La répartition de la charge de la preuve des personnes alléguant l'existence d'une discrimination aux Etats-Unis: un allègement essentiellement limité au salarié
Mots clés: discrimination, discriminations, Titre VII Civil Rights Act 1964, Civil Rights Act 1991, discrimination dans le cadre du travail, emploi, preuve, charge de la preuve, logement, accès au crédit.
L’allègement de la charge de la preuve du salarié invoquant une discrimination aux Etats-Unis
1. Les règles générales
Aux Etats-Unis, le Titre VII du Civil Rights Act 1964, amendé par le Civil Rights Act 1991, traite des discriminations dans le cadre du travail et prévoit qu’un employeur ne peut refuser d’embaucher une personne ou licencier un salarié en raison de son appartenance raciale, de sa couleur, de ses croyances religieuses, de son sexe ou de son origine nationale. 42 U.S.C.A §§ 2000e et seq.
La jurisprudence s’est chargée de formuler les règles de répartition de la charge de la preuve entre salarié et employeur dans le cadre d’une violation du Titre VII. Dans l’affaire McDonnell Douglas Corp. v. Green, 411 U.S. 792, 93 S.Ct. 1817, 36 L.Ed.2d 668 (1973), la Cour Suprême a allégé la charge de la preuve du salarié alléguant une discrimination.
« The complainant in a Title VII trial must carry the initial burden under the statute of establishing a prima facie case of racial discrimination. The burden then must shift to the employer to articulate some legitimate, nondiscriminatory reason for the employee's rejection. Respondent (ici le salarié) must (…) be afforded a fair opportunity to show that petitioner's stated reason for respondent's rejection was in fact pretext.”[1] Ainsi, dans un premier temps, il appartient au salarié de démontrer qu’il existe à première vue une mesure discriminatoire (“prima facie case of discrimination”). La charge de la preuve est ensuite renversée et il appartient à l’employeur d’apporter des éléments justifiant que la mesure litigieuse était légitime, et non discriminatoire. Cependant, c’est au salarié qu’il incombe de persuader le jury en apportant la preuve que les raisons invoquées par l’employeur constituent en réalité un prétexte servant à masquer la véritable raison de la mesure: l’intention de discriminer. Ainsi le burden of persuasion pèse sur le salarié et seul le burden of production est renversé.[2]
De plus, la Cour Suprême a précisé dans l’affaire St. Mary’s Honor Center v. Hicks, 509 U.S.502 (1993) que le caractère mensonger des justifications fournies par l’employeur n’entrainait pas nécessairement un jugement en faveur du salarié. “The words bear no other meaning but that the falsity of the employer's explanation is alone enough to compel judgment for the plaintiff.”
Lorsque l’origine, la race, le sexe, la religion, ou la couleur du salarié est l’un des motifs de la mesure litigieuse, il suffit au salarié d’apporter la preuve que l’une de ces caractéristiques est l’un des facteurs ayant motivé la décision de l’employeur[3]. Dans l’affaire Desert Palace, Inc v. Costa, 539 U.S. 90 (2003), la Cour a retenu que le Civil Rights Act de 1991 énonçait qu’une mesure prise par un employeur était illégale si le salarié apportait la preuve que (…) son sexe (...) était un des facteurs ayant motivé la décision de l’employeur, même si d’autres éléments avaient été pris en considération. “Congress subsequently passed the Civil Rights Act of 1991 (1991 Act), which provides, among other things, that (1) an unlawful employment practice is established when the complaining party demonstrates that (...) sex (...) was a motivating factor for any employment practice, even though other factors also motivated the practice.”[4]
2. Illustrations
a) Discrimination en fonction du sexe
Les affaires Tweed v. Metro Motors, SC, Inc., 2008 U.S. Dist. LEXIS 107542 (D.V.I. Feb. 26, 2008) en est une des illustrations:
Tweed v. Metro Motors, SC, Inc., 2008 U.S. Dist. LEXIS 107542 (D.V.I. Feb. 26, 2008): “According to Metro Motors, it replaced Tweed because it had only intended that Tweed take care of St. Thomas temporarily. First, Tweed was never told that the job was temporary or that she had any performance deficiencies. Second, Metro Motors had a history of paying women less than men and intruding on women's benefits, such as the uninterrupted use of a demo vehicle. Finally, the General Manager indicated to Tweed that he was a male chauvinist, which tends to show that Tweed was replaced by a man because he was a man, rather than for the reasons that Metro Motors has articulated. Thus, a reasonable jury could find that the articulated reasons were pretext and that, therefore, gender discrimination was “a determining factor” in the General Manager's decision to restrict Tweed's demo car use knowing that this would force her to purchase her own vehicle..”
D’après les dires de l’entreprise Metro Motors, Mme Tweed a été remplacée en raison de la nature temporaire du poste qu’elle occupait dans la filiale St Thomas. Premièrement, Mme Tweed n’avait jamais été mise au courant de la nature temporaire de son poste ou qu’on lui reprochait une insuffisance professionnelle. Deuxièmement, Metro Motors payait les femmes moins que les hommes et les privait de certains avantages comme l’utilisation d’une voiture de fonction/publicitaire. Enfin, le directeur général s’était présenté à son employée, Mme Tweed, comme quelqu’un de misogyne. Ceci tend à montrer que Mme Tweed a été remplacée par un homme uniquement en raison de son sexe plutôt que pour les raisons énoncées par l’employeur. Ainsi, un jury « raisonnable » pourrait conclure que les justifications énoncées par l’employeur n’étaient qu’un prétexte pour dissimuler son intention de discriminer Mme Tweed en raison de son sexe notamment en lui restreignant l’utilisation d’un véhicule de fonction tout en sachant qu’elle devrait se procurer une voiture à ses propres frais.
b) Discrimination raciale
Dans l’affaire Frausto v. Legal Aid Soc., 563 F.2d 1324 (9th Cir. Cal. 1977), un avocat d’origine mexicaine (Mexican-American) alléguait que le rejet de sa candidature était fondé sur un motif discriminatoire.
Frausto v. Legal Aid Soc., 563 F.2d 1324 (9th Cir. Cal. 1977):
“We hold that under the facts of this case a poor interview, an unstable employment history, a poor reputation in the legal community, and the inability to get along with people are legitimate, nondiscriminatory reasons for rejecting appellant's employment application and are sufficient to defeat an employment discrimination action under Title VII.”
Nous retenons que dans cette affaire, un entretien d’embauche peu satisfaisant, des antécédents professionnels, une mauvaise réputation dans la communauté juridique, des difficultés relationnelles sont des raisons légitimes et non discriminatoires pour rejeter un candidat et sont de nature a faire échec à une action en violation du Titre VII du Civil Rights Act.
3. Discrimination en fonction de l’âge : alourdissement de la charge de la preuve
Le Age Discrimination Employment Act 1967 consacre l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge du salarié. Il dispose: “It shall be unlawful for an employer (...) to fail or refuse to hire or to discharge any individual or otherwise discriminate against any individual with respect to his compensation, terms, conditions, or privileges of employment, because of such individual's age.” 29 U.S.C. § 623(a)(1).
Il est interdit pour un employeur de refuser d’embaucher ou de licencier un salarié ou d’adopter une mesure discriminatoire à son encontre concernant son mode de rémunération, le contenu de son contrat de travail et les conditions de travail ou privilèges liés à l’emploi en raison de son âge.
A la différence d’une action en violation du Titre VII du Civil Rights Act, les salariés alléguant une violation du ADEA doivent prouver que l’âge est le facteur ayant conduit l’employeur à prendre la mesure litigieuse. Il n’y a pas de renversement de la charge de la preuve et il n’est pas nécessaire pour l’employeur de démontrer qu’il aurait pris la mesure litigieuse indépendamment de l’âge du salarié, quand bien même le salarié aurait démontré que l’âge était l’un des motifs de la mesure. La charge de la preuve est donc plus lourde pour le salarié alléguant une discrimination en raison de son âge (Gross v. FBL Fin. Servs., 557 U.S. 167 (U.S. 2009) « A plaintiff bringing an ADEA disparate-treatment claim must prove, that age was the "but-for" cause of the challenged adverse employment action. The burden of persuasion does not shift to the employer to show that it would have taken the action regardless of age, even when a plaintiff has produced some evidence that age was one motivating factor in that decision”).
L’affaire Reeves v. Sanderson Plumbing Prods., 530 U.S. 133 (U.S. 2000) illustre ce principe: “In this case, Reeves established a prima facie case and made a substantial showing that respondent's legitimate, nondiscriminatory explanation, i.e., his shoddy recordkeeping, was false. He offered evidence showing that he had properly maintained the attendance records in question and that cast doubt on whether he was responsible for any failure to discipline late and absent employees (…) sufficient to sustain finding of liability for intentional discrimination under the ADEA.”
Dans cette affaire, Reeves a démontré que la mesure litigieuse était discriminatoire et que la justification apportée par l’employeur, à savoir la mauvaise tenue des registres n’était pas avérée. En effet, le salarié a prouvé qu’il avait tenu correctement les registres de présence en réfutant ainsi une prétendue incapacité à maintenir la discipline parmi les employés en retard et absents. Ces éléments suffisent à retenir la responsabilité de l’employeur pour discrimination en violation du ADEA.
4. Discrimination dans l’accès au logement locatif ou à l’achat
Il existe un contentieux touchant à la discrimination dans l’accès au logement. Ainsi, le Fair housing Act 1968 amendé en 1988 interdit les discriminations fondées sur la race, la religion, le sexe, ou le statut familial d’acheteur potentiel ou de candidat à un logement locatif. Et interdit les annonces indiquant une préférence au regard de ces catégories. “Fair Housing Act, forbidding discrimination based on race, religion, sex, or family status, when selling or renting housing, and banning ads that state preference with respect to such protected classes.” Fair Housing Act, § 804(c), 42 U.S.C.A. § 3604(c)
Jurisprudence:
- Iniestra v. Cliff Warren Investments, Inc. 886 F.Supp.2d 1161: “A plaintiff may establish a prima facie violation of 3604(b) by establishing the existence of “facially discriminatory rules, which treat children, and thus, families with children, differently and less favorably than adults-only households. Apartment building rules that limited children's use of apartment facilities were in violation of Fair Housing Act (FHA), (…) where all of the rules indicated discrimination based on familial status.”
Un demandeur peut établir l’existence d’une violation « prima facie » de l’article 3604 (b) du Fair Housing Act en établissant l'existence de règles en apparence discriminatoires traitant différemment et de manière moins avantageuse les enfants, et donc les familles avec des enfants par rapport aux ménages sans enfants. Les règles de l’immeuble restreignant aux enfants l’utilisation des installations de l’appartement sont contraires au Fair Housing Act, en ce qu’elles constituent une discrimination fondée sur la situation familiale.
-Bangerter v. Orem City Corp., 46 F.3d 1491(1995): “Here, the Act and the Orem ordinance facially single out the handicapped and apply different rules to them (..). To prove discriminatory intent, a plaintiff need only show that the handicap of the potential residents [of a group home] ... was in some part the basis for the policy being challenged.”
Dans cette affaire, les mesures litigieuses (the Act and the Orem ordinance) isolaient les personnes handicapées et leur appliquaient des règles différentes. Afin de prouver l’intention de discriminer, un résident potentiel doit seulement prouver que son handicap était une des raisons ayant motivé la mesure litigieuse.
- Savanna Club Worship Service v. Savanna Club owner association, Inc., 456 F.Supp.2d 1223 (2005): “Requires the Club to establish: (1) that it is an aggrieved party; (2) that it has suffered an injury because of the alleged discrimination; and (3) that, based on religion, it was denied provision of services protected by the FHA which were available to other homeowners. The Club has established that it is an aggrieved party. It also has established that the Club has in fact suffered an injury. It's claim must fail, however, because it has not established the third prong—that it was denied access to use of facilities or common areas available to other homeowners based upon religion as contemplated by the FHA. None of the Club's homeowners have been denied access to Savanna's common areas. Rather, they have been denied permission to use the common areas to conduct their religious services”
Le Savanna Club (groupe religieux) doit établir: (1) qu’il a été lésé; (2) qu'il a subi un préjudice en raison de la discrimination alléguée; et (3) que cette discrimination est fondée sur ses croyances religieuses, et qu’il s’est vu refuser la fourniture de services garantis par le FHA accessibles à d'autres propriétaires. Le Savanna Club a apporté la preuve des deux premiers mais n’a pas démontré que l'accès aux installations ou aires communes qui était autorisé aux autres propriétaires lui était refusé en raison ses croyances. En effet, aucun des propriétaires membres du Club ne s’est vu refuser l'accès aux aires communes de Savanna mais ils se sont vu refuser l'autorisation d'utiliser ces espaces communs pour y tenir leurs services religieux.
d) L’accès au crédit
L’accès au crédit est parfois refusé pour des motifs discriminatoires. Le Equal Credit Opportunity Act 1974 interdit toute discrimination et prévoit: “It shall be unlawful for any creditor to discriminate against any applicant, with respect to any aspect of a credit transaction on the basis of race, color, religion, national origin, sex or marital status, or age (provided the applicant has the capacity to contract)”
Il est interdit à tout créancier d’adopter une mesure discriminatoire à l’encontre d’un demandeur de crédit, concernant tout aspect d'une opération de crédit sur la base de la race, la couleur, la religion, l'origine nationale, le sexe ou l'état matrimonial ou l'âge de celui-ci (à condition que le demandeur ait la capacité de conclure un contrat) "
Dans l’affaire Anderson v. United Finance Co., 666 F.2d 1274 February 04, 1982 la Cour a jugé que: “The purpose of the ECOA is to eradicate credit discrimination waged against women, especially married women whom creditors traditionally refused to consider for individual credit. Thus, when an applicant has individually qualified for a loan, requiring a spouse's signature on a note is a violation of the ECOA.”
L’ECOA a pour objectif d’éliminer les discriminations à l’encontre des femmes mariées à qui l’obtention d’un prêt individuel était conditionnée par la signature de leur époux. Ainsi, le fait que le créancier exigeait une telle signature afin d’accorder un prêt à une femme mariée constituait une violation du ECOA.
Faulkner v. Glickman, 172 F.Supp.2d 732 2001 WL 1518058
“As applied in an ECOA case, the McDonnell Douglas formulation requires that the plaintiff make out a prima facie case of discrimination by offering evidence indicating: (1) that the plaintiff belongs to a class protected by the statute; (2) that he applied for credit for which he was qualified; and (3) that he was rejected despite his qualifications.”
Dans une action en violation du ECOA, le test McDonnell McDouglas requiert que la personne alléguant une discrimination prouve son appartenance à une classe protégée “protected class”, qu’elle était qualifiée pour l’obtention d’un prêt, et que sa demande a été malgré tout été rejetée.
Bibliographie
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Raymond F. Gregory, The Civil Rights Act and the battle to end workplace discrimination a fifty-year history, Rowman & Littlefield 2014
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Cathy J. Beveridge, Employment litigation Handbook, American Bar Association- section of litigation 2010
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George Rutherglen, Employment Discrimination Law, Visions of Equality in theory and doctrine, Foundation Press 2001
Tristin K . Green, Making Sense of the McDonnell Douglas Framework: Circumstantial Evidence and Proof of Disparate Treatment under Title VII, California Law Review Volume 87 Issue 4. 1999
Jurisprudence de principe
McDonnell Douglas Corp. v. Green, 411 U.S. 792 (1973)
Texas Dept. of Community Affairs v. Burdine, 450 U.S. 248 (1981)
St. Mary’s Honor Center v. Hicks, 509 U.S.502 (1993)
Desert Palace, Inc v. Costa, 539 U.S. 90 (2003)
Reeves v. Sanderson Plumbing Prods., 530 U.S. 133 (U.S. 2000)
[1] McDonnell Douglas Corp. v. Green, 411 U.S. 792 (1973)
[2] McDonnell Douglas Corp. v. Green, 411 U.S. 792, 93 S.Ct. 1817, 36 L.Ed.2d 668 (1973) et confirmé par Texas Dept. of Community Affairs v. Burdine, 450 U.S. 248 (1981).
[3] Voir Desert Palace, Inc v. Costa, 539 U.S. 90 (2003) « Race, color, religion, sex or national origin was a motivating factor in the employer’s unlawful employment practice. »
[4] Ibid.