A propos de l’article de Simon A. Fitzpatrick « Prospects of Further Copyright Harmonisation ? » ([2003] EIPR 215) par Elodie Basalo

L’opposition entre copyright et droits d’auteur est-elle un obstacle à une plus grande harmonisation internationale de ce droit de propriété intellectuelle ?

Les pays de common law et les pays de civil law ont une approche complètement différente des droits d’auteur, les premiers accordant une grande importance aux droits conférés aux entrepreneurs qui publient une œuvre, permettant ainsi au public d’y avoir accès, et les seconds mettant l’accent sur les droits accordés à l’auteur qui crée une œuvre, accomplissant ainsi un effort intellectuel. Par conséquent, malgré l’existence d’accords internationaux tels que la Convention de Berne de 1886 qui tente d’harmoniser ce secteur, persistent des différences subtiles mais néanmoins significatives qui proviennent de cette opposition traditionnelle entre civil law et common law. Ce divorce conceptuel est-il une barrière infranchissable, ou un rapprochement international des législations est-il encore possible ? C’est cette question, soulevée par l’article de Simon A. Fitzpatrick, que nous allons explorer. Nous allons voir que la théorie utilitariste, développée par les pays de common law tels que le Royaume-Uni, semble avoir pris le dessus au niveau international. Cependant, on peut soutenir que son opposition avec la théorie de la personnalité défendue par les pays de civil law comme la France n’a pas disparu au niveau national, ce qui empêche d’envisager une plus grande harmonisation des droits d’auteur. De plus, une nouvelle opposition entre pays riches et pays pauvres est apparue, compliquant ainsi encore un peu plus la tâche.

Le dépassement de l’opposition entre common law et civil law ?

Deux conceptions différentes des droits d’auteur

Dans les pays de civil law comme la France, les droits d’auteur sont perçus comme le fruit de l’effort intellectuel des auteurs et constituent une « récompense » pour le travail qu’ils ont fourni. L’auteur est protégé en tant que créateur, en raison du lien qui l’unit à sa création du fait que sa personnalité s’exprime dans son œuvre, qui est entièrement liée à ses pensées. Il existe donc un fort attachement aux droits moraux des auteurs, car porter atteinte à l’œuvre revient à porter atteinte à son créateur. Les droits d’auteur appartiennent à l’auteur-créateur en raison de son acte de création, et ils sont simplement reconnus et formulés plus précisément par la loi. Mais ils ont par nature un caractère universel et perpétuel, et les exceptions ou limitations à ces droits doivent rester inhabituelles et extraordinaires. Selon Le Chapelier, « la plus sacrée, légitime, inattaquable et personnelle de toutes les propriétés est l’œuvre qui est le fruit des pensées d’un écrivain ». Au contraire, dans les pays de common law tels que le Royaume-Uni, les droits d’auteur représentent un moyen d’inciter les auteurs à créer leurs œuvres et à les publier, afin de permettre au public d’y avoir accès. Par conséquent, il est tenu compte non seulement des intérêts des auteurs mais aussi de ceux du public. C’est pourquoi l’importance accordée aux droits moraux des auteurs est beaucoup moins présente, voire inexistante, et les exceptions et limitations au copyright sont plus facilement acceptées et justifiées. En effet, l’émergence du copyright revêt un aspect commercial : c’est un droit créé par la loi, uniquement afin de stimuler l’activité littéraire et artistique et d’assurer sa diffusion vers le public. De ce fait, si les auteurs souhaitent transférer leur droit de propriété sur leurs œuvres, ils sont libres de le faire, et aucune particularité liée à ce type de propriété ne les en empêche. Car une composition littéraire est considérée comme un rassemblement d’idées sans lien spécial avec leur auteur, tout comme le détenteur d’un brevet n’a pas de lien particulier avec son invention.

Lorsqu’est apparue la nécessité d’unifier au niveau international les régimes de protection des auteurs, elle s’est tout d’abord heurtée à l’existence de ces deux conceptions totalement opposées.

La victoire apparente du modèle utilitariste

Du fait que les œuvres peuvent facilement traverser les frontières et être copiées à l’étranger, de nombreuses conventions bilatérales ont été conclues par les Etats. Mais ces initiatives se sont révélées insuffisantes pour protéger les auteurs de la piraterie internationale, rendue d’autant plus facile par le développement des nouvelles technologies comme l’Internet. Ainsi, grâce à l’Association Littéraire et Artistique Internationale créée en 1878 afin d’atteindre un consensus international sur les droits à accorder aux auteurs, plusieurs Etats se sont réunis lors d’une conférence internationale à Berne, et ils ont conclu en 1886 une convention qui avait pour but de constituer un premier pas vers une harmonisation internationale des droits d’auteur. Cependant, l’obstacle majeur constitué par l’opposition entre les deux modèles existants de droits d’auteur n’a pas été résolu. Les rédacteurs de la Convention de Berne se sont contentés d’indiquer dans son préambule qu’elle avait pour but de protéger les droits des auteurs, pour ensuite requérir simplement que chaque Etat étende ses lois nationales aux ressortissants des Etats parties à la convention, sous réserve de standards minimums mais sans parvenir à l’élaboration de règles communes. Puis, trois évènements ont montré que la vision utilitariste des droits d’auteurs prenait progressivement le dessus sur la scène internationale. Premièrement, l’adhésion de nombreux pays en voie de développement à la convention de Berne a forcé les pays exportateurs de propriété intellectuelle à faire des concessions lors de la conférence de Paris de 1971, en particulier en leur laissant la possibilité d’imposer des licences obligatoires sur des œuvres dont les copies sont épuisées ou pour lesquelles aucune traduction n’est disponible dans leur langue. Ces changements reflètent la prise en compte à la fois des intérêts des pays industrialisés et de leurs auteurs, mais aussi de ceux des pays du Tiers Monde et donc des utilisateurs d’œuvres soumises à des droits d’auteur. Deuxièmement, l’entrée des Etats-Unis dans l’Union de Berne en 1989 l’a éloignée encore plus de la théorie de la personnalité en rendant non obligatoire l’adoption des droits moraux non économiques. Troisièmement, l’accord ADPIC signé en 1994 par les Etats membres de l’OMC fait l’impasse sur les droits moraux pour ne s’intéresser qu’aux droits patrimoniaux des auteurs. Enfin, le traité de l’OMPI sur les droits d’auteur de 1996 a clairement marqué la victoire du modèle utilitariste en reconnaissant dans son préambule la nécessité de maintenir un équilibre entre les droits des auteurs et l’intérêt du public, c’est-à-dire entre le droit de propriété de l’auteur sur son œuvre et l’intérêt collectif à sa dissémination, ce qui s’oppose à la simple volonté de protéger les droits des auteurs que l’ont trouvait dans le préambule de la convention de Berne et qui mettait uniquement l’accent sur la relation individuelle entre l’auteur et sa création, miroir de sa personnalité. Il peut paraître préférable de choisir un modèle où les droits des auteurs sont limités par l’intérêt du public, car avec le développement technologique, des droits exclusifs sont de plus en plus difficiles à appliquer alors que des droits limités sont plus acceptables puisqu’ils valent mieux que pas de droits du tout. De plus, certaines utilisations des œuvres soumises à des droits d’auteur sont vraiment minimes, ne causent aucun préjudice aux auteurs et permettent de développer l’activité créatrice.

Une fois le modèle utilitariste choisi au niveau international, on aurait pu supposer que les Etats allaient enfin pouvoir se mettre d’accord sur des règles communes. Or il n’en est rien.

L’impossibilité d’une plus grande harmonisation des droits d’auteur

Une nouvelle opposition entre pays riches et pays pauvres

En 1994, la signature de l’accord ADPIC par les Etats membres de l’OMC marque un tournant dans l’histoire de l’harmonisation des droits d’auteur au niveau international. En réaction à l’augmentation récente de la piraterie internationale, l’accent est mis sur les conséquences économiques du commerce de la propriété intellectuelle. En effet, le problème ne porte plus sur l’absence de droits d’auteur dans les pays en voie de développement, mais sur leur mauvaise application. Par conséquent, l’adoption de ce traité poursuit l’objectif de rendre l’application de l’accord ADPIC par l’OMC plus efficace que celle de la Convention de Berne par la Cour Internationale de Justice. Mais elle a aussi pour conséquence de mettre en place une nouvelle conception des droits d’auteur au niveau international, en les faisant entrer dans la sphère commerciale. De la sorte, l’équilibre recherché entre auteurs et utilisateurs devient lié aux intérêts économiques des Etats. Mais ces derniers ne convergent pas, car les pays importateurs d’œuvres soumises à des droits d’auteurs sont pour l’adoption de règles plutôt souples, alors que les pays exportateurs de propriété intellectuelle sont favorables à des droits plus stricts pour les auteurs. On aboutit donc a une nouvelle opposition qui empêche de procéder à l’harmonisation des droits d’auteur au niveau international. Et cette opposition n’est pas prête de se résorber d’elle-même, car elle s’auto alimente de deux façons. D’une part, les pays pauvres auraient besoin d’utiliser le savoir-faire scientifique, éducatif et culturel des pays industrialisés afin de pouvoir se développer également, mais ils n’ont pas les moyens d’en payer le prix. Donc leur retard par rapport aux pays riches va probablement continuer à s’accentuer. D’autre part, les technologies de l’information et de la communication sont une ressource qui permet aux pays industrialisés d’accélérer leur développement, mais elle n’est pas partagée avec les pays du Tiers Monde. Donc il est vraisemblable que cette répartition inéquitable à travers le monde creuse encore l’écart existant actuellement. Ainsi, on voit bien que les intérêts économiques des Etats sont loin de se rapprocher, ce qui ne laisse rien présager de bon quand à l’harmonisation des droits d’auteur au niveau international.

Qui plus est, contrairement à l’argument de l’auteur selon lequel l’opposition traditionnelle entre la common law et la civil law aurait disparu, on peut soutenir que cette différence d’approche est aujourd’hui plus subtile mais plus tenace.

La persistance de l’opposition entre common law et civil law

Malgré la victoire théorique du modèle utilitariste, l’opposition entre copyright et droits d’auteur persiste en pratique. En effet, on peut donner deux exemples de domaines où les pays de common law et de civil law ont adopté un compromis au niveau international, sans pour autant changer leur droit national. Le premier exemple est celui des droits moraux accordés aux auteurs. Selon l’article 6 bis de la Convention de Berne, ils doivent exister dans les législations des Etats membres, mais leur nature et leur étendue sont décidées au niveau national. Donc la différence entre la common law, où ils sont presque inexistants, et la civil law, où ils sont très développés, existe toujours. Le deuxième exemple est celui des exceptions et limitations autorisées aux droits d’auteur par les articles 9.2 de la Convention de Berne et 5.5 de la Directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information. Là encore, la formulation est le résultat d’un compromis théorique, qui permet en pratique de conserver les droits nationaux, qu’ils prennent la forme d’une liste d’exception en civil law, ou d’une clause générale d’exception de type « fair use » ou « fair dealing » en common law. Ces deux exemples reflètent la difficulté, une fois que l’on a dépassé l’obstacle du choix de règles internationales communes, de les mettre en pratique. En effet, les compromis politiques atteints ne se traduisent pas toujours par des réformes effectives des droits nationaux, car même lorsqu’elles sont modifiées formellement, les législations des Etats continuent parfois à être interprétés selon leur formulation originelle. Ceci n’est pas surprenant car il est très difficile de modifier une culture juridique. En l’espèce, un accord international sur des dispositions reflétant le modèle utilitariste des droits d’auteur n’a pas permis de surmonter l’opposition traditionnelle entre civil law et common law, qui se double même aujourd’hui d’un nouvel antagonisme entre pays riches et pays pauvres. Il semble donc difficile à ce jour de trouver une issue à la détermination au niveau national des règles en la matière.

Bibliographie

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