Le débat sur le travail dominical en France et en Allemagne

Le travail dominical en France et en Allemagne, sur la base des §§ 9 et 10 Arbeitszeitgesetz « ArbZG » (loi sur le temps de travail)

 

Sophie Grojsman

 

Le repos hebdomadaire est un élément essentiel de la vie de toute personne exerçant une activité professionnelle, car il garantit la santé, le bien-être et l’effectivité au travail.

Le jour de ce repos a été fixé en France comme en Allemagne le dimanche. Or depuis quelques d’années, le travail le dimanche a pris le pas sur la journée de repos, afin de satisfaire les exigences du contexte socio-économique. Le sujet engendre les passions ; il fait toujours l’objet de débats houleux suivant les différents systèmes juridiques.

 

La relance de l’activité économique est, en effet, à l’heure actuelle nécessaire ; beaucoup considèrent qu’elle implique l’extension de la possibilité de travailler le dimanche, notamment pour renforcer le secteur du tourisme (c’est la conception française actuelle, selon le ministre des affaires étrangères).

C’est dans ce contexte, que France et Allemagne ont empiété sur les fondements des articles L3132-3 du code du travail et §9 ArbZG garantissant le repos hebdomadaire, en principe le dimanche. De nombreuses dérogations ont ainsi été mises en place dans les deux droits, qui complexifient le régime juridique du travail dominical.    

 

Le système du travail dominical s’est établi déjà depuis un certain temps en Allemagne (puisque l’introduction de la Arbeitszeitgesetz date de 1994)  et a été validé par la jurisprudence du Bundesarbeitsgericht (BAG, équivalent des prud’hommes). Le sujet engendre toujours des critiques, notamment du Bundesverfassungsgericht (cour constitutionnelle allemande), mais est moins actuel qu’en droit français. En effet, le travail dominical est actuellement, ces dernières semaines, un thème de discussion brûlant en France et suscite de nombreux débats suite à la loi du 10 août 2009 sur le travail dominical, au rapport Bailly du 2 décembre 2013 et aux arrêts récents, concernant l’ouverture le dimanche de magasins de bricolage, tels que Bricorama (Ordonnance du Conseil d’état en date du 10 avril 2014).  On discute même de l’adoption d’un projet de loi, réformant le travail dominical, d’ici fin 2014.

 

Par conséquent, il est évident que le droit français et le droit allemand se rapprochent quant aux notions de repos,  de principe d’interdiction du travail le dimanche et quant aux dérogations qui sont accordées dans les différents secteurs d’activités ; mais se détachent l’un de l’autre quant aux débats et critiques sur le sujet.

Il faudra donc envisager successivement, une approche conceptuelle concernant les notions de base similaires, puis une approche fonctionnelle concernant les débats politiques (en France), juridictionnels (en Allemagne) et doctrinaux (dans les deux pays) ; pour mieux envisager la fonctionnalité et la finalité des deux systèmes juridiques existants.

 

 

 

 

 

1.  Le repos et le travail dominical, conceptions analogues suivant le droit français et droit allemand ?

 

Pour bien comprendre la notion de travail dominical, donc par conséquent, les dérogations qui ont été mises en place au fil des années, il faut tout d’abord s’intéresser au concept de repos, tel qu’il est envisagé par le droit français et le droit allemand.

 

a) Le concept de repos : un principe d’interdiction du travail le dimanche

 

Le repos peut se définir de manière similaire suivant les systèmes juridiques français et allemand.

Il fut institué en France de manière définitive en faveur des ouvriers et employés, après maintes revendications et campagnes, par la loi du 13 juillet 1906, dont sont issus deux principes distincts ; l’un relatif au principe du repos hebdomadaire, l’autre relatif au jour de ce repos.

Il suppose selon la cour de cassation « que le salarié soit totalement dispensé, directement ou indirectement, sauf cas exceptionnels, d’accomplir une prestation de travail, même si elle n’est qu’éventuelle ou occasionnelle » (Ch. soc. 10 juillet 2002).

L’article L3132-1 du code du travail précise, en effet, « qu’il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine ». L’article L3132-2 ajoute que le repos hebdomadaire « doit avoir une durée minimale de vingt quatre heures consécutives, auxquelles s’ajoutent les heures du repos quotidien minimum », soit de onze heures. Enfin l’article L3132-3 détermine que « dans l’intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche ».  De plus, le droit au repos a valeur constitutionnelle suivant l’alinéa 1er du préambule de la constitution de 1946 et a été garanti par l’article 5 de la directive 93/104 du 23 novembre 1993 (aujourd'hui directive 2003/88 de 2003).

 

En Allemagne, le concept du temps de repos et de sa protection  (« Schutz der Arbeitsruhe ») a été introduit par le législateur en 1919. La fermeture des magasins le dimanche était considérée, à l’époque, comme un but sociopolitique et envisagé également comme une protection légale des salariés.  Le dimanche devait constituer une journée de repos, dans le but de limiter et réduire le temps de travail des employés. Le dimanche fut donc institué comme jour de césure, permettant aux salariés de conserver leur santé mentale et leur effectivité au travail (« Tage der Arbeitsruhe und der seelischen Erhebung »). Les termes utilisés sont différents de ceux employés en droit français, et difficilement traduisibles pour certains, mais recouvrent exactement la même idée, celle de la protection du salarié.

 

Ce principe fut consacré, au sein de la « Bundesrepublik », au travers d’une multiplicité de lois. La loi fondamentale « Grundgesetz », par son article 140 associé à l’article 139 WRV (weimarer Reichsverfassung), en érige un principe constitutionnel : « L’institution du dimanche comme jour de repos édifie un droit protégé constitutionnellement, comme élément fondamental de la vie sociale commune (« sozial Zusammenleben ») et de l’ordre étatique ».

En 1954, fut ensuite instituée, une loi concernant la fermeture des magasins, appelée « LadenschlussGesetz », qui traitait de manière plus spécifique les heures d’ouverture et de fermeture, ainsi que le temps de travail des salariés, toujours dans l’optique de leur protection (« Arbeitsschutz »).

Enfin, comme loi spéciale de limitation du temps de travail, notamment le dimanche, est entrée en vigueur le 6 juin 1994, la loi sur le temps de travail (« ArbeitszeitGesetz »), qui nous intéresse ici plus particulièrement. Par son instauration, la protection de droit public du temps de travail  s’est étendue à tous les salariés, ainsi qu’à tous les domaines d’activités. Le principe d’interdiction du travail dominical a été consacré dans son §9 al1 ArbZG, suivant lequel « les salariés ne doivent pas travailler plus de 24 heures consécutives (de 0 à 24h)  les dimanches et jours fériés ». Le §5 ArbZG visant quant à lui le repos quotidien de 11 heures venant s’ajouter aux 24 heures consécutives.

L’article allemand est plus large que les articles français du code du travail, dans le sens où il comprend non seulement le dimanche, mais également les jours fériés dans sa réglementation. Il est moins spécifique d’autre part, puisqu’il fond dans un seul article le principe du repos dominical ainsi que sa durée ; sans pour autant mentionner tel que le fait l’article L3132-1, la définition exacte du repos hebdomadaire.  

Sont concernés tous les salariés hommes et femmes, au dessus de 18 ans.

Est donc interdite la prestation de travail du salarié, en ce qu’elle s’entend par toute prestation en rapport avec une activité professionnelle, où le salarié se trouve en état  de subordination ; qu’il se situe dans l’entreprise ou à l’extérieur de celle-ci.

A côté de la protection du temps de travail du salarié, cette stipulation vise de manière plus générale, une garantie homogène et globale dans l’intérêt de la communauté. 

 

Le dimanche constitue, ainsi, aussi bien en droit français qu’en droit allemand, la possibilité d’avoir un jour de repos commun pour tous, la liberté de pouvoir se retrouver en famille (artikel 6 GG), de mener une vie sociale collective et la possibilité de l’exercice d’activités de loisirs. Ce qui implique la protection des intérêts du salarié, dans le sens où peut être garantie sa santé physique, psychique et son effectivité au travail (« Regeneration der physischen und psychischen Arbeitskraft » artikel 2 GG). Les deux systèmes juridiques divergent simplement, quant à la nature de certaines sources garantissant le repos dominical. Les droits ont, en effet, tous deux des principes à valeur constitutionnelle et ont appliqué tous deux l’article 5 de la directive 2003/88. La différence s’établit, plutôt, quant aux sources nationales, puisque la « LadenschlussGesetz » et la« Arbeitszeitgesetz » sont considérées comme des lois spéciales de la réglementation du temps de travail, contrairement aux articles du code du travail français, qui sont de portée générale.

 

b) Les multiples dérogations : une complexification du système

 

Le principe d’interdiction du travail dominical a trouvé ses limites par les maintes dérogations, qui ont été mises en place dans les systèmes allemand et français, au fil des années. Si bien, que la multiplication de ces dérogations semble aussi bien complexifier le régime en France qu’en Allemagne.

 

Le droit français met en place divers types de dérogations. « A titre exceptionnel et temporaire, elles sont prévues par les articles L3132-4 et suivants du code du travail, en raison des circonstances ou de la nature particulière de l’entreprise » (G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 28e ed., 2013,p. 859).

Dès lors, trois grandes catégories sont à distinguer, à savoir les dérogations permanentes, les dérogations fixées par voie conventionnelle et les dérogations obligatoirement soumises à l’autorité administrative.

Les dérogations permanentes sont fixées par la loi ou par décret et sont prévues à l’article L3132-12 et suivant du code du travail. Elles se divisent en deux sous catégories ; il existe des dérogations liées aux contraintes de production ou aux besoins du public et des dérogations dans les commerces de détail alimentaire. Certaines entreprises, « dont le fonctionnement et l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public peuvent bénéficier d’une dérogation au repos dominical, sans avoir besoin d’autorisation administrative ; le repos hebdomadaire étant alors attribué par roulement »[1]. L’article L3132-13 du code du travail permet, quant à lui, aux commerces de détail alimentaire, d’ouvrir jusque 13 heures.

Les dérogations conventionnelles prévoient le travail en continu pour des raisons économiques, c'est-à-dire l’attribution du repos par roulement et des équipes de suppléance. Ces possibilités découlent des articles L3132-14 et suivants et L3132-16 du code du travail.

Enfin, les dérogations sur autorisation administrative peuvent être accordées par décision préfectorale ou par décision du maire, et sont prévues par l’article L3132-20 du code du travail, le plus souvent pour des activités en relation avec le public. Sont visées les dérogations préfectorales afin d’éviter un préjudice au public ou au fonctionnement normal de l’établissement, les dérogations dans les zones dites « périmètre d’usage de consommation exceptionnel » (Puce) (introduites par la loi du 10 août 2009 « pour les unités urbaines comportant plus de un million d’habitants, c'est-à-dire les grands centres commerciaux en périphérie des très grandes villes »[2]), les dérogations de droit dans les communes d’intérêt touristique ou thermale et dans certaines zones touristiques du territoire ; et les dérogations accordées par le maire dans les commerces de détail (cinq dimanches par an).

On peut dès lors constater que le droit français met en place « huit catégories différentes de dérogations, faisant intervenir selon les cas, soit la seule volonté de l’entreprise, soit des partenaires sociaux, des salariés, du préfet ou du maire. L’émiettement géographique du droit applicable n’en est que très contestable, puisque certaines entreprises situées dans le même périmètre se voient appliquer un régime différent »[3].

C’est ainsi, que l’on peut observer une incohérence majeure du système en place. Il existe, en effet, actuellement plus de 180 cas de dérogations. La loi du 10 août 2009 était venue justement, à ce propos, réformer les dérogations existantes, mais les a seulement maintenues et étendues ; ce qui les a complexifié davantage. Ce qui fût très critiqué par la doctrine.

 

Le droit allemand, quant à lui, consacre, dans le §10 al1 à 4 ArbZG, la possibilité de déroger au principe du repos dominical en travaillant le dimanche, pour des domaines bien déterminés. Seize catégories d’activités professionnelles sont envisagées, telles que les services d’urgence et de secours, les hôpitaux, les tenues de spectacles, l’activité religieuse… Par contre ne sont pas envisagées comme en droit français les activités d’ameublement ou de bricolage (activité, pour cette dernière, introduite comme dérogation par le décret gouvernemental français en date du 7 mars 2014). Le droit allemand se rapproche du droit français en ce qu’il prévoit des dérogations légales permanentes (§10 ArbZG), qui ne nécessitent pas d’autorisation administrative préalable, mais également des dérogations conventionnelles (§12 ArbZG). Cependant, il s’en détache en ce qu’il pose dans son §11 ArbZG l’obligation de laisser libres au moins 15 dimanches par an. C’est l’entreprise entière qui doit se reposer (« gesamte Betrieb ruhen muss »). Cela permet de garantir un certain roulement pour les activités, qui nécessitent de faire travailler les employés régulièrement le dimanche, telles que les activités saisonnières. D’autre part, selon le §11 al 3 ArbZG le salarié doit pouvoir bénéficier d’un jour de congé pour chaque dimanche ouvré. Néanmoins, les dérogations conventionnelles permettent d’élargir le champ des activités concernées et de réduire le nombre de dimanches, qui doivent rester libres au cours de l’année, affirmant un recul certain du principe de repos. Ce recul s’intensifie d’autant plus, que le droit allemand fait toujours primer la liberté d’entreprendre des employeurs suivant les articles 12 et 14 GG, ainsi que leur pouvoir de direction au sein de l’entreprise. 

 

On peut ainsi constater, que le nombre croissant de dérogations laisse entrevoir la disparition du repos dominical aussi bien en France qu’en Allemagne. Cependant, il faut noter que le système allemand de dérogations est mieux établi et plus clair que le système français, où l’on se perd suivant les différentes catégories, qui comportent encore elles-mêmes des sous catégories. En restant plus général et ne rentrant  pas dans les spécificités du droit français, le système allemand reste beaucoup plus compréhensible et cohérent.  

 

Le droit français et le droit allemand se rapprochent ainsi, seulement dans le sens où les dérogations sont à peu près de même origine concernant leurs sources légales et conventionnelles, et dans le sens où elles ne vont cesser de se multiplier, à l’avenir, pour satisfaire les exigences du contexte socio-économique. Ce qui engendre de nombreux débats doctrinaux, juridictionnels et politiques.

 

2. Un sujet délicat et épineux : critiques doctrinales, juridictionnelles et politiques

 

Le travail dominical reste un sujet d’actualité, puisqu’il oppose intérêts économiques des grandes sociétés commerciales et intérêts des salariés, à savoir la possibilité de mener une vie sociale et familiale, de manière commune, au moins une fois par semaine. Il a conduit à une évolution textuelle et jurisprudentielle, selon les systèmes juridiques français et allemand, puis engendré de manière systématique de vives critiques. La question reste alors de savoir, quel avenir lui sera voué.

 

a) L’évolution en France et en Allemagne

 

Du côté de la France, une première étape de la rénovation du régime du travail dominical a été franchie par la loi du 10 août 2009, qui, réformant les dispositions relatives au travail dominical, a permis une extension des dérogations au principe d’interdiction du travail le dimanche, notamment avec « les Puce » et au moins pour les commerces des zones touristiques et des grandes agglomérations. Certes, l’objectif était, en premier lieu, de réaffirmer le principe de repos dominical en aménageant les limitations et dérogations, qui pouvaient lui être apportées. Les promoteurs de cette loi avaient tenu comme arguments, la nécessité de tenir compte de l’évolution des modes de vie et des demandes des consommateurs ; ainsi que l’effet positif sur l’emploi et les revenus. Cependant, en régularisant un certain nombre d’ouvertures le dimanche, qui étaient alors irrégulières, elle a abouti à faire reculer le principe de repos et de vie familiale, en faisant perdre toute cohérence au système des dérogations en place.

Elle fait ainsi l’objet de vives critiques de la doctrine, puisque les auteurs estiment qu’elle a contribué à faire complètement exploser le système établi, puisque n’a pas été réellement recherchée une simplification du dispositif ; qui demeure pour eux, aussi complexe qu’auparavant. Elle serait notamment un facteur de destruction d’emplois dans le commerce de proximité[4].

Plus tard, comme seconde étape est intervenu le rapport Bailly du 2 décembre 2013, intitulé « Rapport sur la question des exceptions au repos dominical dans les commerces : vers une société qui s’adapte en gardant ses valeurs ». Il envisage quatre propositions. D’une part, « il faudrait rétablir la cohérence des dérogations au repos dominical, en les limitant aux activités et commerces considérés comme essentiels au fonctionnement de la société le dimanche, à savoirs les secteurs de la santé, de la sécurité, des transports et activités de loisirs, détente, culture et sport. Ce qui exclurait les secteurs de l’ameublement et du bricolage »[5]. Dans un second point, est prévu que le dispositif des cinq dimanches ouvrés par an passe à douze pour les commerces de détail. Dans une troisième proposition, est envisagée la suppression des puces et des zones touristiques, pour leur remplacement par des PACC (périmètres d’animation concertés commerciaux) et des PACT (périmètres d’animation concertés touristiques), au sein desquels les commerces pourront être autorisés à déroger au repos dominical de manière structurelle (sous réserve de la conclusion d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale de l’employeur approuvée par les salariés). Enfin, le quatrième point prévoit de préserver l’équité de traitement des salariés travaillant le dimanche dans les PACC et PACT. Les salariés devront être volontaires et d’autre part bénéficier de compensations.

Ce rapport souleva également beaucoup de critiques au sein de la doctrine, considérant qu’il ne résout pas le problème « des nombreuses inégalités ». Le dispositif ne garantirait pas, dès lors, un équilibre véritable entre le respect du repos dominical, les évolutions de la consommation et la protection des salariés. La simplification semble pour les auteurs, toute relative. Le rapport Bailly laisserait, selon eux, une trop grande marge de manœuvre aux grands groupes commerciaux. Le seul point positif soulevé, est celui de retirer les secteurs du bricolage et de l’ameublement après le 1er juillet 2015 de la liste de dérogations (le secteur du bricolage resterait jusque cette date dans la liste à titre transitoire, pour calmer la situation conflictuelle actuelle en Ile-de-France).

 

Toutefois, sur ce point, est entré en vigueur le 9 mars 2014 le décret gouvernemental en date du 7 mars n°2014-302, autorisant l’ouverture des magasins de bricolage le dimanche en application de l’article L3132-12 du code du travail, non plus à titre temporaire, mais bien à titre permanent. Le conseil d’état avait, en effet, suspendu suite à la demande d’organisations syndicales, le précédent décret n°2013-1306 du 30 décembre 2013, car il ne prévoyait pas de caractère permanent, mais seulement un caractère temporaire.

Les organisations syndicales saisirent de nouveau le conseil d’état le 12 mars pour demander l’annulation du nouveau décret, estimant que celui-ci était entaché des mêmes irrégularités que le précédent.

 

Néanmoins cette fois-ci, le conseil d’état rejette dans une ordonnance en date du 10 avril 2014, la demande des syndicats de la suspension du décret gouvernemental en date du 7 mars 2014, sur l’ouverture des établissements de vente au détail d’articles de bricolage le dimanche.

 

Par conséquent, à l’heure actuelle, la doctrine française considère que les dérogations ne font qu’augmenter et s’amplifier, que dès lors, le dispositif en place n’en est que plus complexe et génère des inégalités, tant du côté des salariés employés le dimanche, que du côté des entreprises en concurrence.

 

Du côté allemand, le système du travail dominical se veut cohérent, mais l’est il vraiment ?  Depuis 2006, suite à « la reforme du fédéralisme » (« Föderalismusreform ») la « Grundgesetz » fut modifiée.  Le but a été de transférer la compétence du Bund aux Länder, concernant la fermeture des magasins (« Ladenschluss »). En effet, ce domaine relevait, jusqu’alors, d’une compétence partagée selon les articles 74 al 1 n°11 et 72 GG. Désormais, seuls les Länder sont compétents en cette matière, selon l’article 74 al1 n°11 et 70 GG. La loi peut ainsi différer sur l’ouverture le dimanche, suivant le Land dans lequel elle est appliquée, tant que les limites constitutionnelles qui ont été posées et garantissant une certaine protection, sont bien respectées. De plus, par ce transfert de compétence, la plupart des Länder, à l’exception de quelque uns, souhaitent augmenter le nombre d’ouvertures de magasins le dimanche.  Ce qui implique une complexification du régime juridique du travail dominical (entraînant une disparité suivant les Länder) et ferait semble t’il reculer le principe d’interdiction, posé initialement comme règle dominante. Car normalement, les dérogations au principe d’interdiction du travail dominical ne devaient rester qu’exceptionnelles, selon la conception allemande.

 

D’autre part, on constate une  divergence imminente dans la jurisprudence allemande entre BundesverfassungsGericht (cour constitutionnelle) et BundesArbeitsGericht (tribunal fédéral du travail). Le Bundesverfassungsgericht envisage le repos dominical comme principe constitutionnel et comme cas d’usage (« Normal Fall »). Il le souligne de manière formelle, en reconnaissant l’interdiction de travailler le dimanche comme fonction sociétale ; le repos symbolisant une garantie importante dans un monde quotidien, où règne l’activité économique et dans lequel on peut constater l’érosion des valeurs familiales et sociales avec le travail dominical (BverfG, NVwZ 2010, 570, Rdnr 138 et 144).   

Le Bundesarbeitsgericht applique au contraire sa jurisprudence en faveur du pouvoir de direction de l’employeur (BAG 23.06. 1992, NZA 1993, 89 (91)). Il considère, quant à lui et contrairement à la cour constitutionnelle, que le travail dominical constitue le cas d’usage (toujours « Normal Fall ») ; et souligne le fait que les salariés sont fondamentalement dans l’obligation de produire une prestation de travail, également le dimanche (BAG, NZA 2009, 1333=NJW 2010, 394, Rdnrn 41 ff.).

Ce qui donne une vue d’ensemble peu cohérente de la jurisprudence allemande, puisque normalement le BAG devrait se tenir au propos du BverfG (car il garantit l’ordre constitutionnel).

 

Par conséquent, les systèmes français et allemand font l’objet tous deux de critiques, cependant sur des bases divergentes. Suivant le modèle français, les critiques sont établies principalement par la doctrine, concernant le problème de l’extension des dérogations, qui ne garantissent pas pour autant une contrepartie suffisante aux salariés. Suivant le modèle allemand, les critiques sont formulées plutôt par le Bundesverfassungsgericht ainsi que par la doctrine, consacrant le principe de repos dominical comme principe fondamental et de cas d’usage (« Normal Fall »).  

 

b) L’avenir du travail dominical

 

En France, un projet de loi, portant réforme du travail dominical, devrait être votée d’ici fin 2014 après une période de concertation, sur la base du rapport Bailly en date du 2 décembre 2013. L’avenir qui est voué à celui-ci reste encore discutable. En effet, le ministre des affaires étrangères français, Laurent Fabius, s’est exprimé ces dernières semaines et semble favorable au travail le dimanche pour des questions commerciales, notamment concernant le secteur touristique. Il s’agirait, selon lui, « de rééquilibrer la balance commerciale grâce au tourisme, dont le poids dans l’économie française représenterait 7% des emplois ». L’ouverture des magasins serait naturellement compensée pour les salariés.

 

En Allemagne un article de doctrine[6] s’avère être assez intéressant, concernant l’évolution du temps de  travail au travers des nouvelles technologies. En effet, les salariés, notamment les cadres, sont de plus en plus reliés à leur travail, si bien qu’ils peuvent être joignables via Smartphones professionnels ou par mails, quasiment sept jours sur sept. En essayant d’appâter ses salariés avec du matériel de communication actuel et de haute définition, l’employeur s’assure une « sur-effectivité » de ses employés, ceci pour pouvoir effectuer des profits avec une plus grande marge. Ce qui contreviendrait au principe de repos (« Ruhezeit ») énoncé au §5 ArbZG, ainsi qu’au principe du §9 al 1 garantissant le repos dominical. Cependant, le système est encore bien contrôlé et les abus de ce type sont sanctionnés. Il faut donc, encore pour l’instant, être vigilant et respecter les limites posées par la loi.

 

Toutefois, il faut comprendre que la société de consommation actuelle, animant de grands acteurs économiques et s’appuyant sur les évolutions des pratiques de consommation, conduit à repousser les limites du droit du travail posées jusqu’à présent et conduit à effacer progressivement les principes de temps de repos, qui étaient considérés, jusqu’alors, comme principes fondamentaux pour la santé des salariés. Ceux-ci, devraient plutôt bénéficier de garanties plus élevées en contrepartie de leur prestation de travail le dimanche. Néanmoins, l’évolution des modes de vie mènera forcément dans le futur à réfléchir sur une refonte du système.

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

 

1. Ouvrages généraux

 

a) Droit français

 

G. AUZERO, E. DOCKES, Droit du travail, Précis Dalloz, 28e ed., 2013

 

E. PESKINE, C. WOLMARK, Droit du travail, Dalloz Hypercours, 8e ed., 2014

 

b) Droit Allemand

 

DÄUBER, HJORT, SCHUBERT, WOLMERATH, Arbeitsrecht, 2. Auflage, 2010, Nomos Kommentar

 

HAHN, PFEIFFER, SCHUBERT, Arbeitszeitrecht, 1. Auflage, 2014, Nomos Kommentar

 

NEUMANN, BIEBL, Arbeitszeitgesetz, Beck’sche Kommentare zum Arbeitsrecht, 16. Auflage, 2013, C.H. Beck München

 

2. Doctrine

 

a) Droit français

 

N. DAUXERRE, « Violation de la législation sur le repos dominical », JCP S n°5, 4 février 2014, act. 58

 

M. VERICEL, « Le rapport Bailly sur le travail le dimanche : simplification limitée et subsistance des inégalités », RDT 2014, p.51

 

M. VERICEL, M. D’ALLENDE, « Faut-il assouplir les règles relatives au travail dominical ? », RDT 2013, p.675

 

M. VERICEL, « La loi du 10 août 2009 relative au travail dominical : réaffirmation du principe du repos dominical ou généralisation du travail le dimanche ? », RDT 2009, p.573

 

Rédaction Lextenso, « Rapport sur le travail dominical », Gazette du Palais, 7 janvier 2014, n°7, p.4

 

Rédaction Lexis Nexis, «  Le travail dominical de nouveau autorisé pour les magasins de bricolage », JCP S n°11, 18 mars 2014, act. 108

 

Rédaction Lexis Nexis, « Les conditions de recours au travail de nuit sont conformes à la Constitution, pas l’effet suspensif du recours contre les dérogations préfectorales au repos dominical », JCP S n°15, 15 avril 2014, act. 158

 

 

 

b) Droit allemand

 

FALDER, „Immer erreichbar- Arbeitszeit in Zeiten des Technologischen Wandel“, NZA 2010, 1150

 

KINGREEN, PIEROTH, „Verfassungsrechtliche Grenzen einer Aufhebung der Ladenschlusszeiten“, NVwZ 2006, 1221

 

PREIS, ULBER, „Direktionsrecht und Sonntagsrecht“, NZA 2010, 729

 

SCHMITZ, „Die Ladenöffnung nach der Föderalismusreform“, NVwZ 2008, 18

 

3. Textes légaux

 

Code du travail : articles L3132-1 et suivants

Arbeitszeitgesetz (ArbZG) : §§ 9, 10, 11, 12

Grundgesetz (GG): Artikel 140

Weimarer Reichsverfassung (WRV) : Artikel 139

Rapport Bailly en date du 2 décembre 2013

Décret gouvernemental en date du 7 mars 2014 n°2014-302

Ordonnance du conseil d’état en date du 10 avril 2014

 

4. Sites internet

 

http://travail-emploi.gouv.fr/informations-pratiques,89/fiches-pratiques,91/duree-du-travail,129/le-travail-du-dimanche,1018.html

 

http://www.service-public.fr/actualites/002835.html

 

http://www.conseil-etat.fr/fr/communiques-de-presse/ouverture-dominicale-des-magasins-de-bricolage.html

 

http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/04/23/laurent-fabius-relance-le-debat-sur-le-travail-du-dimanche_4405703_3234.html

 

www.bundesarbeitsgericht.de(BAG Urteile und Pressemitteilung)

 

www.beck-online.beck.de

 

www.dalloz.fr

 

www.legifrance.fr

 

www.lexisnexis.fr

 

 




[2] E. PESKINE, C. WOLMARK, Droit du travail, Dalloz Hypercours, 8e ed., 2014

 

[3] M. VERICEL, M. D’ALLENDE, « Faut-il assouplir les règles relatives au travail dominical ? », RDT 2013, p.675

 

[4] M. VERICEL, « La loi du 10 août 2009 relative au travail dominical : réaffirmation du principe du repos   dominical ou généralisation du travail le dimanche ? », RDT 2009, p.573

 

[5] Rédaction Lextenso, « Rapport sur le travail dominical », Gazette du Palais, 7 janvier 2014, n°7, p.4

 

[6] FALDER, „Immer erreichbar- Arbeitszeit in Zeiten des Technologischen Wandel“, NZA 2010, 1150