Mariage gay : refus de reconnaissance de la Cour de cassation italienne (arrêt n°2400 du 9 février 2015) -mais volonté de reconnaître des droits et un statut juridique aux homosexuels

En 2001 les Pays Bas étaient les premiers à répondre aux changements sociaux de notre époque en  autorisant le mariage entre personnes de même sexe. Depuis ce jour plusieurs Etats européens ont emboîté le pas à la Hollande. Mais d’autres tels que la Lituanie, la Pologne, la Serbie et l’Italie n’ont pas modifié leur législation. Dans ces pays la communauté homosexuelle se mobilise et met les autorités judiciaires devant le fait accompli en leur présentant des demandes de transcription de certificat de mariage célébré à l’étranger, de publication des bans…

La Cour de cassation italienne dans l’arrêt n°2400 du 9 février 2015 a justement été sollicitée par un couple d’hommes italiens marié à l’étranger. Le couple  s’est vu refuser la publication des bans par l’officier de l’état civil : au sens de l’article 98 du code civil italien, si l’officier de l’état civil croit ne pas pouvoir procéder à la publication du mariage, il la refuse et délivre un certificat avec les motifs du déni. Il est possible de saisir le tribunal pour contester l’acte. Le couple a choisi cette option. Il voulait contracter un mariage, il s’est d’abord adressé au tribunal puis, suite au rejet de sa demande, à la Cour d’appel de Rome. Mais face à un nouveau rejet, il s’est pourvu en cassation.

Or, refuser de publier un mariage entre deux personnes de même sexe ne constitue-t-il pas une discrimination ?

Nous verrons que la reconnaissance du mariage homosexuel peut être refusée puisqu’elle est soumise à l’appréciation de chaque Etat (I). Mais nous verrons ensuite que l’Italie souhaite toutefois mieux prendre en compte les droits des homosexuels (II).

 

  1. Le possible refus de la reconnaissance du mariage homosexuel

L’Italie s’oppose à reconnaître le mariage entre personnes de même sexe (A) et justifie sa position en arguant que la CEDH laisse cette question à la libre appréciation de chaque Etat (B)

 

  1. L’opposition de l’Italie au mariage entre personnes de même sexe et à la publication des bans

Au regard de la loi italienne, le mariage peut uniquement être contracté entre deux personnes de sexe différent. La Cour de cassation s’est déjà prononcée sur ce point dans l’arrêt n°4184 du15 mars 2012 en déclarant que : «L’ordre juridique italien… a connu jusqu’à présent et connaît actuellement qu’une seule hypothèse intégrant le mariage comme acte : le consentement, dans les formes établies pour la célébration du mariage que s’échangent deux personnes de sexe différent en se déclarant qu’elles veulent respectivement se prendre pour mari et femme (article 107 alinéa 1 du code civil). La diversité de sexe des célibataires est donc demandée par la loi pour l’identification juridique même de l’acte de mariage… ».

La Cour de cassation, dans l’arrêt 2400 du 9 février 2015 faisant l’objet de cette étude, va ensuite repousser la question de constitutionnalité qui avait été présentée par le couple requérant. Elle concernait le déni de procéder à la publication des bans : la Cour suprême indique que cette problématique a déjà été tranchée par la Cour constitutionnelle dans la décision n°138 du 14 avril 2010. Cette dernière soulignait que les unions homosexuelles ne peuvent pas « être considérées comme équivalentes au mariage » : d’après la Constitution et la réglementation du code civil en vigueur le mariage est « l’union stable entre un homme et une femme ».

La Cour de cassation rappelle que la Cour constitutionnelle a spécifié que l’article 29 de la Constitution ne nie pas la dignité des formes naturelles de rapports de couple différentes du mariage. Mais elle reconnaît une dignité supérieure à la famille fondée sur le mariage en raison des caractères de stabilité, de certitude, de la réciprocité des droits et devoirs qui naissent uniquement par le lien conjugal. Le fait de ne pas étendre le mariage aux unions homosexuelles n’entrainerait donc pas une violation des droits fondamentaux de la personne.

 

  1. La marge d’appréciation laissée aux Etats par la CEDH

La Cour de cassation va d’abord expliquer que, dans l’arrêt CEDH Schalk e Kopf ct Autriche du 24 juin 2010, la Cour Européenne des droits de l’Homme a affirmé que bien que « l’institution du mariage ait été profondément bouleversée par l’évolution de la société depuis l’adoption de la Convention (…) il n’existe pas de consensus européen sur la question du mariage homosexuel (…). En l’état actuel des choses, l’autorisation ou l’interdiction du mariage homosexuel est régie par les lois nationales des Etats contractants (à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme) ». La CEDH a confirmé sa position dans d’autres arrêts successifs comme CEDH Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012 et CEDH Hamalainen c. Finlande du 16 juillet 2014.

La Cour de cassation va ensuite rappeler que, dans la décision n°138 du 14 avril 2010, la Cour constitutionnelle a spécifié qu’elle  laissait au législateur le soin «d’identifier les formes de garantie et de reconnaissance pour les unions homosexuelles ».

L’absence d’une loi pour le mariage homosexuel ne constituerait donc pas une discrimination : la Cour de cassation précise que l’absence d’une loi pour le mariage homosexuel ne constitue pas une « violation des normes anti-discrimination ». L’arrêt de la cour se fonde sur la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et énonce que « Même si l’article 12 se réfère formellement au mariage hétérosexuel, il n’exclut pas que les Etats membres étendent le mariage également aux personnes de même sexe, il ne contient cependant aucune obligation à ce sujet ».

La Cour suprême poursuit en déclarant que l’article 8 de la CESDH, qui prévoit le droit à la vie privée et familiale, contient également le « droit à vivre une relation affective entre personnes de même sexe» protégé par l’ordre juridique, mais pas nécessairement par l’option du mariage pour ces unions.

 

  1. La volonté de mieux prendre en compte les droits des homosexuels

Les autorités juridictionnelles italiennes soulignent la nécessité de reconnaître une protection des droits et un statut des couples homosexuels (A). Nous verrons qu’une brèche a peut-être été ouverte par le Tribunal de Grosseto (B).

 

  1. Les appels à la reconnaissance d’une protection des droits et d’un statut des couples homosexuels

La Cour de cassation, dans l’arrêt faisant l’objet de cette étude, lance un appel au parlement en déclarant la « nécessité d’une intervention rapide du législateur » pour une « reconnaissance » basée sur l’article 2 de la Constitution.Cet article protège les droits de l’homme et des formations sociales, en prévoyant un « ensemble commun de droits et de devoirs d’assistance, et de solidarité propres aux relations affectueuses de couple». La Cour affirme «la susceptibilité de ces rapports de contribuer au développement, de forme primaire, de la personnalité humaine dans le sillage des formations sociales».

La Cour de cassation reprend ce qu’avait énoncé la Cour constitutionnelle dans la décision n°170 du 15 avril 2010 : «deux personnes de même sexe ont le droit fondamental de vivre librement une condition de couple, en obtenant – dans les temps, les modes et les limites établis par la loi – la reconnaissance juridique avec les droits et devoirs qui en découlent. Il faut cependant exclure que l’aspiration à une telle reconnaissance puisse être réalisée uniquement avec une égalisation des unions homosexuelles au mariage». Cette décision énonce la reconnaissance expresse de l’importance constitutionnelle des unions entre personnes de même sexe et invite le législateur «dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à identifier les formes de garanties et de reconnaissance pour les unions homosexuelles».

La Cour de cassation mentionne ensuite un extrait de son arrêt n°4184 du15 mars 2012  qui reprend cette idée : « Les hypothèses législatives d’union conjugale, le noyau affectif – relationnel qui caractérise l’union homo-affective, reçoit une reconnaissance constitutionnelle directe par le biais de l’article 2 de la Constitution et par le processus d’adéquation et d’égalisation imposé par l’importance constitutionnelle des droits en discussion. Ces unions conjugales peuvent acquérir un degré de protection comparable à celui pour le mariage dans toutes les situations où le manque de réglementation législative détermine une lésion des droits fondamentaux découlant de la relation en question».

La Cour de cassation rappelle enfin que la Cour constitutionnelle a une nouvelle fois soulevé le problème du manque de législation concernant les relations homosexuelles dans la décision n°170 du 10 juin 2014 en parlant de «condition d’imprécision absolue de toutes les relations entre personnes de même sexe dans l’ordre juridique». Mais jusqu’à présent, malgré plusieurs invitations à prendre position sur le mariage homosexuel, le législateur n’a pas encore agi.

 

  1. Une brèche ouverte par le Tribunal de Grosseto ?

La question de la transcription d’un mariage contracté à l’étranger entre deux citoyens italiens de même sexe a été soulevée pour la première fois par la Cour de cassation italienne dans l’arrêt 4184 du 15 mars 2012 : la Cour avait dégagé le principe selon lequel le mariage contracté à l’étranger entre deux citoyens italiens de même sexe ne peut pas être transcrit dans les registres de l’état civil italien, non pas parce qu’il est inexistant mais parce qu’il n’est pas en mesure de produire d’effets juridiques. La Cour avait ensuite souligné que les normes internationales et européennes n’imposent pas aux Etats de prédisposer des garanties pour les célibataires de même sexe, mais imposent aux juges nationaux d’interpréter les règles nationales de façon la plus proche possible des règles européennes.

Le Tribunal de Grosseto, dans une ordonnance du 9 avril 2014, va se servir de cette argumentation pour accorder la transcription d’un mariage contracté à New York en 2012 pour 2 citoyens italiens : le tribunal considère que l’ordre juridique interne ne prévoit aucun empêchement. Le tribunal fait référence à l’article 65 de la loi n°218 de 1995 (Réforme du système italien du droit international privé) selon lequel ont effet en Italie les procédures étrangères relatives à la capacité des personnes et à l’existence des rapports de famille prononcées par les autorités d’un autre Etat. Le tribunal de Grosseto a adopté le même raisonnement dans l’ordonnance du 25 février 2015 (celle du 9 avril 2014 ayant été annulée par la Cour d’appel après que le procureur de la République ait interjeté appel).

Ce pas en avant, ainsi que les multiples appels lancés au parlement, décideront peut-être finalement le législateur à intervenir sur la question du mariage homosexuel.

 

En Europe les same sex unions (ou mariage entre personnes de même sexe) ont été reconnues dans 11 Etats (Islande, Grande Bretagne, France, Espagne, Portugal, Belgique, Hollande, Danemark, Suisse, Suède et tout récemment  par la Slovénie). Aux Etats Unis, ces unions ont été légalisées à New York et dans 16 autres Etats. Elles sont également admises au Brésil, en Argentine, en Uruguay, en Afrique du Sud, au Canada et en Nouvelle Zélande.