Le sort des actes et délibérations d´un conseil d´administration/conseil de surveillance irrégulièrement composé, dans les droits des sociétés allemand et français.

Dans son arrêt du 19 février 2013, équivalent à un arrêt de cassation en droit français, le Bundesgerichtshof (BGH, Cour fédérale de justice allemande) était une nouvelle fois amené à se prononcer sur les conséquences de la participation aux délibérations du conseil de surveillance d´une société anonyme, d’un ou plusieurs membres irrégulièrement nommés membre du conseil de surveillance. En d´autres termes, le BGH se trouvait confronté à la problématique suivante : la nullité de la nomination, de la convocation ou de la composition d´un conseil de surveillance entraine-t-elle la nullité des actes et délibérations pris par ce conseil de surveillance ?

Cette question, qui s’inscrit au sein de la problématique plus large des nullités en chaine, ne manque pas d’enjeux. En effet, selon le droit commun en Allemagne comme en France, la nullité, sanction des conditions de formation d’un acte, est rétroactive et correspond donc à un anéantissement de l’acte qui est considéré comme n’ayant jamais existé. Une application illimitée de ce principe à la nullité des nominations irrégulières d’un organe de société entraine par conséquent la nullité de tous les actes et délibérations pris par l’organe social ainsi nommé. En d’autres termes la nullité des nominations irrégulières d’un organe social (acte premier) entraine la nullité de tous les actes et délibérations dits subséquents ou secondaires (Jacques Moury, Les nullités « en cascade » en droit des sociétés, Revue des Sociétés, 2013, pp.599 et s.).

Par ailleurs, la nullité en droit français est toujours judiciaire. En droit allemand, si la nullité est, en principe, de plein droit et résulte de la simple déclaration de volonté de la partie intéressée (Yves Picod, Répertoire de droit civil – Nullité, mars 2013, dernière mise à jour octobre 2013, pp.30-45), la nullité des actes et délibérations des organes sociaux peut uniquement être prononcée par le juge (Wulf Döser, BGH : Auswirkung des Amtsendes auf eine Anfechtungsklage gegen die Wahl eines Aufsichtsratsmitglieds, LMK 346570, 2013). Or les contentieux judiciaires sont le plus souvent très longs de sorte que la nullité d’un acte ou d’une délibération peut intervenir des années après sa prise d’effets. 

Ces principes de nullité rétroactive et judiciaire entrainent avec eux une très forte insécurité juridique tant pour les tiers que pour la société elle-même. En effet, la nullité entraine l´anéantissement de l´acte et a notamment pour conséquences d’éventuelles restitutions consécutives au mécanisme d’enrichissement sans cause en droit allemand (§812 I 2 BGB) et à la répétition de l’indu en droit français (art. 1376 Code civil) (Marc-Philippe WELLER, L'anéantissement du contrat en France et en Allemagne, Revue des contrats, 01 octobre 2013 n° 4, p. 1628).

Les législateurs allemands et français ont pris à sa juste mesure l’ampleur de la problématique des nullités en chaine en droit des sociétés, concernant les actes créateurs de société et ont instauré des mécanismes pour en limiter les effets. En effet, concernant les sociétés par action, le législateur allemand a édifié la « Lehre von der fehlerhaften Gesellschaft » (théorie de la société irrégulière), qui veut que la nullité touchant la société dans son entier, ne déploie d’effets que pour l’avenir (§§ 275 ff. AktG, §§ 75 ff. GmbHG). La législation française soumet quant à elle la nullité de la société et des actes modifiants les statuts à un régime de nullité distinct et plus restrictif que celui applicable aux actes ou délibérations autres (Art L. 235- 1 Code de commerce) et prévoit expressément que la nullité de la société ne rétroagit pas (Art 1844-15 al. 1 Code civil).

En revanche, les effets des nullités en cascade sur les autres actes sociaux semblent avoir été sous-estimés tant par le législateur allemand que français. Ainsi les régimes juridiques de nullités mis en place pour les actes et délibérations des organes sociaux en cours de vie sociale laissent entre-ouverte la porte à des conséquences pouvant être économiquement désastreuses. C'est précisément dans ce cadre qu'intervient l'arrêt du BGH du 19 février 2013. 

Afin de mettre en lumière l’arrêt du BGH du 19 février 2013, j’étudierai les régimes applicables en droits allemand et français aux actes et délibérations des organes sociaux et plus particulièrement du conseil d’administration/conseil de surveillance des sociétés par actions, dont la nomination ou composition est nulle car irrégulière. J´emprunterai pour ce faire la méthode fonctionnelle de comparaison, qui permet d´exposer les solutions apportées par des ordres juridiques distincts à un problème donné. Nous constaterons ainsi que les droits allemand et français présentent des solutions traditionnelles comparables, à savoir la nullité des délibérations des CA/CS irrégulièrement composés (I), mais qu’ils tentent de renforcer l’impératif de sécurité juridique par des évolutions jurisprudentielles contemporaines distinctes  (II).

Quant au vocabulaire utilisé, il convient de rappeler que la société anonyme allemande ne connait pas de conseil d’administration mais uniquement un modèle à conseil de surveillance (CS). Le droit français distingue quant à lui les sociétés anonymes à conseil de surveillance de celles à conseil d’administration (CA). En droit français je préciserai uniquement le régime applicable aux  sociétés anonymes (SA) à conseil d’administration (forme la plus répandue en pratique), celui-ci s’appliquant également en grande partie aux SA à conseil de surveillance. Enfin, à titre indicatif, l’expression « irrégulièrement composé » sera, dans cette note, employée au sens large pour embrasser divers cas de figure susceptibles de nullité (par exemple : un membre du CA/CS ne remplit pas les conditions d’éligibilité prévue par la loi ; le membres du CA/CS ont été nommés par une assemblée générale  elle-même irrégulière ; le CA/CS a été convoqué par des actionnaires nonobstant les modalités de convocation ; dépassement de la limite législative de cumul des mandats ; délibération du CA/CS en présence de tiers).

 

  1. Une solution traditionnelle comparable en droit allemand et en droit français.

Dans l´hypothèse de la nullité des nominations irrégulières d´un organe social, les droits allemands et français s´accordent sur le principe de nullité des délibérations effectuées par cet organe social (A) tout en en admettant des exceptions ou nuances ponctuelles (B).

  1. Le principe de nullité des délibérations du conseil d´administration/de surveillance irrégulièrement composé.

En droit allemand le principe de nullité des délibérations du conseil d´administration dont la composition est irrégulière, découle d´un régime jurisprudentiel établie dès la moitié du XXème siècle. En effet, le juge allemand, en accord avec la doctrine, a très tôt refusé de considérer comme valides les délibérations et actes sociaux d´un organe social irrégulièrement composé. C´est ainsi que dans l´arrêt BGH, 16.12.1953 – II ZR 167/52 (KG Berlin) le Bundesgerichtshof avait énoncé que les décisions prises par l´assemblée générale (AG) des actionnaires d´une GmbH (comparable à la SARL française) convoquée par des actionnaires qui ne disposaient pas de la majorité nécessaire pour ce faire, sont nulles. Le juge soulignait que l´anéantissement rétroactif de l´acte réside dans la nature même de la nullité et qu´il ne saurait y être dérogé quand bien même l´acte aurait été approuvé par les intéressés. De la même façon, peu importe que le manquement à la loi ayant provoqué l´irrégularité ait eu une quelque influence que ce soit sur la délibération. En l´espèce, la nullité des délibérations de l´AG irrégulièrement convoquée entrainait la nullité de l´élection par l´AG du nouveau conseil d´administration de la société. Le mécanisme de la nullité en chaine étant poussé jusqu´à son paroxysme, était également nulle la délibération du conseil de surveillance nommant le nouveau dirigeant d´entreprise. Le BHG réitère sa position en 1967 dans l´arrêt BGH, 17.04.1967 – II ZR 157/64 (Hamm). Le juge énonce alors que la participation d´un tiers à une délibération du conseil de surveillance n´entraine pas sa nullité lorsque peut être apportée la preuve que la voix du tiers n´a pas influencé la délibération. A contrario, le juge souligne qu´une délibération du conseil de surveillance, influencée par la voix d´un tiers, est nulle.

En droit français le juge n´est pas tant intervenu mais a laissé le soin au législateur de définir le régime applicable aux actes et délibérations d´un organe social irrégulièrement composé. Pour autant le résultat est comparable. Dès 1966 le législateur instaure un régime de droit commun des nullités pour les sociétés commerciales à l´article 360 de la Loi n°66-537 du 24 juillet 1966 abrogé et remplacé en l´an 2000 par l´article L. 235-1 du Code de commerce. Le législateur y distingue deux régimes de nullité. Tandis que la nullité d´une société et des actes modifiants les statuts ne peut résulter que d´une disposition expresse (Art L 235-1 al.1 Code de commerce), la nullité de tous autres actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d´une disposition impérative du livre 2 du Code de commerce ou du droit des contrats (Art L 235-1 al.2 Code de commerce). J-P. Legros distingue ainsi les nullités impératives de l´alinéa 1, des nullités de l´alinéa 2 qu´il qualifie de virtuelles dans la mesure où « la nullité est encourue même en l´absence de sanction formellement exprimée » (J-P. Legros, La nullité des décisions de sociétés, Revue des sociétés, 1991, pp. 275 s.). Les actes et délibérations des organes sociaux et par conséquent du conseil d’administration, sont, faute de régime plus spécifique, soumis au régime des nullités virtuelles. La difficulté réside dans l´absence de définition de la notion de disposition impérative par le législateur. Il appartient dès lors au juge d´apprécier le caractère impératif d´une disposition et de déterminer par là même si la nullité d´un acte est susceptible de découler d´un manquement à cette disposition (J-P. Legros, La nullité des décisions de sociétés, Revue des sociétés, 1991, pp. 275 s.). C´est ainsi que dans l´arrêt Cointreau, Ch. Com. 24 avril 1990, la cour de cassation considère que, «  viole l´article 360 de la loi du 24 juillet 1966, la cour d´appel qui avait retenu que les nominations irrégulières d´administrateurs n´influencent pas les décisions du conseil d´administration ainsi constitué ».

Le législateur français et le juge allemand aboutissent finalement à la même solution de principe : les actes et délibérations des organes sociaux, et par conséquent du conseil d´administration/de surveillance d´une société, dont la nomination est nulle, sont également frappés de nullités. Toutefois, ce principe n´est pas sans nuances et/ou exceptions.

  1. Les exceptions et nuances au principe de nullité des délibérations du conseil d´administration/de surveillance irrégulièrement composé.

En droit allemand la doctrine souligne depuis longtemps la nécessité de nuancer le principe de nullité des actes et délibérations pris par les organes sociaux irrégulièrement composés. Nombre d’auteurs préconisent ainsi l’instauration d’une « Lehre der fehlerhaften Organbestellung » (théorie de la nomination irrégulière) s’appuyant sur le modèle de la « Lehre von der fehlerhaften Gesellschaft » (théorie de la société irrégulière ; cf. introduction). Selon cette théorie, la nullité de la désignation du conseil de surveillance n’entacherait pas la régularité des actes et délibérations pris par cet organe (Hüffer, AktG, 10. Aufl., 2012, § 101, Rdnrn 17 f. ; Bezzenberger, Grosskomm. Z. AktG , 4. Aufl., 1999, § 147 Rdnr. 52). Il s’agirait d’admettre la validité des actes et délibérations pris par un organe dont la nomination est nulle, nonobstant le fait que ces actes et délibérations sont privés de tout fondement en vertu du principe  selon lequel ce qui est nul est réputé n’avoir jamais existé et ne produit aucun effet (Jacques Moury, Les nullités « en cascade » en droit des sociétés, Revue des Sociétés, 2013, pp.599 et s.; Anne Charaviérat, De quelques difficultés relatives à la nullité d’une décision sociale irrégulière, Revue des sociétés, 2010, pp.212 et s.). Ce courant doctrinal est en partie entendu par le juge allemand à partir de 2006. En effet, à compter de l’arrêt BGH 03.07.2006 – II ZR 151/04 (OLG Köln) le Bundesgerichtshof met en place une jurisprudence différenciée. En l’espèce, le conseil de surveillance d’une Aktiengesellschaft (littéralement société par actions - équivalent de la société anonyme en droit français), dont le mandat était arrivé à sa fin, avait poursuivi ses fonctions en tant que tel durant plusieurs années. Le BGH refuse la demande de la société visant à la restitution des sommes perçues par le conseil de surveillance à titre de rémunération à partir de l’expiration du mandat et énonce pour justification que la « Lehre von der fehlerhaften Bestellung „ doit être appliquée à l’égard à la rémunération perçue. A partir de 2006 la jurisprudence distingue ainsi entre l’application de la « Lehre von der fehlerhaften Bestellung „ concernant la rémunération, la responsabilité et les obligations de l’organe irrégulièrement désigné, d’une part, et la nullité rétroactive des actes et délibérations de cet organe, d’autre part (Wulf Döser, BGH : Auswirkung des Amtsendes auf eine Anfechtungsklage gegen die Wahl eines Aufsichtsratsmitglieds, LMK 346570, 2013).

Le droit français emprunte une tout autre voie pour encadrer les nullités en cascades des décisions sociales. Le législateur conscient de l’insécurité juridique pouvant résulter de la nullité de la désignation d’un organe social, a prévu des exceptions ponctuelles au mécanisme des nullités en chaine. J-P Legros parle à ce titre de « nullités exclues » (J-P. Legros, La nullité des décisions de sociétés, Revue des sociétés, 1991, pp. 275 s.). Il s’agit des cas où la nullité en cascade est exclue par le législateur, soit expressément, soit implicitement (par l’édiction d’une sanction alternative). A titre d’exemple, concernant le conseil d’administration, le législateur prévoit à l’article L 225-22 du code de commerce, qu’un salarié ne peut être nommé administrateur que lorsque son contrat de travail correspond à un emploi effectif, que toute nomination contraire à cette disposition est nulle mais que les délibérations auxquelles a pris part cet administrateur sont valides. De la même façon, l’article L 225-24 du code de commerce prévoit les cas dans lesquels le conseil d’administration peut procéder à des nominations provisoires d’administrateurs soumis ensuite à la ratification par l’assemblée générale des actionnaires et ajoute que faute de ratification, les délibérations et actes accomplis par le conseil d’administration n’en demeurent pas moins valables. Enfin, l’article L 225-21 du code de commerce prévoit que l’administrateur qui dépasse le nombre légal de cumul des mandats, dispose de trois mois pour se démettre d’un de ses mandats, et, à l’expiration de ce délai,  est réputé démissionnaire, sans que ne soit remises en cause la validité des délibérations auxquelles il a pris part. 

Ces nuances et exceptions prévues en droits allemand et français restent toutefois très limitées et insuffisantes face à l’ampleur du mécanisme des nullités en chaine et de ses effets sur les décisions sociales. On ne peut donc que saluer les développements jurisprudentiels récents dans ces deux ordres juridiques.

  1. Des évolutions jurisprudentielles contemporaines distinctes favorables à l’impératif de sécurité juridique.

Les juges allemand et français ont perçu la nécessité de limiter la nullité des décisions sociales prises par un organe social irrégulièrement composé. Si le juge allemand fait le choix d’un encadrement strict de la « Lehre von der fehlerhaften Bestellung » (A), le juge français instaure un principe général d’étude au cas par cas du sort des actes subséquents (B).

  1. L’arrêt BGH 19.02.2013 : un encadrement strict de l’application de la « Lehre von der fehlerhaften Bestellung »au conseil de surveillance.

Déjà avec son ordonnance du 27.09.2011 HVB/UniCredit, le Bundesgerichtshof avait provoqué des remous concernant l’application de la « Lehre von der fehlerhaften Organbestellung ». Dans cette ordonnance le BGH énonce que la personne désignée comme représentant de la société dans les statuts (besonderer Vertreter) dispose de la qualité d’organe de la société de sorte que les principes de la « Lehre von der fehlerhaften Organbestellung » lui sont applicables. Il ajoute que, malgré la nullité de la délibération de l’assemblée générale des actionnaires ayant nommé le représentant, les activités exercées par le représentant doivent être normalement rémunérées et que les actes juridiques accomplis antérieurement au prononcé de la nullité doivent être considérés comme valides. Certains auteurs y ont vu la reconnaissance jurisprudentielle d’une application générale la théorie de la « Lehre von der fehlerhaften Organbestellung » à tous les organes de la société en raison de la formulation générale adoptée par le BGH (Walter Bayer, Jan Lieder, Die Lehre vom fehlerhaften Bestellungsverhältnis, NZG I/2012, S. 1-40). Un éclaircissement se faisait nécessaire. Celui-ci a été apporté par l’arrêt BGH 19.02.2013 – II ZR 56/12.

Dans cet arrêt le BGH déclare que le membre du conseil de surveillance dont la nomination est nulle, doit être considéré comme non membre du CS pour le décompte des voix lors d’une délibération. Dès lors, une délibération reposant sur la voix d’un membre du CS irrégulièrement nommé, est nulle. Le BGH émet un refus clair à l’application généralisée de la « Lehre von der fehlerhaften Organbestellung ». Le BGH ajoute toutefois que, dès lors que l’anéantissement rétroactif de l’acte ou de la délibération est contraire aux intérêts des parties en présence, une analyse individuelle, au cas par cas, s’impose. Le BGH détaille ainsi différents cas de figure. Il considère que les tiers de bonne foi sont suffisamment protégés dans la mesure où ils sont en droit de croire en la légitimité pour agir de la personne mettant en œuvre la délibération. L’application de la théorie de « fehlerhafte Organbestellung » ne peut pas plus être invoquée par les membres d’organes de la société. Le BGH considère en effet, qu’une telle possibilité viderait de son sens le droit et l’obligation des membres d’organes de la société de contester les actes et délibérations d’un CS irrégulièrement composé. L’argument reste tout aussi pertinent dans le cas d’une délibération du CS portant nomination des membres du directoire.  En effet, le directoire bénéficie lui-même de la théorie de la « fehlerhafte Organbestellung » de sorte que malgré la nullité de la délibération l’ayant constitué, il conserve la fonction de direction de la société. Ceci n’est pas problématique, dans la mesure où le CS nouvellement constitué après la déclaration de nullité de l’ancien CS, dispose du pouvoir d’approuver la composition du directoire ou de le révoquer. Le BGH considère ensuite, que dans les cas où la délibération du conseil de surveillance consiste en un avis adressé à l’assemblée générale des actionnaires, un tel avis n’influence pas suffisamment les délibérations de l’AG, de sorte que l’application de la « Lehre von der fehlerhaften Bestellung » n’est, là, pas non plus justifiée. Comme le souligne la doctrine, cette décision ne constitue pas une remise en cause de la « Lehre von der fehlerhafter Bestellung » mais bien une limitation de son application aux seules problématiques que sont les devoirs, la responsabilité et la rémunération des personnes irrégulièrement nommées membre du conseil de surveillance (Wulf Döser, BGH : Auswirkung des Amtsendes auf eine Anfechtungsklage gegen die Wahl eines Aufsichtsratsmitglieds, LMK 346570, 2013 ; Leuering, Rubner, Wirkung der Anfechtug einer Aufsichtsratswahl, NJW-Spezial, 2013, S. 239).

La jurisprudence française, connait également des évolutions relativement récentes mais,  contrairement au juge allemand, le juge français fait le choix d´un principe général d´appréciation au cas par cas du sort des actes subséquents.

  1. L’arrêt Ch. Com. 27. 01.2009 : l’appréciation au cas par cas du sort des actes subséquents.

Le juge conscient du caractère trop restrictif de sa jurisprudence Cointreau a procédé à un revirement de jurisprudence avec l´arrêt Ch. com. 27 janvier 2009. L´intervention du juge s´ajoute ainsi à celle du législateur dans le souci de limiter les cas de nullité en cascade en matière d´acte sociaux pris par un organe de la société irrégulièrement formé. En l´espèce, l´assemblée générale des associés d´une société par action simplifiée (SAS) a révoqué et remplacé le président de la société initialement prévu dans les statuts avant même que la SAS ne soit immatriculée au registre du commerce et des sociétés. La Cour d´appel fait droit à la demande du président initialement désigné dans les statuts, d´annuler la décision de l´AG concernant la révocation et la nomination d´un nouveau président. Elle rejette en revanche la demande tendant à l´annulation de tous les actes accomplis par le nouveau président dont la nomination est annulée. Le demandeur à l´action se pourvoit en cassation, invoquant une violation de l´article 1844-10 Code civil dans la mesure où «  l´annulation d´une délibération d´assemblée générale d´associés entraine par voie de conséquence l´anéantissement de tous les actes subséquents dont elle constituait le fondement ». La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi considérant que la Cour d’appel  a exactement déduit que la validité des actes pris par le dirigeant dont la nomination a été annulée ne peut être « appréciée qu´à propos de chacun d´eux ».

Cette solution, saluée par les auteurs (P. Le Canu, Validité des actes du président statutaire de SAS remplacé avant immatriculation : nécessité d´un examen individuel de chaque acte, RTD Com., 2009, p.391 ; M-L Coquelet, Sort des actes accomplis en période de formation par le dirigeant irrégulièrement nommé, Droit des sociétés n° 5, Mai 2009, comm. 90), remet en cause le principe de nullité en cascade en cas d´irrégularité de la nomination d´un dirigeant de société. Toutefois, l´application de cette solution aux actes des différents organes d´une société reste incertaine. En effet la formulation de la Cour de cassation est très spécifique et ne laisse aucunement deviner si une même solution serait appliquée aux délibérations d´un conseil d´administration irrégulièrement nommé. En ce sens cette solution,  bien qu’elle amorce une évolution favorable à d’avantage de sécurité juridique, accuse un certain retard en matière de clarté et d´exhaustivité en comparaison à la solution apporté par le BGH dans son arrêt du 19 février 2013.

 

 

 

Il convient pour finir de souligner que, si ces évolutions jurisprudentielles récentes empruntent des voies distinctes, elles se rapprochent quant à leur effet, à savoir la limitation  du mécanisme des nullités en cascade en droit des sociétés. Par-là même, les droits allemand et français s’inscrivent dans la tendance plus large initiée par le droit de l’Union européenne, qui tend à limiter le jeu des nullités en droit des sociétés, tant au niveau de leurs causes que de leurs effets.

 

BIBLIOGRAPHIE :

Ouvrages :

 

Hüffer, AktG, 10. Aufl., 2012, § 101, Rdnrn 17 f.

 

Articles de doctrine :

 

Jacques Moury, Les nullités « en cascade » en droit des sociétés, Revue des Sociétés, 2013, pp.599 et s.

Anne Charaviérat, De quelques difficultés relatives à la nullité d’une décision sociale irrégulière, Revue des sociétés, 2010, pp.212 et s.).

J-P. Legros, La nullité des décisions de sociétés, Revue des sociétés, 1991, pp. 275 s.

Yves Picod, Répertoire de droit civil – Nullité, mars 2013, dernière mise à jour octobre 2013, pp.30-4

Marc-Philippe WELLER, L'anéantissement du contrat en France et en Allemagne, Revue des contrats, 01 octobre 2013 n° 4, p. 1628

P. Le Canu, Validité des actes du président statutaire de SAS remplacé avant immatriculation : nécessité d´un examen individuel de chaque acte, RTD Com., 2009, p.391

M-L Coquelet, Sort des actes accomplis en période de formation par le dirigeant irrégulièrement nommé, Droit des sociétés n° 5, Mai 2009, comm. 90

 

Wulf Döser, BGH : Auswirkung des Amtsendes auf eine Anfechtungsklage gegen die Wahl eines Aufsichtsratsmitglieds, LMK 346570, 2013

Bezzenberger, Grosskomm. Z. AktG , 4. Aufl., 1999, § 147 Rdnr. 52

Walter Bayer, Jan Lieder, Die Lehre vom fehlerhaften Bestellungsverhältnis, NZG I/2012, S. 1-40

Leuering, Rubner, Wirkung der Anfechtug einer Aufsichtsratswahl, NJW-Spezial, 2013, S. 239

 

Jurisprudence:

 

Ch. Com. 24 avril 1990 (arrêt Cointreau)

Ch. com. 27 janvier 2009

 

BGH, 19.02.2013 - II ZR 56/12

BGH, 16.12.1953 – II ZR 167/52 (KG Berlin)

BGH, 17.04.1967 – II ZR 157/64 (Hamm)

BGH, 03.07.2006 – II ZR 151/04 (OLG Köln)

BGH Beschluss 27.09.2011 HVB/UniCredit