Mesures provisoires et conservatoires au sein de l’Union Européenne ; l’opportunité d’une procédure européenne de saisie des avoirs bancaires, par Marine Leonardis

L’exécution transfrontalière d’une ordonnance de mesure provisoire ou conservatoire est considérée comme le talon d’Achille de l’espace judiciaire européen. De nombreuses divergences matérielles mais surtout procédurales rendent à l’heure actuelle l’hypothèse d’une harmonisation communautaire en la matière difficilement envisageable. L’introduction d’une procédure européenne de saisie des avoirs bancaires pourrait toutefois changer la donne.!!!!!!!!!!!!!!!!

L’un des enjeux principaux de la réalisation de l’espace communautaire est l’exécution des décisions judiciaires d’un Etat membre dans un autre Etat membre ; la Convention de Bruxelles de 1968 (ci-après Convention de Bruxelles), remplacée par le Règlement n°44/2001 (ci-après le Règlement) traite de la reconnaissance et de l’exécution de telles décisions et a mis en place des mécanismes de coopération et de détermination des juridictions compétentes sans pour autant s’atteler à une harmonisation des législations des différents Etats membres où elle s’applique. Le titre exécutoire européen (TEE), instauré le 21 avril 2004 par le Règlement n°805/2004 du Parlement européen et du Conseil, constitue déjà un pas important en matière de reconnaissance des décisions judicaires et de coopération. Grâce au TEE, une décision portant sur une créance incontestée peut se voir exécutée sans procédure d’exequatur dans l’ordre juridique d’une autre Etat membre. Toutefois, en dehors de cette hypothèse, la coopération judiciaire entre les Etats membres prend le plus souvent la forme des règles de compétence établies par le Règlement. Le Règlement prévoit en outre les modalités de reconnaissance et d’exécution des décisions judiciaires entre les Etats membres mais le cas des mesures conservatoires et provisoires, découlant d’une ordonnance judiciaire, est traité de façon marginale dans la Convention comme dans le Règlement. Actuellement, le créancier craignant de voir s’échapper les capitaux de son débiteur en raison de la longueur des procédures ou des mauvaises intentions de ce dernier peut demander aux juridictions compétentes le prononcé de mesures de nature différente. La Convention de Bruxelles de 1968 dans son art. 24, repris dans le Règlement à l’art. 31 prévoit que « les mesures provisoires et conservatoires prévues par la loi d’un Etat contractant peuvent être demandées aux autorités judiciaires de cet Etat, même si en vertu de la présente Convention, une juridiction d’un autre Etat contractant est compétente pour connaître du fond. » Si cet article commun à la Convention de Bruxelles et au Règlement définit les mesures provisoires et conservatoires comme entrant dans le champ d’application matériel des décisions susceptibles d’être reconnues par les Etats membres, ni la Convention de Bruxelles ni le Règlement ne prévoient de définition de ces mesures, pourtant d’une grande variété ; la proposition de la Commission d’introduire une notion uniforme de mesures conservatoires et provisoires n’a été reçue ni dans la Convention ni dans le Règlement. Une telle définition a été formulée par la CJCE dans l’arrêt Reichert du 26 mars 1992 ; « sont ainsi des mesures provisoires et conservatoires les mesures destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond. » L’arrêt Van Uden de 1998 a quant à lui exclu de cette définition le référé-provision, procédure existant en droit français et aboutissant à une décision provisoire qui permet un recouvrement rapide des créances. Si la Cour ne donne à l’heure actuelle pas plus d’éléments susceptibles de nous éclairer sur ces mesures devant faire l’objet d’une coopération européenne, c’est que la question est complexe ; la variété des mesures et des procédures occupe les juristes internationaux depuis de nombreuses années. Il découle de cette problématique deux questions majeures pour ces derniers ; d’une part, il convient de s’interroger sur la nature des mesures comprises dans la définition de la CJCE et ainsi de savoir quelles sont les mesures provisoires et conservatoires en droit français et allemand susceptibles d’entrer dans le champ d’application matériel du Règlement n°44/2001. D’autre part, une étude des procédures et de leur impact sur l’effet utile des mesures provisoires et conservatoires s’impose, aucune procédure autonome n’ayant été adoptée jusqu’ici. C’est pourquoi il est tout aussi intéressant d’étudier le Livre vert de la Commission datant du 24 octobre 2006 sur l’amélioration de l’exécution des décisions de justice au sein de l’Union Européenne qui envisage différents mécanismes visant à favoriser la saisie des avoirs bancaires.

Les obstacles à la libre circulation des décisions ; la variété des mesures en Europe et la nécessité d’une procédure d’exequatur

La nature des mesures provisoires et conservatoires que le juge national peut être amené à prononcer varie considérablement suivant le cas d’espèce d’une part, suivant l’ordre juridique qui les prononce d’autre part. Nous cherchons ici à étudier certaines différences procédurales et matérielles qui empêchent le créancier « de courir aussi vite que le débiteur » et illustrent la difficulté d’une coopération communautaire. Les mesures provisoires et conservatoires sont toutes ordonnées avant décision sur le fond du litige. Rappelons à présent les différences entre les mesures provisoires et conservatoires, différences communes aux Etats membres. Les mesures conservatoires (en droit allemand « Arrest ») visent à prévenir un dommage imminent et permettent au créancier de maintenir un « statu quo » en rendant indisponibles les biens du débiteur. On compte parmi les mesures conservatoires la saisie conservatoire, qui peut porter sur des biens meubles ou sur une somme d’argent, la mise sous séquestre judiciaire ou encore la sûreté conservatoire pour les immeubles. La mesure provisoire (en droit allemand « einstweilige Verfügung »), quant à elle, a des effets similaires à la décision qui doit être prise sur le fond ; il s’agit en quelque sorte d’une mesure d’anticipation, qui sera ensuite confirmée ou non par le juge compétent. Le droit allemand assimile cette mesure à une obligation de faire ou de ne pas faire ; ainsi l’obligation par exemple de ne pas vendre ou même déplacer le bien ou les avoirs en question. Le non respect de cette obligation peut donner lieu à une amende. Le législateur français, quant à lui, répugne à l’idée de faire intervenir le droit pénal en matière de recouvrement de créance. Cette différence n’est qu’une illustration des divergences juridico-culturelles entre les Etats membres. On notera ici qu’une des armes principales du créancier parmi toutes ces mesures est la saisie conservatoire, puisqu’elle permet de geler les avoirs du débiteur ; en effet, le débiteur qui cherche la mise sous séquestre d’un bien meuble ou désire obtenir une sûreté conservatoire sur un immeuble se heurte à de nombreuses dispositions. Tous les ordres juridiques de l’Union reconnaissent par exemple au domicile conjugal une protection particulière et certains biens sont aussi insaisissables, afin de permettre au débiteur de maintenir un niveau de vie décent. Avant d’affirmer que la saisie conservatoire portant sur une somme est nécessaire, soyons prudents ; une partie du salaire du créancier par exemple est insaisissable dans une certaine mesure, cette mesure variant d’un Etat à l’autre. En outre, les procédures et les juridictions intervenant dans le processus de réalisation des mesures conservatoires et provisoires diverge selon l’ordre juridique ; prenons l’exemple du caractère contradictoire ou non de la mesure. En droit français, les mesures provisoires et conservatoires ont vu leur régime majoritairement redéfini par la loi du 9 juillet 1991 ; cette réforme revalorise d’une part le titre exécutoire qui permet d’aboutir à une telle mesure, elle précise aussi dans quelle mesure la procédure doit être contradictoire. La procédure conduisant à une mesure conservatoire est une procédure d’urgence, menée au moins dans sa première phase, c’est-à-dire jusqu’à l’obtention du titre exécutoire, de façon non contradictoire afin de préserver l’effet de surprise de la mesure. L’art. 58 du décrêt du 31 juillet 1992 prévoit que la saisie doit être dénoncée au débiteur dans un délai de 8 jours ; il doit aussi lui être spécifié qu’il peut contester la saisie durant un mois à compter de la dénonciation. Si le débiteur conteste la saisie ou au moins une part de celle-ci, s’ouvre alors une procédure contradictoire. Dans le cas où le débiteur ne se serait pas opposé à la saisie dans les délais impartis, reste à sa disposition l’action en répétition de l’indû, procédure contradictoire dans son ensemble (art. 45 al.3 de la loi du 9 juillet 1991). Le droit allemand à ce sujet connaît une certaine spécificité : le juge allemand apprécie de façon discrétionnaire la nécessité d’entendre les arguments du débiteur à l’encontre duquel doit être pratiqué une telle mesure. Un débiteur craignant de subir une telle mesure peut faire parvenir au préalable à tous les tribunaux susceptibles d’être compétents un écrit protecteur (Schutzschrift) dans lequel il fait valoir ses arguments à l’encontre de la mesure en question et propose ainsi au juge un débat contradictoire. Le juge n’est pas obligé de tenir compte de cet écrit, mais le législateur a ainsi choisi d’optimiser les chances d’une procédure non coercitive. Ces illustrations ne sont que des exemples de divergence législative entre les Etats et sont loin de couvrir tous les aspects des voies d’exécution.

Ce bref aperçu nous permet d’appréhender, à défaut de définition uniforme des mesures provisoires et conservatoires, la nécessité d’une coopération accrue entre les juridictions des Etats membres. Comme nous l’avons dit précédemment, les mécanismes de coopération en matière de décision judiciaire actuellement applicables au sein de l’Union se limitent de façon générale à des règles de compétence et à des mécanismes de reconnaissance et exécution des décisions judiciaires par le biais de procédures d’exequatur. Outre les articles étudiés précédemment, le Règlement, dans son art. 47 al. 1, prévoit ainsi qu’en matière de mesures provisoire et conservatoire, « rien n’empêche le requérant de demander qu’il soit procédé à des mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi de l’Etat membre requis, sans qu’il soit nécessaire que cette décision soit déclarée exécutoire au sens de l’art. 41. » Une procédure d’exequatur dans l’ordre juridique où se situent les avoirs du créancier est donc véritablement indispensable; bien qu’une telle procédure ne connaisse généralement pas d’obstacle quant à son aboutissement, elle peut durer plusieurs mois, suivant l’identité de l’Etat requis, et permet ainsi au débiteur de « faire disparaître » ses capitaux. En outre, une telle procédure est onéreuse. La mesure provisoire ou conservatoire, ordonnée en raison de l’urgence de la situation, est ainsi privée de son effet utile. C’est pourquoi il nous paraît opportun d’étudier la proposition de la Commission sur l’introduction d’une procédure de saisie des avoirs bancaires au sein de l’Union, considérée par une grande part de la doctrine comme un évènement majeur dans la réalisation de l’espace judiciaire européen.

Une proposition intéressante de la Commission ; le Livre Vert de la Commission sur la saisie européenne des avoirs bancaires.

La Commission fait à travers la publication de son Livre vert usage de son droit d’initiative face aux Etats membres et institutions européennes. La Commission réagit face aux difficultés des créanciers quant au recouvrement de leur créances ; alors que les transferts de fonds peuvent être réalisés à l’aide d’une simple connexion Internet, la lenteur de l’exécution d’une mesure provisoire ou conservatoire sur le patrimoine d’un débiteur situé sur le territoire de l’Union fait perdre l’effet utile d’une telle mesure. Selon les termes mêmes de la Commission, est proposée la création d’une procédure de saisie des avoirs bancaires qui permettrait à un créancier d’augmenter, dans certaines circonstances, les chances de recouvrement d’une somme qui lui est due en empêchant le retrait ou le transfert de fonds sur un ou plusieurs comptes sur le territoire de l’Union européenne. En admettant qu’un système de saisie bancaire soit la meilleure façon de remédier aux problèmes de recouvrement des créances au sein de l’Union, ce que la Commission n’affirme pas catégoriquement, une telle procédure pourrait être instituée de deux façons ; la Commission propose soit l’institution d’une procédure autonome, soit une harmonisation des législations des Etats membres par le biais d’une directive. La rédaction du Livre vert laisse apparaître une préférence de la Commission pour la première option ; en effet, celle-ci ne rendrait pas nécessaire une uniformisation de droits si divers, hypothèse trop laborieuse aux yeux de la Commission. La saisie des avoirs bancaires ayant été très largement inspirée par des propositions d’auteurs majeurs en droit communautaire et international privé tels que MM. Perrot et de Leval, c’est à la lumière de leurs écrits que nous analysons le régime d’une telle procédure.

    L’idée majeure de la procédure de saisie des avoirs bancaires est la suppression de la procédure d’exequatur ; le créancier pourrait obtenir un titre exécutoire de plein droit permettant le gel des avoirs du débiteur. Contrairement à la situation actuelle, un tel titre précèderait directement la saisie, c’est-à-dire à l’exclusion de toute procédure d’exequatur et présenterait ainsi l’avantage d’un gain de temps majeur. En outre, le référé provision du droit français pourrait bénéficier de cette procédure ; l’arrêt Van Uden que nous avons déjà évoqué avait en effet quasiment exclu des mesures susceptibles de se voir appliquer une procédure prévue par la Convention de Bruxelles et par le Règlement le référé-provision au motif que si un juge non compétent sur le fond pouvait ordonner une telle mesure, (comme suppose la procédure du référé-provision) il y aurait contournement des règles de compétence prévues par ces instruments communautaires. C’est pourquoi la Cour avait posé des restrictions majeures à l’internationalisation de ce type de mesures. Ici, c’est bien le juge compétent sur le fond d’après les règles de la Convention qui ordonnerait le référé-provision. En outre, le créancier qui ne peut localiser au début de la procédure les avoirs de son débiteur verrait dans cette procédure un avantage important ; le débiteur n’aurait aucun intérêt à déplacer ses fonds lorsqu’il pressent une décision en faveur de son adversaire. L’effet dissuasif d’une telle procédure n’est pas à négliger.

MM. Perrot et de Leval proposent en outre d’ajouter à la phase conservatoire de la procédure une phase exécutoire ; M. Perrot particulièrement fait mention d’une procédure d’inversion du contentieux. Concrètement, il serait laissé au débiteur un délai pour se défendre contre la mesure, suite auquel, en l’absence de contestation, la mesure deviendrait exécutoire de plein droit. Le délai en question serait naturellement plus court que celui d’une procédure d’exequatur. Les droits de la défense ne semblent pas négligés par une telle conversion de la mesure, puisque la conversion ne s’opèrerait qu’après le délai de contestation. On pourrait en outre envisager que le débiteur qui n’aurait pas contesté la créance malgré l’existence de motifs sérieux pourrait, à l’image des dispositions en droit français, bénéficier d’une action en répétition de l’indû.

Le débiteur pourrait donc contester la saisie ; il peut s’être déjà acquitté de sa créance, ou bien déclarer que les avoirs en question sont insaisissables. Il faudrait alors déterminer s’il revient au juge de l’Etat requérant ou au juge de l’Etat requis d’examiner la contestation. Deux arguments plaident en faveur du juge de l’Etat requis pour la saisie ; d’une part, on ne peut demander au débiteur de contester sa créance devant un ordre juridique autre que le sien et ce dans un délai court sans porter atteinte à ses droits de défense. En outre, c’est ce même juge qui pourrait de toute façon opposer ses règles impératives et exception d’ordre public à la réalisation de la saisie.

En conclusion, il apparaît que si l’introduction d’une saisie des avoirs bancaires au sein de l’Union nécessite encore quelques précisions quant à son régime, elle reste une des solutions les plus appropriées pour parvenir à la libre circulation des décisions judiciaires et par là même à la possibilité d’un procès réellement équitable en Europe, c’est-à-dire, comme l’a défini la Convention Européenne des Droits de l’Homme, notamment un droit à l’exécution des décisions, et ce dans un délai raisonnable. Enfin, le 6 mars 2008, la Commission a publié son Livre Vert sur la transparence du patrimoine des débiteurs, proposition qui pourrait être le corollaire de la saisie des avoirs bancaires européenne, puisqu’elle permettrait au débiteur, pour reprendre une expression de M. Perrot, de concrétiser une règle d’or en matière de recouvrement de créances, à savoir, « tirer sur tout ce qui bouge ».

Bibliographie

Manuels

  • Vignal, Thierry, Droit international privé, 2005.
  • Schack, Haimo, Internationales Zivilverfahrensrecht, 2006, 4émé édition.

Articles

  • Tarzia, Guiseppe, Vers un concept européen du droit de l'exécution, Revue hellénique de droit international ,2004, pp. 497.
  • Vrellis, Sp., Major problems of international civil procedure as compared to the ALI/UNIDROIT principles and rules, Revue hellénique de droit international, 2003, pp.93.
  • Perrot, Roger, les procédures civiles d'exécution en France et les perspectives européennes, Revue hellénique de droit international, 2004, pp 363.
  • Wagner, Die Zivil(-verfahrens-)rechtlichen Komponenten des Aktionsplans zum Haager Programm, IPRax,2005, pp. 494.
  • Yessiou-Faltsi, Pelayia, The principles with regard to enforcement proceedings, Revue hellénique de droit international, 2003.
  • Pr. Dr Burkhard Hess, Study on making more efficient the enforcement of judicial decisions within the European Union: transparency of a debtor’s assets, provisional enforcement and protective measures, attachment of bank account, 2004 (disponible sur le site http://ec.europa.eu).

Instruments internationaux et communications de la Commission Européenne

  • Règlement (CE) n°44/2001 dit « Bruxelles 1 », JOCE 29 décembre 1999.
  • Projet de programme du 30 novembre 2000 sur la mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle des décisions en matière civile et commerciale, JOCE 15/01/2001.
  • Study on making more efficient the enforcement of judicial decisions within the European Union: transparency of a debtor’s assets, provisional enforcement and protective measures, attachment of bank account, Prof. Dr. Burkhard Hess.
  • Livre vert de la Commission Européenne sur l’amélioration de l’exécution des decisions de justice au sein de l’Union Européenne; la saisie des avoirs bancaires du 24 octobre 2006. Non publié au JOCE.
  • Livre Vert de la Commission Européenne sur la transparence du patrimoine du débiteur, 6 mars 2008. Non publié au JOCE.

Jurisprudence

  • CJCE, 17 novembre 1998, arrêt Van Uden, affaire C-391/95.
  • CJCE, 26 Mars 1992, arrêt Reichert et Kockler / Dresdner Bank, Affaire C-261/90.

Sites internet