Le Second Restatement of Conflict of Laws, source d’un important pouvoir d’appréciation pour le juge américain dans la détermination de la loi applicable en matière contractuelle; une comparaison avec le Règlement Rome I - Camille Teynier

Le Second Restatement of Conflict of Laws est la méthode dominante de résolution des conflits de lois en matière contractuelle aux Etats-Unis. Elle consiste à rechercher la loi du lieu ayant les liens les plus significatifs avec le contrat. Pour cela, sont prévus des présomptions de loi applicable à certains contrats spéciaux et des principes généraux prenant en compte à la fois les intérêts des parties et des Etats, dont la mise en œuvre confère aux juges un important pouvoir d’appréciation.

Le Second Restatement of Conflict of Laws, paru en 1971, est une source de droit international privé. Bien que sources secondaires, à la différence de la jurisprudence et de la loi, les Restatements of the Law sont cités par les tribunaux et la doctrine en tant que « persuasive authority ». Cette source n’a pas d’équivalent en droit français car il s’agit de recueils qui posent des règles sous forme d’articles suivis de commentaires officiels. Ils sont  écrits par l’American Law Institute qui est composé de nombreux professeurs de droit, praticiens et juges élus.

La particularité du Second Restatement tient à ce qu’il édicte des règles modernes de résolution des conflits de lois, et plus particulièrement la méthode permettant de déterminer le lieu ayant les liens les plus significatifs avec une situation juridique (« place of the most significant relationship »). Les Cours suprêmes de vingt-trois Etats fédérés s’y réfèrent de façon explicite dans leurs décisions en matière contractuelle. Elles se sont ainsi départies de la méthode traditionnelle territoriale du First Restatement of Conflict of Laws datant de 1934. Ce dernier est strict en ce qu’il n’admet pas de choix des parties et est fondé sur des critères de rattachement uniques. La méthode du Second Restatement se caractérise quant à elle par sa flexibilité et le fait qu’elle donne un pouvoir d’appréciation important au juge.

Le Second Restatement énonce les conditions de validité du choix des parties (Art. 187) et indique qu’en l’absence de choix, la méthode repose sur un système de présomptions de loi applicable pour certains contrats énumérés aux articles 189 et suivants. Ces présomptions peuvent être renversées si l’application de plusieurs principes et facteurs énoncés à l’article 6 permet de déterminer un Etat ayant des liens plus significatifs avec le contrat (Art. 188). Ces facteurs ont trait aux intérêts des parties et Etats en cause. Pour les contrats non prévus expressément, l’analyse des principes généraux constitue la méthode classique de détermination de la loi. Les facteurs de l’article 6 sont donc au cœur de la méthode, et bien que leur analyse ne constitue pas nécessairement la première étape du raisonnement, elle est obligatoire. 

Malgré des mécanismes généraux comparables, la méthode du Second Restatement diffère de celle adoptée par le Règlement Rome I. Ce dernier, plus prévisible, donne moins de pouvoir au juge car il laisse une plus grande liberté de choix aux parties et, d’une façon générale, met l’accent sur des facteurs de rattachement objectifs, même si cette dernière affirmation doit être nuancée à l’examen de la jurisprudence récente de la CJUE.

Trois étapes seront suivies dans cette étude. Elles consisteront à démontrer que la méthode du Second Restatement est fondée sur la prise en compte de nombreux intérêts, dont ceux des Etats en cause et des parties (I), notamment grâce à l’application de principes généraux et de facteurs variés (II), mais qu’en pratique, le mécanisme n’est pas utilisé de façon uniforme par les juges (III).

 

  1. La prise en compte, dans toutes les situations, des intérêts des Etats et des parties

 

Les principes de l’article 6, qui prennent en compte les intérêts des Etats en cause et des parties, doivent être appliqués pour vérifier la validité du choix des parties, décider si une présomption de loi applicable doit être renversée, ou directement si le contrat n’est pas l’un de ceux pour lesquels il existe une présomption.  

L’article 187 pose deux conditions à l’application de la loi désignée par les parties. D’une part, le choix n’est pas valide s’il n’y a pas de « substantial relationship » entre l’Etat dont la loi est choisie et les parties ou l’opération, et s’il n’existe pas de « reasonable basis » au choix. Le lieu d’exécution ou de conclusion du contrat, ou le domicile de l’une des parties constituent par exemple un lien substantiel. D’autre part, une loi dont l’application serait contraire à l’ordre public d’un Etat ayant un lien matériellement plus important avec la situation et dont la loi aurait été applicable en l’absence de choix par les parties ne peut pas constituer un choix valable.

Contrairement au Second Restatement, l’article 3, §1 du Règlement Rome I n’impose pas de lien entre le pays dont la loi est choisie et le contrat. L’article 3, §3 précise toutefois que si tous les autres éléments de la situation sont localisés dans un autre  pays que celui dont la loi est choisie, le choix ne doit pas porter atteinte à l’application des dispositions auxquelles la loi de cet autre pays ne permet pas de déroger par accord. Par ailleurs, les lois de police du for doivent être respectées (Art. 9). Rome I est donc moins strict que le Restatement car il requiert, pour écarter la loi choisie au profit des dispositions impératives d’un autre pays, que tous les éléments soient situés dans cet autre pays. Il ne tient pas compte du pays dont la loi aurait été applicable en l’absence de choix et qui est déterminé, aux Etats-Unis, par l’analyse des principes de l’article 6 relatifs aux intérêts des Etats. Cette position plus libérale semble montrer que l’intérêt des parties prévaut sur celui des Etats, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis.

 

En l’absence de choix par les parties, le Second Restatement contient des dispositions spéciales relatives aux contrats de vente de biens immeubles, de biens meubles, d’assurance vie, d’assurance, de cautionnement, de prêt, de prestation de services et de transport. Ces dispositions énoncent pour chaque contrat une présomption de loi applicable qui peut être renversée si la situation semble présenter des liens plus significatifs avec un autre Etat après une analyse des principes et facteurs de l’article 6 étudiés ci-après.

La méthode de détermination de la loi applicable en l’absence de choix par les parties présente des similitudes avec celle du Règlement Rome I. L’article 4, §1 du Règlement indique un facteur de rattachement objectif pour des contrats tels que le contrat de vente de biens, de prestation de services, ou ayant pour objet un droit réel immobilier. Dans les deux textes, le rattachement prévu à titre principal est censé être révélateur des liens les plus étroits entre le lieu et le contrat ; la loi ainsi désignée peut ensuite être écartée si le juge considère, par application de méthodes subsidiaires, qu’il existe des liens plus étroits avec un autre lieu.

Malgré un schéma général comparable, les deux méthodes révèlent des politiques différentes.

La principale différence entre les rattachements objectifs prévus par les deux textes a trait à leur fonction. Les critères affectés aux contrats énumérés par le Second Restatement ne sont que des présomptions que les juges sont invités à combattre si, après une analyse des principes généraux de l’article 6, une autre loi semble plus appropriée car un autre lieu a des liens plus significatifs avec le contrat. Par ailleurs, si le contrat n’est pas l’un de ceux énumérés, le juge américain applique directement ces principes généraux. Les facteurs de l’article 6, bien que subsidiaires, revêtent donc une grande importance. Dans le Règlement Rome I, si le contrat n’est pas l’un de ceux énumérés, la loi applicable est celle de la résidence habituelle de la partie fournissant la prestation caractéristique (Art. 4, § 2).

En outre, Rome I a abandonné la notion de présomption présente dans la Convention de Rome, et fait des critères de rattachement objectifs des règles de conflit ordinaires. La loi ainsi désignée n’a vocation à être écartée qu’exceptionnellement si un autre pays présente des liens « manifestement » plus étroits avec le contrat en vertu de la clause dérogatoire. Bien que l’existence des présomptions montre que le Second Restatement n’a pas totalement abandonné la notion de règles au profit de principes généraux, le Règlement Rome I, qui ne fait appel au principe de proximité que dans des cas limités, permet plus de prévisibilité. Il faut relever cependant la tendance jurisprudentielle de la CJUE qui a récemment adopté une conception extensive de la clause dérogatoire de l’article 4 de la Convention de Rome, ne faisant ainsi pas de hiérarchie entre les critères de rattachement rigides et les liens plus étroits (voir CJUE Gr ande Chambre, 6 octobre 2009, affaire C-133/08).

Les critères de rattachement diffèrent également. Les présomptions du Second Restatement sont tournées vers le lieu d’exécution du contrat. A l’inverse, le Règlement se concentre sur la résidence habituelle qui semble moins révélatrice du centre de gravité du contrat car il s’agit d’un élément relatif aux parties et non lié intrinsèquement au contrat.

 

  1. La détermination du lieu ayant les liens les plus significatifs avec le contrat fondée sur des principes généraux et des facteurs variés

 

Les principes de l’article 6 étant communs à plusieurs domaines du droit, leur application en matière contractuelle s’effectue en parallèle avec celle des facteurs indiqués à l’article 188.

L’Etat ayant les liens les plus significatifs avec le contrat est déterminé grâce à l’article 6 en fonction d’une multitude de facteurs variés présumés refléter les intérêts des juridictions en cause, des parties, ainsi qu’une évolution adéquate du droit. Ainsi, sont par exemple à prendre en compte la nécessité d’harmoniser le fonctionnement des systèmes de nature fédérale et internationale et la politique suivie par le for et les autres Etats concernés quant au point de droit soulevé dans le litige. Un juge doit donc prendre en considération et comparer les politiques d’autres juridictions. D’après le commentaire officiel, ces facteurs visent à encourager des relations harmonieuses entre les Etats et faciliter leurs relations commerciales. La protection des attentes légitimes des parties est également un facteur à prendre en compte, ainsi que les principes généraux du domaine concerné, la sécurité juridique et l’uniformisation du droit, et les considérations pratiques liées à la détermination et à l’application de la loi. Le texte précise que ces facteurs constituent une liste non exhaustive et ne sont pas énumérés selon leur ordre d’importance. Le poids à donner à chaque élément dépend donc du contexte. Par exemple, la protection des attentes légitimes des parties s’avère un facteur important en matière contractuelle mais pas délictuelle.

Pour faciliter l’application de ces critères en matière contractuelle, l’article 188 contient une liste d’éléments concrets qui sont le lieu de conclusion du contrat, le lieu des négociations, le lieu d’exécution, le lieu où se trouve l’objet du contrat et le domicile, la résidence, la nationalité, ou le siège social ou principal établissement des parties. L’article 188 précise également que ces facteurs sont à évaluer selon leur importance au regard de la situation, ne donnant pas de directives précises sur le poids à accorder à chacun, ce qui confère au juge un important pouvoir d’appréciation. L’article ajoute cependant que si le lieu des négociations et le lieu d’exécution se trouvent dans le même Etat, la loi de cet Etat est « habituellement » appliquée. Les commentaires qui suivent le texte apportent également quelques précisions que les juges ne sont toutefois pas tenus de suivre. Ainsi, le lieu de conclusion du contrat est considéré comme relativement insignifiant, car il peut s’agir du lieu fortuit d’où a simplement été postée l’acceptation. En revanche, un Etat où ont lieu des négociations se voit reconnaître un intérêt légitime qui a vocation à être pris en considération, surtout si elles ont toutes lieu au même endroit. Enfin, l’Etat du lieu d’exécution est concerné de façon évidente par l’opération, notamment pour empêcher l’exécution illégale d’un contrat sur son territoire. Il lui est donc souvent donné une grande importance, qui peut être renforcée si les parties y sont domiciliées. Les juges peuvent se référer aux travaux préparatoires législatifs pour déterminer les intérêts et la politique des Etats. Cette prise en considération de l’intérêt des Etats est très spécifique au Second Restatement. Le principe affirmé par les rédacteurs est que l’Etat dont les intérêts sont le plus concernés (« most deeply affected ») doit voir sa loi appliquée. Ce principe ne gouverne pas les modalités de désignation de la loi applicable dans le Règlement Rome I, où le critère principalement utilisé de la résidence de l’une des parties, évoqué plus haut, répond essentiellement à l’objectif d’assurer la sécurité juridique.

Bien qu’un juge appliquant le Second Restatement soit libre d’évaluer l’importance des différents facteurs, son pouvoir d’appréciation est moindre que celui conféré par d’autres méthodes, notamment celle du centre de gravité. En vertu de cette méthode reconnue par la décision Auten v. Auten de la Cour suprême de New-York, le juge évalue de façon globale les contacts entre le contrat et les Etats, sans aucune directive quant aux éléments à prendre en compte. Le Second Restatement constitue donc un juste milieu entre le très strict First Restatement, qui repose sur un critère de rattachement territorial unique, et d’autres méthodes modernes qui laissent au juge une liberté telle qu’elle s’apparente à un pouvoir discrétionnaire.

 

  1. Les difficultés liées à l’articulation des présomptions et des principes généraux subsidiaires

 

La façon dont est mis en œuvre l’article 6 est similaire à la jurisprudence française pré-Convention de Rome qui recherchait le centre de gravité du contrat au regard d’une pluralité de facteurs (voir Civ.1, 7 juin 1977, P n° 75-15058). Cette méthode étant trop incertaine, les rédacteurs de la Convention et du Règlement Rome I lui ont préféré un raisonnement fondé sur des critères objectifs ne faisant appel que de manière très subsidiaire au principe de proximité. Il est vrai qu’une méthode telle que celle du Restatement comporte des risques d’insécurité juridique et d’imprévisibilité des solutions.

Les auteurs américains se demandent si le système de présomptions dont le but est de faciliter l’analyse remplit son rôle, car les juges sont tenus d’analyser les facteurs de l’article 6 pour décider s’il ne serait pas plus approprié d’appliquer une autre loi (D. Currie et al., Conflict of Laws, West, 2010, p. 222). Deux tendances générales se dessinent en jurisprudence, dues à la difficulté d’apprécier l’importance respective des présomptions et de l’article 6. Certains juges ne prennent pas en compte les facteurs des articles 6 et 188 et transforment les présomptions en règles strictes comparables à celles du First Restatement (voir Leksi, Inc. v. Federal Ins. Co., 736 F.Supp. 1331 (D.N.J. 1990)). Cependant, la plupart des juges, tout en reconnaissant officiellement l’existence des présomptions, effectuent leur propre évaluation de la situation uniquement en fonction des principes généraux. Des décisions montrent même que certains se limitent à l’étude des intérêts des Etats (voir Wood Bros. Homes, Inc. v. Walker Adjustment Bureau, 601 P.2d 1369 (1979)). Le pouvoir d’appréciation qu’elle confère rend donc la méthode du Second Restatement très appréciée des juges et critiquée par la majorité de la doctrine. 

 

 

Bibliographie :

 

Ouvrages :

Currie D., Kay H., Kramer L., Roosevelt K., Conflict of Laws, United States of America, West, 2010.

Mayer P., Heuzé V., Droit international privé, Paris, Montchrestien, 2010.

Symeonides S., American Private International Law, The Netherlands, Kluwer Law International, 2008.

 

Articles:

Calleros C., «Article: Toward harmonization and certainty in choice-of-law rules for international contracts: should the U.S. adopt the equivalent of Rome I? », 28 Wis. Int’l L. J. 639, 2011.

Gaudemet-Tallon H., «Convention de Rome du 19 juin 1980 et Règlement Rome I du 17 juin 2008-Détermination de la loi applicable-Domaine de la loi applicable », JCl. Droit international Fasc. 552-15, 2009.

Jault-Seseke F., «Loi applicable au contrat: première interprétation de la Convention de Rome par la CJCE», Recueil Dalloz 2010 n°4, p. 236.

McGuinness G., «Comment: the Rome Convention: the contracting parties’ choice», 1 San Diego Int’l L.J. 127, 2000.

Reese W., « Choice of Law: Rules or Approach », 57 Cornell L. Rev. 315, 1972.

Southerland H., « Article: A plea for the proper use of the Second Restatement of Conflict of Laws », 27 Vt. L. Rev. 1, 2002.