Le contrôle interne par les conseils d'administration et de surveillance au sein d’une société anonyme: comparaison franco-allemande

                  La question de la fonction de contrôle qui appartient au conseil de surveillance comme d’administration au sein d’une société anonyme est au cœur de la gouvernance d’entreprise. Cette dernière, dérivée du terme anglais de « Corporate Governance », traite des rapports et de la répartition des pouvoirs entre les différents acteurs et parties prenantes à l’activité d’une entreprise (salariés, actionnaires, dirigeants, …). La gouvernance d’entreprise repose fondamentalement sur les relations liant la direction et les actionnaires ; c’est du moins ce que prévoyait la première définition du gouvernement d’entreprise. Celle-ci s’est en effet étendue aux relations entre tous les acteurs de l’entreprise. Effectivement, bien que  ces acteurs tendent tous à une maximisation des bénéfices, ils présentent des intérêts différents. La question est donc de savoir de quelle manière de potentiels conflits d´intérêts peuvent être évités.
(Unternehmensführung – Klaus Macharzina, Joachim Wolf – 8. Auflage 2012 Springer Gabler- p126 et s.)

                  Le conseil de surveillance et le conseil d’administration sont deux organes collégiaux qui jouent un rôle principal en termes de gouvernance d’entreprise dans la mesure où ils représentent des organes majeurs de contrôle de la direction. Il s’agit d’une fonction de contrôle interne (en opposition au contrôle externe exercé, entre autres, par le marché).
   
               Il faut ici opérer une distinction entre systèmes moniste et dualiste. En France, les deux sont possibles. Tandis que le système dualiste prévoit la dissociation entre le directoire (à la fonction exécutive) et le conseil de surveillance (à la fonction de contrôle), le système moniste permet d’une part le cumul des fonctions entre les mains d’un président du conseil d´administration directeur général, aussi appelé PDG (système moniste unifié), mais aussi leur dissociation avec le président du conseil d´administration d’une part et le directeur général d’autre part (système moniste dissocié). L´intérêt d’une telle distinction est, pour nous, naturellement la prise en compte des divergences entre conseils d´administration et de surveillance.
(www.lemondedudroit.fr)

                  En Allemagne est établi un système purement moniste : une société anonyme (Aktiengesellschaft) comportera obligatoirement un conseil de surveillance (Aufsichtsrat) assurant une séparation nette entre direction et contrôle au sein de l’entreprise.
(Unternehmensführung heute – Hans-Christian Bauweiler- Hrsg. Oldenburg Verlag 2008 – p. 311)

                  Selon le système français, le conseil de surveillance veille au bon fonctionnement de l’entreprise et en rend compte aux actionnaires. Il se compose au minimum de 3 et au maximum de 18 membres. Les membres sont désignés par les actionnaires ou les salariés de la société pour un maximum de 6 ans. Un membre du conseil de surveillance ne peut pas être membre du directoire, en revanche, il peut être salarié ou personne morale. Le conseil de surveillance se réunit au minimum de façon trimestrielle.

                  Dans le système allemand également, le conseil de surveillance se compose d’au minimum 3 membres (article 95 Aktiengesetz), les statuts pouvant prévoir un nombre plus élevé de membres, toujours divisible par trois et limité en fonction du capital social de l’entreprise. Les membres sont en principe désignés par l’assemblée des actionnaires à la majorité des suffrages exprimés. Il ne peut s’agir que de personnes physiques (article 100 AktG). Un membre du directoire ne peut être également membre du conseil de surveillance. Il s’agit de représentants des actionnaires (désignés par l’assemblée générale des actionnaires) et, sous certaines conditions, de représentants des salariés (élus par leurs paires). Le conseil doit se réunir au moins une fois par an pour une société non cotée en bourse et deux fois pour une société cotée (article 100 § 3 AktG). 
(Gesellschaftsrecht für die Praxis 2005 – 6. Auflage Memento Verlag – p. 645 et s.).

                  Le conseil d’administration d’une entreprise française peut être composé de personnes morales ou physiques. Il comporte de 3 à 18 membres (article L 225-17 Code de commerce). Depuis la loi de modernisation de l’économie du 4 aout 2008, il n’est plus obligatoire d’être actionnaire pour être nommé administrateur ; les statuts peuvent néanmoins imposer un nombre d’actions minimum. Dans une société anonyme, si un salarié ne peut en aucun cas devenir administrateur, un administrateur peut devenir salarié sous certaines conditions. Le conseil se réunit au moins une fois par an pour examiner les comptes annuels et convoquer l’assemblée générale annuelle.
(www.lecoindesentrepreneurs.fr)

                  Au sein des sociétés anonymes allemandes, il est uniquement question de conseil de surveillance et non de conseil d’administration, ce dernier étant réservé aux collectivités de droit public.

                  Dans quelle mesure le conseil occupe-t-il un rôle central au sein d’une gouvernance d’entreprise efficiente, en France et en Allemagne ? Les systèmes allemand et français étant très proches, nous adopterons la méthode de comparaison conceptuelle. Il s’agira dans un premier temps de s’intéresser à la nécessité d’un contrôle de la direction par le conseil (I) puis dans un second temps aux moyens dont dispose le conseil pour opérer ce contrôle (II).      

I-               Un contrôle nécessaire

                  Un contrôle du pouvoir dirigeant par un organe plus ou moins indépendant s’est révélé être absolument nécessaire dans le cadre d’organisations dont les membres représentent des intérêts différents. Il est nécessaire tant au maintien d’une activité performante, conforme à la loi et aux bonnes pratiques (A) qu’en réponse a un besoin structurel (B).

A-    Le maintien d’une activité performante, conforme à la loi et aux bonnes pratiques

                  Cette nécessité d’établir un contrôle des décisions et opérations de la direction résulte d’un rapport asymétrique entre les différents opérateurs de la société. Cette asymétrie est présente dans toute société anonyme, française comme allemande, et résulte entre autres de la répartition des pouvoirs et du caractère imparfait du flux d’informations entre ces organes.

                  Il faut également prendre en considération l´aspect fondamental de délégation du pouvoir décisionnaire opérée par les actionnaires envers la direction. On parle en Allemagne de la « Prinzipal-Agenten-Theorie », autrement dit du « problème principal agent », où le principal (l’actionnaire) se trouve dans un état de dépendance vis-à-vis de l’agent (le dirigeant). De par la nature même de cette relation, un contrôle permanent de la direction est dès lors nécessaire, et ce à trois niveaux : il s’agira de lutter contre la fraude, d’assurer la sincérité des comptes de l’entreprise et d’œuvrer pour une organisation plus efficace et performante.
(Unternehmensführung heute – p 305 et s.)

 

                  Ce contrôle à trois dimensions répond a trois besoins différents et en constante augmentation que sont la dérive des pratiques de l’entreprise, la montée des risques liés à la globalisation et à la dématérialisation des opérations et enfin le développement des systèmes d’information.

                  Les membres du conseil au travers de cette fonction de contrôle devront toujours agir dans les intérêts de la société. Dans le cas contraire, leur responsabilité pourra se voir engagée ; ils pourront ainsi se voir condamnés au versement de dommages et intérêts à la société en cas de manquement à leur obligation de discrétion ou en cas de faute de gestion.

                  Outre cette nécessité de contrôle inhérente à la nature même d’une société, la structure de l’organisation peut également rendre indispensable une modification de la composition du conseil et justifier la dimension du contrôle effectué (B).

B-     Une nécessité structurelle

Le système français prévoit trois cas dans lesquels les salariés doivent être représentés au sein du conseil d’administration ou de surveillance,  à savoir lorsque la société possède un comité d’entreprise, c’est à dire lorsqu’elle compte au moins 50 salariés, lorsque cela est prévu par les statuts et lorsque les salariés possèdent au moins 3% du capital de la société (article L 225-71 Code de commerce). Il s’agit d’un modèle introduit en France en 1966, calqué sur l’exemple de la « cogestion à l’allemande ». Il y’a  néanmoins lieu de tempérer cette tendance dans la mesure où les représentants des salariés ne se voient pas reconnaitre de voix délibérative mais uniquement une voix consultative.

                  En Allemagne, il s’agit d’un système établi depuis longtemps. Afin de déterminer si le conseil de surveillance doit se composer de représentants des salariés, la question est de savoir si les lois allemandes sur la cogestion (« Mitbestimmungsgesetze ») s’appliquent a la société en question. Chacune de ces lois s’applique à une forme de société bien précise et détermine la place que les représentants des salariés doivent avoir au sein du conseil de surveillance. Ainsi, la « Mitbestimmungsgesetz » s´applique aux sociétés de plus de  2000 salariés dont le nombre et la composition dépendront du nombre de salariés dans l’entreprise en fonction de ce que ladite loi prévoit. Par exemple, en dessous de  10 000 salariés, le conseil de surveillance devra comprendre quatre représentants des salariés et deux représentants syndicaux conformément a la loi allemande sur la cogestion.
(Gesellschaftsrecht für die Praxis, p 662 et s.)

                  On a donc pu observer ces dernières années un rapprochement des deux droits dû à une évolution du système français vers une forme de « cogestion a l’allemande ». La question de l’efficacité et de la pertinence de cette évolution a fait l’objet de nombreuses discussions et un certain scepticisme s’est fait jour en France. Beaucoup affirment que le succès de la cogestion en Allemagne est lié à une certaine « culture de la cogestion » inexistante en France. En outre, le fait de rassembler représentants des actionnaires et des salariés au sein d’un même organe de contrôle (et dans une certaine mesure de gestion pour le conseil d’administration) mènerait à une fragmentation dans le travail de l’organe collégial dans la mesure où il y aurait, une fois encore, conflit d´intérêts. Enfin, si la présence de représentants des salariés enrichit la vision du conseil grâce a une parfaite connaissance du fonctionnement pratique de l’entreprise, elle pourrait faire obstacle aux objectifs poursuivis  au niveau du conseil que sont la rentabilité à long terme et la pérénité de l’entreprise. Ces deux objectifs risqueraient d’être oubliés au profit de considérations plus pratiques et sur le court terme.
(Corporate Governance in deutschen und amerikanischen Aktiengesellschaften 2001 – Stefan Marcus Schmidt –  p110 et s.)

                  Quel que soit le système retenu, l’importance des salariés dans les instances de l’entreprise change la composition du conseil, modifiant ainsi le contrôle exercé sur le directoire ou le directeur général. Il s’agit dune nécessité de prise de parole et de défense des salariés issue de la structure de la société.

                  En revanche, les moyens mis a la disposition du conseil pour exercer ce contrôle interne sont les mêmes quelle que soit sa composition (II).

II-              Les moyens mis à la disposition du conseil

                  Les pouvoirs et moyens de contrôle du conseil varient en fonction des pays, mais également selon qu’il s’agit, en France, d’un conseil de surveillance ou d’administration. On pourra dans tous les cas distinguer moyens de contrôle préventif (A) et a posteriori (B).

A-    Contrôle préventif

                  L´article L 225-68 du Code de commerce prévoit un contrôle permanent du directoire par le conseil de surveillance et l’article L 225-35 du même Code dispose que « le conseil d’administration procède aux contrôles et vérifications qu’il juge opportuns ». Ainsi, en France, conseil de surveillance comme conseil d’administration exercent un contrôle préventif sur les décisions et actes adoptés par la direction. Ce contrôle se traduit de différentes façons.

                  Tout d’abord, la composition de l’organe de direction dépend entièrement de la volonté du conseil. En effet, le conseil administration nomme le président du conseil et le directeur générale ou le président directeur général en fonction qu’il s’agisse du système moniste unifié ou dissocié. Dans le cadre d’un système dualiste, il appartient au conseil de surveillance de nommer les membres du directoire.

                  Ensuite, il n’est pas rare que les statuts définissent les actes et décisions qui ne pourront être pris par la direction sans l’accord du conseil d’administration ; ce dernier dégagera la direction de toute responsabilité en engageant la sienne (sous réserve des souscriptions d’assurances). La loi prévoit également que certaines conventions et décisions requièrent automatiquement l’accord du conseil ; ainsi les conventions réglementées nécessiteront l’autorisation du conseil de surveillance (article L 225-68 Code de commerce) ou d’administration (article L 225-38 Code de commerce), les cautions, avals et garanties également, le Conseil de surveillance devra autoriser ventes d’immeubles, cessions de participation et constitutions de sociétés et le conseil d’administration tout déplacement du siège social au sein du même département ou dans un département limitrophe.
 

                  En Allemagne, les attributions du conseil de surveillance sont régies aux articles 95 à 116 AktG. L’article 111 AktG prévoit que le conseil a pour mission de « surveiller la direction de l’entreprise » ; la question est de savoir ce qui est concrètement désigné par cette notion a priori extrêmement large. L’article 107 § 2 AktG donne un élément de réponse : il s’agit pour le conseil de surveillance de contrôler le processus d’information financière et l´efficacité des systèmes de contrôle interne, de gestion des risques, de révision interne et d’audit des comptes annuels (en particulier l’indépendance du commissaire aux comptes).

                   Selon l’article 111 § 4 AktG, le conseil doit donner son autorisation pour certains actes passés par la direction. Sont donc soumis à autorisation les mesures de gestion, l’attribution de crédits aux membres du directoire, les conditions d’accords de contrôle entre sociétés mères et filiales, l’attribution d’acomptes sur les bénéfices, ou encore les conditions d’émission d’actions et d´exclusion du droit de souscription. En outre il peut proposer un catalogue d’actes nécessitant son autorisation et conformément à l’article 171 AktG proposer la manière dont les bénéfices devront être distribués (Corporate Governance in deutschen und amerikanischen Aktiengesellschaften 2001  – Stefan Marcus Schmidt – p66-67).
(Gesellschaftsrecht für die Praxis , p 651 et s.)

                  En d’autres termes, le conseil de surveillance allemand occupe une position clef dans le bon fonctionnement de l’entreprise, et jouit de nombreux pouvoirs. Afin que ceux-ci puissent être correctement exercés, le directoire doit régulièrement établir des rapports à l’intention du conseil (article 90 AktG et L 225-68 Code de commerce) et lui garantir droits d’accès et de regard sur les documents de l’entreprise.

                  Ainsi, si le système français tend à se rapprocher du système allemand, ce dernier offre malgré tout une capacité d’expression et de contrôle plus important au conseil de surveillance. On reconnaitra en filigrane la traditionnelle cogestion allemande, laquelle offre un réel dialogue entre organe de gestion et organe de contrôle, ainsi qu’une place au conseil de surveillance dans le processus décisionnel. Le contrôle a posteriori est-il aussi substantiel que le contrôle préventif ?

B-     Contrôle a posteriori

                 En premier lieu, le conseil d’administration a pour mission d’arrêter les comptes de l’entreprise. Cette attribution ne revient pas au conseil de surveillance dont le pouvoir de contrôle est plus réduit. Néanmoins, les deux formes de conseil vérifient et contrôlent les comptes annuels et le rapport de gestion. Ils présentent ensuite leurs observations a l’assemblée générale (www.lecoindesentrepreneurs.fr). Ils peuvent, pour les aider dans cette tache, désigner un commissaire aux comptes. En outre, ils occupent une fonction de représentation de la société à l’égard des membres de la direction lorsque la responsabilité de ces derniers se voit engagée.

                  Cette dernière fonction appartient également au conseil de surveillance allemand ; elle est prévue à l’article 112 AktG. Le recours à un commissaire aux comptes est quant à lui prévu à l’article 114 § 2 AktG ; il est lui aussi chargé de contrôler les comptes annuels et le rapport de gestion (article 59 AktG). En outre, le conseil participe a l’établissement des conditions démissions d’actions et d’utilisation du capital autorisé (article 204 § 1 AktG) (Corporate Governance in deutschen und amerikanischen Aktiengesellschaften 2001- Stefan Marcus Schmidt – p 66).

                  Offrant moins de poids au conseil que le contrôle préventif, le contrôle a posteriori est malgré tout important dans la mesure où il représente un moyen de pression vis à vis des dirigeants dont la responsabilité risque à tout moment d’être engagée par le conseil. Contrairement au contrôle en amont, il n’offre pas une forme de pouvoir de gestion dérivé et alimente par conséquent moins les discussions relatives au poids du conseil dans l’entreprise. Cela explique qu’il s’agisse de pratiques profondément ancrées dans le fonctionnement de l’entreprise, en France comme en Allemagne, et que celles-ci soient aussi présentes dans les deux systèmes. 

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

Ouvrages :

-       Stefan Marcus Schmidt, Corporate Governance in deutschen und amerikanischen Aktiengesellschaften, Peter Lang Europäischer Verlag der Wissenschaften,  p66 et s.
 

-       Hans-Christian Brauweiler, Unternehmensführung heute, Hrsg. Oldenburg Verlag München 2008, p 303 et s.
 

-       Burr/Musil – Stephan/Werkmeister, Unternehmensführung, WiSo Kurzlehrbuch Verlag Vahlen 2008 , p 43 et s.
 

-       Gesellschaftsrecht für die Praxis 2005 . 6. Auflage 2005 Momento Verlag, p 645 et s.
 

-       Klaus Macharzina und Joachim Wolf, Unternehmensführung, 8. Auflage 2012 Springer Gabler,  p  126 et s.
 

-       Gérard Charreaux, Conseil d´administration et pouvoirs dans l’entreprise, 1994

 

Cours magistral :

-       Pr. Philippe Dubois, « Droit des sociétés », Cours magistral Paris X Nanterre La Défense 2012
 

Sources internet :

-       http://www.linkspringer:com
 

-       http://www.gruenderszene.de
 

-       http://www.juraforum.de
 

-       http://www.corpgov.deloitte.com
 

-       http://www.lecoindesentrepreneurs.com