La question de la reconnaissance du mariage homosexuel en Italie (Ordonnance du Tribunal de Venise, 3 avril 2009) par Jeanne Ferraro
La doctrine et la jurisprudence se sont accordées sur l’interdiction du mariage homosexuel en Italie. Le Tribunal de Venise rouvre le débat en demandant à la Cour constitutionnelle de justifier cette interdiction au regard de la Constitution. Selon l’ordonnance, ce refus de reconnaissance crée une situation discriminatoire envers les couples de même sexe par rapport aux couples hétérosexuels car il ne serait justifié par aucune raison valable.
L’évolution de la famille fait sentir la nécessité de réglementer les nouveaux modèles familiaux. Des statuts juridiques différents du mariage se sont multipliés et la notion même du mariage a évolué en Europe. Le mariage homosexuel représente un fait de société réglementé dans un nombre grandissant d’Etats (les Pays Bas, l’Afrique du Sud, le Canada, l’Espagne, l’Argentine, le Portugal…), cependant beaucoup d’ordres juridiques continuent à ne pas le reconnaître (l’Allemagne et l’Autriche notamment où des pactes civils existent, alors que la Constitution de la République démocratique du Congo l’interdit explicitement). Le 3 avril 2009, le Tribunal de Venise (le Tribunal) a posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle italienne afin de savoir si l’interprétation courante des dispositions du code civil, selon laquelle il n’est pas permis aux couples homosexuels de se marier, est conforme à la Constitution. Cette question a été soulevée par voie d’exception sur demande d’un couple d’hommes, qui s’est vu refuser par l’officier d’état civil la publication des bans à la mairie. L’ordonnance a été suivie en août 2009 par des ordonnances similaires de la Cour d’appel de Trento ordonnance du 29 juillet 2009, de la Cour d’appel de Florence ordonnance du 13 novembre 2009 et du Tribunal de Ferrare ordonnance du 11 décembre 2009. Cette suite de renvois à la Cour constitutionnelle démontre un intérêt certain des juridictions et donne un poids à la réponse très attendue de la Cour. Les juridictions italiennes se sont accordées sur l’impossibilité de reconnaître un droit au mariage aux homosexuels, due à l’interprétation courante des articles régissant le mariage civil, mais également sur la situation discriminatoire envers les couples de même sexe par rapport aux couples hétérosexuels. En effet, aucune institution ou acte juridique n’est prévu par le droit italien pour régir les rapports entre les personnes des couples homosexuels. Cependant, les principes communs d’égalité de traitement et de non-discrimination conduisent souvent les Etats européens à adapter leur législation aux exigences et aux besoins de la société. Le Tribunal donne d’ailleurs un bel exemple de droit comparé en citant l’exemple de certains Etats qui ont modifié leur droit positif (que ce soit l’Afrique du Sud par la jurisprudence ou l’Espagne par la loi) en faveur de la reconnaissance du mariage au plus grand nombre. A qui revient-il de consacrer les changements de fait du modèle familial ? Si le législateur ne prend pas cette peine, le juge peut-il être une alternative ? Et quelle est son champ d’action dans ce cas ? Il est peu probable au regard du droit actuel italien de prédire une transformation radicale en matière de mariage homosexuel, mais le Tribunal a l’audace de rouvrir un débat, qui sera peut être regardé avec un œil nouveau après l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
I/ La différence de sexe est une condition de fond du mariage Le Tribunal précise au début de son ordonnance que « nel nostro sistema il matrimonio tra persone dello stesso sesso non è né previsto, né vietato espressamente ». Les codes civils italien et français ne prévoient pas explicitement la différence de sexe comme condition de fond du mariage. Mais si l’hypothèse du mariage entre deux personnes du même sexe n’est pas explicitement interdite, elle n’est pas pour autant autorisée de façon évidente. Cette « omission » législative est le fondement le plus fréquemment utilisé dans les deux Etats par les partisans du mariage homosexuel pour demander à ce que l’interprétation des dispositions concernant le mariage change. Cependant, le code civil italien fait référence à son article 108 au “marito” et à la « moglie”, de même que l’article 143 dispose que “con il matrimonio il marito e la moglie acquistano gli stessi diritti e assumono i medesimi doveri.” De même que certains articles du code civil français font également clairement référence au « mari » et à la « femme », comme l’article 75 qui dispose que l’officier d’état civil « recevra de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme » ou l’article 144 qui prévoit que « l'homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ». C’est donc au juge d’interpréter l’intention du législateur. Il est certain que les rédacteurs du code civil n’avait en aucun cas envisagé la famille homosexuelle lors de la création de ces normes et la jurisprudence italienne reste constante sur le refus de reconnaître un droit au mariage à un couple de même sexe. En l’espèce, le Tribunal ne laisse pas de doute quant à la certitude que le mariage entre deux personnes de même sexe n’est pas autorisé par le droit positif italien. Dans l’ordonnance, il déclare que « non sia possibile - allo stato della normativa vigente – operare un’estensione dell’istituto del matrimonio a persone dello stesso sesso ».
La différence de sexe est une des conditions de fond du mariage en France comme en Italie mais aucune interdiction formelle n’est spécifiée, ce qui laisse la possibilité aux Etats de changer le droit positif s’ils le désirent en l’absence d’obligation supranationale. Ils convient alors d’examiner les arguments contraires à cette reconnaissance.
II/ La question du droit au mariage lié au droit de fonder une famille
Un des arguments souvent avancés, sans revenir sur ceux de l’éthique ou de la tradition, que le Tribunal rejette catégoriquement, est celui de l’impossibilité pour les homosexuels de fonder une « famille », c'est-à-dire d’avoir des enfants. La fonction originelle du mariage était de créer un milieu stable dans le but de procréer. Ainsi, la question qui est posée à la Cour constitutionnelle en l’espèce ne concerne pas seulement une interprétation du droit mais une redéfinition d’une institution primordiale de la société italienne. Quelles seraient les conséquences juridiques pour les couples mariés sans enfants ? Ni le droit français ni le droit italien ne prévoit la capacité ou l’intention d’avoir des enfants comme condition de validité du mariage, comme le démontre d’ailleurs l’exemple du transsexualisme. La loi italienne n°164 de 1982 a permis aux transsexuels de se marier après leur changement d’état, tout en prenant en compte l’impossibilité de procréer. Un tournant s’est réalisé avec l’arrêt Goodwin précité qui précise au §98 que « l'incapacité pour un couple de concevoir ou d'élever un enfant ne saurait en soi passer pour le priver du droit visé par la première branche de la disposition en cause ». Cette décision se démarque de la conception italienne, car « la différence de sexe n'est plus dès lors une condition d'ordre physiologique mais une condition d'ordre social, dont l'exigence est susceptible d'évoluer » M. Lamarche et J-J Lemouland, Encyc.... Le mariage est alors défini comme une simple consécration d’une communauté de vie durable entre deux personnes, faisant découler des droits et des devoirs. Il est toutefois opportun de noter que l’homoparentalité est rarement acceptée même lors de la reconnaissance juridique du mariage homosexuel. La législation sur l’adoption ne permet pas aux célibataires d’adopter afin de ne pas permettre aux personnes homosexuelles de jouir de ce droit, bien que la CEDH dans son arrêt E.B.c/ France du 22 janvier 2008 ait considéré contraire à la CESDH le refus d’accès aux procédures d’adoption à une personne sur le seul fondement de son orientation sexuelle. Ce qui conduit à la question de l’exequatur des décisions étrangères d’adoption par des couples de même sexe. La Cour de cassation a récemment ordonné l’exequatur d’une décision américaine d’adoption d’un enfant par la compagne française de la mère biologique américaine arrêt n°791 du 8 juillet 2010. La Cour d’appel avait prétendu que la mère biologique serait privée de ses droits car seule l’adoptante aurait l’autorité parentale en cas d’adoption simple en application du droit français. Afin de favoriser la liberté de circulation des personnes concernée, la Cour de cassation précise que l’adoption par la compagne n’est pas contraire à l’ordre public international français, ce qui représente la vraie innovation de la décision. Cette dernière ne prouve cependant pas une orientation favorable de la Cour vers l’homoparentalité. En effet, le même jour elle a refusé une délégation d’autorité parentale au sein d’un couple homosexuel français. Dans son arrêt n°703 du même jour, la Cour précise que les requérantes « ne démontraient pas en quoi l'intérêt supérieur des enfants exigeait que l'exercice de l'autorité parentale soit partagé entre elles ». Les couples binationaux pourraient donc se prévaloir d’un traitement plus favorable que les couples homosexuels français.
III/ La question de l’ordre public
Il existe une autre limite principale à la reconnaissance du mariage homosexuel. L’officier d’état civil refuse de publier les bans au nom de la « contrariété à l’ordre public constitué des principes fondamentaux de rang constitutionnel comme ordinaire ». La Cour de cassation italienne dans sa décision n° 4541 de 1998 a qualifié l’ordre public international comme « l’ensemble des principes qui forment l’ordre juridique et concourent à caractériser la structure éthico-sociale de la communauté nationale à un moment historique déterminé ». Cette notion aux contours flous est souvent utilisée par les juges afin d’éviter de se pencher sur les problèmes épineux. Depuis 1999, la France s’est dotée de la loi sur les Pactes Civils de Solidarité qui permet aux couples hétérosexuels ou homosexuels de consacrer leur union, bien qu’il ait des effets réduits par rapport au mariage. Cette création juridique pourrait laisser penser que la reconnaissance d’une vie commune homosexuelle n’est pas contraire à l’ordre public français. Ce type de contrat n’empêche pas l’Etat français de refuser le droit de se marier aux homosexuels. La Cour de cassation française a précisé le 13 mars 2007, à l’occasion de la célébration d’un mariage homosexuel en contrariété au droit positif français, « qu’aux termes de l’article 423 du nouveau code de procédure civile, le ministère public peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion des faits qui portent atteinte à celui-ci ; que la célébration du mariage au mépris de l’opposition du ministère public ouvre à celui-ci une action en contestation de sa validité ».
En droit international privé, les différences entre les conditions de fond et de forme du mariage dans les Etats membres posent un vrai problème, car la circulation des personnes soulève la question de la reconnaissance des actes juridiques étrangers et particulièrement en matière de droit de la famille. Si l’ordre public peut être une raison de ne pas reconnaître le droit de se marier aux couples homosexuels, qu’en est-il de l’exequatur des actes de mariages conclus à l’étranger ? Le tribunal de Latina dans sa décision n°3 du 10 juin 2005 ne laisse pas de doute sur l’impossibilité de transcrire les actes de mariage homosexuel étrangers en raison de leur contrariété à l’ordre public international italien. Le tribunal précise en outre que l’Italie ne doit pas renoncer « alla propria sovranità ». Il est opportun de se demander comment cette « souveraineté » peut se conjuguer avec le droit communautaire et sa liberté de circulation des personnes.
Alors que l’homosexualité n’est plus un délit, que l’orientation sexuelle est protégée, et que la notion de mariage ait été transformée par la jurisprudence européenne et l’apparition de nouvelles unions juridiques, l’ordre public reste une arme de secours pour les juges. Ce refus de reconnaître le droit de se marier aux homosexuels conduit à se poser la question de la place des homosexuels dans la société italienne et à chercher si des normes constitutionnelles ou internationales pourraient conduire les Etats à changer leur droit.
IV / Reconnaissance des droits fondamentaux de la famille aux homosexuels Les requérants allèguent une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, car les couples hétérosexuels ont la possibilité de choisir entre diverses solutions de reconnaissances alors que les couples homosexuels n’ont pas ce droit. Les discriminations en raison de l’orientation sexuelle sont interdites par de nombreuses normes, notamment l’article 3 de la Constitution italienne, l’article 13 §1 Traité instituant la Communauté Européenne et l'article 8 de la CESDH. Ces normes interdisent de se fonder sur l’orientation sexuelle sans raison objective et raisonnable pour refuser un droit fondamental à une personne. Avant tout, il convient de rechercher les droits conférés aux homosexuels en matière de famille. L’article 29 de la Constitution italienne dispose que « la République reconnaît les droits de la famille comme société naturelle fondée sur le mariage ». A la première lecture, il est possible de croire que seule la famille « légitime » est protégée par la Constitution et que, par conséquent, les autres modèles familiaux ne sont pas protégés constitutionnellement. Cependant, comme le souligne le Tribunal, l’Assemblée constituante voulait « définir la sphère de compétence de l’Etat » en matière de famille et non d’en donner une définition. Les rédacteurs ont pris en compte la sphère essentiellement privée et autonome de la famille pour laisser un maximum de liberté aux individus et pouvoir englober les hypothétiques modèles familiaux différents. Pour sa part, l’article 2 de la Constitution prévoit que l’Etat protège les droits fondamentaux de chacun « sia come singolo sia nelle formazioni sociali ove si svolge la sua personalità ». Le Tribunal précise que parmi les « formations sociales » dont il est question, « la famille est la formation sociale primaire ». A la lecture de la Constitution, les homosexuels peuvent être considérés comme une famille au même titre que les concubins. Les couples homosexuels ont acquis des droits au fil des ans qui leur confèrent un statut protégé, mais ils ne peuvent pour autant comparer ces droits à ceux des couples hétérosexuels. Le Tribunal soulève ici le problème de l’ingérence de l’Etat en matière de droits fondamentaux et au regard de la sphère d’autonomie de chacun. Chacun devrait avoir le choix de choisir librement de se marier ou non. La Cour constitutionnelle italienne a affirmé très tôt que la liberté de se marier fait partie des « droits inviolables de l’homme » auquel fait référence l’article 2 de la Constitution décision 27/1969. Le droit de se marier et de fonder une famille est un droit fondamental reconnu par de nombreuses règles nationales, supranationales et internationales. Notamment, l’article 12 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CESDH) protège le droit au mariage, mais précise que « l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ». L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009 a donné valeur obligatoire à la Charte des droits fondamentaux de 2000, qui prévoit à son article 9 le droit de se marier et droit de fonder une famille, sans faire aucune référence au sexe des mariés. L’article ajoute toutefois que ces droits sont « garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice », ce qui laisse aux Etats la compétence en la matière. De son côté, la jurisprudence européenne n’a jamais consacré le droit de se marier aux homosexuels. Malgré ce complexe de normes antidiscriminatoires et protectrices des droits fondamentaux, une réelle hostilité à toute reconnaissance des unions homosexuelles semble exister en Italie. Les nombreux projets d’unions civiles ont été rejetés, ce qui laisse prévoir un long chemin avant l’accès à l’institution du mariage.
CONCLUSION Le Tribunal de Venise déclare implicitement que l’absence d’intervention de la part du législateur ne doit pas représenter un obstacle à la reconnaissance de droits fondamentaux qui existent déjà dans l’ordre juridique italien. Contrairement à son homologue sud-africain, la Cour constitutionnelle ne prendra certainement pas le choix de modifier aussi radicalement le droit de la famille italien. Il est plus probable qu’elle laisse la tâche de décider au législateur, afin de ne pas risquer d’empiéter sur les compétences de celui-ci. En conclusion, il est possible d’admettre qu’il n’existe pas d’empêchement juridique à la reconnaissance du mariage homosexuel en droit. L’impossibilité en France comme en Italie relève donc de la sphère politique ou sociale, et c’est pour cette raison sans doute que la Cour constitutionnelle italienne a préféré renvoyer l’examen de la question au 12 avril 2010 au lieu au 23 mars 2010, c'est-à-dire après la période des élections régionales du 28 et 29 mars 2010.
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- GALLMEISTER I., Adoption par la compagne de la mère biologique : exequatur , in Dalloz actualité, 13 juillet 2010 Sites internet : - http://www.forumcostituzionale.it/site/images/stories/pdf/documenti_foru... MELANI Andrea Y., Il matrimonio omosessuale davanti alla Corte Costituzionale : azzardo o svolta ?, 30 juin 2009 - http://www.europarl.europa.eu/comparl/libe/elsj/charter/art09/default_fr... Jurisprudence: - Cour Européenne des Droits de l’Homme : o Christine Goodwin c. Royaume-Uni n° 28957/95 du 11 juillet 2002 o E.B c/ France du 22 janvier 2008, requête n°43546/02 - CJCE arrêt D. et Royaume de Suède c/ Conseil de l'Union européenne, C-122/99 du 31 mai 2001 - Cour constitutionnelle italienne - décision 27/1969 du 14 février 1969 - Cour de cassation italienne - décision n° 4541 du 6 mai 1998 - Tribunal de Latina, décision n°3 du 10 juin 2005 - Cour de cassation française - Première chambre civile, arrêt n°511 du 13 mars 2007 - Cour de cassation française - Première chambre civile, arrêts n°703 et n°791 du 8 juillet 2010