La transmission de la clause compromissoire par cession de créance envisagée différemment en France et en Italie depuis l’arrêt de la Cour de cassation italienne n°13893 du 19 septembre 2003, par Lucille Roger-Imbert)
Le problème de la transmission de la clause résulte du fait qu'une personne qui n'est pas initialement partie à un contrat contenant une clause compromissoire entend se prévaloir de la clause compromissoire ou se voit opposer un tel engagement. En pratique, il s’agit notamment du cas d’une chaîne de contrats translatifs de propriété, d’une cession de contrat, ou d’une cession de créance où il y a transmission d’un bien ou d’un droit. A la suite du transfert à un tiers d’un droit né d’un contrat, par cession de créance, quelles sont les personnes liées par la clause compromissoire ? La réponse diffère selon que l’on se trouve en France ou en Italie.
Le problème de la transmission de la clause résulte du fait qu'une personne qui n'est pas initialement partie à un contrat contenant une clause compromissoire entend se prévaloir de la clause compromissoire ou se voit opposer un tel engagement. En pratique, il s’agit notamment du cas d’une chaîne de contrats translatifs de propriété, d’une cession de contrat, ou d’une cession de créance où il y a transmission d’un bien ou d’un droit. A la suite du transfert à un tiers d’un droit né d’un contrat, par cession de créance, quelles sont les personnes liées par la clause compromissoire ? La réponse diffère selon que l’on se trouve en France ou en Italie.
La question de la transmission de la clause compromissoire constitue un point crucial du droit de l’arbitrage car elle met en jeu le droit de l’arbitrage lui-même mais également le droit des obligations et le droit d’action considéré comme autonome par rapport au droit substantiel. Ainsi, beaucoup d’encre a coulé en France et dans le reste du monde sur ce sujet.
La transmission de la clause compromissoire concerne le problème de sa « circulation ». En effet, il s’agit de faire entrer dans le champ de la clause compromissoire des litiges opposant des parties non-signataires de la clause, même si le contrat transmis est le même. Il s’agit des cas dans lesquels la clause compromissoire s’applique à des rapports de droit entre des personnes dont l’une n’était pas partie au contrat la renfermant, celle-ci prenant la place de la partie originelle au contrat.
Il ne faut donc pas confondre la transmission de la clause qui emporte substitution de personnes avec l’extension rationae personae de la clause, qui emporte addition de personnes, ou encore avec l’extension rationae materiae, qui emporte son application à des litiges trouvant leur source en dehors du contrat qui la contient. Ces hypothèses ne seront pas traitées ici.
Les mécanismes de transmission des droits substantiels en cause sont nombreux et extrêmement diverses : décès d’une personne physique, fusion de sociétés, cession de contrat, cession de créance, cession d’actions ou de parts d’une société, subrogation, transport maritime, ventes successives d’une même marchandise, substitution de mandataire.
Mais dans le cadre de cette étude, le seul mécanisme de transmission qui sera traité est la cession de créance : A (le cédé) et B (le cédant) sont les parties originelles au contrat et B cède une créance née du contrat à C (le cessionnaire), tiers bénéficiaire de tout ou partie de la position contractuelle de B.
La question de la transmission de la clause compromissoire constitue un enjeu capital pour les parties qui peuvent se retrouver impliquées dans un arbitrage alors qu’elles ne l’avaient pas prévu. Transmettre la clause compromissoire signifie en effet élargir son champ d’application et faire entrer dans la compétence du Tribunal arbitral des litiges qui initialement lui échappaient.
Le problème général que recouvre la circulation de la clause compromissoire et, plus particulièrement, sa transmission par cession de créance, est le suivant : lorsqu’un tiers s’introduit dans un contrat comportant une clause compromissoire, en qualité de cessionnaire d’une créance, devra-t-il respecter la clause compromissoire en cas de litige et pourra-t-il s’en prévaloir ?
Alors qu’en France la réponse est largement positive et que la règle de la transmission automatique a aujourd’hui une portée générale, l’Italie s’oppose en revanche à ce que le cessionnaire d’une créance devienne partie à la convention d’arbitrage à moins qu’il l’ait expressément acceptée. Par cette solution tout à fait exceptionnelle, consacrée dans l’arrêt de la Cour de cassation du 19 septembre 2003 n°13893, l’Italie se distingue nettement de la France et des autres pays en général.
Il convient alors d’étudier la solution de la Cour de cassation italienne dans cet arrêt puis de comparer les raisonnements et les fondements de la jurisprudence italienne et française sur ce sujet. Enfin, il s’agit d’examiner les limites au principe de la transmission.
Avant de procéder plus précisément à l’analyse des solutions française et italienne quant à la transmission de la clause par cession de créance, il est intéressant d’observer que le principe de la transmission de la clause compromissoire est très largement admis en droit comparé.
Tous les pays admettent que lorsqu’une personne (C) succède aux droits d’une autre (B), droits nés d’un contrat qui liait B à A et qui comporte une clause compromissoire, cette clause lie désormais A à C. Chaque partie peut s’en prévaloir contre l’autre, pour tout ce qui concerne la relation contractuelle qui s’est établie entre eux, que ce soit à la suite d’un décès, d’une cession de créance, d’une fusion de sociétés, pour ne citer que ces exemples.
En Angleterre, la règle est fixée expressément par la loi à l’article 82(2) de l’Arbitration Act 1996: « References in this part to a party to an arbitration agreement include any person claiming under or through a party to the agreement ». Aussi, au Pérou, l’article 9, alinéa 2 de la loi générale sur l’arbitrage dispose que « la convention d’arbitrage requiert des parties et de leurs successeurs, selon le cas, de faire tout ce qui est nécessaire pour la conduite de la procédure arbitrale, pour obtenir que l’arbitrage soit pleinement efficace et que la sentence arbitrale soit respectée ».
Dans les autres pays, la solution est jurisprudentielle (Etats-Unis, Belgique, France, Allemagne, Suède, Suisse) ou doctrinale (Espagne, pays d’Amérique latine autre que le Pérou).
L’exception est celle du droit italien.
La solution dégagée dans l’arrêt du 19 septembre 2003, n°13893 et l’état du droit antérieur.
Dans cette affaire, le cessionnaire d’une créance née d’un contrat contenant une clause compromissoire a invoqué celle-ci devant un tribunal arbitral. Ce dernier ayant rendu une sentence en sa faveur, le débiteur cédé a interjeté appel devant la Cour d’appel de Rome en soutenant qu’il n’avait en aucun cas voulu que des litiges éventuels avec le cessionnaire soient réglés par des arbitres. La Cour d’appel a alors donné raison au débiteur cédé et la Cour de Cassation a confirmé cette décision : « le cessionnaire d’une créance ne peut pas invoquer une clause compromissoire insérée dans le contrat qui a donné lieu à cette cession contre le débiteur cédé. En revanche, le débiteur cédé peut se prévaloir de cette clause contre le cessionnaire car, le cas échéant, le débiteur cédé serait privé du droit de soumettre aux arbitres les litiges relatifs à la créance alors qu’il est resté en dehors de l’accord entre le cédant et le cessionnaire. » (Traduction libre).
Cet arrêt est fondamental dans la jurisprudence italienne car il confirme l’arrêt rendu en 1998 par la Cour de cassation (Cass. 17 décembre 1998, n°12616, Foro it. , 1999, I, 2979) qui avait été perçu à l’époque comme un simple « écart », un arrêt sans grande importance qui n’avait pas de bases solides et dont la solution aurait été rapidement écartée. Mais contre toute attente, les juges italiens ont tranché dans le même sens dans cette affaire. Il s’agit là d’une véritable surprise, d’une part parce que cela va à l’encontre de toute la jurisprudence précédente, c’est-à-dire antérieure à 1998, qui préconisait l’applicabilité de la clause compromissoire dans les rapports entre cédé et cessionnaire, et d’autre part, parce qu’un arrêt de 1999 (Cass. 17 mars 1999, n°2394, Mass. Giust. Civ., 1999, 582) avait déjà écarté la solution de la Cour de cassation de 1998. En effet, seulement quelques mois plus tard, la Cour de cassation était déjà revenue sur sa décision de 1998, en confirmant la position traditionnelle, c’est-à-dire, l’applicabilité de la clause entre le cédé et le cessionnaire.
Cet arrêt constitue la dernière évolution jurisprudentielle en la matière, sa solution ayant été reprise plusieurs fois, notamment dans deux arrêts récents de la Cour de Cassation de 2004 (Cass. 1er septembre 2004, n°17531) et 2007 (Cass. 21 mars 2007, n°6809).
Des positions italienne et française radicalement opposées : raisonnements et fondements - L’opposition du droit italien à la possibilité pour le cessionnaire d’invoquer la clause compromissoire contre le cédé
Dans l’arrêt de 1998 précédemment cité et dans celui de 2003 ici étudié, la Cour de cassation utilise les mêmes arguments pour fonder sa décision, même si le premier concernait une cession de contrat alors que le second portait sur une cession de créance. En effet, elle affirme tout d’abord que « la clause compromissoire n’est pas un élément accessoire du contrat dans lequel elle est insérée, mais elle constitue un acte doté d’une individualité et d’une autonomie propre, se distinguant nettement du contrat dans lequel elle se trouve ; il est donc exclut que la cession de contrat renfermant la clause, emporte cession automatique de cette clause, en l’absence d’accord spécifique des parties » (Traduction libre). Elle continue en avançant que la transmission automatique de la clause ne peut pas s’effectuer au profit du « simple » cessionnaire de créance qui est le protagoniste d’une affaire dans laquelle la volonté du débiteur cédé n’a pas été prise en compte. Autrement dit, le cessionnaire du contrat ou de la créance ne peut pas invoquer la clause contre le débiteur cédé. Cependant, le débiteur cédé peut se prévaloir de la clause contre le cessionnaire sinon « il se verrait privé du droit de porter les litiges nés de la créance devant l’arbitre à cause d’un accord (la cession de créance) passé entre d’autres sujets (cédant et cessionnaire) et à l’égard duquel il est resté étranger» (Traduction libre). La Cour ajoute que le débiteur cédé conserve la faculté d’opposer au cessionnaire toutes les exceptions qu’il aurait pu opposer au créancier originel. Ces motifs seront repris dans les arrêts de 2004 et de 2007.
Cette solution, très critiquée par la doctrine italienne, se fonde sur l’autonomie de la convention d’arbitrage : puisqu’elle est distincte de la convention d’arbitrage, elle doit être acceptée séparément. Le cessionnaire et le cédé doivent avoir consenti au transfert de la clause. La jurisprudence italienne retient une approche subjective de la transmission de la clause puisque le critère pour que le cessionnaire puisse devenir partie à la clause compromissoire est qu’il y ait expressément consenti.
L’adoption en France d’un mécanisme de transmission automatique et objective de la clause
Certaines tendances de la jurisprudence et de la doctrine française se rapprochent de la position italienne. En effet, la Cour d’appel de Paris a admis que le transfert de droits contractuels entraînait le « transfert du bénéfice de la clause compromissoire », au motif que celle-ci était mentionnée dans le contrat de cession (Paris, 26 mai 1992, Rev. arb. 1993, p.624, note Aynès). Aussi, certains auteurs soutiennent qu’il est nécessaire « que le cessionnaire ait accepté au moins implicitement d’être lié par la clause » et que le cédé ait accepté la transmission (Ph. FOUCHARD, E. GAILLARD, B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n°707, p.441). Mais la Cour de cassation semble désormais avoir abandonné cette analyse.
La Cour d’appel de Paris a jugé très fermement que « la cession de créances impliquait nécessairement la transmission par le cédant au cessionnaire du bénéfice de la clause compromissoire indissociable de l’économie du contrat » (Paris, 28 janvier 1988, Rev. arb. 1988. 565) ou encore que « la cession de contrat ou de créance impliquait nécessairement la transmission par le cédant au cessionnaire du bénéfice de la clause compromissoire laquelle était indissociable de l’économie du contrat initial » (Paris, 28 novembre 1999, Rev.arb. 2001. 165, note Cohen).
Aussi, la Cour de cassation, dans des arrêts du 26 juin 2001 et du 20 décembre 2001 (Gaz. Pal. 2002/1, Soc. American Bureau of Shipping et Soc. Quille le Trident) a jugé que « la Cour d’appel qui retient que dans le cas où une seule créance a été cédée, la clause compromissoire insérée dans le contrat auquel le cessionnaire n’avait pas été partie, en raison du principe d’autonomie qui y est attaché, n’a pu être transmise, a violé l’article 1692 du Code civil ». A l’appui de cette affirmation, la Cour de cassation rappelle que « la cession d’une créance comprend les accessoires de la créance ».
Ainsi, lorsqu’une créance résulte d’un contrat qui comporte une clause compromissoire, la jurisprudence est désormais constante pour décider que la cession de cette créance emporte automatiquement transmission au cessionnaire, à titre d’accessoire de la créance, de la clause compromissoire dont il peut se prévaloir et qui peut lui être opposée (Cass. Civ. 1re, 5 janvier 1999, Banque Worms, RCDIP 1999.537, E. Pataut). La Cour de cassation retient que « la clause d’arbitrage est transmise au cessionnaire avec la créance, telle que cette créance existe dans les rapports entre le cédant et le cédé ». En l’espèce, l’arrêt se détache de tout fondement volontariste réel ou supposé du cessionnaire, ou même de sa connaissance prouvée ou présumée de la clause compromissoire. Le même raisonnement est suivi en 2000 en matière de clause de substitution. En effet, généralisant le champ de son affirmation, la Cour de cassation estime que « la clause d’arbitrage internationale s’impose à toute partie venant aux droits de l’un des contractants » (Cass. Civ 1re, 8 février 2000, Taurus Films, Rev.arb. 2000, p.280, note P-Y Gautier).
Dans un arrêt assez récent, la Cour de cassation franchit un pas supplémentaire dans sa démarche : elle admet que la clause se transmet indépendamment de la validité de la cession du droit substantiel à partir du moment où la cession a bien été voulue. En effet, elle décide qu’ « en matière internationale, la clause d’arbitrage, juridiquement indépendante du contrat principal, est transmise avec lui, quelle que soit la validité de la transmission des droits substantiels » (Cass. Com., 28 mai 2002, Cimat, Rev. arb. 2003.397, note crit. D. Cohen). Cette solution est vivement critiquée par la doctrine car elle obligerait le cessionnaire à aller devant l’arbitre pour se voir dire par celui-ci qu’il n’a pas succédé au titulaire initial des droits substantiels, qui sont pourtant à l’origine de la transmission de la clause compromissoire ! Et aussi, le prétendu cédant, qui a conservé les droits substantiels, est-il encore lié par la clause compromissoire qui, elle, a été transmise ? Selon Messieurs Beguin et Menjucq, « un chemin pavé de bonnes intentions peut conduire à des solutions peu satisfaisantes ».
Par conséquent, en droit français, il est aujourd’hui reconnu de manière quasi-unanime le caractère automatique de la transmission de la clause compromissoire en matière de cession de créances. La justification généralement donnée à cette transmission se rattache à « l’idée, pourtant a priori difficilement conciliable avec celle d’autonomie de la clause par rapport au contrat principal, que la clause est indissociable de l’économie du contrat » (J.BEGUIN, M. MENJUCQ, Droit du commerce international). Elle constitue un accessoire ou une modalité du droit substantiel transmis. L’idée est que celui qui reçoit un droit substantiel par une opération translative reçoit aussi le droit d’action qui lui est attaché, afin de le faire valoir en justice. Mais il reçoit ce droit avec les modalités qui peuvent l’affecter, et en particulier avec la clause compromissoire.
En outre, le consentement du cessionnaire n’est plus du tout requis. En effet, la jurisprudence se fonde aujourd’hui sur un mécanisme purement objectif de transmission de la clause, sans référence à l’acceptation, même tacite, du cessionnaire : l’acceptation du bénéfice des droits substantiels transmis emporte automatiquement et inéluctablement transmission de la clause compromissoire, modalité incontournable du droit d’action attaché à ces droits substantiels.
Cette transmission de plein droit semble avoir pour seule limite la stipulation de conventions contraires ou l’intuitu personae s’attachant à la clause compromissoire
En effet, lorsque la jurisprudence admet le caractère automatique de la transmission, elle s’attache souvent à constater qu’aucune manifestation de volonté des parties, soit dans le contrat de base, soit dans l’acte de transmission, ne s’oppose à la transmission de la clause (Paris, 28 janvier 1988, J.D.I. 1989. 1021, note Loquin).
Aussi, le caractère intuitu personae de la clause compromissoire pourrait paralyser la transmission. Le cédé pourrait n’avoir consenti à l’arbitrage qu’en raison de la nature de ses liens avec le cédant. Plusieurs rapports nationaux (Belgique, Suisse, Suède, Amérique latine) mentionnent que la limite du principe de la circulation réside dans l’éventuel intuitu personae qui s’attacherait à la clause. La Cour de cassation française, dans l’arrêt Cimat, du 28 mai 2002 précédemment cité, affirme qu’en l’espèce la clause compromissoire n’avait pas été contractée par le cédé en considération de la personne du cédant, « ce qui eût put faire obstacle à sa transmission à un tiers ». En revanche, la doctrine italienne qui critique la position de la Cour de cassation, estime que le choix entre arbitrage et justice étatique n’est jamais déterminé en considération de la personne des parties. Mais en pratique cette exception ne semble jamais avoir été retenue.
Conclusion La position de la jurisprudence italienne quant à la transmission de la clause compromissoire en cas de cession de créances est tout à fait unique. La France ainsi que tous les autres pays ici étudiés ne partagent pas son point de vue : le cessionnaire d’une créance ne devient pas partie à la convention d’arbitrage à moins qu’il ne l’ait expressément acceptée. La volonté des parties est donc cruciale. La France, au contraire, ne prend aucunement en compte la volonté des parties, sauf le cas, en théorie, de l’intuitu personae attaché à la clause : la transmission d’une créance comporte transmission automatique de la clause compromissoire, c’est-à-dire sans que le cessionnaire n’ait à y consentir, même s’il ignore son existence. C’est un mécanisme strictement objectif de transmission de la clause qui a été choisi. Cette opposition entre une approche subjective de la transmission de la clause d’une part, et une approche objective d’autre part, se retrouve en matière d’extension rationae materiae de la clause. En effet, alors que l’Italie adopte une conception subjective de l’extension rationae materiae, en s’appuyant principalement sur la volonté des parties pour accorder l’extension, la France se base sur des critères bien plus objectifs. Ainsi, n’est-il pas légitime de penser que cette faveur envers la circulation de la clause reflète de nouveau une forte tendance du droit français à promouvoir l’arbitrage ?