La réforme des contrats temporaires de travail : la fixation d’une limite temporelle aux contrats de mission et le renforcement du contrôle du renouvellement des contrats.

          La réforme du marché du travail espagnol, engagée au cours de l’été dernier, a abouti à l’adoption et à la promulgation de la loi L.35/2010, du 17 septembre, relative aux « mesures urgentes pour la réforme du marché du travail», dont la réduction de l’usage injustifié aux contrats temporaires, par la fixation d’une limite temporelle aux contrats de mission et le renforcement du contrôle du renouvellement des contrats, constitue l’objectif prioritaire.


          Le Gouvernement espagnol, conscient de la violente détérioration de son marché du travail depuis le début d’une crise économique et financière mondiale ayant mis en évidence les carences de son modèle économique et social, a décidé d’engager en 2010 une réforme du marché du travail dans le dessein de réduire le chômage, de stimuler l’emploi, et ainsi assurer le financement de son système de sécurité sociale et augmenter la productivité de l’économie espagnole.


          Attendue et souhaitée depuis de nombreuses années en Espagne, la réforme se devait de constituer une réelle avancée face aux difficultés économiques, la précarisation grandissante des contrats de travail et l’asphyxie du marché. Egalement soutenue et encouragée par des institutions internationales telles que l’OCDE et le FMI, la réforme a finalement été initiée par un Décret-Loi Royal 10/2010 adopté en Conseil des Ministres le 16 juin après l’échec des négociations sociales menées entre les organisations syndicales et les groupements patronaux. Le Gouvernement, en l’absence de consensus avec les partenaires sociaux, a donc décidé d’engager unilatéralement la réforme qui s’est poursuivie par la voie parlementaire jusqu’à l’adoption de la loi L.35/2010, du 17 septembre, sur «les mesures urgentes pour la réforme du marché du travail». La réforme a pour ligne directrice de réduire la dualité du marché du travail entre travailleurs fixes et temporaires, renforcer les instruments de flexibilité interne, et favoriser l’emploi des jeunes et des chômeurs. Les contrats temporaires dont le taux, « le plus élevé de la zone euro », constitue une lourde charge d’un point de vue financier, sont jugés trop «précaires et inéquitables». La création d’emplois stables, de qualité et durables est un objectif prioritaire du Gouvernement qui entend accélérer la transposition en droit interne de la Directive 2008/104/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire.


          En ce sens, la Loi L.35/2010 modifie le régime des contrats temporaires de travail, efficaces lors de leur création en 1984, mais qui constituent indéniablement aujourd’hui « un frein à la croissance économique espagnole de par les problèmes juridique qu’ils posent » comme le souligne Ángel Blasco Pellicer, Professeur de Droit du Travail et de la Sécurité Sociale à l’Université de Valence. Le travail temporaire, synonyme d’insécurité, est également une préoccupation du législateur français, sa nature ayant une « incidence directe sur l’instabilité du marché du travail » (Conseil des Revenus, de l’Emploi et de la Cohésion Sociale). Il doit être encadré strictement pour que le recours à ce type de contrat reste exceptionnel, le contrat à durée indéterminée se devant de demeurer « la forme normale et générale des contrats de travail ».  Il apparaît toutefois que le contrat de mission a fait l’objet d’un encadrement suivant des modalités différentes, en témoigne l’absence d’une requalification automatique du contrat en contrat à durée indéterminée au terme de celui-ci, ou la fixation d’une limite temporelle différente.


 


Répercussions de la durée limitée sur la nature du contrat temporaire de mission.


 


            Le contrat de mission est défini en Espagne par l’article 15 alinéa 1.a) du Statut des Travailleurs, dont la finalité est « la réalisation d’un chantier ou d’un service déterminé, ayant une autonomie et une nature propre à l’intérieur de l’activité normale de l’entreprise, et dont l’exécution est limitée dans le temps, bien que la durée soit incertaine». La nouvelle rédaction de cet article, modifié par l’article 1.1 de la Loi 35/2010, introduit une limite temporelle de trois ans à la durée des contrats de mission, éventuellement reconductible de douze mois. En effet, l’article 1.1 de la Loi 35/2010 énonce que «ces contrats ne pourront excéder trois ans, reconductible douze mois supplémentaires en fonction des dispositions prévues dans les conventions collectives […]. Au-delà, le salarié acquiert la condition de travailleur fixe de l’entreprise». Le Droit français fixe également  un terme à ce même type de contrats, mais d’une durée plus limitée,  comme on le constate à la lecture de l’article L.1251-11 du Code du Travail, lequel énonce en substance que « le contrat de mission doit comporter un terme fixé avec précision dès la conclusion du contrat de mise à disposition » mais d’un délai de «dix-huit mois» (article L.1251-12 C.T.).


            L’introduction d’une durée maximum tranche avec les dispositions du Décret Royal 2720/1998, du 18 décembre,  lesquelles subordonnaient directement la durée du contrat au temps nécessaire à la réalisation de la mission, le contrat de travail prenant fin une fois la mission terminée. La réforme dénature le contrat de mission tel qu’il était défini en Espagne,  en ce qu’elle introduit une distinction entre la durée légale, dont le terme est fixé par la Loi, et la durée de la mission, dont la détermination peut faire l’objet d‘interprétations contradictoires. Pour le dire dans les termes utilisés par Ángel Blasco Pellicer, elle introduit « une déconnexion entre la cause de la temporalité et la durée du contrat […] de telle sorte que celui-ci pourrait s’éteindre bien que la cause subsiste ». Tant que cette limite temporelle n’est pas atteinte le contrat dure, et en quelque manière la mission est réputée non achevée. Néanmoins, une fois ce délai écoulé de trois ans postérieur à la naissance des obligations, le travailleur acquière automatiquement la condition de travailleur fixe, même s’il n’a pas réalisé la mission qui lui avait été impartie. Pareille problématique ne se pose pas en France, la mission prenant fin à la date fixée dans le contrat, laquelle ne peut excéder, sauf cas particuliers, «dix-huit mois pour un même poste, renouvellement compris» (article L.1251-12 C.T.)  Par ailleurs, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que «la durée maximale de dix-huit mois s’apprécie mission par mission» (Cass.soc.28 Nov. 2007) de telle sorte que la durée du contrat est fixée en fonction de chaque mission, ce que ne prévoit pas la Loi 35/2010. Ángel Blasco Pellicer relève que « la loi agit sur la durée du contrat mais pas sur la durée de la mission». Les dispositions de l’article 1.1 de la Loi 35/2010 supposent la novation du contrat de travail temporaire en CDI, mais la cause du contrat consistant dans la réalisation de la mission demeure à l’expiration du délai.


            La limite temporelle contredirait donc la logique et la substance même de ce type de contrat et porterait au contraire préjudice au travailleur en le privant d’aller jusqu’au terme de sa mission, c’est-à-dire réaliser le chantier ou le service objet du contrat. Le travailleur se voit proposer un contrat pour la réalisation d’un chantier ou service qu’il ne pourra assurer si la durée de réalisation de celui-ci est supérieure à trois ans. Il aurait probablement fallu introduire une limitation temporelle à la durée de la mission, telle qu’elle existe en France, cette dernière constituant la véritable cause du contrat. La cause du contrat ne serait donc pas la réalisation de la mission, mais plus largement la réalisation de celle-ci dans un délai de trois ans. Ángel Blasco Pellicer imagine ainsi qu’il aurait été plus judicieux d’établir que «seules les missions dont la durée aurait été inférieure à trois ans auraient pu constituer la cause habilitant la signature de ces contrats temporaires » plutôt que d’introduire une durée limite au contrat de mission.


 


Effets de la transformation du contrat de mission en CDI :


 


             Néanmoins, l’on pourrait être tenté de soutenir l’introduction d’une telle mesure en arguant que passé un délai raisonnable de trois ans, le travailleur est présumé réaliser une activité régulière à caractère indéterminé au bénéfice de l’entreprise. A ce titre il convient de rappeler l’objectif souhaité de la réforme de «réduire la dualité entre travailleurs fixes et temporaires», qui justifie à mon sens la fixation d’une durée maximale, malgré sa rédaction sujette à critiques. La novation du contrat temporaire en contrat à durée indéterminée (ci-après CDI), comme son nom l’indique, n’éteint par ailleurs pas l’obligation initiale mais opère simplement « la substitution, à un lien de droit qui s'éteint, la conclusion d'une relation contractuelle nouvelle ». Elle permet donc au contraire sa continuité, en permettant au travailleur de terminer le chantier ou service pour lequel il avait été engagé dans des conditions autrement moins précaires. Le législateur français est moins conciliant, se limitant à reconnaitre le bénéfice d’une «indemnité de fin de mission» lorsqu’au terme de celle-ci «le salarié ne bénéficie pas immédiatement d’un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise utilisatrice». (article L.1251-32 C.T.) La requalification du contrat de mission en CDI n’est en effet pas automatique et ne peut intervenir que lorsque «l’entreprise utilisatrice continue de faire travailler un salarié temporaire après la fin de sa mission sans avoir conclu avec lui un contrat de travail ou sans nouveau contrat de mise à disposition» (article L.1251-39 C.T.) ou lorsqu’elle méconnait les cas de recours à ce type de contrat énumérés à l’article L.1251-5 du Code du Travail.


            Le changement de statut du travailleur à l’issue des «trois ans» pose également la question du sort du contrat de travail du travailleur une fois la mission achevée puisqu’il convient de rappeler que le succès de ce type de contrat temporaire est avant tout lié à une volonté des employeurs de ne pas forger une relation de travail trop solide et durable avec ces travailleurs précaires, celle-ci se trouvant bien souvent menacée une fois la mission accomplie. L’auteur s’intéresse ici « aux effets que pourraient produire sur le contrat l’accomplissement du chantier ou du service, qui à l’origine, justifia l’embauche initiale à caractère temporaire du travailleur ». Dans l’hypothèse d’un licenciement, les solutions apportées par les législateurs français et espagnols se distinguent de part la qualification du contrat du salarié. Le travailleur ne bénéficie en France que d’une «indemnité égale à 10% de la rémunération totale brute due au salarié» conformément à l’article L.1251-32 C.T. précédemment cité. Il s’agit d’une compensation de précarité dont il profite au regard de son statut de travailleur précaire, alors même qu’en Espagne, l’employeur ne peut plus fonder sa décision sur la lettre de l’article 49.c) E.T relative aux intérimaires, mais sur la nouvelle rédaction de l’article 52.c) E.T, relatifs aux licenciements fondés sur une cause objective, sur « des raisons économiques, techniques, d’organisation ou de production », qui s’applique aux travailleurs en CDI. Le contrat du travailleur ne peut donc être résolu que par les «voies générales du licenciement». Il s’agit là d’une illustration du dessein poursuivie de la nouvelle réforme, encourageant le recours aux CDI offrant une meilleure protection du travailleur. L’employeur devra justifier sa décision en démontrant qu’il est cohérent, au regard des circonstances du marché, qu’il procède au licenciement du travailleur pour permettre à son entreprise de garder sa pleine compétitivité. Il faut pouvoir établir « un lien de causalité entre la situation alléguée et sa gravité, d’une part, et d’autre part, la nécessité de réduire le volume de l’emploi existant dans l’entreprise » (Felipe Soler Ferrier). L’éventuel licenciement sera accompagné « d’une indemnisation adéquate ». Celle-ci est, aux termes de l’article 52, alinéa C du Statut des Travailleurs, de 20 jours de salaire/an pour le travailleur.


 


Une limite temporelle adaptée au renouvellement des contrats de mission.


 


            L’article 1.2 de la loi L.35/2010 modifie également l’article 15.5 E.T, dont la nouvelle rédaction renforce les limitations à la succession de contrats pour un même travailleur, introduites en 2006, en établissant que les travailleurs qui auraient été engagés au moyen de deux ou plusieurs contrats temporaires «plus de 24 mois dans une période de 30 mois, avec ou sans possibilité de continuité, pour le même ou différent poste de travail, par la même entreprise ou groupe d’entreprises, acquerront la qualité de travailleurs fixes». Le législateur élargit le champ d’application de cet article, les limites à la succession des contrats ne s’appliquant plus seulement au «même poste de travail» au sein de la «même entreprise» mais également lorsque le salarié se voit proposer un nouveau contrat de mission sur un «poste différent» au sein de l’entreprise ou «groupe d’entreprises», élargissant par la même occasion la protection de ces travailleurs précaires qui pouvaient être envoyés par l’entreprise sur un autre site de travail.  Si l’on veut établir un parallèle avec les dispositions de l’article L.1251-35 du notre Code du Travail, la nouvelle modalité introduite par la loi L.35/2010 s’avère à première vue moins équilibrée, le bénéfice d’un encadrement strict des conditions de renouvellement d’un contrat ayant pour contrepartie une durée légale de mission beaucoup plus longue. Ainsi, les dispositions de l’article du Code du Travail précité semblent plus favorables au salarié, le contrat de mission n’étant renouvelable qu’une seule fois pour une durée déterminée, qui ajoutée à la durée du contrat initial, ne peut excéder la durée maximale de dix-huit mois (sauf cas particulier). Toutefois, les dispositions du nouvel article 15.5 E.T comme celles de l’article L.1251-35 C.T apportent une solution identique en cas de méconnaissance par l’employeur de ses obligations contractuelles à l’égard du travailleur, par la requalification du contrat de mission en CDI. La méconnaissance de la limite temporelle de l’article 15.5 E.T emporte en effet pour conséquence automatique, l’acquisition du statut de travailleur fixe. En outre, un travailleur temporaire peut faire valoir auprès de l’entreprise dans laquelle il est engagé des «droits afférents à un CDI prenant effet au premier jour de sa mission» lorsque celle-ci viole l’article L. 1251-35 du Code du Travail (article L.1251-40 C.T).


 


 


 


Article Commenté :




  • La duración máxima del contrato para obra o servicio determinado,  Ángel Blasco Pellicer,  Catedrático de Derecho del Trabajo y de la Seguridad Social. Universidad de Valencia, Actualidad Laboral, Nº 2, Sección Estudios, Quincena del 16 al 31 Ene. 2011, tomo 1, Editorial LA LEY


Bibliographie sélective:




  • Una legislatura imposible, Analistas de relaciones industriales, Relaciones Laborales,  Nº 2, Sección Crónica nacional, Quincena del 16 al 31 Ene. 2011, Año 27, tomo 1, Editorial LA LEY



  • La Reforma Laboral y el dinamismo del contrato de trabajo, Miguel Rodríguez-Piñero y Bravo-Ferrer, Relaciones Laborales, Nº 21, Sección Doctrina, Noviembre 2010, Año XXVI, tomo 2, Editorial LA LEY



  • La Reforma de la contratación laboral, Jesús Lahera Forteza, Relaciones laborales, Nº 21, Sección Doctrina, Noviembre 2010, Año XXVI, tomo 2, Editorial LA LEY.



  • 25 años de precariedad en la contratación laboral , Fernando Valdés Dal-Ré , Catedrático de Derecho del Trabajo de la UCM , Relaciones Laborales, Nº 23, Sección Monografías, , Año XXVI, tomo 2, Editorial LA LEY.



  • La modificación del régimen jurídico de la contratación laboral por Ley 35/2010, de 17 de septiembre, de medidas urgentes para la reforma del mercado de trabajo , Javier Gárate Castro, Catedrático de Derecho del Trabajo y de la Seguridad Social (Universidad de Santiago de Compostela), Actualidad Laboral, Nº 1, Sección Estudios, Quincena del 1 al 15 Ene. 2011, tomo 1, Editorial LA LEY.



  • La Reforma Laboral de 2010, crónica de un diálogo social frustrado, Valeriano Gómez, Relaciones Laborales, Nº 21, Sección Doctrina, Noviembre 2010, Año XXVI, tomo 2, Editorial LA LEY



  • ELnet Social, Editions Législatives,2011