Le renforcement de l’unité et de la permanence de la loi applicable aux régimes matrimoniaux par le règlement (UE) n° 2016/1103 en France et en Allemagne

Le 24 juin 2016, deux règlements européens ont été adoptés afin d’unifier la loi applicable, la juridiction compétente et l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux et d’effet des partenariats enregistrés. L’unification du droit international privé au niveau européen en matière familiale patrimoniale était souhaitée depuis longtemps, toutefois les propositions de la Commission n’avaient jusqu’à présent pas obtenu l’unanimité nécessaire, c’est pourquoi ce règlement a finalement été adopté dans le cadre d’une coopération renforcée entre 17 pays seulement, dont la France et l’Allemagne.

Les deux règlements ayant un contenu très similaire, seul le règlement applicable aux régimes matrimoniaux sera étudié ici. Il entrera en application à compter du 29 janvier 2019 pour les époux qui se sont mariés ou qui ont désigné la loi applicable à leur régime matrimonial après cette date, le droit antérieur reste applicable pour les mariages conclus avant 2019. Se pose la question des différences entre le futur régime et les régimes actuels, en particulier concernant la loi applicable aux régimes matrimoniaux. En effet, en dehors du choix du critère de rattachement, les Etats peuvent adopter des solutions différentes concernant la permanence de la loi applicable dans le temps et l’unité de la loi applicable aux biens matrimoniaux. Certains pays optent pour un rattachement fixe, d’autres permettent un changement de la loi applicable dans le temps (mutabilité ou non de la loi applicable) ; certains pays optent pour l’unité de la loi applicable à l’ensemble des biens matrimoniaux, d’autres permettent de fractionner le régime matrimonial en soumettant différents biens à différentes lois (unité ou non de la loi applicable). Les solutions adoptées entraînent d’importantes différences en pratique puisqu’elles favorisent plus ou moins l’apparition de différentes masses patrimoniales (soit dans le temps, soit en fonction de la nature des biens considérés) soumises à différentes lois donc possiblement à différents régimes matrimoniaux. Cela a l’avantage de permettre une certaine flexibilité, mais risque de complexifier la liquidation du régime matrimonial voire de créer une insécurité juridique.

Alors que les droits français et allemand autorisent tous deux une certaine mutabilité de la loi applicable et un morcellement du régime matrimonial (I), le règlement conduit à un relatif renforcement de la permanence et de l’unité de la loi applicable (II).

 

  1. L’étendue de la mutabilité et de l’unité de la loi applicable en droit français et allemand

En France, la loi applicable pour les mariages conclus après 1992 doit être déterminée suivant la Convention de la Haye de 1978. L’Allemagne n’étant pas partie à cette convention, c’est le droit autonome qui s’applique, à savoir l’art. 15 de la loi introductive au code civil (EGBGB). Les deux régimes se rejoignent toutefois sur certains points. S’ils adoptent des solutions différentes en ce qui concerne la mutabilité du régime (A) ils posent tous deux un principe d’unité de la loi applicable admettant des exceptions (B).

 

        A. Des positions distinctes concernant la mutabilité de la loi applicable

Les deux droits permettent la mutabilité volontaire de la loi applicable. En effet les deux droits font une place importante à la volonté des époux : ainsi le régime matrimonial est régi par la loi d’autonomie, et les époux peuvent modifier la loi applicable à leur régime matrimonial à tout moment par accord : cette possibilité est garantie en droit français par l’art. 6 de la Convention de la Haye et en droit allemand par l’art 15 II EGBGB, qui permettent de choisir la loi de la nationalité de l’un des époux ou de la résidence habituelle de l’un des époux. Dans la Convention de la Haye ce choix est par défaut rétroactif, dans le système allemand il vaut uniquement pour l’avenir à défaut de stipulation contraire.

Mais l’art 7. de la Convention de la Haye va plus loin et prévoit dans certains cas une mutabilité automatique de la loi applicable (sans accord exprès) lorsque les époux n’ont pas choisi de loi ou signé de contrat de mariage. Ainsi, bien que l’art. 4 rattache le régime matrimonial au lieu de la première résidence habituelle des époux après le mariage, l’art 7 prévoit la mutabilité automatique en faveur de la loi de la nouvelle résidence habituelle lorsque les époux y sont établis depuis 10 ans ou bien directement lorsqu’ils en possèdent la nationalité. Ce changement ne vaut que pour l’avenir. Le droit allemand à l’inverse pose un principe d’immutabilité de la loi applicable : l’art 15 I EGBGB opère un rattachement fixe à la loi applicable aux effets du mariage au moment de la conclusion du mariage (loi de la nationalité des époux). Toutefois le problème de mutabilité automatique peut ressurgir en droit allemand par la voie du renvoi : en effet, contrairement à la Convention de la Haye, l’art 4 II EGBGB admet le renvoi : ainsi, si la loi désignée comme applicable ne se reconnaît pas entièrement compétente et prévoit la mutabilité de la loi applicable (renvoi partiel à la loi allemande ou à une loi tierce), le droit allemand doit suivre le changement de loi prévu par la lex causae. Les deux droits peuvent donc conduire à une mutabilité automatique de la loi applicable, dans le cas de la Convention de la Haye par volonté d’appliquer la loi la plus proche de la situation réelle des époux, dans le droit allemand par respect de la lex causae qui prévoit une mutabilité automatique.

 

         B. Un principe commun d’unité de la loi applicable admettant des exceptions

Les deux droits permettent aussi l’application d’une loi différente non plus dans le temps mais en fonction de la nature des biens considérés. Bien que les régimes français et allemands adoptent un rattachement unitaire du régime matrimonial (principe d’unité de la loi applicable), ils font une exception pour les immeubles : les époux peuvent s’ils le souhaitent soumettre les immeubles à la loi de situation du bien (art. 3 al 4 ; art 15 al 2 EGBGB). Le choix peut se faire pour l’ensemble des immeubles présents ou pour chaque immeuble pris isolément.

L’intérêt de cette mesure est incertain. Cela offre en tout cas aux époux une latitude supplémentaire. Dans le système de la Convention de la Haye cela permet aussi la conciliation avec la loi de situation lorsque celle-ci rattache les biens matrimoniaux immeubles à la lex rei sitae (par exemple dans les pays de common law). Le droit allemand en revanche applique toujours la loi de situation de l’immeuble lorsque celle-ci se reconnaît compétente, même en l’absence de choix des époux en ce sens. C’est le principe de la primauté du statut particulier sur le statut général posé par l’art. 3a al. 2 EGBGB : l’immeuble échappe alors au statut général du régime matrimonial pour être soumis au statut particulier de la loi du lieu de situation.

 

Ainsi, le droit français et le droit allemand peuvent tous deux conduire à une mutabilité volontaire et automatique de la loi applicable dans le temps, et permettent tous deux de soustraire les immeubles au régime général pour les soumettre à la loi du lieu de situation. Les discussions préalables à l’élaboration du règlement ont relevé les problèmes posés par de tels morcellements du régime matrimonial, le règlement cherche donc à les éviter en renforçant la permanence et l’unité de la loi applicable.

 

  1. Le renforcement de la permanence et de l’unité de la loi applicable par le règlement

Le règlement rattache le régime matrimonial à la loi choisie par les époux et à défaut à la première résidence habituelle des époux après le mariage (et non à la loi personnelle des époux comme le faisait le droit allemand). Mais surtout le rattachement légal n’a plus vocation à changer en l’absence d’accord des époux puisque le règlement supprime la mutabilité automatique (A). Il pose aussi un principe absolu d’unité de la loi applicable (B).

 

  1. La fin de la mutabilité automatique

Le règlement continue à permettre la mutabilité volontaire mais met fin à la mutabilité automatique de la loi applicable. Les époux pourront toujours modifier la loi applicable en cours de régime par accord (art. 22) en choisissant la loi de la résidence habituelle ou de la nationalité de l’un des époux, ce choix n’est pas rétroactif à défaut de stipulation contraire. Certes la mutabilité volontaire est source de complexité mais elle reste un instrument précieux pour les couples internationaux qui disposent ainsi d’une latitude importante dans la détermination de leur régime matrimonial (bien plus que dans des situations purement internes). Le changement de loi permet notamment d’échapper à des situations où le droit interne anciennement applicable n’autorise pas la mutabilité du régime matrimonial lorsque les époux souhaitent changer de régime applicable.

En revanche le règlement exclut toute mutabilité automatique : la loi applicable est celle de la première résidence habituelle des époux après le mariage (art. 4). L’art 32 du règlement exclut le renvoi, il évite donc la réapparition du problème par ce biais (contrairement au droit allemand actuel). Ce sera donc la fin des nombreux problèmes posés par la mutabilité automatique : comme la mutabilité automatique ne vaut que pour l’avenir, elle entraîne l’apparition de différentes masses patrimoniales devant être liquidées séparément. Cela peut aussi conduire à l’application de différents régimes matrimoniaux (selon le régime légal adopté par la loi applicable). Ce qui est d’autant plus problématique que les époux ignorent le plus souvent le changement de loi et de régime, la mutabilité automatique est donc source d’insécurité juridique. Le règlement prévoit toutefois une clause d’exception (art 26 al 2), qui permet à l’un des époux de demander au juge l’application (rétroactive) d’une autre loi que celle de la première résidence habituelle s’il démontre que les époux ont résidé dans cet Etat durant une période sensiblement plus longue que dans leur première résidence habituelle et qu’ils se sont fondés sur la loi de cet Etat pour organiser leurs rapports patrimoniaux. Toutefois ce changement de loi étant par défaut rétroactif, il ne conduit pas à l’apparition de masses patrimoniales distinctes comme le faisait la mutabilité automatique.

 

  1. Le retour à un principe absolu d’unité de la loi applicable

En plus de limiter les hypothèses de morcellement du régime matrimonial dans le temps, le règlement met également fin à la possibilité de choisir une loi différente pour les immeubles. Il pose un principe d’unité de la loi absolu (art. 21). Comme le règlement applicable aux successions qui avait opté pour le rattachement unitaire de la succession des biens meubles et immeubles, il supprime dans un souci de simplification toute distinction relative à la nature des biens.

Le régime introduit par le règlement se place donc dans la continuité des régimes français et allemands actuels en en conservant les grands principes, mais il simplifie le régime de la loi applicable en restreignant les cas de morcellement du régime matrimonial. L’abandon de la mutabilité automatique en particulier représente un progrès dans la mesure où elle générait une complexité supplémentaire, le plus souvent contre l’intérêt des époux. Toutefois, même la mutabilité volontaire, avec les avantages qu’elle comporte, reste source de complications et d’incertitudes juridiques pour les intéressés. Le choix de loi applicable peut se heurter aux limites posées par le droit matériel de la nouvelle loi. Par exemple : quel est l’effet d’un choix de loi rétroactif lorsque la loi nouvelle interdit la rétroactivité du changement de régime matrimonial ? D’un simple changement de loi quand la nouvelle loi applicable interdit la mutabilité ? Cela conduit à penser que seule une unification du droit matériel au niveau européen, à l’image de l'accord franco-allemand instituant un régime matrimonial franco-allemand optionnel de participation aux acquêts (qui n’a toutefois pas eu le succès espéré, car rarement choisi par les époux[1]) pourrait gommer complètement les problèmes posés par l’application successive/simultanée de lois différentes à un même régime matrimonial.

 

Bibliographie :

 

  • OUVRAGES

- T. Rauscher, Internationales Privatrecht, CF. Müller 2012.

- Bamberger/Roth, Beck’scher Online Kommentar/BGB, EGBGB Art. 15, 2013.

- P. Mayer, V. Heuzé, Droit international privé, LGDJ 2014.

- M. Niboyet/G. de Geouffre de la Pradelle, Droit international privé, LGDJ 2013.

 

  • ARTICLES

- H. Péroz, Le nouveau règlement sur les régimes matrimoniaux, La semaine juridique - notariale et immobilière n°29, 2016, p. 33.

- J. Weber, Die europäischen Güterrechtsverordnungen: eine erste Annäherung, DNotZ 2016, p. 659.

- G. Schotten, Die Konstituierung des neuen sowie die Beendigung und Abwicklung des alten Güterstands nach einer Rechtswahl, DNotZ 1999, p. 326.

- Nicola Hoischen, Der deutsch-französische Wahlgüterstand in der notariellen Praxis, RNotZ 2015, p. 317.

 

  • Sites internet

https://www.notaires.fr/fr/expatriation-eviter-la-mutabilit%C3%A9automat...

http://www.professioncgp.com/article/juridique-et-fiscal/famille/unir-re...

 


[1] Nicola Hoischen, Der deutsch-französische Wahlgüterstand in der notariellen Praxis, RNotZ 2015, p. 318.