La protection juridique de l’investisseur dans l’optique du financement participatif sous forme de souscription de titres ("securities-based crowdfunding"): analyse du JOBS Act 2012 Titre III. Droit comparé en Common Law américaine et droit français.

Résumé : Le « crowdfunding », littéralement financement par la foule, connaît une croissance
exponentielle depuis cinq ans. Dès 2012, le Titre III du « JOBS Act » est venu remplir le vide
juridique entourant le « securities-based crowdfunding ». Début 2014, le gouvernement
français a publié des propositions de modifications réglementaires. Après analyse, il apparaît que les réformes américaine et française affaiblissent la protection juridique de l’investisseur
Résumé: Le "crowdfunding", littéralement financement par la foule, connaît une croissance exponentielle dpuis cinq ans. Dès 2012, le Titre III du "JOBS Act" est venu remplir le vide juridique entourant le "securities-based crowdfunding". Début 2014, le gouvernement français a publié des propositions de modifications réglementaires. Après analyse, il apparaît que les réformes américaine et française affaiblissent la protection juridique de l'investisseur.

 

 

Mots-clés: « securities-based crowdfunding »; « financement participatif sous forme de souscription de titres ».

 

 

Introduction:

          L’adoption du « Jumpstart our Business Startups Act » (JOBS Act) en date du 5 avril 2012 libéralise le marché du “crowdfunding” aux Etats-Unis. Fait assez rare pour le noter, le projet de gouvernement a recueilli des votes favorables de la part des partis démocrate et républicain au Congrès. Cela prouve bien que le « crowdfunding » est considéré de manière quasi-unanime comme un vecteur de croissance pour les jeunes pousses, elles-mêmes créatrices d’emplois.

Le financement participatif (ou « crowdfunding ») est un nouveau modèle d’investissement qui permet au public de financer des projets à travers des plateformes Internet. Bien que très
répandue, cette notion est assez floue puisqu’elle n’est pas définie de façon juridique. Les premières plateformes ont été recensées au début des années 2000, donnant naissance à des projets comme Wikipedia qui amortit ses coûts grâce au financement participatif. Ainsi, trois formes de financement participatif sont aujourd’hui à l’oeuvre : le don en échange de certaines contre-parties (souvent en nature), le prêt donnant lieu à un remboursement avec intérêts et la souscription de titres accordant des parts sociales. C’est ce dernier mode de financement (« equity crowdfunding ») qui sera étudié parce qu’il constitue le coeur du JOBS Act.

L’état du droit positif des deux côtés de l’Atlantique est aujourd’hui similaire. Cependant, ce sont les réformes à venir (JOBS Act et projet de loi français) qui diffèrent dans leurs mécanismes, d’où l’intérêt de les comparer. Concernant le JOBS Act, le titre III est dédié spécifiquement aux règles libéralisant le financement participatif sous forme de souscription de titres. Mais son application est subordonnée à la transposition de la loi par l’agence fédérale qui contrôle les « public companies » : la « Securities Exchange Commission » (SEC), dont le rôle correspond à celui de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) en France. Or, la SEC a attendu le 23 octobre 2013 pour émettre un projet d’application de la loi1. Cette version temporaire (90 jours) a pour but de recueillir des commentaires publics sur le sujet. Par ailleurs, la ministre déléguée aux petites et moyennes entreprises (PME) a annoncé le 14 février 2014, au lendemain de la visite du gouvernement français à San Francisco, des réformes réglementaires autorisant pour la première fois le procédé de financement participatif sous forme d’actions. Dès lors, on constate le retard du processus législatif et réglementaire pris par le Parlement français sur le Congrès américain.

Une fois l’enjeu du « crowdfunding » posé, il apparaît crucial d’étudier le fond du sujet : la place juridique de l’investisseur dans ce processus. Si ce nouveau mécanisme paraît favoriser le « contributeur », ce dernier n’en demeure pas moins la partie faible. Concrètement, la libéralisation de l’émission de titres résulte d’une baisse du nombre de contraintes
d’informations et de la surveillance par l’émetteur de titres. Dans ce mouvement de dérégulation, les sociétés émettrices bénéficieront d’un allègement des obligations financières, comptables et d’identification. Cette tendance conduit donc à l’affaiblissement des garde-fous juridiques de l’investisseur. Ainsi, il est permis de se demander si la démocratisation de
l’accès au capital n’est pas la face cachée de la mise en danger du contributeur.

Ce sujet sera traité à l’aune de la méthode fonctionnelle. En effet, bien qu’il n’en existe aucune définition juridique, la notion de « securities-based crowdfunding », ou financement participatif sous forme d’émission de titres, est comprise de la même façon dans les deux systèmes de droit. Pour cause : le « crowdfunding » est apparu en pratique aux moyens des
nouvelles technologies d’information, avant d’être régulé par des règles juridiques nationales. C’est donc les différences de méthodes d’encadrement du financement participatif par les droits américain et français qui devront être mises à jour.

La démocratisation annoncée de l’ « equity crowdfunding » pose ainsi la question de la sécurité juridique de l’investisseur, partie faible du contrat. Peut-on considérer que le droit actuel et les réformes à venir (le JOBS Act et le projet d’ordonnance de la ministre Fleur Pellerin) assurent l’information effective de l’investisseur ? Le statut juridique du  contributeur au sein de la société y est-il suffisamment défini ?

Au moment de son investissement, le contributeur semble bel et bien mis en danger par les lois de démocratisation du « crowdfunding » (I). Le déficit de protection juridique dénoncé n’est qu’aggravé par la place indéterminée de l’investisseur au sein de l’organisation de la société (II).

 


     I. L’insuffisante protection juridique du contributeur lors de son investissement

 


        La démocratisation de l’accès au capital au travers du financement participatif est bien synonyme de mise en danger du contributeur. Le statut juridique des portails d’investissement est encore flou (A). De plus, l’investisseur n’a pas accès à autant d’informations que lors de la révélation classique d’information par les sociétés émettrices de titres publics (B).


A. L’imprécision de l’encadrement juridique des portails d’investissement

 

          Dans les deux systèmes de droit, on constate d’emblée le flou juridique qui entoure le fonctionnement des portails d’investissement, intermédiaires entre la société émettrice et les investisseurs. Le rôle de ces portails est de « fournir des services d’investissement » et d’ « offrir au public des titres financiers ». Ils profitent de l’absence de législation détaillée les concernant. En effet, la loi n’est pas claire sur leur rôle : sont-ce des intermédiaires neutres ou des conseillers en investissements financiers ? Peuvent-ils faire de la publicité autour des projets d’investissement ? Doivent-ils contrôler l’identité de l’investisseur ? Le flou juridique est si grand que l’AMF est intervenue avec un « guide du financement participatif à destination des plateformes et des porteurs de projet »2 . La partie faible, à savoir l’investisseur, se trouve à nouveau mis en danger par ces imprécisions juridiques.

Le JOBS Act ainsi que le projet de réformes du ministère du redressement productif clarifient en partie le statut de ce corps intermédiaire. L’article 304 du JOBS Act impose à ce type de plateforme l’agrément de la SEC et oblige les intermédiaires à fournir des informations pédagogiques à l’investisseur, et de diminuer les risques de fraude. Tandis que le JOBS Act interdit le conseil en la matière, le projet de réforme français préfère créer un statut de conseiller en investissements participatifs. Il y a fort à parier que ces plateformes profiteront de cette règle pour abuser de la partie faible. En effet, l’ambigüité du statut des plateformes entre neutralité et conseil semble à première vue jouer en la défaveur du contributeur. De plus, les plateformes n’auront plus besoin de capital minimum en France. Sur ce point, le JOBS Act
semble mieux protéger le contributeur que le projet de réforme français.

 

B. L’affaiblissement du contrôle des informations par la SEC et l’AMF : le risque de fraude

 

          Dans un premier temps, il importe de préciser la situation du droit positif pour comprendre l’ampleur des changements. Le « Securities Exchange Act » de 1933 et l’article 212-1 du règlement général de l’AMF ont initialement imposé à toute société procédant à une offre publique de titres financiers des obligations de publication de prospectus soumis à la validation de la SEC ou de l’AMF. Or, ces lourdes obligations d’informations nécessitent l’aide de cabinets d’experts comptables et d’avocats, processus trop onéreux et trop long (200 pages à publier) pour les PME. Il existe cependant des exceptions à l’obligation d’informations mais seulement pour les offres à destination de personnes « qualifiées » ou « sophistiquées ». Le droit français ajoute une dispense d’informations lorsque l’offre vise moins de 150 personnes. Ainsi, le droit positif ne permet pas d’atteindre le public visé par le « crowdfunding ».

Il convient par la suite d’analyser la portée de l’article 302 du JOBS Act. Ce dernier impose une autre exception à la « Securities Exchange Act » de 1933. Les sociétés concernées sont celles qui font appel au financement participatif sous forme de souscription de titres inférieurs à un total d’un million de dollars dans une période d’un an. Les actions sont offertes aux personnes « non-accréditées » dont la rémunération se situe en-dessous de 100 000 dollars. Elles ne sont alors autorisées à investir que 2000 dollars ou 5% de leurs revenus. Si elles se situent au-dessus du seuil de 100 000 dollars, elles pourront investir 10% de leur revenu annuel. En application de cette disposition, la société émettrice devra fournir des informations allégées concernant: l’entreprise et les propriétaires, l’objet social, les actions, les transactions
connexes, les finances et les rapports financiers certifiés de la société durant les 12 derniers mois. Ce changement de régime juridique fait véritablement figure de révolution quand on le compare aux lourdeurs des contraintes contenues dans le « Securities Exchange Act ». Il n’en demeure pas moins que la qualité de l’information à destination du contributeur se verra grandement détériorée.

Le 14 février 2014, la ministre déléguée aux PME Fleur Pellerin et le ministre de l’économie et des finances Pierre Moscovici ont présenté le projet de réforme français tant attendu concernent le financement participatif, lors de leur conférence de presse « Faire de la France le pays pionnier du financement participatif »3 . Ce projet devrait être suivi d’une ordonnance au mois de mars 2014, et de décrets d’application en juillet 2014. La réforme en question imite sur bien des aspects le titre III de son cousin américain. Tout d’abord les sociétés qui verront leurs règles assouplies sont désormais les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées, ce qui est une excellente nouvelle pour les startups, souvent constituées en SAS. De plus la même limite d’un million d’euros est obligatoire pour le montant de l’investissement en « crowdfunding ». En revanche, toutes les personnes non-accréditées bénéficieront de la possibilité d’investir dans ce type de PME. Ce dernier point abordé laisse penser que le projet de réforme de Fleur Pellerin est plus libéral que le projet américain. Ainsi, la future ordonnance française pourrait bien donner à la France le titre de « startup république d’Europe ».

L’édiction des règles du JOBS Act et du projet de réforme français aboutit à la facilitation de l’émission de titres, mais au détriment de la sécurité juridique de l’investisseur. L’article 302 du JOBS Act impose le transfert d’informations, mais sans vérification par un audit ou une possibilité de « due diligence ». Il reste que les experts craignent que ce nouveau moyen
d’investissement soit utilisé à des fins de détournement de fonds. Pour preuve : la SEC a mis plus d’un an pour proposer un projet de réformes, au lieu des 90 jours demandés par le JOBS Act. De nombreuses questions se posent quant au suivi de l’investissement réalisé et au risque de fraude, les textes de loi ne prévoyant pas de rapports financiers réguliers de la société émettrice.

 


          Ainsi, les régulations à venir posent la question de la protection juridique de l’investisseur. Le statut juridique du contributeur est d’autant plus mis à mal que sa place au sein de la « corporate governance » est imprécise.

 


     II. Le statut indéterminé du contributeur dans l’organisation de la société, source d’insécurité juridique

 


         Les lacunes juridiques entourant le statut du contributeur dans la société sont nombreuses (A). Ce vide juridique fragilise encore la sécurité de l’investisseur et peut se transformer en grain de sable dans la mécanique huilée de la « corporate governance » (B).

 

A. Le problème de qualification de l’investisseur impliqué dans le financement de la société

 

          Le statut de l’investisseur au sein de la société n’est pas abordé en droit positif, fragilisant sa situation. La jurisprudence n’a pas non plus répondu à cette question cruciale. Cependant, la pratique du système de l’« equity crowdfunding » date d’une décennie aux Etats-Unis et commence à se roder. En pratique, l’investisseur accrédité ou sophistiqué y est considéré comme un actionnaire. A l’inverse, le financement participatif sous forme de souscription de titres n’en est qu’à sa genèse sur les plateformes internet françaises. Dans son article de doctrine, Guillaume Leclair, avocat spécialisé en « corporate law » analyse les « hypothèses de qualification alternatives en l’absence de qualité d’associé de  l’internaute/investisseur » : la qualification de prêt simple ou de prêt avec participation aux bénéfices pourrait convenir au financement participatif. Selon sa théorie, le contributeur ne devient actionnaire qu’à partir du moment où le contrat de société de l’article 1832 du Code civil est reconnu a posteriori. Ce dernier énumère les conditions selon lesquelles l’investisseur est actionnaire : une pluralité d’associés, un apport, la participation aux résultats de l’entreprise et le caractère le plus difficile à déterminer : la présence de l’affectio societatis. En l’absence de ces éléments la situation du contributeur restera juridiquement indéfinie. Par conséquent, les recours judiciaires à sa disposition dépendent de sa qualification juridique. Peut-il solliciter l’action dérivative propre à l’actionnaire, ou doit-il se contenter d’une action pour le non-paiement d’un prêt ? Peut-il invoquer l’abus de majorité? Ces questions doivent être résolues par un statut précis du contributeur. Ainsi l’investisseur sera-t-il informé en amont du statut découlant de son investissement en « crowdfunding ».

Dans le JOBS Act (Section 303) comme dans le projet de réforme de la ministre Fleur Pellerin, la notion d’ « actionnaire » n’est qu’effleurée, ne garantissant pas encore clairement le statut d’actionnaire à l’investisseur.

 

B. Les droits actuellement limités des actionnaires dans le cadre du « crowdfunding »

 

          Les droits des actionnaires ne sont pas protégés spécifiquement par le JOBS Act. Seule la version temporaire de novembre 2013 du « Nouveau cadre pour faciliter le développement du financement participatif » abordait la question des droits des actionnaires en son article 1.4. La tâche de détermination du statut d’actionnaire était dévolue à l’AMF, qui n’en a pas fait état.

Fort heureusement le droit commun des sociétés protège les trois droits fondamentaux des actionnaires : politiques, financiers et patrimoniaux. Cependant, ces droits sont vulnérables. En effet, la pratique des investissements destinés aux startups a fait évoluer les actions classiques vers les « actions de préférence » qui privent l’actionnaire de droits de vote. De plus, le « securities-based crowdfunding » implique des investisseurs/actionnaires sans expérience, autrement dit des parties faibles à la négociation de droits. Dans ce contexte, il est vraisemblable que les actions de préférence proposées par les sociétés émettrices cantonnent les droits de l’actionnaire à ses simples droits financiers (droits aux dividendes par exemple). Certains auteurs mettent en garde contre les lourdeurs administratives que déclenche l’arrivée de centaines d’actionnaires minoritaires dans la structure de décision d’une jeune pousse. En effet, si le droit de vote de l’actionnaire peut être supprimé, il subsiste le droit politique de demander des informations à la société qui ne pourra être retiré. L’actionnaire minoritaire peut faire la demande de rapports sur l’entreprise ou proposer des résolutions en assemblée
générale. L’investisseur/actionnaire pourrait ainsi s’avérer plus gênant que prévu et bloquer la société. La question des droits des investisseurs/actionnaires dans le contexte de l’ « equity crowdfunding » sera peut-être l’objet des prochaines réformes législatives française et américaine en la matière. Au cours de sa conférence de presse, la ministre déléguée aux PME Fleur Pellerin a déjà promis la tenue « d’un rendez-vous » dans un délai de six mois avec les participants à la négociation.

 

1: SEC Rule Proposal 2103-227; http://www.sec.gov/News/PressRelease/1370540017677#.Uvrb4rSFltK; 23 octobre 2013

2: "Guide de l'AMF du financement participatif (Crowdfunding) à destination des plate-formes et des porteurs de projet"; 14 mai 2013

3: Conférence de presse "Faire de la France le pionnier du financement participatif"; http://www.redressement-productif.gouv.fr/france-pionnier-financement-participatif; 14 février 2014

 

 

Bibliographie:

Common law américaine

  • Réglementations :

- Jumpstart Our Business Startups Act; Title III; H.R. 3606 
- Securities exchange Act 27 mai 1933

  • Ouvrages et doctrine:

- R. W. HAMILTON, J. R. MACEY, D.K. MOLL; Cases and materials on corporations including parnerships and limited liability companies; West 11e edition; 2010
- D. JARGIELLO; “Lawyering up for the JOBS Act”; blog: http://jargiello.tumblr.com/post/19581681996; 19/03/2012


Droit français

  • Réglementations :

- Article 1832 du Code civil
- Article 212-1 du Règlement général de l’AMF
- Article L. 411-2 du Code monétaire et financier

  • Ouvrages et doctrine :

- M. COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY; Droit des sociétés; LexisNexis 25e édition 2012; p. 204
- GUILLAUME LECLAIR : « Peut-on raisonnablement être associé avec… la foule ? »; La Semaine Juridique Entreprise et Affaires; LexisNexis; revue n° 51-52; 19 décembre 2013