Les différences de réception et d'adoption de la coutume internationale en droit Anglais et en droit Français, par Annabel Champetier

La place du droit international en droit interne fluctue en fonction de la norme internationale concernée. Quelle position occupe la coutume internationale en Droit Anglais et en Droit Français? Afin de répondre à cette question, il convient d'étudier les mécanismes de réception et d'adoption mis en place par chaque pays. Cette analyse met en lumière les différences de conception de la relation droit international/droit interne, et permet de constater que l'opposition monisme/dualisme est parfois réductrice et ne parvient pas à refléter la véritable place de la coutume internationale dans ces deux pays.

Le problème de la place de la coutume internationale en droit Anglais et en droit Français illustre la complexité de l'opposition théorique entre monisme et dualisme. La présentation systématique des rapports entre droit international et droit interne sous l'angle de cette opposition n'est pas seulement simple; elle est simpliste. Elle a souvent permis de cacher les complexités de la situation plutôt que de les expliquer. L’analyse de l'évolution de la jurisprudence aussi bien en droit Français qu'en droit Anglais permet de mettre en évidence l'absence de solution tranchée en faveur d'une doctrine ou d'une autre. Ainsi, en 1905, lors de l'affaire West Rand Central Gold Co v. R, Lord Alverstone déclare qu’« une règle coutumière de droit international ne sera appliquée en droit interne qu'une fois clairement approuvée par le Royaume-Uni et dès lors que des preuves suffisantes auront établi que cette règle ne pourrait être rejetée par n'importe quel Etat civilisé ».

           A partir de ce jugement, il convient dans une première partie d'étudier l'évolution de l'attitude adoptée par le droit Anglais face à la coutume internationale. Par quels mécanismes en assure-t-il la réception et l'adoption en droit interne? Une analyse comparée de la position du droit Français permettra de mettre en lumière les différences existant  entre ces deux systèmes juridiques, ainsi que les complexités de l'opposition monisme/dualisme.
           Dans un second temps, nous verrons en nous appuyant sur l'exemple Anglais que la méthode utilisée par un Etat nous renseigne seulement sur la façon dont il reçoit la coutume internationale, mais ne le définit en aucun cas comme un Etat moniste ou dualiste. Enfin, il sera montré qu'il est plus juste de prendre en compte d'autres facteurs que l'origine de la coutume, tels que son contenu et son impact sur le droit interne, afin d'adopter tel ou tel mode de réception.
           Réception et adoption de la coutume internationale en droits internes Anglais et Français : des approches qui transcendent l'opposition Monisme/Dualisme.
           D'après l'article 38 du statut de Cour Internationale de Justice, la coutume est une « pratique générale acceptée comme étant le droit ». En effet, une règle de droit international peut exister en l'absence de tout accord formel entre Etats, en conséquence de la répétition, dans certaines conditions, d'un comportement donné dans la vie internationale. La coutume exige la réunion de deux éléments : un élément matériel aussi appelé « usage » (actes étatiques, actes interétatiques...) et un élément psychologique, l'« Opinio Juris », signifiant qu'il faut une pratique dictée par le sentiment d'une obligation juridique. Quel est le sort du droit coutumier international en droit interne Anglais?           Le Royaume-Uni, qui est souvent considéré comme étant l'exemple type d'un Etat dualiste, est très ouvert aux coutumes internationales puisque selon Blackstone, « the law of the nations...is here adopted in its fullest extent by the common law,and it is held to be a part of the law of the land ». Il convient tout d'abord de rappeler brièvement le contenu des deux doctrines. Pour la théorie dualiste, parce qu'il porte sur un objet et des rapports différents, le droit international ne peut s'appliquer dans l'ordre interne que s'il est reçu par lui à la suite d'une procédure particulière. Cette réception implique que pour recevoir application dans l'ordre interne, la norme internationale doit changer de nature et être  préalablement transformée en règle de droit interne. Il en résulte que les tribunaux nationaux ne jugent que sur la base du droit interne. En droit Anglais, ce mode de réception du droit international se fait à travers la méthode dite de « transformation ». La doctrine moniste, quant à elle, s'oppose à l'élaboration d'actes de transposition permettant l'applicabilité du droit international en droit interne. D'après elle, les deux droits font partie d'un même ordre et toutes les dispositions du droit international sont directement applicables en droit interne. Le droit Anglais utilise dans ce cas là la méthode de l'« incorporation  ». Qu'en est-il en ce qui concerne la coutume internationale?
           Après de nombreuses hésitations jurisprudentielles, le Royaume-Uni semble toutefois adopter l'approche moniste. Au 18ème siècle, deux affaires concernant des cas d'immunité diplomatique ont ouvert la voie à cette approche. En 1737, lors de l'affaire Buvot v. Barbuit, Lord Talbot déclara « the law of nations in its full extent was part of the law of England ». Autrement dit,  la coutume internationale telle qu'acceptée par les Etats fait partie de la loi du Royaume-Uni , sans besoin quelconque de transposition en droit interne. Cette méthode fut confirmée en 1764 dans l'affaire Triquet v. Bath. Toutefois, par la   suite, plusieurs cas ont suggéré que la coutume internationale ne pouvait pas  interférer en droit anglais sans adoption expresse. En 1876, la Cour a opéré un changement de la doctrine de l'incorporation vers celle de la transformation. Lors de l'affaire R v. Keyn, plusieurs Lords ont déclaré que les règles coutumières sur la délimitation des eaux territoriales ne faisaient pas partie du droit interne Anglais en l'absence d'adoption spécifique. Mais de nombreux commentateurs ont minimisé l'impact de cette décision. En effet, il régnait beaucoup de doutes  quant à l'existence même d'une règle coutumière.  En 1905, lors de l'affaire West Rand Central Gold Mining, la Cour a confirmé l'approche dualiste. Lord Alverstone déclara qu'« une règle coutumière de droit international ne sera appliquée en droit interne qu'une fois clairement approuvée par la Royaume-Uni et dès lors que des preuves suffisantes auront établi que cette règle ne pourrait être  rejetée par n'importe quel Etat civilisé ».  Lord Alverstone rejette donc ici toute possibilité d'incorporation automatique en droit anglais. Mais, une fois de plus, l'impact de cette affaire fut minime, étant donné qu'une société anglaise (West Rand Gold Mining) ne peut pas invoquer une violation du droit international par l'Etat devant une cour anglaise  puisqu'un Etat ne peut pas commettre de violation du droit international à l'encontre d'un de ses nationaux. Toutefois, l'approche dualiste a été réitérée en 1921 lors de l'affaire Re Ferdinand, ex Tsar of Bulgaria. De même , lors de l'affaire The Cristina en date de 1938, Lord Macmillan mentionna « the need for adoption in our municipal law of a doctrin of public international law », c'est à dire la nécessité d'adopter en droit interne une doctrine de droit international public.

Par la suite, Lord Atkin, lors de l'affaire Chung Chi Cheung de 1939, se rallia en quelque sorte à la méthode de l'incorporation en précisant que, afin d'être incorporée en droit interne, une règle coutumière ne doit pas être contraire à un acte du Parlement et ne doit pas être incompatible avec une décision judiciaire antérieure émanant d'une autorité supérieure, ce qu'on appelle en droit Anglais la règle du « Stare Decisis ». La condition de non violation d'un acte du Parlement a été illustrée par l'affaire Mortensen v. Peters de 1906, et celle du respect de la règle du Stare Decisis a été illustrée par l'affaire Thai Europe Tapioca Service de 1975.

           Toutefois, en 1974, la Cour va pour la première fois explicitement rejeter l'approche moniste de la théorie de l'incorporation. Lors de l'arrêt  Thakrar v. Secretary of State for the Home Department, Lord Denning affirma « les règles de droit international ne deviennent partie intégrante de notre droit qu'à la condition qu’on les accepte et les adopte. Une règle de droit internationale n'est qu'une règle entre deux états. Ce n'est pas une règle entre un individu et un état ». Lors de cette décision, Lord Denning adopta clairement la théorie dualiste de séparation des deux ordres. Il se prononça en faveur de la méthode de transformation. Toutefois, en 1977, lors du cas Trendtex Trading Corp  v. Central Bank of Nigeria, Lord Denning opéra une surprenante volte-face en se ralliant à l'approche de l'incorporation. Lui et Lord Shaw réaffirmèrent l'efficacité des règles coutumières de droit international au sein du système juridique anglais sans besoin d'adoption expresse. Lors de cette affaire, la Cour a ignoré la règle du Stare Decisis. Selon Lord Denning, «  si la Cour est satisfaite aujourd'hui du changement que la règle coutumière a opéré il y a 50 ou 60 ans, alors elle peut donner effet à ce changement, et l'appliquer dans notre droit Anglais sans attendre que la Chambre des Lords ne le fasse ». Lord Denning s'exprime ici clairement en faveur de la doctrine de l'incorporation, même  si celle-ci  est différente de celle présentée lors de l'affaire Chung Chi Cheung, puisque la condition du Stare Decisis n'est plus respectée. Certains commentateurs ont émis des doutes quant au bien fondé de la déclaration de Lord Denning, connaissant son aversion pour la règle du Stare Decisis...Toutefois, il semble qu'aujourd'hui, au Royaume-Uni, la position soit celle de l'incorporation en l'absence d'acte contraire du Parlement. Enfin, dans un arrêt  récent de 2006, R. Jones, la Chambre des Lords a opéré une distinction entre les règles coutumières relatives aux droits et aux devoirs et celles relatives aux crimes, les premières pouvant être  incorporées directement en droit interne, et les deuxième nécessitant une adoption expresse par le législateur. On observe ici l'importance du contenu de la coutume internationale, notion qui sera plus amplement discutée dans la deuxième partie de ce commentaire. En effet, il faut relever que ce n'est plus la source d'une règle de droit international qui détermine son impact en droit interne Anglais, mais plutôt  sa substance. On pourrait alors en conclure que les règles internationales relatives à des concepts généraux, tels que les eaux territoriales, seront incorporées en droit interne sans besoin  d'adoption expresse, peu importe qu'il s'agisse de traités ou de coutumes. Alors que les règles relatives aux crimes d'agression, comme c'est le cas dans l'affaire Jones, nécessiteront un acte de transformation, quelle que soit leur source (traité ou coutume).

L'évolution de la jurisprudence anglaise illustre donc la complexité des relations entre droit national et droit international et démontre bien qu'il n'y a pas de solution tranchée. Au final, seul le droit coutumier international ne portant pas préjudice au principes constitutionnels du pays seront incorporés. On ne peut donc pas réellement définir l'attitude de l'Angleterre par rapport à la coutume internationale comme se rattachant à l'une des deux doctrines moniste ou dualiste .

           Qu'en est-il  de la position française?
           La France, quant à elle, qui est présentée comme un état moniste, applique directement la coutume internationale en droit interne. Dès la première moitié du 19ème siècle, la Cour de Cassation s'est référée expressément au principe du « droit des gens ». Cette approche a été consacrée par l'alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946 qui énonce « la République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du Droit Public International ». L'ensemble des juridictions françaises, y compris le Conseil Constitutionnel, appliquent ce principe. Mais si le principe de l'application de la coutume internationale en droit français ne pose pas de problème, il convient de déterminer dans quels cas de figure ces normes sont susceptibles de s'appliquer. Dans le contentieux administratif, la coutume internationale peut être invoquée pour engager la responsabilité de l'administration fautive, comme lors de l'affaire Société Nachfolger navigation Company. Dans un autre arrêt, Procureur de la République c. SOS Attentats, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a recherché si une exception quelconque à la règle de l'immunité de juridiction des chefs d'états étrangers pouvait justifier l'engagement de poursuites contre le colonel Kadhafi. Lors de l'affaire M. Zaidi, en date de 2000, le Conseil d'Etat pour sa part a recouru aux règles coutumières codifiées par la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités en vue de résoudre le conflit entre deux conventions internationales contradictoires.            La coutume internationale constitue donc une norme de référence applicable par le juge national. Toutefois, un problème se pose lorsqu'on aborde la question de la place de la coutume internationale dans la hiérarchie des normes en droit Français. Que se passe t-il en cas de conflit entre une norme de droit interne et une norme coutumière internationale? Dans deux arrêts successifs, Aquarone en 1997 et Paulin en 2000, le Conseil d'Etat a affirmé la primauté de la loi nationale sur la coutume internationale. Le Conseil d'Etat cite l'article 55 de la Constitution pour constater que « ni cet article ni aucune autre disposition de valeur constitutionnelle ne prescrit ni n'implique que le juge administratif fasse prévaloir la coutume internationale sur la loi en cas de conflit entre ces deux normes ». On observe donc que la coutume est applicable dans l'ordre juridique français, mais que son rôle est quasi-résiduel. Il convient de constater que le droit international général se voit relégué à un rang infra-législatif, ce qui est peu compatible avec la tonalité généralement moniste de la Constitution...
           L'exemple anglais de réception de la coutume en droit international : La manifestation de l'absence de lien entre « transformation » et dualisme d'une part, et entre « incorporation » et monisme d'autre part.
            Dire qu'un état utilise telle ou telle méthode nous renseigne seulement sur la façon dont il reçoit la coutume internationale, mais en aucun cas ne le définit comme moniste ou dualiste. Considérons l'affaire de la Cour d'Appel Tin Council ; il s'agit de déterminer s'il existe une règle de droit international stipulant que les états membres d'une organisation internationale peuvent être  responsables au nom de celle ci. Si une telle règle existe, la question suivante est de déterminer si elle fait partie du droit anglais avec la conséquence logique que les Etats peuvent alors être poursuivis en responsabilité devant les tribunaux anglais. Il a été admis que cette règle existait, qu'elle relevait du droit international coutumier et qu'elle faisait partie du droit anglais par le processus de l'incorporation. Toutefois, deux juges ont adopté des positions relativement différentes. Pour le premier, l'existence de la règle et la doctrine de  l'incorporation signifiaient que les états pouvaient voir leur responsabilité engagée devant les tribunaux anglais. Il s'agit d'une approche moniste, car il assimile la responsabilité selon le droit international et la responsabilité selon le droit national. L'incorporation est uniquement la méthode par laquelle la responsabilité a été transférée d'un système à un autre. Le second juge quand à lui a adopté une approche dualiste. Pour lui, la question de droit international qui devait être incorporée n'était pas de savoir si la responsabilité des états pouvait être engagée, mais si elle pouvait l'être en droit national précisément. Selon lui, une telle règle n'existait pas et la responsabilité des états ne pouvait pas être engagée en droit anglais. La responsabilité dans un système de droit ne peut pas être transférée dans un autre système. Il s'agit d'une position dualiste. Une autre affaire illustre cette logique, celle de R v. Jones. La cour a refusé d'admettre que le crime d'agression reconnu par le droit international coutumier était automatiquement reconnu comme un crime en droit national anglais. La cour ne niait pas l'existence de ce crime international ni la théorie de l'incorporation, mais elle estimait que la substance de cette loi  aurait des effets importants sur les droits existants dans le droit national anglais. Ces jugements démontrent bien qu'il n'y pas de lien entre incorporation et monisme d'une part et transformation et dualisme de l'autre.            L'étude des différents modes de réception et d'adoption de la coutume internationale en droits Anglais et Français permet donc d'aller plus loin que la simple opposition monisme /dualisme. Un système juridique n'adopte jamais de façon tranchée tel doctrine, et en ce qui concerne la coutume internationale, c'est plus le contenu de la norme que sa source qui est pertinente.

Bibliographie

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