LA PROTECTION DES ETRANGERS MALADES CONTRE L’ELOIGNEMENT et l’article 3 de la CESDH (CEDH, N. c/ Royaume-Uni, 27.05.2008) par Elise Geslot

L’Etat, certes souverain en matière d’entrée, de séjour ou d’éloignement des non-nationaux, peut être sanctionné pour la mesure d’expulsion de l’étranger malade (CEDH, D. c/ Royaume-Uni, 2.05.1997, n°30240/96). En effet, « L'expulsion par un Etat contractant peut soulever un problème au regard de l'article 3, et donc engager la responsabilité de l'Etat en cause au titre de la Convention, lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3. Dans ce cas, l'article 3 implique l'obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays » (CEDH, N. c/ Royaume-Uni, 27.05.2008, n°26565/05, §30). Le juge européen a pu dans certains cas, procéder a une extension par ricochet du domaine de protection de l’article 3 CESDH et considérer qu’expulser un étranger malade relevait de cette disposition. En 1998, la Commission rappelait à cet effet que « l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des particuliers, appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives » (Commission européenne des droits de l’homme, BB. c/ France, rapport adopté le 9.03.1998, n°30930/96, §54).

L’application de l’article 3 de la CESDH pose cependant problème dans la mesure où la responsabilité des autorités publiques dans le pays de renvoi doit être directement ou indirectement engagée en raison de leurs actes ou omissions intentionnels. Or, dans la situation qui nous intéresse, le préjudice provient « d’une maladie survenant naturellement et de l’absence de ressources suffisantes pour y faire face dans le pays de destination » (§43, CEDH, N. c/RU). Selon la Cour européenne, l’autorité étatique expulsant doit être tenue responsable de la souffrance infligée à l’étranger. C’est donc la mise à exécution de la décision d’expulser, qui, au regard de la circonstance très exceptionnelle constituée par la situation personnelle de l’étranger malade, mais aussi de « considérations humanitaires impérieuses », emporte la violation de l’article 3 (D. c/ R-U, §54) et constitue un traitement inhumain. La Cour considère qu’ « elle doit se réserver une souplesse suffisante pour traiter de l’application de l’article 3 dans les autres situations susceptibles de se présenter » et que restreindre le champ d’application de cet article « reviendrait à en atténuer le caractère absolu » (D. c/ R-U, §49). L’article 3 prohibe les traitements inhumains de manière absolue, et le fait que l’étranger ait pénétré illégalement sur le territoire ou encore qu’il ait commis une infraction ne saurait constituer une exception. Dès l’affaire D. c/ R-U, et malgré une interprétation extensive de l’article 3, un seuil particulièrement haut a été fixé par la Cour. Les circonstances doivent alors être examinées rigoureusement, notamment la situation personnelle du requérant. Ainsi, pour engager la responsabilité de l’Etat procédant à l’éloignement, la Cour doit établir s’il existe un risque réel et avéré pour la santé de l’étranger atteignant « un degré de gravité tel qu’il relève de l’article 3 du fait d’autres éléments existant dans le pays d’accueil, comme le manque de soins et de services médicaux» (D. c/ R-U, § 49). Depuis, cet arrêt du 2 mai 1997 et excepté l’affaire BB. c/ France, la Cour, dans des affaires similaires n’a plus jamais considéré que le seuil nécessaire pour emporter violation de l’article 3 CESDH avait été atteint. L’opinion dissidente des trois juges Tulkens, Bonello et Spielmann jointe à l’arrêt N. c/ R-U, conteste la teneur de ce seuil et surtout les raisons pour lesquelles il a été fixé. En effet, selon la Cour, ce seuil doit rester élevé dans la mesure où le préjudice futur allégué proviendrait d’une maladie survenant naturellement et non d’actes ou d’omissions intentionnelles des autorités publiques ou d’organes indépendants de l’Etat (N. c/ R-U, §43). A contrario, il pourrait en être déduit que le seuil ne serait pas aussi élevé si la responsabilité directe de l’Etat était engagée à raison du tort causé. En outre, si l’on considère comme l’opinion dissidente que les faits de l’affaire N. c/ R-U ne diffèrent pas de l’affaire D. c/ R-U, il peut encore être affirmé que ce seuil, déjà bien élevé, a été rehaussé (Opinion dissidente commune aux juges Tulkens, Bonello et Spielman, ci-après OD, §19). Ainsi, les trois juges estiment qu’en l’espèce, il existait « des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressée courrait un risque réel de subir un traitement interdit dans le pays vers lequel il est envisagé de l’expulser » et qu’alors l’affaire revêtait un caractère « très exceptionnel », qui aurait dû relever de l’article 3 (OD, §9). La protection des étrangers malades résultant de l’article 3 CESDH trouve donc ses limites dans une mise en œuvre restrictive et plutôt hasardeuse. On ne peut pourtant ôter un certain mérite à la jurisprudence européenne en matière de protection sanitaire. En effet, sous l’influence des affaires D. c/ R-U et BB. c/ France la protection des étrangers malades en France et en Allemagne s’est nettement améliorée. La protection contre l’expulsion en droit allemand: la théorie des obstacles (§60 VII 1 AufenthG, Loi de séjour) En Allemagne, aucune loi n’explicite l’interdiction d’expulser les étrangers malades, mais pour la rédaction de l’article 60 II AufenthG (qui dispose « Un étranger ne doit pas être expulsé dans un Etat, où il est concrètement menacé d’être soumis à la torture, ou à un traitement ou peine cruel ou dégradant »), le législateur allemand s’est référé à l’article 3 CESDH. Le juge n’a pourtant pas étendu cette protection à l’étranger malade car selon lui, cette disposition nécessite un acte caractérisé par l’intention de l’agent de l’Etat (ou tout autre personne investie d’autorité étatique) dans le pays de renvoi d’infliger le mauvais traitement à une personne déterminée. En outre, il estime que l’article 60 II ne saurait concerner une menace qui avant d’être liée aux particularités de la situation dans le pays de renvoi, trouve sa principale cause dans la mauvaise constitution de l’étranger (VGH Baden-Württemberg, 16.6.1997, AuAS 1997, 182). En effet, le premier danger qui menace l’étranger est sa maladie. Le juge allemand, à la différence du juge français qui a su parfois utiliser le fondement de l’article 3 CESDH (notamment TA Versailles, B.B, 26.09.1996), se refuse à étendre le domaine de protection de l’article 3 et préfère se référer au droit à la vie et à l’intégrité physique à travers la disposition de l’article 60 VII 1 AufenthG. Autrement dit, le juge allemand ne conçoit pas la question de l’éloignement d’un étranger malade sous l’angle de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants : il se fonde sur l’article 3 lorsque les mauvais traitements résultent de facteurs dépendants directement des autorités de l’Etat de renvoi et impliquent de ce fait sa responsabilité. Bien lui en pris puisqu’ainsi, contournant les difficultés de mise en œuvre de l’article 3 CESDH, il applique un autre article - l’article 60 VII 1 de la loi de séjour - dont l’interprétation, plus souple, permet une meilleure protection de l’étranger malade contre les mesures d’éloignement. Selon cet article, les autorités compétentes « doivent s’abstenir d’expulser tout étranger, lorsque dans le pays de renvoi, il encourt un sérieux danger pour son intégrité physique, sa vie ou quant à sa liberté ». Dès 1997, le juge allemand a admis que la maladie pouvait représenter un danger pour la vie ou l’intégrité physique de l’étranger (BVerwG, 25.11.1997 – 9C 58/96). Sur le fondement de l’article 60 VII 1 AufenthG, l’étranger malade peut demander à faire reconnaître un obstacle pour contester une mesure d’expulsion, mais aussi pour obtenir un titre de séjour. En effet, si l’obstacle est avéré, une autorisation de séjour pour raisons humanitaires est accordée de plein droit en vertu de l’article 25 III AufenthG, qui dispose « Un titre de séjour doit être délivré à l’étranger dès lors qu’il résulte du §60 II, III, V, ou VII un obstacle à l’expulsion». L’attribution de l’autorisation peut toutefois être refusée pour des raisons impératives d’ordre et de sécurité publics. Toutefois, l’article 60 VII 1 AufenthG est considéré par la doctrine comme d’application exceptionnelle (Kay Hailbronner, Asyl- und Ausländerrecht, Kohlhammer, Stuttgart, 2006, p. 210 « Ausnahmecharakter der Vorschrift »). En effet, l’article 60 VII AufenthG ne s’applique qu’en dernier lieu, si d’autres obstacles ne résultent pas déjà des paragraphes précédents (2 à 5). Les conditions d’application sont strictes : le danger doit s’avérer concret (konkrete) et sérieux (erheblich) et survenir dès-après (alsbald) le retour sur le territoire de renvoi (BVerwG, 25.11.1997). S’il peut se réaliser sur le territoire allemand, il ne constituera pas un obstacle à l’expulsion. Le juge administratif entend par concret, la forte probabilité (beachtliche Wahrscheinlichkeit) que le danger se réalise et ne tient pas compte de la simple possibilité théorique (OVG NRW, InfAuslR 2006, 486). Face à une tendance restrictive de la jurisprudence administrative en la matière, la Cour administrative fédérale a en 2006 rappelé que le danger s’apprécie selon une certaine intensité qui n’est pas impérativement fatale, extrême ou existentielle (BVerwG, 24.05.2006-B 118.05). Lorsqu’il concerne une maladie, ce danger sérieux et concret doit résulter d’une aggravation de l’état de santé de l’étranger liée au défaut de soins dans le pays d’origine („Die Gefahr, dass sich die Krankheit eines ausreisepflichtigen Ausländers in seinem Heimatstaat verschlimmert, weil die Behandlungsmöglichkeiten dort unzureichend sind, kann ein Abschiebungshindernis nach § 53 VI 1 AuslG darstellen“ BVerwG, 25.11.1997, note : l’article 53 VI 1 AuslG, remplacé par l’article 60 VII 1 Nouveau AufenthG). Lorsqu’il demande à faire reconnaître un obstacle à l’expulsion, l’étranger doit produire l’attestation par un médecin spécialiste de la gravité de son état de santé, mais doit aussi fournir les raisons pour lesquelles il n’aurait pas accès aux soins dans le pays d’origine. La décision d’accorder une autorisation de séjour est prise par l’office des étrangers (Ausländerbehörde : au niveau des Länder, §71 I 1 AufenthG). Selon l’article 72 II AufenthG, pour établir l’existence d’un obstacle, l’office doit se procurer l’avis du BAMF (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge : ministère fédéral de l’immigration) sur la situation sanitaire dans le pays de renvoi. L’avis rendu, par le BAMF porte certes sur la situation sanitaire générale dans le pays, mais tous les aspects présentés dans la demande comme concourant à un obstacle (ainsi à titre d’exemple : la situation familiale de l’étranger, le lieu de résidence) sont étudiés. En effet, la situation individuelle de l’individu doit être prise en compte dans la décision (BVerwG, 29.10.2002, 1C1.02). L’office n’est pourtant pas lié par cet avis. Toutefois dans le cadre d’une demande d’asile, si le BAMF avait déjà rendu un avis sur l’existence d’obstacles, l’office est lié à cet avis (§42 S1 AsylVfG – Loi sur la procédure d’asile - BVerwG, 22.11.2005, 1 C18.04). En effet, lorsqu’une demande d’asile est refusée, le BAMF doit, en règle générale, vérifier si les situations énoncées à l’article 60 AufenthG trouvent à s’appliquer (§31 III AsylVfG). Ainsi, les étrangers n’ayant pas obtenu le statut de réfugié, s’ils répondent aux conditions de l’article 60 VII 1 AufenthG, seront automatiquement protégés contre l’expulsion. La protection sanitaire en droit français (Art. L511-4 10°et L523-3 5° CESEDA) Avant la loi Debré (Loi n°97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration), la protection sanitaire de l’étranger était essentiellement une pratique jurisprudentielle. Le juge administratif peut en effet, lorsqu’il est saisi d’une demande d’annulation, contrôler la légalité des décisions d’éloignement notamment au regard de la situation personnelle de l’étranger et rechercher si elles sont de nature à comporter des conséquences d’une exceptionnelle gravité (CE, ass., 29 juin 1990, Préfet du Doubs c/ Olmos Quintero, n°115687). Depuis 1999, il n’est plus limité au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, mais exerce un contrôle normal (CE, 3 novembre 1999, N’Satou, n° 200065). La loi Debré s’est largement inspirée des principes dégagés par le juge administratif et de la tendance européenne pour instituer la première protection légale de l’étranger malade, qui a été rendue quasi absolue par la loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. L’Article L511-4 10° CESEDA dispose ainsi: « Ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure de reconduite à la frontière (…), l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi». Cette disposition offre aux étrangers malades une protection sanitaire et une véritable garantie contre les mesures d’éloignement, y compris les arrêtés d’expulsion (art. L523-3 5°). Ils peuvent toutefois faire l’objet d’une mesure d’expulsion s’ils ont commis des actes très graves (art. L521-3 : terrorisme, actes de provocation explicites et délibérés à la discrimination, à la haine ou à la violence). En continuité avec la loi Debré, la loi du 11 mai 1998 (relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, n°98-349) a instauré un droit au séjour pour raisons médicales et conféré un réel statut à l’étranger malade, qui régularisé, bénéficie au mieux de ses droits sociaux (meilleur accès aux soins, obtention de la CMU…). L’article L313-11 11° CESEDA prévoit que soit délivrée de plein droit la carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” à l’étranger malade. La mise en œuvre des articles L313-11 11° et L511-4 10° CESEDA nécessitent la réunion de cinq conditions: (1) la nécessité d’une prise en charge médicale ; (2) le risque d’exceptionnelle gravité du défaut de prise en charge médicale ; (3) l’impossibilité de bénéficier effectivement du traitement approprié dans le pays d’origine ; mais aussi (4) l’absence de troubles à l’ordre public ; enfin (5) la notion de résidence habituelle (seul l’étranger ayant été domicilié pendant un an peut prétendre à la régularisation médicale : circulaire du 5 mai 2000, NOR/INT/D/0000103C). Pour les étrangers ne remplissant pas ces critères, mais dont l’état de santé nécessite impérativement la poursuite momentanée du traitement, il est possible d’obtenir la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour d’une durée de 6 mois (Art. R313-22 CESEDA). Concernant la procédure de délivrance du titre de séjour, l’article L313-11 11° CESEDA précise que la décision « est prise par l’autorité administrative, après avis du médecin inspecteur de santé publique (MISP) compétent au regard du lieu de résidence de l’intéressé ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police». A l’appui de sa demande, l’étranger fournit un rapport médical établi par un médecin agréé ou un praticien hospitalier (Article R313-22 CESEDA). Le MISP procède ensuite à une expertise de ce rapport médical, vérifie la procédure suivie et rend son avis au préfet. Cet avis précise si l’état de santé du demandeur nécessite ou non une prise en charge médicale ; si le défaut de prise en charge peut entrainer ou ne devrait pas entraîner de conséquence d’une exceptionnelle gravité ; si l’intéressé peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine ou s’il ne peut y avoir accès ; enfin si les soins nécessités par son état de santé présentent un caractère de longue durée. La loi du 26 novembre 2003 a introduit la possibilité pour le MISP de demander un avis supplémentaire auprès d’une commission médicale régionale de consultation (CMR), qui convoque le malade et procède à une contre-expertise. Le préfet est libre de suivre l’avis émis par le MISP. Il peut décider de ne pas le suivre, soit parce que son analyse de l’accessibilité des soins diverge, soit parce qu’il dispose d’autres sources d’information. L’ODSE (l’observatoire du droit à la santé des étrangers) dénonce la complexité des formalités de demande de titre de séjour pour raison médicales, notamment l’exigence par les préfectures de documents supplémentaires qui ne sont prévus par aucun texte réglementaire (ex : le certificat médial « non descriptif », l’exigence d’une adresse réelle ou l’exigence d’un passeport en cours de validité). Pour rappel, selon les articles R 313-1, 20 et 22 du CESEDA, les seules pièces exigibles sont : toute pièce d’état civil, trois photographies, la preuve par tout moyen de l’ancienneté du séjour en France, un rapport médical établi par un praticien agréé, sous pli confidentiel à l’attention du médecin inspecteur de santé publique. Aujourd’hui, la portée des articles L313-11 11° et L511-4 10° CESEDA est restreinte par une mise en œuvre complexe, sujette à l’observation rigoureuse de la tendance politique en matière d’immigration. Si en 1997, l’octroi par le législateur de la protection sanitaire partait d’une intention bien généreuse, elle n’a eu de cesse d’être remise en cause par différents projets de loi ou de circulaire. Sous la pression notamment d’associations comme Médecins du monde, le régime actuel, tel qu’issu des lois de 1997 et 1998, est resté en vigueur, mais la pratique administrative, dès 2003, s’avère particulièrement restrictive en matière de régularisation pour raisons médicales. L’appréciation de l’état de santé et de son aggravation en l’absence de soin En droit européen, l’application de l’article 3 CESDH exige que le mauvais traitement atteigne un minimum de gravité et implique des lésions corporelles effectives ou une souffrance physique ou mentale intense (CEDH, Irlande c/ Royaume-Uni, 18.01.1978, n° 531071, §167 et V. c/ Royaume-Uni, 16.12.1999, n°24888/94, §71). La Cour précise que « L'appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l'ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime » (Irlande c/ R-U, §162 ; N. c/ RU, §29). L’étude de la situation personnelle par la Cour est primordiale. Le risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3, doit être évalué « à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire, et notamment des informations les plus récentes sur la santé du requérant » (CEDH, Bensaïd c/ Royaume-Uni, 6.02.2001, n°44599/98, §35). La Cour considère l’article 3 lorsque l’état de santé est réellement critique, sa seule gravité ne suffit pas (Bensaïd, §40) : la situation dans laquelle se trouve l’étranger doit être qualifiée de très exceptionnelle. La maladie du requérant (psychologique ou physique) doit ainsi atteindre « un stade avancé ou terminal » (CEDH, Arcila Henao c/ Pays-Bas, 24.06.2003) et l’interruption du traitement doit représenter « une menace directe pour sa vie » (CEDH, Amegnigan c/ Pays-Bas, 25.11.2004, n°25629/04). Le seul fait qu’en cas d’expulsion l’état de santé de l’étranger se dégraderait considérablement et que son espérance de vie s’en réduirait significativement, « n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3 » (N. c/ R-U, §42). Dans l’affaire D. c/ RU, la Cour a considéré que le requérant était à un stade critique de sa maladie fatale et qu’en outre il était prêt à affronter la mort. Elle conclu que « son expulsion l’exposerait à un risque réel de mourir dans des circonstances particulièrement douloureuses et constituerait donc un traitement inhumain ». Au-delà de l’appréciation de l’état de santé, elle s’intéresse également au soutien dont bénéficie le malade, qu’il soit moral, social ou familial. La situation du malade en phase terminale d’une maladie incurable qui ferait face à sa maladie seul, est un élément important pour le juge européen, qui permet de conclure à la violation de l’article 3, notamment au regard de la notion de dignité. Après avoir longuement examiné la situation de la requérante dans l’affaire N. c/ R-U, la Cour souligne la « part de spéculation » comportée dans l’appréciation de la rapidité de la dégradation de son état de santé (§50). Cette part de spéculation semble dès lors suffisante pour distinguer cette affaire de celles BB. c/ France ou D. c/ R-U et conclure que les circonstances très exceptionnelles ne sont pas réunies. Doit-on conclure que pour éliminer toute spéculation et ainsi bénéficier de la protection de l’article 3, l’étranger malade faisant l’objet d’une mesure d’éloignement doit être sur son lit de mort ? C’est l’orientation que semble prendre la CEDH. En raison du seuil élevé qu’elle a fixé pour les mauvais traitements découlant des maladies (§43), la cour procède à une analyse très stricte de l’état de santé de la requérante. Il nous semble pourtant que le seuil nécessaire à la qualification des traitements relevant de l’article 3 devrait être le même quelles que soient les circonstances et ne devrait pas être plus élevé juste parce que le mauvais traitement résulte d’une maladie. A ce titre, l’opinion dissidente rappelle le seuil issu de la jurisprudence Pretty (OD, §5): « La souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut relever de l’article 3 si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par un traitement – que celui résulte de conditions de détention, d’une expulsion ou d’autres mesures – dont les autorités peuvent être tenues pour responsables » (CEDH, Pretty c/ Royaume-Uni, 29.04.2002, n°2346/02, §52). En l’espèce, il ressort clairement de l’analyse de l’état de santé de la requérante qu’en l’absence de traitement approprié la souffrance due à sa maladie serait exacerbée. Les rapports rendus par les médecins spécialistes estiment sa durée de vie à moins de deux ans si elle était forcée de rentrer en Ouganda. A la seule lecture du §73 de l’arrêt de la chambre des lords (reproduit au §9 de l’opinion dissidente), il parait difficile de remettre en question la réalité du risque encouru par la requérante et affirmer que la dégradation de son état de santé relève de la spéculation nous semble exagéré, eu-égard à d’autres affaires (notamment par rapport aux faits de l’affaire Bensaïd, §39). L’opinion dissidente rappelle alors que « Les garanties de la Convention ne doivent pas être comprises en faisant abstraction des réalités concrètes qui forment le contexte d’une affaire » (OD, §10). De plus, selon la jurisprudence de la Cour, « un traitement peut être qualifié de dégradant et tomber également sous le coup de l’interdiction de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique » (Pretty c/ R.U, §52). En l’espèce, elle n’a pourtant pas décidé que l’expulsion de la requérante malade pouvait susciter chez elle de tels sentiments, ni qu’elle se trouvait dans une situation extrême emportant des considérations humanitaires. La décision européenne se montre particulièrement sévère et encore plus au regard de la notion de dignité, quelque peu reléguée. L’opinion dissidente estime quant à elle que « conclure à la violation potentielle de l’article 3 en l’espèce n’aurait nullement représenté un élargissement de la catégorie d’affaires exceptionnelles dont l’affaire D. c/ R-U est emblématique ». Les juges français et allemand, moins exigeants, tiennent davantage compte de l’aggravation de l’état de santé, que de l’état de santé initial En France, l’article L313-11 11° CESEDA nécessite une évaluation de la gravité des risques de l’interruption du traitement médical en cas d’éloignement. Le rapport rédigé par le médecin agréé ou le praticien hospitalier doit donc établir si l’état de santé de l’étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, le défaut de prise en charge médicale emporte des conséquences d’une exceptionnelle gravité lorsque sont en jeu « l’intégrité physique de la personne » ou « le pronostic vital » (CE, 17 février 1999, H. Ospina, n°192881). En droit allemand, la menace d’aggravation de l’état de santé de l’étranger peut constituer un obstacle au sens de l’article 60 VII 1 AufenthG. Cette menace doit être sérieuse. C’est le cas lorsque l’état de santé, en l’absence de traitement médical satisfaisant, s’aggrave de manière considérable (wesentlich) voire met en péril la vie du malade (lebensbedrohlich). Le caractère individuel est déterminant : il doit s’agir d’une menace individuelle et non d’un danger d’ordre général, qui menacerait tout ou partie de la population d’un pays (Art. 60 VII 3 ; BVerwG, 17.10.1995, 9C15.95, BVerwGE 99, 324). Lorsque le danger est d’ordre général, comme c’est le cas pour les épidémies, la situation ne relève pas de l’article 60 VII 1 AufenthG. L’article 60 VII 3 dispose alors qu’en cas de danger général doit s’appliquer la protection issue de l’article60a I AufenthG. Cet article permet pour des raisons humanitaires urgentes, la suspension sur arrêté (6 mois maximum) de toute mesure d’expulsion visant les étrangers en provenance de certains Etats ou une catégorie d’étranger en général ou des Etats précis. Les étrangers malades et menacés d’un danger général peuvent bénéficier de cette protection et ainsi restent tolérés sur le sol allemand (au-delà de 6 mois, il peut leur être accordé un titre de séjour provisoire après approbation de l’arrêté par le Ministère fédéral de l’intérieur). Concrètement, une Ougandaise atteinte du sida faisant l’objet d’une mesure d’expulsion est menacée par un danger d’ordre général (VG Ansbach 26.2.2008, AN9K 07.30470). Il est prouvé que si elle était expulsée elle n’aurait plus accès aux soins : le système national de santé est défaillant et selon les sources le nombre de personnes infectées varie de 400 000 à 900 000 (plus de 5% de la population selon ONUSIDA, Rapport sur l’épidémie mondiale de sida, 2008, p.39). Le danger qui le menace est le même que celui qui menace une part substantielle de la population : il s’agit donc d’une menace d’ordre général, la protection de l’article 60 VII 1 ne s’applique pas. L’article 60a I pourrait trouver à s’appliquer, si le ministre de l’intérieur du Land dans lequel il réside a pris, en raison de considération humanitaires urgentes, un arrêté suspendant toute expulsion d’étrangers malades du sida à destination de l’Ouganda. Dans les faits de l’arrêt précité du tribunal administratif d’Ansbach, aucun arrêté n’émane du ministère, l’article 60a I ne s’applique pas. L’étranger ne se retrouve toutefois pas dénué de protection. Pour ce faire, le juge allemand applique exceptionnellement l’article 60 VII S1 AufenthG, il fait abstraction de l’exclusion d’application pour les menaces d’ordre général (Durchbrechen der Sperrwirkung). Il procède à son interprétation conforme aux Articles 1 I S1 (La dignité humaine est intangible.) et 2 II S1 (Chacun a droit à la vie et à l’intégrité physique.) de la Constitution allemande (BVerwGE 99, 324). L’appréciation de l’aggravation sera alors plus stricte : l’étranger doit être condamné à une mort certaine. Le danger encouru est impérativement fatal, extrême ou existentiel (BVerwG, 08.12.1998, 9C4/98). Dans cette affaire datant également de 2008, le tribunal administratif a conclu que la requérante se trouvait dans une situation de danger extrême puisque sa vie était menacée en cas d’interruption de sa thérapie et d’expulsion vers l’Ouganda. Les faits de cette affaire sont très similaires à ceux de l’arrêt N. c/R-U, notamment l’état de santé de la requérante. Il est sans nul doute que l’appréciation du juge allemand est moins exigeante que celle du juge européen.

         La question  de la disponibilité des soins

La question de l’accès aux soins est particulièrement cruciale pour déterminer l’application d’un droit au séjour. S’il existe un accès au traitement, en France, comme en Allemagne, la protection sanitaire ne s’applique pas. Mais, apprécier l’absence ou non d’accès aux soins se révèle plus hasardeux qu’établir le diagnostique médical du patient. Une fois établis la gravité de l’état de santé du patient et les risques qu’il encourt en l’absence de soins, la réponse donnée n’est pas sans conséquences. Renvoyer un étranger en situation irrégulière et gravement malade dans un pays où il n’aura plus accès à son traitement, c’est peut être l’envoyer vers une mort certaine ; c’est le priver de droits sociaux dont-il a bénéficié mais qu’il n’a jamais acquis ; et c’est également considérer le droit à la continuité des soins comme un privilège seulement accordés aux nationaux ou aux étrangers régularisés. En effet, selon l’article 47 du code de déontologie médicale français, la continuité des soins aux malades doit être assurée quelles que soient les circonstances. Au-delà même du droit à la santé, il en va de la dignité de la personne humaine. Cette lourde charge relève en France de la compétence des MISP et des préfets. La circulaire du 12 mai 1998 en application de la loi du 11 mai 1998 (NOR/INT/D/98/00108C) est venue préciser les critères d’appréciation de l’accès aux soins : « La possibilité pour l'intéressé de bénéficier ou non du traitement approprié à son état dans son pays d'origine dépend non seulement de l'existence des moyens sanitaires adéquats, mais encore des capacités d'accès du patient à ces moyens. Les moyens sanitaires et sociaux à prendre en considération sont les structures, équipements et financements existants ainsi que les personnels compétents pour l'affection en cause ; il importe de savoir si ces moyens sont suffisants en quantité et qualité et accessibles à tout patient. L'accès aux structures sanitaires éventuelles est fonction de la distance entre le lieu de résidence du patient et la structure de soins qui conditionne le suivi médical régulier, mais aussi, s'agissant de personnes le plus souvent démunies, de l'existence d'une couverture sociale et de son étendue ou d'une prise en charge financière des soins par la collectivité». En cas d’absence d’éléments permettant d’affirmer avec certitudes que l’étranger peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié, la circulaire précise en outre que le médecin inspecteur de santé publique peut « se rapprocher » du médecin conseiller technique de la Direction de la Population et des Migrations. En novembre 2006, un projet de circulaire a été élaboré dans le but de fournir aux MISP et aux préfets des informations sur l’offre de soins disponible dans les pays. Ce projet consistait en une analyse de la jurisprudence administrative pertinente. Il rappelait en outre que l’appréciation devait « être centrée sur l’analyse concrète de la disponibilité médicale d’un traitement approprié dans le pays concerné, pour la maladie invoquée par le demandeur et non pas sur la situation économique dudit pays ou sur la situation financière du demandeur ». Ce projet en ce qu’il durcissait les conditions de la régularisation pour raison médicale a fait l’objet de vives critiques notamment associatives. En effet, la circulaire semblait se désintéresser de la notion d’accessibilité effective au profit de celle de disponibilité des soins, l’essentiel étant de savoir si pour la pathologie « un traitement approprié existe dans la capitale ou dans au moins une ville du pays, sans qu’il soit nécessaire de se poser la question pour la ville où réside le demandeur ». En outre, à l’issue d’une enquête auprès de 26 ambassades, la circulaire dressait un bilan de la disponibilité effective pour chaque pathologie répertoriée par l’OMS dans ces pays. Conséquemment à cette démarche ont été mises au point des fiches-pays disponibles sur l’intranet du ministère de la Santé concernant l’offre de soins dans trente pays. La création de telles fiches vise à faciliter l’appréciation des MISP et des préfets. Malgré leur caractère purement informatif, la mise en place de ces fiches-pays est critiquable. En effet, il nous semble que la démarche procède d’une rationalisation dangereuse susceptible de faire les frais de l’évolution plus au moins restrictive des politiques d’immigration. Une évaluation particulièrement stricte de l’existence de soin dans ces pays est un mal nécessaire à une politique restrictive en matière d’immigration. Notons que l’exactitude médicale de ces fiches a d’ailleurs été remise en question par Médecin du Monde et qualifiée de « lacunaire » voire « mensongères » par l’ODSE (la régularisation pour raison médicale en France, un bilan de santé alarmant, rapport de l’ODSE, mai 2008, p. 15). Le syndicat des MISP (SMISP) a également rappelé que « l’existence et la disponibilité des thérapeutiques dans les pays d’origine ne sauraient être confondues avec leur accessibilité. L’état de l’offre de soins des différents pays de retour, transmis par la Direction de la Population et des Migrations ou par les services des ambassades n’en donne actuellement qu’une information très réductrice » (Etrangers malades et Réforme de l’Aide médicale d’Etat, motion du 27 janvier 2006, p. 3). La difficulté de la tâche des MISP tient à la mise en balance de l’intérêt général mis en exergue par des politiques migratoires restrictives avec la déontologie médicale privilégiant la protection de la personne. A ce sujet, les MISP se sentent victime d’une pression politique et médiatique, alors que « l’indépendance du médecin est avant tout un droit du patient » (commentaire de l’article 95 du code de déontologie médicale) ; ils ont l’impression de « concilier l’inconciliable » (Avis rendu par les MISP sur le maintien des étrangers malades sur le territoire, Rapport n°RM2006-139A, Septembre 2006). C’est pourquoi dans leur avis, les MISP préconisent de laisser au préfet le soin d’apprécier l’accessibilité aux soins dans le pays de renvoi. N’étant pas lié par l’avis rendu par le MISP, « il apparaît dans cette procédure comme l’ultime contrôleur du risque migratoire » (Christel Cournil, Quand les politiques migratoires françaises « contaminent » l'accueil sanitaire et l'accès aux soins des étrangers, Revue trimestrielle des droits de l'homme, 72/2007, p. 1031). Contrairement aux médecins, il n’est pas partagé entre l’enjeu médical et les nécessités d’ordre public. La position du juge administratif se révèle cruciale dans ce débat sur l’appréciation de l’accès aux soins. Elle s’effectue en fonction de la pathologie de l’étranger, le juge doit notamment rechercher si le traitement est disponible dans le pays et si l’étranger peut effectivement y être soigné. Pour cela, le juge à la lecture des pièces présentées par les parties peut notamment s’intéresser à l’état des structures de soins et des équipements, la compétence du personnel soignant, le coût des traitements par rapport au niveau de vie, la distance entre le domicile et l’hôpital, la capacité d’accès aux soins (liste établie par Christel Cournil, RDSS 2004, p.872). Cette évaluation n’est cependant pas sans difficultés et les pièces présentées sont décisives dans l’appréciation. S’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’intéressé ne peut pas bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine, le juge administratif rejette le recours tendant à l’annulation du refus de séjour ou de la mesure d’éloignement (CE, 12.12.2005, Préfet de la Seine Saint-Denis c/ Dosso, n°268082). En 2006, le rapporteur Mariani déplorait le manque de moyens objectifs mis à disposition des magistrats, nécessaires à déterminer l’état sanitaire réel dans le pays d’origine de l’étranger » (Rapport d’information de la commission des lois sur la mise en application de la loi n°2003-1119 du 16 novembre 2003 présenté par M. Thierry MARIANI, mars 2006, p. 64). En effet, le juge administratif pour prendre sa décision, ne dispose que des seules pièces présentées et le rapporteur regrettait que leur majorité soit rapportée par les étrangers. Pour le député Mariani, il est sans nul doute que la décision du juge doit se fonder sur l’existence réelle d’une offre de soins dans ces pays et qu’elle doit être déterminée aux moyens des éléments rapportés par les MISP dans leur avis (et non pas par les étrangers). Seul cet avis est en mesure de prévaloir sur les nombreux certificats médicaux produits par l’étranger. D’où, la responsabilité pour ces médecins de fournir un avis exhaustif et motivé démontrant que l’étranger peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié. Cependant, un tel avis n’est pas forcément suivi par le juge administratif qui n’hésite pas à en prendre le contrepied (CE, 7.12.2005, Melle Misose A. c/ Préfet de police, n°275193). L’appréciation du juge se fonde donc essentiellement sur l’aspect sanitaire, mais au détriment des éléments personnels pourtant déterminant pour décider si l’étranger bénéficiera effectivement d’un traitement approprié. Le juge ne tiendra pas compte des ressources financières de l’étranger nécessaires à la poursuite de son traitement (CE, 15 décembre 2004, Préfet de police c/ M. Guiri, n°257171) ni du seul caractère onéreux du traitement (CE, 30 juillet 2003, Tacius, n°251769). Il ne tiendra pas compte non plus de la circonstance que l’étranger ne pourrait pas bénéficier d’un traitement approprié dans sa ville de résidence (CE, 5.11.2003, M. Dilbagh X. c/ Préfet du val d’Oise, n°241505), note : le projet de circulaire de 2006, rappelle qu’en pratique la possibilité de bénéficier d’un traitement dans la capitale ou dans la ville la plus importante du pays suffit seule à admettre la possibilité d’accès aux soins). Dans un arrêt du 15 décembre 2006, la Cour administrative d’appel de Paris a cependant accepté de considérer le moyen tiré des difficultés financières de l’étranger (CAA, n°06PA00482). En effet, l’article L313-11 du CESEDA emploie le terme « effectivement », il pourrait en être déduit que malgré la disponibilité du traitement, d’autres facteurs pourraient empêcher le malade d’en bénéficier effectivement, notamment le facteur financier ou encore géographique. Le CE a mis fin au débat : « la circonstance que M. X serait originaire d’une région éloignée des structures médicales appropriées et qu’il aurait des difficultés financières à assumer la charge du traitement de sa maladie en Tunisie est, en tout état de cause, sans incidence sur l’existence de soins appropriés à sa pathologie dans son pays d’origine » (CE, 13 février 2008, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, n°297518). La décision du juge est particulièrement sévère et semble méconnaître l’intention première du législateur de 1997, qui selon nous conférait une protection plus large que celle actuellement accordée. Conformément à la tendance actuelle en matière d’immigration, il durcit les conditions d’obtention d’un titre de séjour pour raisons médicales en faisant primer l’existence de soins appropriés sur l’idée d’accès effectifs aux soins. Le Conseil d’Etat manque ici l’occasion d’effectuer un contrôle plus approfondi des décisions préfectorales. En suivant ce raisonnement, on pourrait déduire par exemple que le traitement approprié étant disponible dans une capitale, la régularisation médicale serait refusée à l’étranger dont la situation financière précaire ne lui permettrait pas de parcourir les 700 kilomètres nécessaires pour se rendre dans l’établissement dispensant ces soins. En raisonnant selon l’idée d’accès effectif, le droit à la santé de cette personne serait mieux garanti puisque le traitement n’étant manifestement pas accessible, la régularisation serait envisageable. La notion d’accès effectif permet d’étendre la marge d’appréciation des MISP, des Préfets comme des juges, mais nécessite une longue analyse au cas par cas. En droit allemand, il revient au BAMF de rendre un avis sur la situation dans le pays de renvoi. Comme en France, la décision finale appartient à l’administration donc à l’office des étrangers (sauf pour les cas où l’office est obligatoirement lié à l’avis du BAMF), mais la procédure mise en place permet une prise de décision plus éclairée. En effet, l’expertise du BAMF s’effectue à l’aide du centre d’information sur l’asile et la migration (Informationszentrum Asyl und Migration : IZAM), qui se compose de juristes, politologues, d’associations (Amnesty International) et de médecins. Un catalogue d’information (Informations- und Kriterienkatalogs) créé par la chambre des médecins et le gouvernement de la Westphalie-Nord a aussi été mis à disposition des offices des étrangers. Bien évidemment, l’expertise du BAMF repose également sur les principes dégagés par la jurisprudence administrative. Ainsi, l’administration dispose des meilleurs moyens pour déterminer l’existence d’un obstacle à l’expulsion. Par ailleurs, le juge allemand se montre quant à lui, particulièrement rigoureux dans son contrôle et dans l’examen de la question de la disponibilité des soins, procédant toujours au cas par cas et analysant la situation réelle dans laquelle se trouve le requérant. Le juge allemand considère que la maladie constitue un obstacle à l’expulsion lorsque son aggravation découle directement de l’insuffisance ou de l’absence dans le pays de renvoi de moyens médicaux pour la prise en charge des soins (BVerwG, 27.04.1998, 9C276.94). Le juge allemand ne s’intéresse pas à la seule question de la disponibilité du traitement, mais à leur suffisance. Il faut en conclure, que sa démarche s’inscrit essentiellement dans la détermination de l’accès aux soins pour l’étranger et non pas simplement à la détermination de l’existence ou non de ces soins. Pour évaluer la l’accès aux soins, le juge allemand a recours au même faisceau d’indice que le juge français (infrastructures hospitalières, compétences…), mais il ne se borne pas à une analyse sanitaire : depuis 2002, il accepte de considérer la non-disponibilité des soins pour des raisons financières et personnelles. La situation individuelle de l’individu doit en effet être prise en compte dans la décision d’expulser ou non (BVerwG, 29.10.2002, 1C1.02). A titre d’exemple, l’existence d’un obstacle à été confirmée par le tribunal administratif de Lüneburg, dans le cas d’une femme vietnamienne diabétique, dont les moyens financiers étaient insuffisants pour se procurer le traitement disponible au Vietnam. L’analyse du juge se fondait notamment sur le prix exorbitant du traitement, sur le fait que la requérante n’avait plus de famille au pays pour la soutenir, qu’elle avait à charge sa fille de 14 ans, qu’au Vietnam l’assurance maladie n’était disponible que pour les travailleurs et qu’il fallait en outre pour conserver les médicaments posséder un réfrigérateur ce que ses ressources financières ne lui permettaient pas (VG Lüneburg, 10.12.2008, 1A 173/06). Cet arrêt est doublement intéressant en ce qu’il applique à la requérante, parallèlement à la protection de l’article 60 VII S1, la protection subsidiaire prévue par la directive 2004/83 (article 18 en liaison avec article 4 III c). La jurisprudence européenne précitée ne s’étend pas vraiment sur la question de la disponibilité des soins : le juge se montre particulièrement rapide et sévère quant à l’étude de cette question. Pour emporter violation de l’article 3, le traitement doit être indisponible et ce avec un degré de certitude qui ne relève pas de la simple spéculation. La CEDH se réfère alors aux rapports officiels établis par l’OMS ou encore par la Croix-Rouge pour établir l’existence du traitement. Dès lors qu’un tel traitement existe, la Cour ne retiendra pas l’argument tiré de son caractère onéreux ou des faibles ressources de l’étranger pour déterminer l’indisponibilité. Dans l’affaire Amegnigan c/ Pays-Bas, la Cour note que « le traitement approprié est en principe disponible au Togo, quoiqu’à un coût extrêmement élevé » et que dans ces circonstances et alors que la maladie du requérant n’est pas en phase avancée ou terminale, la demande est irrecevable. En outre, lorsqu’il invoque d’autres éléments tendant à prouver l’indisponibilité du traitement, l’étranger doit fournir des renseignements qui ne sont pas d’ordre spéculatif (Bensaïd, §39 : en l’espèce, les difficultés pour se rendre à l’hôpital dispensant les soins). De même, le fait que la situation serait moins favorable dans le pays de renvoi qu’au pays d’accueil n’est pas un argument déterminant pour la Cour (Bensaïd c/ R-U, §38).

La sévérité du juge européen doit-elle se comprendre dans le contexte actuel de lutte contre l’immigration illégale ? En effet, le droit au séjour des étrangers malades est considéré par le politique comme faisant l’objet de « stratégies » : une protection trop large fait craindre un effet « appel d’air ». La CEDH rappelle que « l'article 3 ne fait pas obligation à l'Etat contractant de pallier lesdites disparités en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire. Conclure le contraire ferait peser une charge trop lourde sur les Etats contractants » (N. c/ RU, §44). Il est évident qu’un tel droit ne saurait découler du seul article 3, mais ne faudrait-il pas, dans des conditions exceptionnelles, garantir aux sans-papiers malades le droit à la continuité effective des soins? Doit-on comprendre à travers cette affirmation plutôt malencontreuse, que consacrer le droit des immigrés illégaux aux soins médicaux coûterait trop aux Etats ? L’opinion dissidente en déduit quant à elle « l’acceptation implicite par la majorité de l’allégation selon laquelle un constat de violation de l’article 3 en l’espèce ouvrirait les vannes de l’immigration médicale et risquerait de faire le l’Europe l’infirmerie du monde » (OD, §8). Il est regrettable, que le droit à la santé n’ait pas plus de poids au sein du Conseil de l’Europe, et qu’il ne soit pas considéré comme un droit fondamental attaché à la personne humaine. D’ailleurs, même si la Convention vise essentiellement à protéger des droits civils et politiques, le prolongement social ne doit pas être occulté : « nulle cloison étanche ne sépare la sphère des droits économiques et sociaux du domaine de la Convention » (CEDH, Airey c/ Irlande, 9.10.1979, n°6289/73§26).

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