L’arrêt Schmidberger s’inscrit dans le cadre plus large de l’extension toujours plus importante de la liste des « exigences impératives d’intérêt général » (Arrêt Cassis de Dijon, 1979) jugées comme susceptibles de déroger à la liberté de circulation des marchandises de l’article 34 TFUE.La Cour indiqua, à l’occasion de cet arrêt Schmidberger, que la protection des droits fondamentaux« constitu[ait] un intérêt légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit communautaire, même en vertu d'une liberté fondamentale garantie par le traité telle que la libre circulation des marchandises » (§74). Elle envoya ainsi le signal fort que les droits fondamentaux étaient maintenant protégés pour leur propre intérêt, et non plus comme substitut du manque de légitimité de l’Union Européenne, puisqu’ils étaient même de nature à justifier une dérogation à un droit économique accordé par les traités.
La cohabitation des différentes traditions constitutionnelles : l’exemple de l’affaire Omega
Cette prise en compte par la Cour de la volonté des Etats membres en matière de protection des droits fondamentaux montre que les Etats membres restent « Maitres des Traités». Si la reconnaissance des traditions constitutionnelles des différents Etats membres peut entrainer des difficultés, la Cour a toujours trouvé le moyen d’assurer la compatibilité des règles communautaires au regard des règles fondamentales à caractère constitutionnel. L’affaire Omega concernaitle « Laserdrome », un jeu de simulation de combat où des armes lasers étaient utilisées pour tirer sur d’autres participants vêtus de vestes spéciales munies de récepteurs. Ce jeu fut interdit en Allemagne pour des raisons d’ordre public, étant jugé comme enfreignant les valeurs fondamentales de la Constitution allemande et le principe de dignité humaine en particulier, « étant donné que les actes d’homicides simulés et la banalisation de la violence qu’ils engendrent sont contraires aux valeurs fondamentales prévalant dans l’opinion publique ». Pour se défendre Omega indique que les jeux de simulation d’homicide comme celui qu’elle propose sont largement acceptés et répandus dans les autres pays membres de l’Union Européenne. Mais les autorités, comme dans Schmidberger, s’appuie sur l’ordre public comme justification d’une restriction d’une des quatre libertés fondamentales, ici la liberté de prestation de services. La dignité humaine bénéficie d’une importance particulière au sein de la Constitution allemande. La justification est, plus largement, fondée sur la protection de l’ordre public, au nombre des dérogations admises par l’article 36 TFUE, ce qui permet de prendre en compte sans difficulté la protection de la dignité humaine, alors même que la plupart des autres Etats européens ne la protègent pas en tant que droit indépendant au niveau constitutionnel (Kombos, Fundamental Rights and Fundamental Freedoms : a symbioisis on the basis of subsidiarity, (2006) EPL). La difficulté était ici de voir si, se fondant sur la jurisprudence Schmidberger, la Cour allait traiter la dignité humaine comme une justification indépendante ou seulement comme faisant partie de la catégorie plus large de l’ordre public. On se demandait donc dans quelle mesure les Etats membres bénéficiaient d’une marge de manœuvre dans les cas où il n’existe pas de consensus sur les valeurs à protéger. Cet arrêt diffère de Schmidberger en ce sens que dans ce dernier le statut de la liberté d’expression n’était en aucun cas discuté, puisqu’il est le même dans la plupart, si ce n’est tous les pays de l’Union Européenne, et également reconnu par la CESDH et dans différents textes internationaux (convention sur les droits civils et politiques de l’ONU…). L’AG Stix-Hackl a retenu que la Charte des droits fondamentaux, qui ne constituait à l’époque qu’un recueil de règles non obligatoires (droit mou), mais qui a depuis été annexé aux Traités, énonce en son article 1er que « la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée ». La CEDH fait, elle aussi, référence à la dignité humaine dans son préambule, mais ne la protège qu’indirectement dans ses articles, au travers du droit à la vie, ou de l’interdiction de la torture. Bien que le principe de dignité humaine soit reconnu au niveau communautaire, ou dans d’autres textes, nationaux ou internationaux, le statut de droit juridiquement contraignant que lui accorde le droit allemand reste unique. Cela a amené la Cour à indiquer que les Etats membres avaientune large marge d’appréciation étant donné que « le droit communautaire n’impose pas aux Etats membres une échelle uniforme des valeurs en ce qui concerne l’appréciation des comportements pouvant être considérés comme contraires à l’ordre public » (Arrêt Adoui et Cornouaille) Lorsque des sensibilités philosophiques ou morales ou des risques particuliers pour la société sont en jeu, la marge d’appréciation laissée aux Etats est d’autant plus grande, bien que soumise aux habituelles limites de nécessité et proportionnalité. La Cour a fini par prendre en compte et adopter l’opinion de l’AG Stix-Hackl déclarant que « la question de savoir si un intérêt fondamental de la société a été affecté dépend des valeurs propres au pays en cause. Il n’est pas nécessaire dans ce contexte que les Etats membres aient une opinion commune ». Cette tentative par la Cour de respecter les constitutions nationales, et de forger ainsi un socle commun de droits fondamentaux pour l’Union Européenne, pourrait l’amener à déclarer comme fondamentales des valeurs avec lesquelles d’autres Etats membres se trouveraient manifestement en désaccord (Chalmers, 2010).
Relecture de l’arrêt Grogan à la lumière des développements postérieurs de la jurisprudence européenne
L’affaire Grogan a donné lieu à un arrêtdans lequel un droit fondamental était en conflit direct avec la liberté de circulation des services. Des étudiants irlandais étaient poursuivis pour avoir distribué des publications contenant des informations sur les possibilités d’avortement dans des cliniques britanniques. Il s’agit d’un arrêt intervenant en 1994, bien avant l’arrêt Schmidberger et la réévaluation de l’importance des droits fondamentaux. Cet arrêt démontre toute la complexité que peut représenter la prise en compte des spécificités constitutionnelles nationales. En effet, bien que le droit à la viesoit fréquemment conceptualisé comme le plus fondamental des droits (McCann c. Royaume-Uni, 1996 ; Nic Shuibhne, ‘Margins of appreciation: National values, fundamental rights and EC free movement law’ (2009)), cela n’empêche pas des différences dans son interprétation et sa portée. La protection de la « vie » dépend bien sûr de l’interprétation faite de la « vie », ce qui dépendra des valeurs et de la politique nationale suivie à cet égard. Les différences entre les règles nationales concernant l’avortement en sont un bon exemple. Les Etats ont bénéficié d’une très grande marge d’appréciation en la matière, et tous les arrêts de la CEDH sur le sujet ont retenu que la protection des mœurs est avant tout une affaire de politiques nationales (C. Forder, ‘Abortion : A constitutional problem in European perspective’). L’avortement est généralement admis par les Etats membres de l’Union Européenne, quoique dans des conditions différentes. Malte, la Pologne et l’Irlande se détachent toutefois des autres pays par l’étroitesse de ces conditions. L’arrêt Grogan illustre un conflit entre la Constitution Irlandaise et la règle de primauté du droit européen. C’est un cas similaire à l’arrêt Schmidberger d’un point de vue théorique, puisque là encore, un Etat membre s’appuie sur un droit fondamental pour justifier une limitation d’une des quatre libertés. Cependant, il s’agissait d’un terrain bien plus glissant pour la Cour pour qui il était difficile de se prononcer sur une question aussi controversée que l’étendue du droit à la vie. Ainsi plutôt que de réellement se prononcer sur l’existence d’un droit fondamental et sur un éventuel conflit entre ce droit et la libre prestation de services, la Cour contourna le problème. Elle indiqua que les informations transmises par les étudiants ne constituaient pas une liberté économique protégée par le Traité puisqu’elle n’avait pas de lien direct avec le service proposé par les cliniques britanniques, qui n’étaient pas à l’origine de la diffusion de ces informations. A l’époque des commentateurs (B. Wilkinson) ont indiqué qu’en tout état de cause, un droit constitutionnellement protégé de la sorte ne pourrait pas constituer un obstacle à l’application des Traités, en principe supérieur au droit national. Ainsi, si un lien économique avait pu être démontré, ou mieux encore, si les cliniques britanniques avaient été elles-mêmes à l’origine de la distribution d’information, l’Irlande n’aurait pas pu s’y opposer. Cependant, l’arrêt Schmidberger a entre temps clarifié la situation en indiquant que les droits fondamentaux, inspirés des traditions constitutionnelles des Etats membres, prévalent, en principe, sur les libertés de circulation. L’arrêt Omega a rappelé qu’« il n’est pas nécessaire […] que les Etats membres aient une opinion commune». Cette jurisprudence, lue à la lumière de l’arrêt Schmidberger, signifierait-elle qu’un Etat ayant une interprétation différente de la plupart des Etats membres, et de la CEDH elle-même, d’un droit pourtant reconnu par tous, le droit à la vie, pourrait limiter une liberté de circulation, pilier de l’Union Européenne, en vertu de sa Constitution ? Cela remettrait alors en cause le principe même de primauté du droit européen sur le droit national. Spalin suggère (Abortion, speech and the European Community. J. Soc. Wel. & Fam. L. 1992, 1, 17-32) qu’autoriser un Etat membre à déterminer unilatéralement l’étendue d’un droit fondamental « will undermine the supremacy of European Community Law ». C’est d’autant plus vrai aujourd’hui que la Cour accepte de donner une valeur identique aux droits fondamentaux et aux droits issus des Traités. Cependant, cette analyse est peut être quelque peu excessive, et la Cour s’efforce au contraire d’exercer un contrôle minutieux afin de limiter les exceptions au droit de l’Union Européenne. De plus, si la Cour elle-même accepte de déroger à ses règles, il n’y a pas de réelle remise en cause du principe de primauté. Cela rejoint l’idée du droit administratif anglais selon laquelle la souveraineté du Parlement n’a pas été remise en cause par l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne, puisque le Parlement avait lui-même accepté cette limitation de souveraineté, qui pourrait par ailleurs théoriquement être remise en cause s’il en exprimait la volonté. La Cour, en acceptant de prendre en compte les droits fondamentaux issus des traditions constitutionnelles de ses Etats membres s’est mise dans la position difficile de devoir arbitrer entre différentes valeurs, et de rendre des décisions en maniant des concepts qui lui sont étrangers. Elle assume ainsi un rôle qui ne lui était pas destiné comme le montre la contradiction entre les conclusions de l’AG Van Gerven et celles de la CESDH dans l’arrêt Open Door décidé quelques mois auparavant sur des faits similaires. Dans cet arrêt la liberté d’expression avait prévalu sur l’interprétation du droit à la vie faite par l’Irlande, tandis que l’AG Van Gerven en est, dans Grogan, arrivé à une conclusion contraire.
Conclusion
L’arrêt Schmidberger ne laissait pas entrevoir les développements postérieurs de la Cour en matière de prise en compte des droits de l’Homme. Dans cet arrêt, il s’agissait d’une situation où le droit fondamental affecté, en l’occurrence la liberté d’expression et d’association, faisait l’unanimité parmi les Etats membres comme au niveau international. Cet arrêt fut considéré comme un bond en avant du point de point de la prise en compte de valeurs non-économiques par la Cour de Justice Européenne, puisque pour la première fois, un droit fondamental fut défini comme une « exigence impérative d’intérêt général » jugée capable de limiter une des quatre grandes libertés fondamentales. Cependant, la situation était tout autre dans l’affaire Omegaoù les droits en cause, ou tout du moins leur interprétation et application, ne faisaient pas l’unanimité parmi les Etats membres. La Cour mit, une fois de plus, ses capacités d’adaptation à l’épreuve. En effet ne s’arrêtant pas à la prise en compte des droits fondamentaux faisant l’unanimité parmi ses Etats membres, elle s’efforce au maximum de satisfaire les différentes revendications de ses Etats membres. S’appuyant sur des explications manquant parfois de conviction, elle a tout de même été très loin en acceptant l’interprétation du droit à la dignité humaine tel qu’il existe en Allemagne. La Cour tient à s’assurer le soutien de ses Etats membres, et tient donc à composer avec leur sensibilité. Alors que le rôle principal de la CJUE est de mettre en œuvre les traités européens, où les droits économiques occupent la place principale, la jurisprudence récente indique bien que la Cour est prête à faire acte d’activisme judiciaire en diversifiant ses priorités, centrées désormais davantage sur la prise en compte de valeurs non-économiquesau point que Douglas Scott indique que « the turn of the century European Union manifests an obsession with human rights ». Si ce tournant est salué par beaucoup, il peut aussi inquiéter s’il n’est pas encadré et il ne devrait pas conduire à une remise en question de la place des droits constitutionnels par rapport au droit européen. L’Union Européenne a commencé à prendre en compte les droits fondamentaux afin d’asseoir sa suprématie, mais si elle n’y prend pas garde, cette volonté de faire accepter cette limitation de souveraineté à ses Etats membres pourrait la conduire à, ironiquement, remettre en cause le principe même de primauté du droit européen sur toutes les normes nationales. Cependant, la Cour, en acceptant d’intégrer les droits fondamentaux aux principes généraux du droit européen, se met également en position de contrôler le rejet de l’application d’une norme communautaire au nom d’un intérêt fondamental à caractère national. Si ce danger pour la règle de primauté est donc à nuancer, il correspond tout de même à une réelle anxiété parmi bien des commentateurs, notamment parmi les auteurs anglo-saxons. Cependant, le Traité de Lisbonne, donnant force juridique contraignante à la Charte des droits fondamentaux et prévoyant en son article 6-2 la possibilité de l’adhésion de l’Union Européenne à la Convention Européenne des droits de l’Homme apporte une nuance supplémentaire. Ces changements peuvent en effet faire présager un apaisement des problématiques soulevées par l’existence de deux systèmes de protection de droits de l’Homme au niveau européen; et devraient permettre d’harmoniser plus pleinement les définitions des droits fondamentaux protégés.
Lecture générale
C. Barnard, The substantive Law of the EU, the Four Freedoms, 3rd Ed, Oxford, 2010
D. Chalmers, European Union Law, 2nd Ed, Cambridge, 2010
J-S Bergé et S. Robin-Olivier, Introduction au droit européen, PUF, 2008
Articles
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C. Forder, ‘Abortion : A constitutional problem in European perspective’ (1994) 1 Maastrichtj. Eur. & comp. L. 56-100
P. Imbert, De l'adhésion de l'Union Européenne à la CEDH, (Symposium des Juges au Château de Bourglinster – 16 septembre 2002)
http://www.droits-fondamentaux.org/IMG/pdf/df2imbuecedh.pdf
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Arrêts
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Arrêts joints 115 and 116/81 Adoui et Cornouaille [1982] ECR 01665
Arrêt C-159/90 The Society for the Protection of Unborn Children Ireland Ltd v Stephen Grogan and others [1991] ECR I-04685
Arrêt Open Door and Dublin Well Woman v. Ireland [1992] ECHR
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Arrêt C-36/02 Omega Spielhallen v Oberbürgermeisterin der Bundesstadt Bonn [2004] ECR I-09609 14
Arrêt 18984/91 McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, CEDH