La protection des actionnaires minoritaires dans les OPAs à travers le squeeze out et le sell out: Analyse comparative en droit français et espagnol

« Pendant longtemps, le droit des offres publiques d’acquisition est resté essentiellement, si ce n’est exclusivement national ». C’est la directive européenne sur les offres publiques d’acquisition (OPA), adoptée le 21 avril 2004 qui a modernisé le droit espagnol et le droit français des OPA, par l’introduction de mécanismes de protection des actionnaires minoritaires, tels que le squeeze out et le sell out inspirés du droit américain des Mergers and Takeovers.

Introduction :

La treizième directive européenne OPA du 21 avril 2004, constitue la principale source de régulation des opérations d’OPA aussi bien en droit français qu’en droit espagnol et prévoit « les orientations que doivent contenir les régulations internes des Etats membres pour garantir au minimum la protection suffisante des titulaires de valeurs des sociétés établies dans l’Union européenne lorsque celles-ci font l’objet d’une offre publique d’acquisition ou d’un changement de contrôle ». Elle a été transposée en droit espagnol par la loi du 12 juillet 2007 complétée par le Décret Royal du 27 juillet 2007, modifiant la loi sur les Marchés de Valeurs du 28 juillet 1988 (Ley del Mercado de Valores).  Le droit français a transposé la directive par la loi du 31 mars 2006 sur les OPA apportant des modifications au Code de commerce et au Code monétaire et financier contenant des dispositions relatives aux OPA. La directive européenne OPA de 2004 se veut soucieuse de la protection des actionnaires minoritaires qui passe par un certain nombre de principes, tels que le devoir de passivité des dirigeants pendant l’offre, le principe d’égalité de traitement mais aussi les mécanismes de Squeeze out et de sell out également appelés mécanismes de retrait forcé ou « ventas forzosas ». En effet, cette directive introduit pour la première fois en droit européen une régulation des droits d’achat ou de retrait obligatoire. Ces mécanismes avaient déjà été introduits en droit français par la loi du 31 décembre 1993 et visés aux articles 236-3 à 236-4 du Règlement Général de l’AMF. Ils constituent cependant une nouveauté en droit espagnol, consacrés par l’article 60 quater de loi sur les Marchés de Valeurs. Le mécanisme du squeeze out, permet à l’actionnaire qui a acquis le contrôle de la société suite à une OPA, d’exclure les actionnaires minoritaires en leur exigeant de lui vendre leurs titres. En contrepartie, le sell out, permet aux actionnaires minoritaires d’exiger de l’offrant « oferente » à racheter leurs titres. Il convient alors de se demander dans quelle mesure les mécanismes du squeeze out et sell out contribuent à une protection des actionnaires minoritaires dans les OPA ? Dans un premier temps, l’on verra que le squeeze out et le sell out sont des mécanismes de protection des actionnaires minoritaires applicables lors de leur retrait de la société (I) et dans un deuxième temps, l’on verra que ces mécanismes de protection sont identiques en droit français et espagnol mais présentent cependant des nuances (II).

 

I. Le squeeze out et le sell out : des mécanismes de protection des actionnaires minoritaires applicables lors de leur retrait de la société

La protection de l’actionnaire minoritaire dans le cadre des OPA répond en réalité au principe d’égalité de traitement des actionnaires, selon lequel lorsqu’une société fait l’objet d’une prise de contrôle, tous les titulaires devront recevoir un traitement équivalent (A). Dans un deuxième temps, la protection des actionnaires minoritaires doit passer par la nécessité de rachat de leurs titres à leur sortie de la société (B).

A. Une protection au nom du principe d’égalité de traitement dans les OPA

  1. Le paradoxe entre l’égalité de traitement et la protection des minoritaires

Lors des opérations de prise contrôle, les intérêts des actionnaires minoritaires  peuvent être menacés, par exemple lorsque l’offre « réserve un avantage aux détenteurs du pouvoir, c’est-à-dire les majoritaires ». C’est ainsi qu’intervient la nécessité du principe d’égalité de traitement des actionnaires. Ce principe suppose donc qu’aussi bien les actionnaires minoritaires que les actionnaires majoritaires soient traités de façon égale lors de l’offre. Cependant, le principe de protection des actionnaires minoritaires voulu par la directive OPA de 2004, ainsi que par la législation française et espagnole constitue un paradoxe, puisqu’il tend à protéger seulement un groupe d’actionnaires ; les minoritaires, ce qui rompt le principe d’égalité de traitement. Cependant, en réalité, cette protection de l’actionnaire minoritaire, intervient seulement lorsque celui-ci doit disparaitre de la société.

  2. Un minoritaire protégé lorsqu’il disparait de la société

Ainsi « dans le cadre des OPA, l’égalité de traitement se manifeste par la répartition des primes de contrôle entre tous les actionnaires affectés par l’offre, ceci dans le but d’éviter que le bénéfice issu du surprix par l’acquisition de contrôle ne revienne seulement à ceux qui détiennent une participation majoritaire dans le capital social ». Cela signifie que l’offre est faite à tous les actionnaires sans avantager les minoritaires ni les majoritaires, pour la totalité des titres accompagnés d’un droit de vote, à un prix équitable pour permettre aux minoritaires de se retirer de la société dans les mêmes conditions que les majoritaires. C’est donc au moment où le minoritaire doit quitter la société suite à la prise de contrôle, que les mécanismes de protection de celui-ci interviennent et doivent leur permettre de pouvoir céder leurs actions, en échange d’un prix, lorsque ces derniers sont hostiles à la prise de contrôle. Ainsi, « le minoritaire apparait dans les textes quand il va disparaitre de la société ».

 

B. La nécessité de protection du minoritaire dans les OPA par la possibilité de rachat de leurs titres 

Lors d’une opération de prise de contrôle, l’on a vu que le principe d’égalité tend à protéger l’actionnaire minoritaire et ce, lors de sa disparition de la société. Cette protection constitue une nécessité, par la possibilité pour ces derniers de vendre leurs titres lorsqu’ils sont hostiles à l’OPA, reconnue par la directive OPA de 2004. Pour démontrer le caractère nécessaire de cette protection passant par la possibilité de rachat de leurs titres, il parait pertinent de mentionner la prise de contrôle de Gucci par le groupe de droit néerlandais PPR aux Pays-Bas qui, tout comme l’Espagne, avant la transposition de la directive OPA de 2004, ne connaissait pas  le principe de rachat des titres des minoritaires suite à une prise de contrôle. En effet, dans cette opération, suite à l’accord des dirigeants de la société Gucci, « le groupe de droit néerlandais PPR a pu acquérir 42% et donc le contrôle de Gucci, sans que les actionnaires minoritaires aient le droit de bénéficier d’une protection légale quelconque par le biais de rachat de leurs titres ou de tout procédé équivalent ». Dans cette opération, l’offre n’a pas été faite sur la totalité du capital de Gucci en mettant de côté les titres des minoritaires. Si le principe d’égalité de traitement avait été appliqué, les minoritaires auraient soit pu voir leurs titres rachetés dans le cadre de l’offre car ayant été faite sur la totalité du capital, soit dans le cadre des mécanismes de squeeze out ou de sell out.

          Ainsi, l’on voit que le principe d’égalité de traitement constitue un paradoxe avec le principe de protection de l’actionnaire minoritaire, mais l’on voit qu’en réalité, cette protection du minoritaire, constitue d’une part une nécessité afin de lui permettre de quitter la société dans les mêmes conditions que les majoritaires et d’autre part, ce principe de protection intervient lorsque le minoritaire tend à disparaitre de la société. Cette protection se fait ainsi ressentir à travers les mécanismes du squeeze out et du sell out, qui protègent le minoritaire justement lorsqu’il doit sortir de la société soit parce que le majoritaire lui rachète ses titres, soit lorsque celui-ci force le majoritaire à les racheter, dans les situations où il serait hostile à l’OPA.

II. Le squeeze out et le sell out : des mécanismes identiques de protection des minoritaires mais des régimes nuancés en droit français et espagnol

La directive européenne, dans un souci de protection des minoritaires, prévoit des conditions quant à la mise en œuvre des mécanismes de squeze out et de sell out. Elle prévoit en effet que dans le cadre des OPA faites à tous les titulaires de valeurs et à condition, soit que l’auteur de l’offre ait un pourcentage du capital social et des droits de vote entre 90 et 95%, soit que l’offre ait été acceptée par 90% des titulaires du capital avec droit de vote, ce dernier peut obliger les actionnaires n’ayant pas accepté l’OPA à vendre leurs titres, c’est le squeeze out ou rachat forcé. En contrepartie, les minoritaires hostiles à l’OPA peuvent exiger du majoritaire qu’il rachète leur titre il s’agit du sell out. Ces mécanismes sont identiques mais présentent des nuances quant au seuils nécessaires à leur déclenchement en droit français et espagnol (A), de même qu’il existe une différence entre les deux droits tenant au fait qu’en droit français, le majoritaire ne peut forcer le minoritaire à lui vendre ses titres, principe exclu en droit espagnol (B).

A. Des mécanismes identiques mais des nuances quant aux seuils de déclenchement des mécanismes

Les mécanismes de squeeze out et de sell out en droit français et espagnol, sont équivalents. Cependant, les nuances existantes concernent la question des seuils appliqués en droit français et espagnol. L’article 14 de la directive de 2004, offre aux Etats membres, une option comme condition préalable à la mise en place des mécanismes de vente forcé ou d’achat forcé. En effet, ces derniers pouvaient « imposer le retrait obligatoire, soit lorsque l’offrant détenait des titres représentant au moins 90% du capital assorti de 90% du droit de vote, autorisant à élever le seuil sans dépasser 95%, soit lorsqu’à la suite de l’acceptation de l’offre, l’offrant a acquis des titres représentants au moins 90% du capital assorti de droits de vote de la société visée et 90% des droits de vote faisant l’objet de l’offre ». Les critères posés par la directive sont alternatifs. Le droit espagnol a adopté la première solution alors que le droit français la seconde. En effet, pour éviter le plus possible que l’offrant n’exerce son droit de vente forcé de manière abusive, l’article 60 quater de la loi sur les Marchés de Valeurs, conditionne l’existence du sell out et du squeeze out au principe selon lequel l’offrant doit-être non seulement titulaire de 90% du capital avec droit de vote de la société affectée, mais aussi que l’offre ait été acceptée par 90% des titulaires de droit de vote de la société. En revanche, en droit français, les articles 236-3 et 236-4 du Règlement général de l’AMF, permettent le « déclenchement spontané d’une offre publique de retrait par l’actionnaire détenant au moins 95%  des droits de vote d’une société dont les actions sont admises aux négociations sur un marché règlementé ». Ainsi, le droit espagnol, par l’imposition de cette double condition, se veut plus restrictif que le droit européen et le droit français, l’on comprend alors que le fait que les minoritaires « représentent une part dérisoire des droits de vote ne suffit pas, il faut qu’une majorité ait accepté de sortir de la société ».

          Ainsi, l’on voit qu’en matière de squeeze out et de sell out, la norme française est plus avantageuse puisqu’une double condition « pourrait rendre plus difficile en pratique l’application de ces opérations » ; le législateur espagnol au moment de transposer cette directive était préoccupé par le fait que ces mécanismes de vente forcée puissent être contraires au droit de propriété.

 

B. L’impossibilité pour le majoritaire de forcer le minoritaire à vendre ses titres : un principe exclu en droit espagnol

L’autre nuance dans le régime de mise en œuvre du squeeze out et du sell out, tient au fait qu’en droit français, ces deux mécanismes sont qualifiés de « presque symétriques » ce qui n’est pas le cas en droit espagnol. En effet, en droit français, un actionnaire minoritaire peut, suite à une demande à l’AMF, obliger un actionnaire majoritaire à lui racheter ses titres, « à l’occasion d’une offre publique de retrait forcée », lorsque les critères de mise en œuvre imposés par la loi sont remplis. Cette alternative n’est cependant pas possible pour le majoritaire. Ce dernier, ne peut dans le cadre d’un squeeze out, l’obliger à lui vendre ses titres. Le minoritaire reste « libre de lui céder ou de conserver ses titres ». Ce n’est pas le cas en droit espagnol, puisque le principe même de la cession forcée, constitue la possibilité pour le majoritaire, à condition que le double critère imposé par l’article 60 quater de la loi sur les Marchés de Valeurs soit rempli, de forcer le minoritaire à lui céder ses titres à un prix équitable. L’on comprend alors pourquoi le droit espagnol se veut plus restrictif en imposant le double seuil, car en réalité la vente forcée s’apparente à une forme « d’expropriation du minoritaire  qui a lieu à travers la substitution forcée de leurs droits de participation par une compensation économique de la valeur de leurs actions», d’où ces conditions cumulatives en vue de protéger les intérêts des minoritaires mais aussi le droit de propriété consacré par l’article 33 de la Constitution espagnole de 1978.

          Ainsi, l’on peut constater que le droit français et le droit espagnol, ont chacun transposé les critères de la directive européenne de manière différente ; le droit espagnol ayant adopté un double seuil à 90% des droits de vote et d’actionnaire ayant acceptés l’OPA et le droit français, ayant mis en place seulement le critère de 95% des droits de vote. Ces deux mécanismes dans tous les cas, permettant une protection de l’actionnaire minoritaire.

 

Conclusion :

Malgré, les légères nuances de régime, ces mécanismes constituent tant en droit français qu’en droit espagnol une protection du minoritaire car ils leur permettent de se retirer de la société dans les mêmes conditions que ceux qui ont accepté l’OPA. L’on voit également que la protection des actionnaires minoritaires intervient lorsque ceux-ci disparaissent de la société, laissant place au principe d’égalité de traitement pendant l’OPA. Il est également important de souligner qu’en droit français comme en droit espagnol, le paiement des titres, doit être réalisé par un prix équitable, c’est-à-dire, celui correspondant à la contreprestation de l’offre publique.

 

Bibliographie

Monographies :

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Articles :

- Droit espagnol :

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- Droit français :
 
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