Le salaire minimum: comparaison franco-allemande - par Margot Charrier

Le SMIC est un « salaire abstrait, minimum, national, interprofessionnel, fixé par les pouvoirs publics, correspondant à une heure de travail ». Le principe de libre détermination du montant de la rémunération par les parties au contrat de travail a dominé la matière jusqu’à ce que le concept de salaire minimum légal en droit français soit institué par le législateur pour répondre aux disparités générées par un tel procédé. Le SMIC en tant qu’instrument de justice sociale n’est pas une exception dans les pays de l’Union européenne car déjà 20 Etats sur 27 ont déjà adopté ce modèle. Mais ce n’est pas le cas de l’Allemagne, pays négociateur de tradition à forte représentation syndicale qui adopte un autre compromis social. Le système allemand de détermination des salaires repose sur des accords entre partenaires sociaux et relève donc des conventions collectives.

Mais dans quelle mesure les divergences dans la fixation d’un salaire minimum en France et en Allemagne traduisent-elles l’adoption modèles sociaux différents?

En France, le salaire minimum peut être d’origine légale ou d’essence conventionnelle ce qui n’est pas le cas en Allemagne puisqu’il n’est issu que d’une protection conventionnelle. La différence des modèles suivis en matière de fixation du salaire minimum traduit une conception différente de l’Etat social où la « balance » entre le salaire minimum en tant qu’instrument de justice sociale et l’attachement à l’autonomie collective penche pour l’une ou pour l’autre des conceptions.

 

I. Le salaire minimum : norme légale en France et norme uniquement conventionnelle en Allemagne

 

La protection du salarié exige la création de minima sociaux indispensables au maintien d’une existence descente pour ce dernier. Néanmoins, en matière de salaire minimum les modèles suivis sont très différents puisque la France a adopté un salaire minimum interprofessionnel légal, alors que l’Allemagne opte pour des minima conventionnels issus d’actives négociations collectives.

 

A. L’existence de minima sociaux obligatoires en matière de salaires

Le droit français dispose d’un salaire minimum légal d’ordre public, dont la violation est pénalement sanctionnée. Ainsi le salaire effectif est fixé par le contrat individuel de travail, mais l’Etat intervient par la fixation d’un salaire minimum en dessous duquel le seuil de pauvreté serait franchi. Le droit allemand propose aussi la fixation d’un salaire minimum, mais il ne connaît aucun salaire minimum interprofessionnel légal. Il existe cependant un salaire minimum pour certains salariés auquel le contrat de travail ne peut pas déroger dès lors qu’une convention collective fixe un minimum légal de salaire à ne pas dépasser. En droit allemand, le montant du salaire est, du fait d’un effet normatif ou par référence contractuelle, déterminé par une convention collective ou par voie d’accord collectif d’entreprise, desquels relèvent le contrat de travail (§3 TVG). Ainsi, l’indemnité fixée dans la convention collective prend une valeur normative (§4 I 1 TVG) et constitue alors une « indemnisation minimale » en dessous de laquelle le contrat de travail ne peut aller (§4 III TVG). Pour la détermination du montant du salaire, il convient de souligner qu’il n’existe pas de réglementations purement légales. Donc, s’il venait à manquer une telle indication dans la convention collective, alors le montant du salaire relève du salaire usuel et ce, dans le respect du principe d’égalité de salaires. Enfin, dans le cas où il n’y aurait pas de salaire usuel, le salarié détermine librement son salaire en fonction de la hauteur du salaire (§§315, 316 BGB). Mais la notion de salaire minimum reste ambigüe en droit allemand. Il ne faut en effet pas confondre la notion de Mindestlohn fixée par l’Arbeitnehmer-Entsendegesetz, et le salaire conventionnel minimum fixé par les conventions collectives tarifvertraglichen Vergütung et communément aussi appelé Mindestlohn.

Il existe donc en droit français comme en droit allemand des minima sociaux obligatoires en matière de salaires, cependant ilsconnaissent des modalités fondamentalement différentes dans leur fixation puisque le premier découle de la loi et le second des conventions collectives de branche.

 

B. Différence de mode de fixation du salaire minimum : la prépondérance du droit conventionnel en Allemagne

 

En droit français, la fixation des salaires se fait aussi par les partenaires sociaux car la loi organise une négociation annuelle obligatoire sur les salaires dans l’entreprise et au sein de la branche d’activité professionnelle. Mais le SMIC constitue le « fil rouge » en dessous duquel s’arrête la liberté des partenaires sociaux dans la fixation des salaires et ni le contrat individuel, ni la convention collective ne peuvent déroger y dans un sens défavorable au salarié. Notons que le mécanisme de salaire minimum légal engendre l’idée d’ingérence de l’Etat dans l’économie, ce qui est un principe qui ne correspond pas à la conception allemande du marché du travail puisque l’Allemagne attache une grande importance à l’autonomie collective en tant que pays « négociateur » à forte représentation syndicale. Le soin de fixer les salaires minima est donc laissé aux partenaires sociaux. Néanmoins, autonomie collective oblige, les conventions collectives conclues restent soustraites au contrôle du juge. Ainsi, le compromis social en Allemagne penche sur une plus grande flexibilité des conditions de travail ce qui explique qu’il n’existe encore aucun salaire minimum légal équivalant au SMIC français.

Cette différence dans le mode de fixation d’un salaire minimum témoigne du difficile compromis entre la nécessité d’accroître la flexibilité et la résistance contre une « économisation » totale de la vie du travail auquel sont confrontés les deux systèmes juridiques.

 

II. La différence de conception du salaire minimum entre la France et l’Allemagne : entre instrument de justice sociale et attachement à l’autonomie collective

 

Le choix opéré par l’Allemagne en matière de salaire minimum se trouve néanmoins confronté à l’effritement progressif de la négociation branche par branche des salaires, ce qui pose la question de l’introduction d’un salaire minimum interprofessionnel légal en Allemagne sur le modèle du SMIC français.

 

A. Une conception différente de l’Etat social : les divergences de finalité du salaire minimum français et allemand

 

La fonction première du SMIC est d’assurer une forme de justice sociale et est indispensable pour lagarantie contre une exploitation excessive des salariés les moins qualifiés. En effet, le SMIC vise à assurer une garantie du pouvoir d’achat et permet aux bas salaires de participer au développement économique de la Nation. L’absence de salaire minimum interprofessionnel légal en Allemagne, contrairement à la France peut s’expliquer par la conception différente qu’ont les deux pays en matière de justice sociale. L’Allemagne attache une importance particulière à l’autonomie collective qui a d’ailleurs valeur constitutionnelle puisqu’elle est protégée par la liberté de coalition. Elle vise notamment à protéger conventionnellement le salarié et conserver la paix et la cohésion sociale. Mais cette protection mène inévitablement à ce que toute intervention législative en matière de salaire minimum entraîne un débat d’ordre constitutionnel sur la conciliation des différents droits fondamentaux.

Cependant le taux de syndicalisation baisse en Allemagne. Il en va de même du taux d’adhésion des fédérations d’employeurs. Et l’effritement de la négociation collective en Allemagne introduit l’idée de la création d’un salaire minimum légal type SMIC, notamment à l’initiative du SPD.

 

B. La question de l’instauration en droit allemand d’un salaire interprofessionnel légal sur le modèle français

 

 La situation de « dumping social » crée par les mouvements de main-d’œuvre transfrontaliers liés à l’Europe est le principal facteur qui pousse l’Allemagne à envisager l’adoption d’un salaire minimum légal. En Allemagne, le Hartz Konzept institue une réforme majeure du marché du travail en Allemagne. Le président du SPD Sigmar Gabriel a récemment fait la proposition d’y inclure une loi pour un salaire minimum de plus de 7,50€ en comparaison avec son équivalent français, le SMIC. Cette proposition marque un tournant majeur dans la politique allemande qui engendrerait un renforcement de l’Etat providence en Allemagne. Mais cette réforme n’est pas encore faite et reste encore fortement critiquée en Allemagne notamment par l’opposition, dont Karl-Theodor actuel ministre de l’économie  affirme que l’instauration d’un salaire minimum limiterait la flexibilité nécessaire, augmenterait le coût du travail et compromettrait la compétitivité et l’emploi dans les entreprises concernées. Néanmoins, les évolutions de l’Allemagne en la matière sont à observer car un projet de salaire minimum européen pourrait voir le jour sous réserve que l’Allemagne adopte un salaire minimum légal du type SMIC. Ce projet européen marque une initiative ambitieuse pour la construction d’une Europe sociale vers l’instauration d’un « modèle social européen ». Néanmoins, un tel concept se heurte à la diversité des traditions culturelles et des situations économiques au sein des Etats membres de l'Union européenne, mais ne semble pas impossible. C’est pourquoi, la question d’un salaire minimum légal en Allemagne et à fortiori dans l’Union européenne reste d’actualité.

 

BIBLIOGRAPHIE

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Droit français

 

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Doctrine – Ouvrages généraux

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Sites internet