La transposition de la directive 93/13 relative aux clauses abusives en droit allemand et français, par Adel Labadi

La France et l’Allemagne ont adopté des méthodes très différentes pour transposer la directive 93/13 relative aux clauses abusives. Le travail du législateur français s’est caractérisé par une réforme du droit interne allant au-delà de ce qu’exigeait la directive. Le législateur allemand quant à lui a opté pour une modification sommaire se réduisant aux exigences imposées par la directive sans réformer les fondements du droit civil allemand.

La France et l’Allemagne ont adopté des méthodes très différentes pour transposer la directive 93/13 relative aux clauses abusives. Le travail du législateur français s’est caractérisé par une réforme du droit interne allant au-delà de ce qu’exigeait la directive. Le législateur allemand quant à lui a opté pour une modification sommaire se réduisant aux exigences imposées par la directive sans réformer les fondements du droit civil allemand.

En raison de la densité normative croissante dans le cadre de l’intégration européenne, le droit national et en particulier le droit civil sont de plus en plus influencés par des normes européennes. Ainsi en 1989, le Parlement européen avait publié une résolution appelant à l’harmonisation de certains secteurs du droit privé, en soulignant « qu’un marché intérieur uniforme ne peut être pleinement opérationnel sans de nouveaux efforts d’harmonisation du droit civil » (Résolution du Parlement, du 26 mai 1989 sur un effort de rapprochement du droit privé des Etats membres).

Postérieurement, l’accent a notamment été mis sur le droit civil relatif à la protection du consommateur. De ce fait, le traité de Maastricht de 1992 a par la suite incorporé dans son article 153 la protection des consommateurs en tant que politique commune des États membres. Cette compétence a été renforcée en 1997 dans le traité d’Amsterdam. En effet, comme le constate très bien Elise Poillot, « dans la perspective de la priorité de la réalisation d’un marché unique, objectif principal de la construction européenne, il n’est pas surprenant que le droit de la consommation, discipline congénitalement économique car centrée sur la réglementation de l’acte de consommation, ait été un terrain de rapprochement des législations » (Droit européen de la consommation et uniformisation du droit des contrats » Élise Poillot ; p.28).

Ainsi, l’article 95 (par renvoi de l’article 153, alinéa 3) a généralement servi de fondement juridique à l’adoption des directives, si bien que sous le couvert de la protection des consommateurs, les initiatives communautaires tendaient à neutraliser les distorsions de concurrence entre les professionnels. L’acte de consommation se révélant être le moteur principal du développement du marché intérieur, il n’est donc guère étonnant que le droit communautaire ait entendu l’encadrer juridiquement par le biais d’une méthode d’intégration douce c’est-à-dire par des directives imposant une harmonisation minimale.

En vertu de l’article 249 alinéa 3 du traité CE, ces directives prévoient donc toujours une harmonisation minimale entre les États, ce qui leur laisse une marge de manœuvre dans la transposition en droit interne. Comme le droit européen de la consommation est constitué uniquement de directives, le rôle des Etats dans la mise en œuvre du droit communautaire au sein de leurs propres ordres juridiques est très important. Il s’agit d’une obligation de résultat que la CJCE peut sanctionner lorsqu’elle estime que la directive n’a pas été correctement transposée.

La directive du 93/13 CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs marque une étape décisive dans l’harmonisation du droit privé des Etats membres. En effet, au nom de l’intérêt commun et du bon fonctionnement du marché intérieur, elle étend le champ de l’harmonisation des droits nationaux à tous les contrats de consommation et ne se limite plus comme dans les directives précédentes (Directive 87/ 102/CEE en matière de crédit à la consommation; Directive 90/314/CEE concernant les voyages, vacances et circuits à forfait) à un certain type de contrats. Avec la transposition de cette directive en droit interne, le noyau du droit civil des Etats membres a pour la première fois été touché. Il serait par conséquent intéressant de se pencher sur la réception et la transposition de cette directive en droit français et allemand. Comment la directive 93/13 relative aux clauses abusives a été intégrée dans le droit interne français et allemand ? Comment le législateur national de ces deux pays a t il réagi face aux exigences de cette directive ?

Il s’agira dans un premier temps d’étudier le contenu de la directive 93/13 CEE qui vise à uniformiser les législations en matière de protection du consommateur face aux clauses abusives. Dans un second temps, l’analyse portera sur le travail du législateur national, qui s’est traduit en France comme en Allemagne par une transposition se limitant à une réforme minimale du droit interne. Après avoir étudier le contenu de la directive, l’analyse portera sur le travail du législateur national qui s’est traduit en France comme en Allemagne par une transposition se limitant à une réforme minimale du droit interne. Toutefois, les législateurs des deux pays respectifs ont utilisé des méthodes très distinctes dans la transposition de cette directive. Enfin pour conclure il sera intéressant de comparer les deux ordres juridiques suite à la directive du 5 avril 1993.

Le contenu de la directive 93/13 CEE du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs

La directive s’applique aux contrats conclus entre consommateurs et professionnels. La notion de consommateur est définie par l’article 2b comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ». Selon l’article 2c, on entend par professionnel « toute personne physique ou morale qui, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu'elle soit publique ou privée ». Le champ d’application matériel de la directive s’étend d’après l’article 3 alinéa 1 aux clauses « d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle ». La directive englobe donc d’une part les clauses prérédigées et d’autre part les clauses individuelles non négociées. Sont cependant exclues par la directive les contrats de travail et les contrats relatifs au droit de succession, au droit de la famille et au droit des sociétés. De plus, dans son article 3 alinéa 1, la directive énonce qu’une clause est considérée comme abusive, « lorsque, en dépit de l'exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ». Afin de mieux interpréter la notion de clauses abusives, l’article 3 alinéa 3 renvoie à l’annexe de la directive qui donne à titre d’exemple une liste non contraignante de clauses pouvant être déclarées comme abusives.

L’article 8 rappelle que « les États membres peuvent adopter ou maintenir, dans le domaine régi par la présente directive, des dispositions plus strictes, compatibles avec le traité, pour assurer un niveau de protection plus élevé au consommateur ».

Le délai de transposition était fixé au 31 décembre 1994.

La transposition de la directive 93/ 13 dans le code de la consommation et le code civil allemand

En France, la transposition a été réalisée par la loi du 1.02.1995, tandis qu’en Allemagne il a fallu attendre la loi du 19.07.1996. Les deux pays possédaient déjà un niveau de protection relativement élevé en Europe, ce qui a limité l’ampleur des réformes en droit interne.

Le droit français disposait déjà depuis la loi du 10.01.1978 (incorporée depuis 1993 à l’article L 132-1 du Code de consommation) de moyens juridiques offrant une protection des consommateurs. Selon cette loi, une clause était considérée comme abusive lorsqu’ elle apparaissait être imposée aux non professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et conférait à cette dernière un avantage excessif. Dans le but de transposer la directive, cet article fut révisé par la loi du 1.02.1995 en remplaçant les deux critères de l’abus de puissance économique et d’avantage excessif par un déséquilibre significatif entre les droits et obligations au détriment du consommateur ou du non professionnel. Bien qu’il existe un Code de la consommation en France, les notions de consommateur et de non professionnel n´ont pas été définies.

Mis à part le critère de la mauvaise foi, le législateur a donc repris mot pour mot l’article 3 alinéa 1 de la directive. En France, une réforme substantielle de certaines dispositions du Code de consommation a donc été nécessaire, afin d’adapter le droit interne aux exigences prévues par la directive. Cette démarche de la transposition intégrale de la directive semble être la méthode la plus efficace dans l’harmonisation des droits, puisqu’elle reproduit directement le texte communautaire dans son ordre juridique interne. L’avantage qui en résulte est qu’a priori, il n’existe pas d’incompatibilités entre les droits nationaux et le droit communautaire.

Cependant, on constate que le législateur a effectué une interprétation extensive du champ d’application personnel de la directive en y incluant aussi les non professionnels. Ainsi, il s’est rattaché à la loi de 1978 mais principalement aussi à la décision du 28.04.1987 de la Cour de Cassation. Dans cet arrêt important, la Cour, pour retenir la notion de non professionnel, s’est basée sur le fait que l’objet du contrat entrait dans le cadre des compétences nécessaires à la conduite de son commerce. La Cour estimait qu’en dehors de ce domaine, le professionnel était dans le même état d’ignorance que n’importe quel consommateur, ce qui justifiait qu’il ait droit à d’une protection équivalente.

Toutefois face à cette nouvelle formulation de l’article L132-1 alinéa 1 effectuée par le législateur, la Cour de Cassation a opéré un revirement jurisprudentiel partiel dans deux arrêts de principe du 3 et 30.01.1996. La Cour a affirmé que l’article L-132-1 du code de la consommation s’appliquait aux non professionnels, mais que le critère retenu n’était plus l’absence de « compétence professionnelle » mais l’existence ou pas d’un « rapport direct entre le contrat et l’activité professionnelle ». Cette jurisprudence a été confirmée par la suite dans de nombreuses décisions.

Du reste, la Cour de Cassation a précisé dans un arrêt du 15 mars 2005 que

« la notion distincte de non professionnel, utilisée par le législateur français, n’exclut pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives ».

En Allemagne, une prohibition des clauses abusives a été mise en place par la loi du 1.04.1977 incorporée dans les articles § 305 et suivants du code civil allemand, le BGB. Néanmoins cette réglementation très détaillée sur les clauses abusives s’appliquait à toutes les parties au contrat. En effet l’article § 305 du BGB dispose dans son alinéa 1, que son champ d’application s’étend sur « toutes les conditions générales préétablies pour une multitude de contrats, qu’une partie du contrat (l’utilisateur) soumet à l’autre partie au moment de la conclusion du contrat ». Quant au caractère abusif d’une clause, la loi du 1.04.1977 le définit comme « un désavantage considérable et non justifiée, en dépit de la bonne foi, à l’égard d’une partie du contrat ».

La notion de consommateur n’était donc pas incorporée dans la réglementation sur les clauses abusives en droit allemand avant la transposition de la directive. De plus la directive, contrairement à l’article § 305 du BGB, ne limitait pas son champ d’application matériel aux clauses prérédigées. Une réforme sur ce point était par conséquent incontournable. Au lieu de réformer les fondements du droit civil allemand, le législateur a préféré procéder, à ce que la doctrine appelle, la méthode de la fusion-absorption du droit communautaire.

Cette méthode d’intégration du droit communautaire en droit interne, consiste à faire fusionner quelques mesures communautaires, qui présentent un intérêt au regard de la législation touchée par la directive, avec le dispositif préexistant.

Contrairement au législateur français, le législateur allemand n’a donc pas effectué une transformation substantielle du droit interne.

De ce fait, la transposition de la directive s’est faite avec la loi du 19.07.1996 insérant dans le BGB le nouvel article § 310, mettant en place une réglementation autonome et exclusive pour les contrats de consommation. Ainsi, l’article § 310 alinéa 3 numéro 2 énonce qu’il s’applique aussi aux conditions générales préétablies, mêmes lorsque celles-ci sont destinées à une utilisation individuelle. Le contrôle du caractère abusif des clauses a par conséquent été étendu aux clauses individuelles prérédigées dans les contrats de consommation.

Quant à la notion de consommateur, elle a déjà été définie à l’article § 13 du BGB avant la transposition de la directive 93/13 et ressemblait beaucoup à l’article 2 b) de celle-ci. Une modification de l’article § 13 du BGB a donc été jugée inutile.

Une marge de manœuvre permettant une mise en conformité variable des sources nationales avec la directive

Les deux ordres juridiques se sont distingués avant la transposition par des fondements juridiques différents concernant les clauses abusives. En France, la loi du 10.01.1978 a été conçue dès le début comme une législation spécifique ayant pour but de protéger le consommateur. Celui-ci, considéré comme la partie faible au contrat, devait être protégé à l’égard des clauses abusives insérées par le professionnel, qui se trouvait souvent dans une position dominante face au consommateur. L’Allemagne en revanche, avec la loi du 1.04.1977 avait une approche complètement différente. Cette loi a mis en place une réglementation générale contre les conditions générales abusives. Sa finalité était de protéger la liberté contractuelle contre l’utilisation de ce type de clause indépendamment du statut personnel des parties au contrat. De ce fait, le consommateur n’a pas été visé de façon explicite par cette loi.

Cette disparité entre les deux ordres juridiques, s’est traduite dans la transposition de la directive 93/13 CEE.

Compte tenu de l’existence d’une réglementation détaillée contre les conditions générales abusives en droit allemand, le législateur s’est contenté de se conformer aux exigences de la directive 93/13 CEE en rajoutant dans son droit interne les dispositions manquantes.

Le législateur allemand a de ce fait transposé la directive en insérant dans son droit interne une norme spécifique pour le consommateur à l’article § 310 du BGB.

De manière générale, l’Allemagne est restée très fidèle au texte de la directive.

En France, le législateur a suivi une autre démarche. Alors que le droit français possédait déjà d’un niveau élevé en matière de protection des consommateurs contre les clauses abusives, le législateur a procédé à la transposition de la directive en allant au-delà de ce qu’elle exige. Ainsi, en révisant l’article L 132-1 du code de la consommation, il a élargi le champ d’application personnel de la directive au non professionnel. Cependant, la jurisprudence de la Cour de Cassation du 15 mars 2005 englobant les personnes morales dans la notion de non professionnel semble être en contradiction avec l’article 2 b) de la directive. En effet, dans un arrêt du 22 novembre 2001, la CJCE a rappelé que la notion de consommateur « doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement des personnes physiques ». La CJCE ne s’est jusqu’à présent pas encore prononcée sur cette nouvelle interprétation effectuée par la Cour de Cassation.

Cependant, aucune disposition du droit communautaire n’interdit aux législateurs nationaux de transposer les directives relatives à la protection du consommateur au-delà des rapports consommateurs/professionnels. En effet, dès lors que la protection des consommateurs est correctement assurée, il importe peu aux institutions communautaires que les dispositions des textes de transposition s’appliquent également en dehors du droit de la consommation.

Une autre originalité du droit français est l’article L 132-1 alinéa 4, qui traduit une fois de plus le souci d’une protection renforcée du consommateur, mais qui est aussi en contradiction avec le texte de la directive. Celui-ci prévoit que le contrôle du caractère abusif d’une clause s’applique « quels que soient la forme ou le support du contrat ». En France, toutes les clauses d’un contrat peuvent donc faire l’objet d’un contrôle.

Pourtant l’article 3 alinéa 1 énonce expressément que la directive ne s’applique pas aux clauses d'un contrat n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle.

Bien que le législateur français n’ait pas toujours respecté la directive 93/13 CEE à la lettre, il peut se fonder sur l’article 8 de celle-ci. En effet, une transposition tout à fait conforme de la directive aurait signifié une diminution du standard de protection des consommateurs en France. Or l’objectif principal de cette directive était d’augmenter la protection des consommateurs face aux clauses abusives par une harmonisation minimale des droits des Etats membres.

Grâce à cette marge d’appréciation que la directive confère aux Etats membres, l’harmonisation minimale constitue par conséquent la méthode d’intégration la plus respectueuse des diversités juridiques de ces derniers, sans pour autant conduire à une baisse du niveau de protection des consommateurs.

Bibliographie :

« Die verbrauchschützenden EG-Richtlinien im Bereich des Schuldrechts und ihre Umsetzung in Deutschland und Frankreich » Christoph Benner; 2000

« Die Umsetzung der Richtlinie 93/13 EWG über missbräuliche Klauseln in Verbraucherverträgen in Deutschland, Italien, England und Frankreich » Kirsten Baier ; 2004

« Missbräuliche Vertragsklauseln in Deutschland und Frankreich » Steffi Nobis; 2004

« Livre vert sur le droit européen de la consommation réponses françaises » Bénédicte Fauvarque-Cosson; 2007

« Droit européen de la consommation et uniformisation du droit des contrats » Élise Poillot ;

2006