L'influence de l'Americans with Disabilities Act sur la loi "handicap", par Marie-Amélie Goguel
L'American with Disabilities Act (ADA), loi visant à adapter la société américaine à la situation des personnes handicapées, a été adoptée aux Etats-Unis en 1990. Quinze ans plus tard, en 2005, la loi Handicap a vu le jour en France, définissant pour la première fois le terme même de « handicap » et réaffirmant le principe de non-discrimination à l’égard des personnes handicapées dans le monde du travail. Cette loi française a subi l’influence du droit international et européen. La personne souffrant d’un handicap est désormais prise en compte, à l’instar de ce qui est prévu dans l’ADA, dans son environnement, de façon individualisée, et bénéficie d’une protection contre les discriminations, devant permettre une pleine intégration au sein du milieu professionnel.
Justin Dart, Jr., défenseur renommé des droits de l’homme et des droits des personnes handicapées, avait déclaré en 1990 que « Notre société est encore infectée par une présomption insidieuse, devenue presque inconsciente, que les personnes handicapés ne sont pas complètement humaine, et que par conséquent, elles ne peuvent pleinement bénéficier des services ou des systèmes d’aide mis à la disposition des autres personnes en tant que droit. » (« Americans with Disabilities Act: Landmark Declaration of Equality, » Worklife, 3.3, Fall, 1990, p.1). Et c’est cette présomption que la loi sur les américains ayant un handicap (« Americans with Disabilities Act », ci-après appelé « ADA »), entend combattre. L’ADA a pour but de rendre la société américaine plus accessible aux personnes handicapées et de combattre les discriminations dont elles sont victimes, que ce soit en matière d’emploi, de transport, de services publics ou encore de télécommunications. Cette loi couvre donc de façon extensive tous les aspects de la vie quotidienne au cours desquels une personne handicapée pourrait rencontrer des obstacles. Nous nous intéresserons principalement à la situation des handicapés en matière d’emploi et au principe de non-discrimination à leur égard. L’ADA, adoptée le 26 Juillet 1990 et entrée en vigueur le 26 Juillet 1992, a été codifiée au Titre 42, Chapitre 126 de l’United States Code («42 U.S.C»). Quinze ans après l’ADA, la France a elle adopté la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005, surnommée « loi Handicap » qui réforme la loi n° 75-534 du 30 Juin 1975 et la loi n°87-517 du 10 juillet 1987. Cette nouvelle loi se veut une modernisation des lois passées, fortement influencée par l’exemple anglo-saxon et prenant en compte les évolutions internationales et européennes de protection des handicapés. Les Etats-Unis avaient donc dès 1990 adopté une loi qui a influencé d’autres pays en matière de protection des personnes handicapées. Avant de comparer les situations existantes dans les deux pays en matière de protection des personnes handicapées dans le monde du travail, il convient de s’interroger sur la définition même du handicap afin de délimiter les bénéficiaires de ces lois. En effet, il est intéressant de comparer les approches américaines et françaises en cette matière, afin de noter l’influence de l’une sur l’autre. Les tribunaux américains ont souvent été amenés à interpréter cette définition comme dans l’arrêt Sutton and Al. v. United Airlines Inc. En effet, deux sœurs alléguaient, sur le fondement de l’ADA, avoir été victimes de discrimination à l’embauche après que United Airlines ait refusé de les employer au sein de la compagnie, à cause de leur myopie. Aucun organisme ne s’étant vu confier autorité pour interpréter le terme « disabled » tel qu’il figure dans l’ADA, la Cour Suprême a donc été amenée à interpréter la définition de « handicap » afin de déterminer si les sœurs pouvaient être considérées comme des personnes handicapés. A travers l’analyse de la définition de « handicap » et du principe de non-discrimination donnée dans l’ADA et la loi Handicap, l’influence européenne et internationale sur cette dernière ressortira très clairement. L’influence anglo-saxonne et européenne ont eu pour résultat la prise en compte de la situation des handicapés de façon individualisée en mettant l’accent sur le renforcement de l’intégration de ces personnes au sein de la société et sur le principe de non discrimination à leur égard.
Dans une première partie, nous étudierons la définition même de «disable » et de handicap. La seconde partie sera consacrée au principe de non-discrimination énoncée dans ces deux lois.
1- Définition de « disability » et de « handicap » : l’influence anglo-saxonne sur la définition donnée par la Loi Handicap
Le mot « handicap » vient à l’origine de l’anglais « hand in cap » signifiant la main dans le chapeau. Cependant, jugé comme politiquement incorrect dans les années 1980, les Américains ont remplacé l’usage de ce mot par le terme « disable », venant du terme français « dishabile » qui est devenu intraduisible. Le mot d’origine française « disability » se traduit donc par le nom d’origine anglaise « handicap » ! L’ADA définit une personne handicapée comme une personne « A) ayant une infirmité physique ou morale limitant de façon substantielle une ou plusieurs activités majeures de la vie de cet individu ; B) ayant un passé et une preuve d’une telle infirmité ; ou C) étant reconnu comme ayant une telle infirmité. » (Section 3 – Definitions, ADA). Cette définition reconnaît donc le statut de « personne handicapée» dans trois situations bien différentes. L’apport majeur de la loi Handicap française vient du fait que pour la première fois, elle propose une définition du « handicap ». Cela peut paraître étonnant car cette loi Handicap n’est pas la première relative à l’emploi des personnes handicapées en France. En effet, elle dispose que « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un poly-handicap ou d'un trouble de santé invalidant. » Cette définition s’inspire de la « classification internationale du fonctionnement, du handicap, et de la santé » (la CIF) établie par l'Organisation Mondiale de la Santé en 2001, qui retient que le handicap est « le désavantage qui résulte de la différence entre ce que la société attend de l’individu et ce qu’il est capable de faire, compte tenu de ses déficiences et des incapacités relatives. » Il n’y aurait pas de handicap en soi mais un handicap par rapport une situation donnée. Le handicap est donc défini comme une conséquence dans le champ professionnel d’une déficience physique ou mentale, désignant implicitement le rapport entre la personne souffrante et son milieu. Elle prend en compte l’environnement dans lequel la personne évolue, en s’inspirant du constat fait par les pays anglo-saxons de l’importance de l’environnement entourant la personne handicapée. Ainsi, l’ADA inclut dans l’alinéa C) les personnes étant considéré comme infirmes. Le Congrès américain avait en effet décidé de prendre en compte les préjugés et peurs de la société à l’égard du handicap, qui peuvent être autant handicapants qu’un handicap réel. La définition de l’ADA met l’accent sur les conséquences du handicap plus que sur ses origines ne listant pas les handicaps protégés alors que la loi française liste les origines possibles du handicap. De plus, tel que réaffirmée par la Cour dans l’arrêt Sutton, l’ADA souligne l’importance de considérer une personne handicapé de façon individualisée. Il faut donc s’assurer que le handicap est tel qu’il limite substantiellement une activité majeure de la vie de l’individu. C’est ce qu’a vérifié la Cour dans l’arrêt Sutton, aucune définition de cette limitation substantielle n’étant donnée dans la loi La Cour s’appuie donc sur la définition même de « substantiellement » et prend en compte le nombre d’emploi auxquels les deux sœurs ne peuvent avoir accès. Plus d’un type d’emploi doit leur être inaccessible pour pouvoir justifier d’une limitation substantielle. La Cour a retenu que les sœurs n’avaient pas réussi à prouver ce degré de limitation.
Si une personne est reconnue comme ayant un « handicap » selon les définitions données dans ces deux lois, elle est protégée par un principe de non-discrimination en matière d’emploi.
2- Principe de non-discrimination à l’égard des personnes handicapées en matière d’emploi: le rayonnement de l’ADA sur la loi handicap
Le principe de non-discrimination est un élément essentiel de l’ADA et de la Loi Handicap sous l’influence de l’ADA. Comme pour la définition du handicap, la loi française a été influencée par l’approche anglo-saxonne dans la mise en place de ce principe. Selon un rapport thématique sur la politique du handicap en Europe (rapport n°2003 119 de 2003 présenté par MM. Didier Noury et Patrick Segal, Inspection Générale des Affaires Sociales), l’approche en termes de non-discrimination vient des pays anglo-saxons qui ont véhiculé « une vision nouvelle du handicap qui insiste sur les capacités de la personne (…) et sur la nécessité de lever les barrières physiques ou comportementales qui empêchent de les faire valoir. » Et c’est cette approche individualisée et l’influence de l’environnement entourant la personne handicapée qui est repris dans la définition même du handicap et dans le principe de non-discrimination. L’ADA ne se contente pas d’énoncer un principe général de non-discrimination des personnes handicapées dans leur accès à l’emploi. Après avoir affirmée que « aucune entité couverte par cette loi (à savoir un employeur, une agence pour l’emploi, ou une organisation du travail) ne peut faire de discrimination à l’encontre d’une personne handicapée disposant des qualifications nécessaires, du fait du handicap de cette personne en matière de procédure de dépôt de candidature, d’embauche, d’avancement ou de licenciement d’employés, de compensation, de formation ou tout autre termes, conditions et privilèges découlant d’un emploi. », la Section 12112 (b) est consacrée à l’énumération très détaillée de sept interprétations possibles de « discrimination » , facilitant ainsi le travail d’interprétation de la Cour. Ces interprétations possibles sont les suivantes : considérer un employé ou une personne postulant à un emploi d’une façon limitant ses chances ou son statut à cause d’un handicap, participer à un contrat ou à toute relation ayant pour effet de soumettre une personne handicapée à des discriminations prohibées par cette loi, utiliser des méthodes, des standards, ou des critères d’administration ayant pour effet de discriminer des employés sur le fondement du handicap ou laissant perdurer une discrimination existante, exclure ou refuser une possibilité d’emploi à une personne qualifiée en raison de sa relation ou son association avec une personne handicapée, ne pas prendre des aménagements raisonnables pour accommoder les limitations physiques ou mentales d’une personne qualifiée, à moins que ces aménagements n’imposent une charge disproportionnée aux employeurs ou refuser un emploi à une personne handicapée mais qualifiée afin de ne pas réaliser ces aménagements, utiliser des critères de qualification ou des tests d’emploi ayant tendance à éliminer les personnes handicapées recherchant un emploi à moins qu’il ne soit prouvé que ces critères et tests ne soient strictement nécessaires à l’emploi, ne pas aménager les tests relatifs à l’emploi aux limites sensorielles, manuelles ou orales des personnes handicapées afin que le résultat de ces tests reflètent les qualifications de ces personnes et non leur handicap. La caractéristique intéressante de l’ADA est le fait que la protection contre les discriminations ne s’arrête pas qu’aux personnes handicapées mais elle s’étend également aux personnes ayant une relation avec une personne handicapée (Section 12112(b)(4) de l’ADA) encore dans une optique de combattre les préjugés de la société, qui peuvent être forts à l’égard de ces personnes. Cette exceptionnelle protection ne se retrouve pas dans la loi française. La loi Handicap renforce le principe de non-discrimination par rapport aux lois de 1975 et 1987. En effet, l’article L 122-45 du Code du Travail dispose qu’« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 140-2, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son (…) état de santé ou son handicap. » Les lois précedentes se contentaient de promouvoir l’intégration sociale des personnes handicapées sans énoncer aucun principe de non-discrimination à leur égard. L’on peut observer les similitudes existant entre les lois françaises et américaines quant à l’étendue du principe, c'est-à-dire une application à toutes les démarches, et procédures découlant d’unliée à l ‘emploi.
Le nouvel Article L323-9-1 du Code du Travail fait peser sur les employeurs une nouvelle obligation qui est d’adopter, « en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs (…) d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée. » La loi prévoit toute une série de mesures concrètes concernant cet aménagement. L’employeur doit donc adapter l’emploi à la personne handicapée, avec pour limite que cela n’entraîne pas de charges disproportionnées pour l’entreprise. La Loi Handicap ajoute que le fait de refuser de prendre de telles mesures peut constituer une discrimination (Article L122-45-4 du Code du Travail). L’on notera que cela reproduit l’une des interprétations de « discrimination » énoncées dans l’ADA à la Section 12112(b)(5) qui dispose que le terme « discriminer » inclut le fait de ne pas prendre les aménagements nécessaires aux limitations physiques ou mentales d’une personne handicapée en demande d’emploi ou employée alors que celle est qualifiée pour cet emploi, ce qui montre le rapprochement de la législation française de l’approche anglo-saxonne. L’ADA mentionne le standard de « undue hardship » pour déterminer si l’aménagement obligatoire serait une charge disproportionnée pour l’entreprise, disproportion qui est fondée sur une évaluation individualisée des circonstances qui montre qu’un aménagement raisonnable causerait des difficultés et des dépenses significatives. L’employeur doit donc justifier d’un aménagement raisonnable. La loi française, elle, n’indique aucun standard de la sorte. Elle s’est contentée de reprendre le modèle anglo-saxon de façon incomplète. Cela rend par conséquent l’application de cette loi complexe et la protection des personnes handicapées incomplète. En effet, en l’absence d’un tel standard, difficile de prouver que l’employeur n’a pas respecté son obligation d’aménagement du poste de travail aux limitations physiques ou mentales de l’employé ou futur employé. Le principe de non discrimination, bien qu’affirmé en théorie, apparaît difficile à mettre en place en pratique. La particularité de l’application de ce principe de non-discrimination dans le système français est l’obligation d’emploi de personnes handicapées pesant sur les entreprises (privées ou publiques).
Dans un premier temps, il avait été dit qu’un principe spécifique de non-discrimination n’était pas nécessaire dans la mesure où il existe déjà une protection contre les discriminations concernant tous les travailleurs. Ainsi, le fait qu’il ait quand même été inséré un principe de non-discrimination en raison du handicap montre une volonté claire d’intégration des travailleurs handicapés. Tout cela s’inscrit dans une démarche d’intégration telle que promue d’une part au sein de la Communauté européenne et d’autre part sur le plan international. En effet, une directive communautaire 2000/78/CE a été adopté le 27 Novembre 2000 relative à l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, posant ce principe de non-discrimination. Un instrument international, Règles Standards sur l’Egalisation des Opportunités pour les Personnes Handicapés, allant dans ce même sens d’égalisation des opportunités entre les personnes handicapées et celles qui ne le sont pas avait déjà été adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1993 (Résolution 48/96, Assemblée Générale des Nations Unies, 20 Décembre 1993).
Bibliographie sélective:
• W. Goren, Understanding the Americans with Disabilities Act, ABA, General Practice, Solo and Small firm Section, 2006. • R. Colker, The disability pendulum: the first decade of the Americans with Disabilities Act, New York University Press, 2005. • M. Faillace, Disability law deskbook: the Americans with Disabilities Act in the workplace, Practising Law Institute, 2000. • D. Noury/P. Segal, Etude d’administration comparée sur les dispositifs de compensation du handicap en Europe - Rapport thématique sur la politique du handicap en Europe, Rapport n°2003 199, 2003 Inspection Générale des Affaires Sociales, http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/034000673/0000.pdf • Classification internationale du fonctionnement, du handicap, et de la santé, OMS, 2001. • Sutton and Al. v. United Airlines Inc, U.S. Supreme Court, 1999. • Loi Handicap du 11 Février 2005 et sa mise en oeuvre dans la société, Ministère du travail, des relations socials et de la solidarité, http://www.handicap.gouv.fr/