Le juge et l’arbitre à l’échelle internationale : je t’aime, moi non plus ? Par Marine Leonardis

De nombreux instruments internationaux, à l’instar de la Convention de New York de 1958, visent à favoriser l’essor de l’arbitrage par une meilleure reconnaissance et donc exécution des sentences arbitrales dans un ordre juridique étranger. A travers l’analyse des législations de plusieurs Etats membres de l’Union Européenne, nous ferons ressortir les traits d’une relation complexe entre le juge étatique et l’arbitre en matière d’arbitrage international.

De nombreux instruments internationaux ont œuvré à la réglementation de l’arbitrage international et à son harmonisation. Parmi les plus connus figurent la Convention de New York de 1958 (CNY), presque considérée comme universelle en raison de sa ratification dans plus de 140 Etats, la Convention Européenne de 1961, la Convention de Washington de 1965 et la loi-type de la CNUDCI (Convention des Nations Unies pour le droit du commerce international) datant de 1985. Le but de ces instruments internationaux est l’harmonisation des législations en matière d’arbitrage afin de voir les sentences rendues dans un Etat exécutées dans un autre. L’enjeu de cette harmonisation est important ; les Etats se doivent en effet de répondre à l’engouement des acteurs économiques mondiaux pour cette méthode alternative de règlement des conflits. Toutes les étapes de la procédure arbitrale ont été prises en compte dans la CNY. La loi-type de la CNUDCI de 1985 avait pour but d’éviter les divergences entre les Etats au moment de l’intégration des normes internationales dans leurs ordres juridiques. Si cette volonté a été respectée dans ses grandes lignes, il subsiste pourtant des différences législatives au sein des Etats ; sans parler des pays où la culture juridique en matière d’arbitrage explique des divergences majeures, tels les Etats issus de l’éclatement du bloc soviétique, il persiste à l’échelle européenne des différences tant au niveau du respect du choix des parties quant aux normes procédurales applicables qu’au niveau de l’exécution des sentences ; c’est donc non seulement dans une perspective de droit international privé et comparé que nous étudierons ces différences, mais aussi au regard de la coopération entre le juge national de différents Etats et l’arbitre issu d’un autre ordre juridique désirant voir sa décision exécutée. Le juge et l’arbitre sont de facto soumis à un dialogue permanent, pour reprendre l’expression du professeur Leval, chacun des deux acteurs devant plier tour à tour face aux prérogatives et exigences de l’autre. Nous étudierons donc non seulement comment les juridictions étatiques et arbitrales peuvent entrer en concurrence dès l’instant où il convient de statuer sur la validité de la convention compromissoire ou de déterminer les règles de droit auxquelles le traitement des litiges arbitraux est soumis, mais aussi dans quels cas le juge et l’arbitre sont amenés à réellement coopérer, le juge national devenant juge d’appui et de recours pour l’arbitre.

Une harmonisation à l’épreuve des spécificités du droit français ?

La volonté des parties ; le choix du droit applicable

Plusieurs caractéristiques de l’arbitrage expliquent son succès ; l’arbitrage est discret, aboutit souvent plus rapidement qu’un litige porté devant les juridictions étatiques, mais il est surtout le fruit d’un accord entre plusieurs parties à un contrat quant au règlement des litiges existants ou à venir. Or, lorsque les parties ont elles-mêmes déterminé la composition d’un tribunal et la procédure selon laquelle leur conflit sera tranché, elles sont souvent plus enclines à exécuter la sentence. Un enjeu majeur de la convention arbitrale est la détermination par les parties du siège du tribunal arbitral et de la loi applicable en matière de procédure, qui permet de déterminer quelle sera la juridiction d’appui et de recours du tribunal arbitral. Nous reviendrons ultérieurement sur ces notions, il convient pour l’instant juste de comprendre que la juridiction d’appui sera par exemple chargée de la composition du tribunal, interviendra aussi en matière de mesures conservatoires, ce qui lui donne un rôle prépondérant dans le traitement du litige. Dans la majorité des ordres juridiques, l’arbitre tranche le litige selon la loi d’arbitrage de son siège (§ 1025 I Zivilprozessordnung, ZPO, code de procédure civile allemand) ; le droit allemand, à cet égard, est le reflet d’une pratique établie internationalement. Les parties ont tout de même, en France comme dans nombreux autres ordres juridiques, la possibilité de choisir le lieu de l’arbitrage et de soumettre la convention et la procédure à la loi de leur choix. Le critère de rattachement de la loi applicable au siège du tribunal n’existe en Allemagne que depuis la modernisation de son droit de l’arbitrage de 1997. Auparavant, celui-ci connaissait le même critère de rattachement que le droit français, qui prévoit que « pour les parties à l’arbitrage se déroulant en France ou pour ceux à l’égard desquels les parties ont prévu l’application de la loi de procédure française », le président du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, ayant compétence exclusive depuis un arrêt du 7 mars 2000, est susceptible d’intervenir dans la composition du tribunal (art. 1493 al. 2 NCPC). Le rattachement en fonction de la loi de procédure n’existe plus en droit allemand, et du fait de sa seule existence en France peut conduire à certaines difficultés risquant de mettre en péril une administration cohérente de la justice arbitrale. Un cas d’espèce permet de mieux appréhender ce problème ; une clause compromissoire soumet le litige aux règles procédurales françaises et désigne Berlin comme lieu du tribunal. Les juridictions française et allemande pourraient toutes deux être saisies en tant que juridiction d’appui en cas de litige quant à la composition du tribunal ; le juge allemand se fondera sur le critère de rattachement du siège, le juge français lui opposera le choix de la procédure française. Il ne s’agit pas ici de la seule spécificité du droit français ; le régime de la clause compromissoire en est une autre illustration.

L’autonomie de la clause compromissoire

La clause compromissoire, expression de la volonté des parties, se trouve à l’origine de l’arbitrabilité du litige. Elle est universellement consacrée comme autonome, ainsi que l’a confirmé la loi type CNUDCI. Ce principe d’autonomie de la clause résulte en droit français d’un arrêt de la Cour de Cassation du 7 mai 1963 (ets Gasset c. Caparelli). Dans la plupart des autres ordres juridiques, ce principe est la conséquence de dispositions législatives ; à titre d’exemple, l’Espagne l’a intégré dans sa récente modernisation du droit en matière d’arbitrage (art. 22 de la loi 60/2003). La consécration universelle de l’autonomie de la clause n’a d’autre but que de permettre aux arbitres et aux juridictions nationales une interprétation uniforme de son régime et ainsi d’éviter que le juge et l’arbitre ne se retrouvent dans un rapport de concurrence par le biais de décisions contradictoires. Le droit français, à ce titre, présente des spécificités susceptibles de mettre en difficulté les finalités de l’harmonisation. Il faut pour cela analyser les effets de la clause compromissoire. L’autonomie de la clause compromissoire a deux conséquences non négligeables ; d’une part, la clause compromissoire est valable même si le contrat principal est entaché d’un vice de tout type à l’exception de ceux ayant trait au consentement des parties. La clause peut être soumise à un droit différent de celui du siège du tribunal ; on parle alors d’effet positif de l’autonomie de la clause. D’autre part, ce principe désigne, par son effet négatif, le pouvoir des arbitres de statuer sur leur propre compétence et l’obligation qui en découle pour les tribunaux étatiques de n’examiner cette question que dans un cadre bien déterminé, comme le contrôle d’une éventuelle caducité de la clause ou l’existence d’une difficulté ultérieure d’exécution (art. 8 de la loi type CNUDCI). Les droits français et espagnol vont très loin dans leur interprétation de l’autonomie de la clause puisqu’ils admettent même respectivement depuis l’arrêt Dalico de 1993 et par l’art. 9.6 de la loi 60/2003 qu’une clause compromissoire est présumée valide sur la base de la seule intention des parties, c’est-à-dire que la clause compromissoire ne serait soumise aux exigences d’aucune loi étatique. Or, le régime de la clause compromissoire n’a pas pour but de la rendre autonome par rapport à la loi, mais par rapport au contrat principal, ainsi la grande majorité des dispositions législatives des autres ordres juridiques. Tout semble ainsi mis en œuvre en France et en Espagne pour favoriser l’arbitrage international par le biais de la validité de la clause compromissoire. Toutefois, l’arrêt Dalico de la Cour de Cassation pose une limite à cette prétendue libéralité ; les règles impératives du droit français et de l’ordre public international s’appliquent, ce qui conduit, comme le fait remarquer le Professeur Poudret, « à faire échapper l’appréciation de la validité de la convention d’arbitrage aux particularismes locaux ». Certes, cette conception française permet la validité de nombreuses clauses et ainsi l’essor de l’arbitrage par la reconnaissance de la volonté des parties de soumettre leur litige devant l’arbitre ; une partie de la doctrine parle toutefois « d’empirisme juridique », puisque dans le cas où une sentence étrangère devrait être appliquée en France, il risque d’être fait peu de cas non seulement des conceptions juridiques du siège du tribunal arbitral, écartées au profit des règles matérielles du droit français, mais aussi de la volonté des parties de soumettre le litige à un tribunal donné et donc de se soumettre à la loi de son siège. Paradoxalement, il s’agissait à l’origine de promouvoir cette même volonté. Il ne s’agit pas de la seule spécificité du droit français quant à la clause compromissoire ; en effet, en matière de forme de la clause, certaines législations diffèrent.

Une exigence de forme ?

L’art. II al.2 CNY, subordonne la validité de la convention d’arbitrage à la forme écrite où, du moins, à la preuve de celle-ci par un ou plusieurs écrits. Cette condition a été adoptée telle quelle par la grande majorité des Etats, certains adaptant toutefois les dispositions de la CNY au profit d’une approche audacieuse du droit de l’arbitrage. Le droit espagnol, devançant les évolutions en la matière, admet même les conventions d’arbitrage établies sous forme électronique (art.9.3 de la loi 60/2003). Les droits suédois, norvégiens et finlandais, où la tradition orale subsiste, et le droit français n’ont toutefois pas repris cette exigence de forme. Ici apparaît pour la première fois un nouvel aspect de la réglementation en matière d’arbitrage ; les Etats, conscients de l’intérêt des acteurs commerciaux pour l’arbitrage, se dotent de dispositions visant à attirer vers eux les cocontractants, faisant parfois peu de cas de la finalité de l’harmonisation, à savoir une cohérence législative en matière de justice arbitrale. Si une partie demande, à titre d’exemple, à un tribunal arbitral allemand appliquant la loi de son siège de statuer sur la validité d’une clause orale soumise aux règles procédurales françaises, alors le juge, en se fondant sur le § 1031 ZPO déclarera qu’aucune clause ne porte le litige devant un tribunal arbitral; le juge français, quant à lui, se déclarera sans pouvoir de juridiction puisqu’une clause orale, dont certains documents attestent de l’existence, donne compétence à un arbitre. Dans un tel cas d’espèce, le risque encouru est alors le déni de justice, lui aussi opposé aux finalités de l’harmonisation. A nouveau le juge et l’arbitre se retrouvent confrontés à la volonté du législateur de rendre son droit en matière d’arbitrage plus attractif que celui de Etats environnants ; malencontreusement, il revient donc de facto aux parties de prendre leurs précautions au moment du choix des dispositions applicables à la convention et du lieu de l’arbitrage, ce qui pose une limite à la liberté contractuelle, élément fondamental de la justice arbitrale expliquant initialement son succès. Toutefois, l’arbitre ne trouve seulement dans la personne du juge un obstacle à l’effectivité de la juridiction arbitrale mais aussi un soutien ; c’est à travers les différentes actions à la disposition des parties au litige que cette relation doit être analysée.

La juridiction étatique, appui et recours de l’arbitre

La composition du tribunal

Nous avons vu que le juge national intervient dans la procédure dès la composition du tribunal lorsqu’aucune stipulation de la convention ne la prévoit expressément ou que cette stipulation est nulle. Le droit positif français prévoit la désignation d’un ou plusieurs arbitres en nombre impair (art.1453 NCPC). Le droit allemand, lui, désigne trois arbitres (§ 1034 I ZPO). Notons que le droit espagnol, soucieux de simplifier la procédure et d’en alléger les coûts, prévoit la nomination d’un seul arbitre dans ce cas. Le juge national agit alors en juge d’appui, puisqu’il contribue à rendre effective la clause compromissoire sur demande des parties et favorise l’aboutissement de la procédure.

Les mesures provisoires et conservatoires

Il ne s’agit naturellement pas ici de la seule intervention du juge dans la procédure arbitrale ; le tribunal peut demander l’appui de la juridiction judiciaire lorsqu’il est nécessaire pour lui de prononcer des mesures provisoires et conservatoires ; en effet, la juridiction étatique peut avoir un rôle irremplaçable en raison de la nature des mesures et afin de garantir leur efficacité. Ainsi, une grande majorité d’Etats reconnaissent aux tribunaux arbitraux compétence pour agir en référé, c’est-à-dire ordonner des mesures provisoires et conservatoires, mais l’intervention du juge étatique n’est pas exclue. Le droit belge et le droit français sont deux illustrations de cette idée ; en droit belge, le juge peut ordonner des mesures conservatoires et provisoires, à l’exception de celles nécessitant l’imperium, à l’instar de la saisie conservatoire (art. 1679 I et II du Code judiciaire belge). Le référé de l’arbitre, conventionnel, a en outre priorité sur le référé judiciaire, sauf dans les cas où ce dernier peut seul garantir l’ordonnance de la mesure et son exécution. Le droit français, lui, distingue les mesures conservatoires des mesures provisoires ; dans un arrêt du 20 novembre 1981, la Cour d’Appel de Paris a estimé que l’autorité de la chose jugée conférée à une sentence arbitrale ne s’attache qu’à ce qui a été définitivement jugé, excluant ainsi les mesures provisoires des prérogatives de l’arbitre. A l’inverse, un arrêt de la Cour d’Appel de Dijon du 23 avril 2002 confirme la compétence de l’arbitre en matière de mesures purement conservatoires. En outre, tout comme en droit belge, le juge français cède devant l’arbitre puisqu’il doit, sauf exception, se déclarer incompétent pour de telles mesures dès lors qu’un tribunal arbitral est saisi. Dans les deux ordres juridiques étudiés, le juge n’intervient que si l’arbitre ne dispose pas de suffisamment de moyens ; il y a donc une certaine cohérence dans la répartition des rôles et une coopération évidente, le juge judiciaire soutenant si nécessaire les décisions de l’arbitre.

La reconnaissance et l’exécution des décisions

Plus en aval de la procédure, le juge et l’arbitre sont à nouveau mis en relation, dès qu’il s’agit de reconnaître la sentence pour ensuite l’exécuter. La partie demandant l’exécution doit établir l’existence d’une sentence arbitrale et en apporter sa traduction (art. 1498 et 1499 NCPC). L’exigence d’une traduction n’a pas été reprise en droit allemand. Une action en exécution de la sentence tout autant qu’un recours formé à l’encontre de celle-ci se fait devant les juridictions nationales ; il ne s’agit pas ici de judiciariser la juridiction arbitrale. Le juge national, dans tout ordre juridique, s’assure seulement que les principes du contradictoire et d’égalité des parties ont été respectés ; ces deux principes devant dicter la conduite des tribunaux nationaux, ils s’imposent aussi aux arbitres. Du principe de procès équitable, consacré dans l’art. 6 I de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, découle le principe d’égalité des armes durant le procès, et donc du contradictoire. Il s’agit donc de principes universels dont la non-observation entrave l’exécution de la sentence. Parallèlement à ce contrôle, le juge national examine les éventuelles exceptions d’ordre public et la validité de la clause compromissoire, mais en dehors de ces hypothèses, le fond de l’affaire et particulièrement les motivations de l’arbitre dans le processus décisionnel ne constituent pas l’objet de son attention. Il s’agit pour la juridiction étatique de faire face aux principales difficultés découlant d’une demande d’exécution afin de maintenir autant que possible une cohérence face à ses règles impératives et principes fondamentaux.

En conclusion, nous garderons l’idée que les points reliant l’arbitre et le juge, de la constitution du tribunal à l’exécution de la sentence, sont nombreux. S’il arrive qu’ils ne s’accordent pas sur certains points et se retrouvent en concurrence, ils arrivent parfaitement à coopérer dans d’autres. Pour améliorer ce labyrinthe juridictionnel, de nombreux instruments internationaux sont encore en préparation ; la CNUDCI et la Chambre de Commerce internationale étudient les possibilités d’aménagement des règles régissant l’arbitrage et particulièrement celles des mesures provisoires et conservatoires. Le problème des dénis de justice et de litispendance ne sont pas écartés et l’enjeu d’une justice arbitrale déchargeant le juge national est mis en avant. Se peut-il que progressivement le juge et l’arbitre deviennent deux institutions réellement complémentaires ?

Bibliographie :

Manuels
  • Loussouarn, Yvon / Bourel, Pierre / de Vareilles-Sommières, Pascal, Droit international privé, Dalloz 2004, 8e édition.
Textes
  • Décision de la CNUDCI du 7 juillet 2006 relative à l’adoption des articles révisés de la Loi-type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international, et d’une Recommandation relative à l’interprétation du paragraphe 2 de l’article II, et du paragraphe 1 de l’article VII, de la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, faite à New York le 10 Juin 1958.
Articles
  • Dimolitsa, Antonias, « L’arbitrage international en Europe : harmonie et diversité suite à la Loi-type CNUDCI, Revue Hellénique de Droit international 2006, p 129 ss.
  • Geimer, Reinhold „Das Schiedsvereinbarungsstatut in der Anerkennungsperspektive“ IPRax2006 p. 233 ss.
  • Gomez Jene, Miguel „Internationale Schiedsgerichtbarkeit und Binnenmarkt“, IPRax 2005 p. 84 ss.
  • Leval, G, L’arbitre et le juge étatique, quelle collaboration ?“. Revue de droit international et de droit comparé 2005, p 7.
  • Poudret, Jean-François « L’originalité du droit français de l’arbitrage. » Revue internationale de droit comparé 2004, p.133 ss.
  • Otto, Dirk, „Säumnis in internationalen Schiedsverfahren“ IPRax 2002, p 164 ss.
  • H-P Schroeder / B Oppermann, Anerkennung und Vollsctreckung von Schiedsprüchen nach lex mercatoria in Deutschland, England, Frankreich, ZvglRWiss 2000, p. 410 ss.
Site Internet

http://www.arbitrage-fr