La reconnaissance du mariage homosexuel : audace ou pragmatisme ? par Lucille Vallet
Le mariage homosexuel a été légalisé en Espagne officiellement le 1er juillet 2005 suite au triomphe socialiste lors des élections législatives espagnoles de 2004. L’adoption de la loi 13/2005 modifiant le code civil espagnol et légalisant le mariage entre deux personnes du même sexe, a été source de nombreux conflits au sein de l’Etat espagnol. Malgré le soutien de 66% de la population, cette loi s’est heurtée aux contestations de l’Eglise catholique et une partie du partido popular considéré comme un parti conservateur. Au-delà des conflits philosophiques, la loi a fait l’objet de nombreux arguments juridiques à son encontre, en particulier celui de son incompatibilité avec la Constitution espagnole, problème à peine pris en compte par le gouvernement et le législateur espagnols.
Le mariage homosexuel a été légalisé dans cinq pays du monde : le Canada, les Pays-Bas, la Belgique, l’Afrique du Sud et l’Espagne, dans le Massachusetts et certaines villes, comme San Francisco, aux Etats-Unis. Cette institution, qu’elle soit légalisée, autorisée ou au contraire, complètement rejetée, démontre une énorme disparité culturelle dans le monde. Il est possible de diviser la planète en sept parties, en relation avec le sujet : les pays dans lesquels le mariage homosexuel est légalisé, les pays qui ont mis en place des unions civiles (sorte de compromis entre concubinage et mariage), les pays qui n’envisagent pas la question, ceux dans lesquels l’homosexualité est considérée comme un délit (Pays du Maghreb) et ceux ou l’homosexualité constitue un crime et enfin ceux où elle est passible de peine de mort (Soudan, Arabie Saoudite). Une fois le contexte mondial établi, il est important de signaler la difficulté pour les pays dits « civilisés » dans lesquels les libertés individuelles sont fondamentales, de légaliser un mariage homosexuel. La loi du 1er juillet 2005 par laquelle le code civil espagnol a été modifié en matière de droit au mariage est l’une des réformes les plus emblématiques de ces dernières décennies. Elle permet une véritable égalité juridique des citoyens quelle que soit leur orientation sexuelle. Le législateur espagnol a dû faire face à un certain nombre de critiques notamment celle de son incompatibilité au regard de sa Constitution. Le problème majeur est celui de la contradiction de la reconnaissance du mariage homosexuel avec la définition du mariage donnée à l’article 32 de la Constitution espagnole, appelé le ius connubii et qui établit que ce dernier ne peut avoir lieu qu’entre un homme et une femme.
Le même problème s’est posé au Canada, qui, le 20 juillet 2005 a légalisé le mariage homosexuel par une loi nommée Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil, plus communément appelée Loi sur le mariage civil.
Il serait intéressant de comparer la manière dont les deux Et ats ont résolu cette contradiction au regard de leur norme suprême, la façon dont ils s’y sont pris pour faire adopter une loi que seulement cinq Etats dans le monde ont eu l’audace d’adopter.
La précipitation espagnole- Peu après l’entrée en vigueur de la loi du 1er juillet 2005, deux questions d’inconstitutionnalité ont été présentées par deux juges espagnoles de première instance, une juge de Denia (Alicante) et une juge de Telde, chargées de l’Etat civil ( juge qui s’occupe d’autoriser le mariage civil en Espagne) dans le cadre de l’instruction de dossiers afin d’autoriser la célébration des mariages de couples homosexuels. L’article 35 de la Loi Organique du Tribunal Constitutionnel, 2/1979 del 3 de octubre( LOTC) , prévoit la possibilité pour un juge ou un tribunal de former une question d’inconstititionnalité s’il considère qu’une loi applicable à une affaire qui lui est soumise, est inconstitutionnelle. Il semble important de rappeler que la loi critiquée a entraîné une nouvelle rédaction de l’article 44 du code civil : « L’homme et la femme ont le droit de se marier conformément aux dispositions de ce code ». Le mariage sera soumis aux mêmes conditions et aura les mêmes effets que les deux contractants soit du même sexe ou de sexe différent. ». Selon ses opposants, elle aurait élargi la base subjective du mariage et serait par conséquent contraire à la lettre de la Constitution espagnole qui, dans son article 32 dispose : « L’homme et la femme ont le droit de se marier en pleine égalité juridique ». Au regard de cet article, les deux juges en question estiment que la Constitution prévoit que le mariage est un droit seulement s’il a lieu entre un homme et une femme puisque seuls les termes « homme » et « femme » apparaissent, tous deux liés avec la conjonction de coordination « et » et non « ou » ce qui laisse entendre que seule cette combinaison est possible, d’autant plus quand les autres articles qui font référence aux droits fondamentaux utilisent des termes tels que « todos », « los espanoles ». Aussi, elles considèrent que la lettre du nouvel article 44 du code civil, qui insiste sur la possibilité que deux personnes de même sexe peuvent se marier, justifie le fait que le mariage n’était possible auparavant qu’entre un homme et une femme dans le sens ou l’ancienne rédaction reprenait les mêmes termes que l’article 32 de la Constitution. Par conséquent, les juges en question ont paralysé les dossiers relatifs aux mariages de couples homosexuels. Cependant, dans un rapport rendu le 29 octobre 2005, le Tribunal constitutionnel, n’a pas admis le recours en raison de la forme de ce dernier en considérant que les juges chargés de l’Etat civil, relèvent du Ministère de la Justice, et par conséquent, ne remplissent pas de fonctions judiciaires à proprement parler, ce qui les empêche de former une question d’inconstitutionnalité conformément à l’article 35 de la LOTC.
Le 30 septembre 2005, soit trois mois après l’entrée en vigueur de la loi, cinquante députés du parti populaire ont présenté eux aussi devant le Tribunal Constitutionnel un recours d’inconstitutionnalité contre la totalité de la loi du 1er juillet 2005 avec comme argument central, de nouveau son incompatibilité au regard de l’article 32 de la Constitution. Selon eux, le nouvel article 44 du code civil ne respecte pas la définition constitutionnelle du mariage. Les requérants soulignent d’une part, que le droit au mariage au-delà de sa dimension subjective présente un caractère objectif qui impose à tous les pouvoirs publics une attention spécifique. L’article 32 se trouve parmi le titre consacré aux droits fondamentaux, et selon eux, les droits fondamentaux ont une efficacité constitutionnelle. Ils ont été élaborés dans une vision conforme à la société espagnole, si bien que la Constitution, en consacrant un Etat social et un Etat de droit a dépassé la dimension strictement individualiste des droits. Ce principe est consacré à l’article 10.1 de la Constitution espagnole qui dispose que : les droits inviolables inhérents à la personne « sont le fondement de l’ordre public et de la paix sociale ». Ainsi, en modifiant l’article 44 du Code civil, le législateur aurait dénaturé l’institution du mariage, une institution juridique, sociale et universellement reconnaissable ce qui entraînerait une certaine déstabilisation de l’ordre juridique. Les opposants à ladite loi estiment que la légalisation du mariage homosexuel bouleverserait la paix sociale. Même si le mariage est reconnu comme un droit fondamental, le fait de l’étendre aux couples homosexuels rentrerait en contradiction avec l’article 10, garant de ces libertés. Il s’agit en réalité d’une considération strictement religieuse revendiquée par le partido popular, très lié à l’Eglise catholique. Cependant, au bout de deux ans, le Tribunal Constitutionnel n’a toujours pas tranché la question. Il va devoir faire un choix entre la lettre de la Constitution c’est-à-dire le ius connubii, et l’évolution des mœurs permettant une certaine égalité juridique, promue elle aussi dans le texte suprême. Le Tribunal Constitutionnel a déclaré, le mois de décembre dernier, qu’il acceptait d’étudier la requête formulée par le partido popular et qu’une décision sera rendue dans plusieurs mois. Une question reste à se poser : qu’adviendra-t-il de cette loi si le Tribunal la considère inconstitutionnelle ? Quels sont les éléments de réponse qui permettraient de cerner sa future décision ?
Dans un arrêt du 15 novembre 1990, le Tribunal Constitutionnel a défini le mariage comme une institution sociale garantie par la Constitution, à la différence des autres modalités de vie commune non mentionnées dans la Constitution. Il établit une séparation stricte entre le mariage et les autres formes de vie en commun extra- matrimoniales. En effet, il insiste sur le fait qu’il s’agit de deux réalités complètement différentes puisque le mariage génère opi legis entre le mari et la femme une pluralité de droits et de devoirs que les autres formes d’Unions n’engendrent pas automatiquement. Au regard de ce fondement juridique, il est possible de déduire que le Tribunal Constitutionnel lie le droit au mariage de l’article 32 de la Constitution à une union hétérosexuelle, en faisant expressément référence au « mari » et à la « femme ».
Le Tribunal confirme sa position dans une affaire du 11 juillet 1994 (RJA-RTC 1994 /222 Auto), concernant une éventuelle discrimination dont souffriraient les homosexuels de ne pas avoir le droit de se marier, dans le cadre d’une pension de veuvage. Il rejette le recours en rappelant que l’union de fait entre personnes de même sexe biologique n’est pas une institution juridique -tout comme l’union de fait d’un couple hétérosexuel- et qu’il n’existe aucun droit constitutionnel permettant sa création. Seul le mariage entre un homme et une femme jouit d’une reconnaissance constitutionnelle à l’article 32 de la Constitution et génère, opi legis, une pluralité de droits et de devoirs entre eux. Ici, non seulement le Tribunal réitère sa réponse quant au fait que le mariage doit avoir lieu qu ‘entre un homme et une femme mais en plus, il insiste sur le fait que seul le mariage peut engendrer des droits et obligations ce qui constitue une discrimination notoire envers les couples homosexuels. En effet, les couples hétérosexuels ont le choix de se marier alors que les couples homosexuels, aux vues de cette décision, ne peuvent prétendre à aucun droit puisque leur union n’est pas juridiquement reconnue. Nous sommes face à un Tribunal très conservateur et traditionaliste qui suit à la lettre une Constitution elle aussi conservatrice sur ce point.
Cependant, presque dix ans plus tard, le ton change. Dans un arrêt du 16 juin 2003 (RTC 2003/204 Auto), le Tribunal Constitutionnel s’est prononcé de nouveau sur un jugement qui refusait le droit à une pension de veuvage a une personne dont le concubin est décédé. Il établit dans cet arrêt une série de précisions au regard des unions de fait et des droits sociaux qui en découlent (il reconnaît cette fois que les unions de fait génèrent des droits) qui, mutatis mutandis, peuvent s’appliquer aux unions homosexuelles. Dans cet arrêt, il rappelle que le mariage est reconnu dans la Constitution espagnole comme une union hétérosexuelle mais que l’article 32, consacre une liberté de choix, de contracter mariage ou non, ce qui revient à dire que cette liberté de choix est directement liée à la liberté de conscience. Par conséquent, les personnes partageant une vie de couple sans être mariés, homosexuelles ou hétérosexuelles, ont acquis certains droits similaires aux couples mariés. En revanche, le Tribunal Constitutionnel ne perd pas de vue la définition de l’article 32 de la Constitution en rappelant que le ius connibii ne liait que des personnes de sexes différents. Aux vues de la position du Tribunal, une question est à poser : comment le gouvernement espagnol a pu adopter une loi sans être certain que celle-ci ne pourrait pas être remise en cause d’un point de vue constitutionnel ? Un des problème majeur est que cette loi a fait l’objet d’un passage en force, s’agissant d’une promesse électorale. Le gouvernement espagnol n’a pris aucune précaution, il n’a même pas sollicité l’avis du Conseil Général du Pouvoir Judiciaire (organe de gouvernement du pouvoir judiciaire) alors qu’il aurait dû le faire au regard de l’article 108 e) de la Loi Organique du Pouvoir Judiciaire de 1989, qui dispose : « Le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire devra rendre un avis relatif aux avants-projets de lois et les dispositions générales de l’Etat et des communautés autonomes qui affectent totalement ou partiellement les matières suivantes : e) les normes procédurales ou les normes qui modifient des aspects juridico-constitutionnels de la tutelle des droits fondamentaux devant les tribunaux ordinaires, ou toute autre norme qui modifie la constitution, l’organisation, le fonctionnement et l’administration des tribunaux. » Sachant que la loi en question affecte certaines fonctions judiciaires, notamment celles des juges chargés de l’Etat civil, le CGPJ aurait dû être saisi. Logiquement, la procédure aurait dû être la suivante : le CGPJ se serait prononcé sur une éventuelle inconstitutionnalité de la loi suite à quoi, le gouvernement aurait dû promouvoir une révision constitutionnelle. Si cette révision avait été acceptée, elle aurait entraîné la dissolution du Parlement au regard de l’article 168 de la Constitution : « Toute proposition visant à la révision totale ou partielle du Titre préliminaire chapitre 1, section première du titre 1 ou 2 , il sera approuvé quant au principe, à la majorité des deux tiers des membres de chaque Chambre et l’on procèdera à la dissolution immédiate du Parlement ». La dissolution aurait enfin permis de certifier le réel soutien de la société espagnole au projet de légaliser le mariage homosexuel. Seulement il convient de préciser que, d’une part, la révision constitutionnelle est quasiment inexistante en Espagne, la Constitution étant considérée comme un texte « sacré » et immuable. D’autre part, le Gouvernement de Zapatero a préféré prendre le risque de mettre en péril la pérennité de la loi avec un passage en force afin de conforter son image auprès de son électorat. En effet, la loi a été adoptée en 2005, sachant que la procédure du contrôle de constitutionnalité prend beaucoup de temps, le Tribunal Constitutionnel ne se serait pas prononcé avant les prochaines élections législatives.
Parmi les autres pays ayant reconnus le mariage homosexuel, la question du ius connubii ne s’est posée qu’au Canada qui a entrepris une démarche complètement inverse à celle de l’Espagne, dont le climat juridique était plus propice à l’adoption d ‘une telle loi.
La rigueur canadienne- Le Canada est une fédération, c’est-à-dire une monarchie constitutionnelle où il existe une indépendance entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. La séparation des pouvoirs entre le Parlement fédéral et les assemblées législatives des provinces est prévue dans la Loi constitutionnelle de 1867. L’article 91 de cette loi prévoit les pouvoirs du fédéral et l’article 92, ceux des provinces et des territoires. C’est l’article 91 qui régit la législation en matière de mariage. Quant aux provinces, elles ont compétence sur les conditions de formes. Ce sont : la loi d’harmonisation n°1 du droit fédéral et du droit civil et la loi interdisant le mariage entre personnes apparentées, contenues dans la Loi constitutionnelle, qui prévoient les conditions de fonds nécessaires pour contracter mariage. Le droit au mariage homosexuel a été revendiqué notamment au regard du droit à l’égalité, prévu au paragraphe 15 de la Charte Canadienne des droits et des libertés intégrant la première partie de la loi Constitutionnelle de 1982. Ce paragraphe est rédigé de la manière suivante : « La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment de discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques. » . De façon plus précise, c’est l’article 5 de la loi d’harmonisation, réservant le mariage aux personnes de sexe opposé qui a été mis en cause, considérant qu’il était discriminatoire à l’égard des couples de même sexe.
Pendant la période précédant la reconnaissance du mariage homosexuel, de nombreuses décisions de justice ont été rendues en faveur des couples homosexuels, notamment au niveau des avantages sociaux et de l’état civil. Par exemple, en 1999, dans l’arrêt M c. H du 20 mai 1999 ( 2R.C.S 3), une loi ontarienne accordant aux couples hétérosexuels seulement la possibilité de faire une demande de pension alimentaire après la rupture d’un mariage, a été jugée inconstitutionnelle. Ou encore, en 2002, la province de Québec adopte une loi visant la création d’un nouveau type d’union « l’union civile » qui permet aux couples de même sexe de s’unir civilement. Malgré tout, au niveau fédéral, le caractère hétérosexuel du mariage demeure valide. En effet, l’article 5 de la loi d’harmonisation se lit de la manière suivante : « Le mariage requiert le consentement (…) d’un homme et d’une femme. » C’est à partir de 2000 que cet article est invalidé par les tribunaux. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive la Cour Suprême du Québec le 6 septembre 2002, dans la décision Hendricks c. Québec (Can LII 23808), qui suspend pendant deux ans la validité de ladite loi afin de laisser au législateur le soin de la modifier lui-même. C’est donc sur la base du droit à l’égalité, reconnue dans la Charte canadienne et du caractère discriminatoire de l’article 5 de la loi d’harmonisation à l’égard des couples de même sexe que la reconnaissance du mariage homosexuel a fait son chemin au Canada. Contrairement à l’Espagne, où certains juges ont rejeté la loi légalisant le mariage entre les personnes du même sexe, les juges canadiens ont joué un rôle majeur dans cette reconnaissance ce qui dénote une mentalité moins traditionaliste et plus encline à développer le mariage homosexuel malgré la définition constitutionnelle du mariage. Les choses se sont faites progressivement. Le Canada a emprunté une démarche complètement inverse à celle de l’Espagne.
En 2003, le gouvernement fédéral précise qu’un avant-projet de loi permettant le mariage civil aux couples homosexuels sera déposé et soumis à la Cour Suprême du Canada afin d’en faire évaluer sa conformité avec la Charte canadienne. Ce genre de procédure n’existe pas en Espagne, seul le Conseil Général du Pouvoir Judiciaire peut se prononcer préalablement sur un projet de loi mais seulement quand ce dernier est susceptible d’affecter les fonctions judiciaires. Il n’existe pas de contrôle de constitutionnalité a priori, ce qui, comme il vient d’être démontré, peut dans certains cas mettre en péril la sécurité juridique et la pérennité d’une loi. Le seul moyen de s’assurer qu’une loi est conforme à la Constitution en cas de doute, s’est d’avoir recours à une révision constitutionnelle, procédure qui peut apparaître un peu lourde. Cette proposition vient modifier la définition traditionnelle du mariage : « Le mariage est, sur le plan civil l’union légitime de deux personnes à l’exclusion de tout autre personne. » Quatre questions ont été posées dont la plus importante d’un point de vue constitutionnel est la deuxième, qui se lit comme suit : « (…) l’article 1 de la proposition qui accorde aux personnes de même sexe de se marier est-il conforme à la Charte canadienne des droits et des libertés ? »
Dans une décision rendue le 9 décembre 2004, la Cour Suprême répond de façon positive. Elle constate que l’objet de la loi, c’est-à-dire d’accorder le droit aux couples homosexuels de se marier, ne contrevient pas à la Charte canadienne et vise plutôt à s’y conformer : « l’objet de la loi, loin de contrevenir à la Charte, découle de celle-ci ». Elle s’aligne sur les décisions des différentes Cours d’appel en estimant qu’elles « ont statué que l’exigence selon laquelle deux personnes de sexe différent peuvent se marier civilement porte atteinte au droit l’égalité garantie par le paragraphe 15. »
Bilan- Cette reconnaissance du droit au mariage pour les couples homosexuels par l’application du droit à l’égalité, prévu dans la Charte canadienne, constitue une étape primordiale du droit et démontre aussi qu’avec l’adoption de ladite Charte, le droit devance parfois les mœurs. L’Espagne, quant à elle, a adopté une démarche complètement opposée, en adoptant une loi considérée comme nécessaire au regard de l’évolution des mœurs mais complètement décalé d’un point de vue juridique. La réforme espagnole a été prise beaucoup trop précipitamment, suite à une promesse électorale, sans prendre en considération les obstacles a posteriori auxquels le bon développement de la loi pouvait se heurter. L’existence du ius connubii dans la Constitution alors même qu’il existe un contrôle de constitutionnalité après l’adoption de la loi, constitue une limite que le gouvernement et les parlementaires espagnols n’auraient pas dû négliger. Il s’agit cependant d’une négligence volontaire de la part du Gouvernement espagnol. L’adoption d’une loi légalisant le mariage homosexuel était un des piliers de sa popularité.
Au regard du poids de l’Eglise catholique et du partido popular avec lequel elle très liée, la proposition de révision constitutionnelle aurait été rejetée et la loi n’aurait jamais vu le jour.
Stratégie politique ou réelle volonté d’inciter l’évolution des mœurs ? Dans les deux cas, il s’agit d’une manœuvre très maladroite d’un point de vue juridique, contrairement au Canada, qui avait tous les éléments en main pour pouvoir adopter ce genre de réforme, entraînant une énorme insécurité juridique pour les couples homosexuels . Cette question sera tranchée dans plusieurs mois par le Tribunal Constitutionnel, qui vient d’accepter d‘étudier le recours engagé par les députés du partido popular depuis deux ans déjà.
Bibliographie :
Textes : Constitution espagnole, texte officiel, 1978; Charte canadienne des droits et des libertés, 1982 ; loi 13/2005 du 1er juillet 2005 modifiant le code civil espagnol, reconnaissant le droit au mariage des homosexuels et l’adoption ; loi d’harmonisation n°1 du droit fédéral et du droit civil du 1er juin 2001
Jurisprudence : Arrêt du Tribunal Constitutionnel espagnol ( RJA-RTC, 1994/222) du 11 juillet 1994 ; Arrêt du Tribunal Constitutionnel espagnol (RTC- 2003/2004) du 16 juin 2003 ; Décision de la Cours Suprême Canadienne M c/ H ( 2 RCS 3) du 20 mai 1999 ; Décision de la Cours Suprême canadienne Hendricks c/ Quebec ( Can LII 23808) du 6 septembre 2002 ; Décision de la Cours Suprême canadienne, renvoi relatif au mariage entre deux personnes du même sexe (3 RCS, 698)
Manuels : Matrimonio homosexual en derecho espano y comparado, Santiago Canamares Arribas edition Iustel, 2007; Matrimonio homosexual y adopcion, Susana Navas Navarro edition Reus, 2006 ; Droit et homosexualité, Mecary, Caroline, dalloz, 2001 ; La homosexualidad y el matrimonio : ley del 1 de julio de 2005, Martinez Calcerrada y Gomez Luis, edition Academicas, 2005
Sites internets: www.zombiemedia.org; (zombie = zone ouverte de mobilisation pour briser les injustices et les exclusions) ; www.laws.justice.gc.ca; www.canada-justice.net; www.tribunalconstitutional.es; www.quebecplus.ca; www.quebec-politique.com; www.hrni.org