Le Prepackaged Plan du droit américain : une procédure de prévention des difficultés des entreprises très inspiratrice, BLONDEAU Justine
Le prepackaged plan, qui consiste en la possibilité pour le débiteur de présenter au tribunal de faillite un plan de restructuration pré-négocié avec ses créanciers postérieurement à l’ouverture de toute procédure est un outil très utilisé aux Etats-Unis. La récente loi de sauvegarde financière accélérée des entreprises en difficultés s’en inspire largement, en mettant en place une procédure à mi chemin entre les procédures de conciliation et de sauvegarde.
Prepackaged plan - Sauvegarde financière accélérée -
Si le droit français des procédures collectives apparait fréquemment comme trop complexe, le droit américain des procédures collectives est souvent utilisé comme exemple d’un droit tendant à plus de simplicité. Le Bankruptcy Code organise les procédures d’insolvabilité aux Etats-Unis. Le Chapitre 11 du Titre 11, qui traite de la réorganisation des entreprises en difficulté, demeure une source d’inspiration pour de nombreux systèmes juridiques. Ce chapitre prévoit une procédure particulière, dite le prepackaged plan, ou «prepack», qui consiste en un plan de restructuration de l’entreprise, négocié entre le débiteur et ses créanciers, et présenté au tribunal avant l’ouverture de toute procédure.
En France, l’idée que le plan de sauvegarde peut avoir pour objet de rendre opposable un plan de restructuration approuvé par une majorité de créanciers et non pas uniquement le gel du passif antérieur ou la suspension des poursuites est apparue lors de récentes affaires, notamment à travers l’adoption du plan de sauvegarde de la société Autodis par le Tribunal de commerce d’Evry le 6 avril 2009 (Trib. com Évry, 5e ch., 6 avril 2009, no 2009L00934). La nécessité d'accélérer les procédures a aussi été mise en avant lors de la sauvegarde éclaire réalisée par la société Technicolor au tribunal de Nanterre le 17 février 2010. Il s’agit avant tout de trouver des solutions aux nouveaux problèmes posés par les montages financiers confrontés aux entreprises en difficulté. C’est dans cette optique qu’a été votée la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, introduisant la sauvegarde financière accélérée, qui est entrée en vigueur le 1er mars 2011. Le Décret n° 2011-236 du 3 mars 2011 précise le fonctionnement de la nouvelle procédure de sauvegarde financière accélérée créée par cette loi. Si la doctrine a beaucoup parlé de prepack à la française, en raison de la forte inspiration du droit américain en la matière, la loi de sauvegarde financière accélérée n’est pas une simple transposition du droit américain en droit français. Elle diffère du prepackaged plan américain en plusieurs aspects.
De nouveaux acteurs financiers, tels que les hedge funds, les fonds de private equity ou encore les fonds souverains, utilisent des techniques de financement de plus en plus complexes, notamment avec les LBO. Ces montages peuvent connaitre des difficultés auxquelles il est indispensable d’apporter des réponses efficaces. En quoi l’exemple américain permet-il à la législation française de prendre d’avantage en compte ces nouveaux acteurs financiers et d’apporter de nouvelles réponses à leurs difficultés?
La comparaison du droit américain avec le droit français met en valeur les dispositifs permettant d’assurer aux sociétés soumises à un endettement excessif de restructurer leur dette financière dans un délai bref. Cette restructuration passe par l’émergence du fait majoritaire (I) et la continuité de l’activité de la société (II). Malgré une évolution certaine vers une procédure moderne inspirée du droit américain, le bilan du prepack à la française demeure mitigé (III).
I/ L’émergence du fait majoritaire
La valorisation du fait majoritaire en droit américain
La section 1126(b) du US Bankruptcy Code permet à la cour d’accepter un plan qui a été négocié entre la société débitrice et ses principaux créanciers préalablement à toute ouverture de procédure de Chapter 11. Les seules conditions pour que le tribunal de faillite donne effet au vote des créanciers portent sur les informations qui leur ont été données lors des négociations, le vote des créanciers devant être un vote éclairé. Ainsi, le tribunal de faillite donne effet à un plan approuvé par la majorité des créanciers antérieurement à l’ouverture de toute procédure de restructuration. Il s’agit de valoriser toute majorité qui pourrait se dégager autour d’un projet de plan soumis par le débiteur en dehors d’une procédure d’insolvabilité.
Le vote sur le projet de plan en droit américain
Au terme de la Section 1123 du US Bankruptcy Code, des comités regroupant des créances de même nature sont constitués, avec comme critères la période, le taux de remboursement, ou la priorité des créances. Le droit américain considérant que les créanciers chirographaires ont un enjeu financier plus important que les créanciers détenteurs de privilèges, seul le comité des créanciers chirographaires doit obligatoirement être constitué. Le vote sur le projet de plan se fait au sein de chaque comité. En vertu de la Section 1126 (c), le projet doit être adopté par plus de la moitié des créanciers, représentant les deux tiers de la valeur des créances. Une fois le projet approuvé par la majorité des créanciers, le débiteur se place sous la protection du Chapter 11. C’est le tribunal de faillite qui donnera effet au vote des créanciers. Le tribunal de faillite peut confirmer un plan malgré le fait qu’il n’ait pas été approuvé par tous les comités. C’est le processus de «cramdown», prévu à la Section 1129, qui permet au tribunal de confirmer le plan dès lors qu’il ne fait pas de discrimination et réserve aux créanciers un traitement juste et équitable. Le tribunal vérifie que le plan permet aux créanciers de conserver leur privilège et de recevoir des paiements différés dont la somme totale est égale à la valeur de leur réclamation.
La valorisation du fait majoritaire et le vote sur le projet en droit français
La loi de Sauvegarde Financière Accélérée (SFA) crée un nouveau mécanisme qui se situe entre la conciliation et la procédure de sauvegarde. Il s’agit de valoriser la majorité qui pourrait émerger lors d’une procédure de conciliation, alors même que l’unanimité n’est pas obtenue. Le nouvel article L.628-1 du Code de Commerce prévoit quatre conditions à l’ouverture d’une procédure de SFA: une procédure de conciliation doit être en cours, le débiteur doit justifier de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter sans pour autant être en état de cessation de paiement, le nombre de ses salariés doit être supérieur à 150 à la date de la demande ou le dernier chiffre d’affaires doit être supérieur à 20 millions d’euros pour le dernier exercice clos, et le débiteur doit avoir élaboré un projet de plan visant à assurer la pérennité de l’entreprise et «susceptible de recueillir un soutien suffisamment large». La référence à un «soutien suffisamment large» souligne bien toute l’importance que prend le fait majoritaire dans le cadre de la SFA. En vertu de l’article L.628-2, le tribunal statue sur l’ouverture de la procédure après rapport du conciliateur. Le projet ne sera donc soumis au vote des créanciers qu’après l’ouverture de la procédure, contrairement au droit américain.
Le projet de plan n’est soumis qu’à l’approbation du comité des établissements de crédit, et, le cas échéant, de l’assemblée des obligataires, selon l’article L.628-4 du Code de commerce. Comme dans la sauvegarde classique, l’approbation se fera à la majorité des 2/3 du montant des créances détenues par les membres du comité ayant exprimé leur vote.
L’écrasement des créanciers récalcitrants
L’écrasement des créanciers récalcitrants est le corollaire de l’émergence du fait majoritaire. L’objet du prepackaged plan américain est d’imposer à une minorité récalcitrante un plan approuvé par une majorité de créanciers. Le droit français a suivi ce procédé, appelé cramdown aux Etats-Unis, en consacrant la règle de la majorité qualifiée lors du vote du projet de plan, qui vient se substituer à la règle de l’unanimité prévue pour les procédures de conciliation. La majorité qualifiée permet désormais de conclure des protocoles amiables de restructuration en droit français, comme en droit américain.
II/ L’importance de la continuité de l’activité de la société
Le rôle du débiteur
En droit français comme en droit américain, c’est le débiteur qui prend l’initiative de la procédure. Les quatre conditions posées par le droit français sont plus restrictives que celles du droit américain, qui laisse une large marge de manoeuvre au débiteur. Ainsi, le droit américain ne connait pas de condition d’état ou d’absence d’état de cessation des paiements. C’est le débiteur qui décide si la négociation avec les créanciers est envisageable. En droit français comme en droit américain, le débiteur reste dirigeant lors de la durée de la procédure. Le but est donc bien la continuité de l’entreprise.
Les effets de la procédure
En droit américain, le projet de plan est négocié avec tous les créanciers. Une fois que le tribunal lui donne effet, ses termes s’appliquent donc à tous les créanciers.
En droit français, la réforme a ciblé des montages financiers en difficulté. Il s’agit de se concentrer sur les créanciers financiers des entreprises. Le champ d’application de la loi est plus ciblé. C’est pourquoi l’ouverture de la procédure n’a d’effet qu'à l'égard des créanciers financiers. Ainsi, seuls les membres du comité des établissements de crédit et assimilés et, le cas échéant, des obligataires, voient leurs créances gelées. Les autres créances seront payées à échéance contractuelle. Il s’agit de s’assurer que l’activité de la société est préservée, en faisant en sorte que les créances des fournisseurs soient payées à échéance.
Les brefs délais de la procédure
Aux Etats-Unis, le tribunal de faillite statue sur le plan pré-négocié. La Section 1126 du US Bankruptcy Code ne requiert pas de nouveau vote des créanciers. Le but est de réduire la durée de la procédure collective, et ce afin de limiter les pertes de l’entreprise qui sont couramment engendrées par l’annonce d’une telle procédure. Une procédure rapide permet aussi d’accélérer la mise en place de nouveaux financements.
Le droit français a pris note de l’importance de la rapidité de la procédure. Au terme de l’article L.628-4 du Code de commerce, le comité des établissements de crédit doit se prononcer dans un délai de huit jours à compter de la transmission du plan. En outre, l’article L. 628-6 énonce que le « tribunal arrête le plan dans le délai d’un mois à compter du jugement d’ouverture», ce délai pouvant être prolongé d’un mois supplémentaire. Le débiteur doit parvenir dans ce délai à obtenir une majorité de votes lui permettant d’imposer son plan de restructuration à la minorité récalcitrante. Selon l’article L.628-6 du Code de commerce, en cas d’absence de vote favorable dans le délai d’un mois, le tribunal met fin à la procédure. En outre, la procédure de déclaration des créances a été simplifiée, dans un souci d’accélération de la procédure. Ainsi, selon l’article L.628-5 du code de commerce, une liste des créanciers ayant participé à la conciliation est établie par le débiteur, certifiée par le CAC, puis déposée au greffe dans les 10 jours du jugement d’ouverture. Le mandataire judiciaire informe chaque créancier concerné des caractéristiques de ses créances et ces créances sont réputées déclarées. Le souci de rapidité de la procédure transparait donc à différentes étapes de la procédure.
III/ Les perspectives d’évolution du droit américain et de la SFA: une attractivité espérée
Le succès du prepack en droit américain
La pratique montre que les projets de plan de restructuration présentés préalablement à l’ouverture d’une procédure de chapter 11 sont le plus souvent confirmés par le tribunal. Le prepackaged plan est une procédure efficace qui permet à l’économie américaine de rebondir facilement face à la faillite, qui est vue comme un accident de parcours. Selon James Hazard (Les procédures d’insolvabilité aux Etats-Unis, Petites affiches, 16 juin 2005 n°119 ) « le système américain a privatisé le coût de la remise sur pied des entreprises en difficulté en laissant la négociation entre les intéressés porter ses fruits. Les créanciers, qui perdent une partie du montant de leurs créances, paient ainsi le redressement de l’entreprise ». Le seul risque est le maintien de trop nombreuses entreprises non rentables qui peut être néfaste d’un point de vue sectoriel. En effet, si la survie d’une entreprise en difficulté parait justifiée, il se peut que maintenir en activité de nombreuses entreprises en difficulté dans un même secteur ait un impact négatif sur le secteur dans son ensemble.
L’avenir de la SFA: la nécessité d’apporter une réponse efficace face aux difficultés des LBO
La SFA a notamment été créée pour les Leveraged Buyout (LBO), qui sont des techniques de financement d’acquisition par emprunt,avec effet de levier. Lors de l’entrée en vigueur de la loi, des doutes subsistaient quant à l’éligibilité des sociétés holdings à la procédure de la SFA. Dans les montages de type LBO, les dettes financières sont supportées par la holding. Or, lorsque les LBO se retrouvent en difficultés, celles-ci touchent l’activité financée par les LBO, et non pas l’activité de la Holding elle-même. Le risque était de considérer que la difficulté ne se rattachait pas à l’activité du débiteur et que les holdings ne devaient pas être éligibles à la SFA. Cependant, la Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 8 mars 2011 (10-13.988 / 10-13.989 / 10-13.990), a validé le recours à la SFA pour les holdings d’acquisition. Elle a décidé dans son attendu principal que « si la procédure de sauvegarde est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin, notamment, de permettre la poursuite de l'activité économique, il ne résulte pas de ce texte que l'ouverture de la procédure soit elle-même subordonnée à l'existence d'une difficulté affectant cette activité ». Le domaine d’application de la SFA est ainsi interprété de façon extensive, ce qui permet de donner une plus grande efficacité à cette nouvelle procédure.
Cependant, de plus amples modifications demeurent nécessaires pour assurer à la SFA une réelle efficacité. Un des problèmes de cette procédure est qu’elle ne traite ni des règles de consultation et de vote des créanciers en comités ni des accords de subordination. Si l’article L.626-30 prévoit que le projet de plan prend en compte les accords de subordination conclus avant l’ouverture de la procédure, ceux-ci ne sont toujours pas pris en compte par les règles de consultation et de vote des créanciers en comités. Or, il est possible que des créanciers juniors détiennent une majorité de droits de vote dans l’assemblée des obligataires, s’il en existe, et que dès lors leur poids dans la négociation soit supérieur à celui des créanciers seniors. Les créanciers seniors étant censés avoir priorité sur les créanciers juniors, un tel retournement de situation dans la négociation peut avoir un impact négatif sur les restructurations de LBO en difficulté. Ainsi, si la SFA a connu une première interprétation extensive qui doit être saluée, de nouvelles évolutions restent à entreprendre.
Bibliographie:
J. Ferriell and E. J. Janger, Understanding Bankruptcy, LEXIS NEXIS, 2nd edition 2007
A. Besse et N. Morelli, Le prepackaged plan à la française: pour une saine utilisation de la procédure de sauvegarde, JCP E 2009, n° 1628
R. Dammann et G. Podeur, Sauvegarde financière accélérée: vers une consécration législative du «prepack à la française?», DALLOZ, 2010, p.2005
Bernard Grelon, La loi de sauvegarde revisitée par la loi n° 2010-1249 dite de « régulation bancaire et financière » en date du 22 octobre 2010, Revue des sociétés 2011 p. 7
La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 10, 10 Mars 2011, act. 126