A propos de la brevetabilité de traitements thérapeutiques individualisés à travers une comparaison des législations européennes et américaines par Kian TAWADJOH

Dans leur article, Zur Patentierbarkeit von Verfahren zur Herstellung individuumspezifischer Arzneimittel (Quant à la brevetabilité de procédés relatifs à la fabrication de médicaments spécifiques à un individu), paru dans GRURInt 11/2005, Joseph Strauss et Karolina Herzinger s’intéressent à la problématique des traitements thérapeutiques individualisés, réalisés à partir de techniques biotechnologiques. Ils opposent la réglementation américaine toute récente à la législation européenne. Il est intéressant de considérer la façon dont les législations répondent, chacune à leur manière, aux différents intérêts en jeu. Strauss, Joseph, Herrlinger, Katharina, Zur Patentierbarkeit von Verfahren zur Herstellung individuumspezifischer Arzneimittel, Aufsatz, GRURInt, novembre 2005

La recherche biomédicale menée par les industries pharmaceutiques et biotechnologiques concerne non seulement l’élaboration de nouveaux médicaments mais également la mise au point de nouvelles méthodes de traitement thérapeutique et de diagnostic. Contrairement aux médicaments, ce type de procédés ne peut pas faire jouir son créateur des droits et avantages qu’accorde l’instrument du brevet. De fait, cette situation est très contestée par l’industrie qui argumente principalement que cela représente un handicap à l’avancée de la recherche, le brevet constituant le meilleur outil d’encouragement. Il est ici nécessaire de définir les termes de méthodes de traitement thérapeutique et de diagnostic. Il y a traitement thérapeutique lorsque celui-ci a pour finalité la protection de la vie, la sauvegarde ou le rétablissement de la santé ou encore le soulagement de douleurs. Quant au diagnostic, celui-ci est schématiquement formé de trois étapes, l’obtention de données, la comparaison de celles-ci avec les normes de référence, l’affectation de ces données à une maladie. À ce sujet il est intéressant de noter ici l’arrêt CYGNUS (T 964/99) relatif à une méthode de diagnostic réalisée grâce à l’application d’électrodes sur le corps même. La chambre technique de l’OBE (Office du Brevet Européen) y a considéré que l’étape de l’extraction d’échantillon faisait partie intégrante du procédé et par conséquent soumettait l’ensemble de la procédure à l’article 52-4 CBE, c'est-à-dire une non-brevetabilité. L’article Zur Patentierbarkeit von Verfahren zur Herstellung individuumspezifischer Arzneimittel, de Joseph Strauss et Karolina Herzinger (paru dans GRURInt 11/2005), traite dans un premier temps de la reformulation de cet interdit jusqu’alors présent dans l’article 52-4 CBE au sein de l’article 53 CBE. Mais la principale préoccupation des auteurs concerne le statut des nouveaux types de procédés élaborés par l’industrie biotechnologique, qu’ils soient brevetables ou non. La position relative à l’interdit de brevetabilité des méthodes de traitement thérapeutique et de diagnostic est très harmonieuse au sein des États membres. Il est intéressant de la confronter à celle trouvée par le législateur américain, afin de rendre sa législation compatible avec l’accord ADPIC (accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l’OMC conclu à la fin du cycle Uruguay et entré en vigueur le 1er janvier 1995). Dans leur article, les auteurs critiquent cette position de l’OEB . En effet, ils considèrent qu’il s’agit d’un frein à l’avancée scientifique. Ils lui opposent la solution élaborée par le législateur américain, qui n’interdit pas de breveter ce type de procédés. Il est alors intéressant de confronter cette position à une comparaison des situations en Europe et aux Etats Unis actuellement. À cette fin, il est utile d’étudier les raisons pour lesquelles l’interdit de brevetabilité des méthodes de traitement thérapeutique et de diagnostic a été déplacé de l’article 52-4 CBE vers l’article 53 c CBE. Il est ensuite nécessaire de comparer le texte européen et son équivalent américain. Alors à la lumière de leur portée respective, ainsi que des évolutions récentes, on pourra se pencher sur le statut des procédés évoqués par les auteurs.

Parmi les modifications réalisées lors de la révision de la Convention sur le Brevet Européen (CBE) du 29 novembre 2000, entrée en vigueur le 13 décembre 2007, il y a le déplacement de l’exclusion de brevetabilité des méthodes de traitement thérapeutique et de diagnostic de l’article 52-4 CBE vers l’article 53 c CBE. L’alinéa 1 de l’article 52 CBE précise les conditions de délivrance d’un brevet européen (que l’on retrouve par ailleurs dans les différentes législations nationales des États membres), à savoir une activité inventive ainsi qu’une possible application industrielle. L’ancien alinéa 4 du même article excluait les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique ainsi que les méthodes de diagnostic relatives au corps humain ou animal. L’exclusion de brevetabilité était fondée sur l’absence d’application industrielle. La profession médicale n’est pas considérée comme exercée principalement à une fin lucrative, mais plus portée par un idéal de sauvegarde de la santé publique. Le médecin doit donc moins considérer le gain économique lié à l’exercice de son métier et plus tenir compte de son obligation face à la santé humaine (notamment arrêt du BGH Glatzenoperation, 1968). En considération de la pratique réelle, on voit bien que cette argumentation est fictive. En effet, l’exclusion est en réalité fondée sur des critères d’éthique et d’ordre public. Il est considéré que la santé est un des biens communs les plus importants et que par ailleurs il est incompatible avec la notion de dignité humaine de faire dépendre la guérison d’un être humain de l’accord d’un tiers. C’est dans cette logique que l’exigence de laisser entière liberté au médecin dans le choix des méthodes qu’il applique afin de garantir la santé publique reste l’argument clé qui est opposé à une brevetabilité des méthodes thérapeutiques. Ce sont donc des considérations socio-éthiques qui sont à l’origine de l’exclusion des méthodes thérapeutiques, chirurgicales et de diagnostic, de la brevetabilité. La révision de la CBE en novembre 2000 a donc permis d’harmoniser en quelque sorte texte légal et fondement de celui-ci en écartant la condition de la non-applicabilité industrielle. Il n’y a donc pas eu de changement de politique et aucune modification de la pratique actuelle de l’OEB n’est impliquée. Par ailleurs, cette révision a permis d’opérer un alignement de la CBE avec l’accord ADPIC et son article 27(3) a). __ La comparaison des textes européens et américains en ce domaine est intéressante quant à leurs portées respectives.__ Comme évoqué ci-dessus, la position européenne relative à la non brevetabilité de ces méthodes est relativement claire et ancienne. Les États-Unis, au contraire, ne disposent d’une législation en ce domaine que depuis récemment avec le § 287 (c) 35 U.S.C. de 1996. Cette législation américaine fait suite aux accords ADPIC de 1994 qui permettent aux États signataires de prendre des mesures relatives aux méthodes thérapeutiques, chirurgicales et de diagnostic (Art. 27 ADPIC). Comme déjà évoqué ci-dessus, le texte européen se fonde sur des considérations de santé publique ainsi qu’éthiques (On peut noter ici que cette exclusion concernait également les médicaments. Chose inimaginable aujourd’hui, en France ce n’est que depuis la loi de 1978 que les médicaments furent intégrés dans le droit commun des brevets). Au contraire, l’élaboration du texte américain a donné lieu à des débats passionnés entre groupes défendant une non brevetabilité de ces méthodes (regroupant sous le nom de Medical Procedure Patent Coalition un ensemble d’associations médicales pour l’essentiel), et groupes défendant leur brevetabilité (regroupant industrie pharmaceutique et biotechnologique, mais également l’ordre des avocats ou encore le Departement of Commerce). Les considérations en jeu n’étaient donc pas uniquement de nature éthique et de santé publique mais également de nature économique. Quant aux législations la différence fondamentale réside dans la possibilité, aux États-Unis, de breveter une méthode thérapeutique, chirurgicale ou de diagnostic. Or la brevetabilité de telles méthodes et la protection classiquement accordée au détenteur du brevet sont régies par le § 287 35 U.S.C., qui prévoit qu’un médecin (« medical practitioner ») qui lors de l’exercice de son activité (« medical activity ») emploie des méthodes brevetées ne pourra être poursuivi pour fraude. En d’autres termes, le propriétaire d’un brevet relatif à une telle méthode ne peut ni exiger cessation ni demander réparation. Ce qui distingue donc les deux législations est leur approche. Le droit européen des brevets, par sa méthode d’exclusion, aborde la question du point de vue des méthodes qui ne peuvent être brevetables. Il s’agit donc d’une approche en amont qui s’attache à évaluer si une demande de brevet remplit un critère l’empêchant de pouvoir jouir de la protection par brevet. C’est donc le procédé en cause qui est au centre. La possibilité de breveter une méthode thérapeutique, chirurgicale ou de diagnostic est par définition incompatible avec cette approche. Le droit américain aborde la question du point de vue de l’activité (« medical activity ») et de celui qui l’exécute (« medical practitioner »). La législation américaine ne s’oppose donc pas à une brevetabilité de ces méthodes, mais autorise des personnes précises (les médecins) dans un cadre strictement défini (dans l’exercice de leur activité) de pouvoir passer outre les protections accordées par brevet. Il est à noter ici que sont énumérés un certain nombre de brevets auxquels cette impunité pour le médecin ne s’applique pas. Il s’agit des méthodes de traitements brevetés dont le brevet dérive de celui accordé à un médicament ou d’une innovation biotechnologique. Mais exception faite de ces quelques cas particuliers, on peut noter ici que le texte du § 287(c) 35 U.S.C. par sa formulation est très large dans les droits qu’il accorde au médecin. En effet, celui-ci peut non seulement enfreindre des brevets qui protègent des méthodes de traitement thérapeutiques, mais également d’autres brevets s’il réalise cela au cours de son activité médicale. C’est donc à la Cour de déterminer dans de tels cas si le brevet a été violé au cours de l’activité médicale protégée. __ Dernier point abordé dans l’article concerne la question de la brevetabilité de médicaments individualisés.__ La médecine moderne fait de plus en plus appel à des procédés de type biotechnologique. Les procédés biotechnologiques se caractérisent schématiquement par trois étapes successives : il y a d’abord prélèvement d’une substance donnée à partir d’un corps humain ou animal. Celle-ci subit alors une transformation par des procédés techniques (qui peuvent être industrialisés), enfin cette « nouvelle » substance est soit réintroduite dans le corps sur lequel le prélèvement a été réalisé, soit fourni à d’autres êtres vivants. On peut donc constater que ce type de procédés se distingue fondamentalement de procédés plus « classiques » tels que celui en cause dans l’arrêt CYGNUS. Pour ce type de procédés, le prélèvement d’une substance à partir du corps humain n’est qu’un préalable au procédé breveté qui sert à la fabrication d’une substance nouvelle. De même la réintroduction, dans le corps ou dans un autre, de la substance modifiée ne fait que suite au procédé. L’activité médicale n’est donc pas liée au procédé en cause. Ceci s’applique également aux méthodes de diagnostic tels que des examens en laboratoire à partir d’échantillons sanguins ou de tissu. Ce type de procédé n’est donc pas exclu de la brevetabilité. Par ailleurs, la brevetabilité d’un élément isolé du corps humain ou autrement produit est affirmée à l’article 5-2 de la directive 98/44/CE relative à la protection des inventions biotechnologiques. Il semble donc nécessaire pour savoir si oui ou non un procédé est brevetable de considérer en quelle mesure le procédé en question est réalisé sur le corps humain lui-même. En comparaison, la législation américaine est bien plus simple dans son approche : les innovations biotechnologiques sont exclues par la loi elle-même de la dérogation accordée au médecin par § 287 (c) 35 U.S.C. Selon les auteurs, cette approche a l’avantage de ne pas inhiber la recherche de méthodes thérapeutiques et chirurgicales, l’encourageant au contraire en mettant à disposition l’outil du brevet. Pour illustrer leur propos les auteurs font référence à la thérapie génique et au rachat en 1995 par l’entreprise pharmaceutique suisse Sandoz (devenue Novartis) de l’entreprise de biotechnologies Genetic Therapy, Inc., propriétaire d’un brevet américain couvrant la quasi-totalité de la thérapie génique somatique. Huit ans plus tard Novartis cessa l’activité de Genetic Therapy en raison de l’absence des profits espérés. Les auteurs considèrent que cet échec illustre la proximité entre maladies encore incurables, avancées scientifiques et brevetabilité. Cette position (brevet = avancées scientifiques = gain pour la santé publique) est contestable et contestée, comme nous le verrons ci-après. En effet ces dispositions se révèlent, du fait des coûts souvent très élevés, trop restreignant pour la santé publique ainsi que limitant l’avancée de la recherche. Aux Etats-Unis, ces considérations se sont traduites par un projet de loi (déposé par la députée Lynn Rivers au Congrès américain en mars 2002). Celui-ci prévoit notamment une exemption des séquences génétiques pour usage diagnostique et à usage de recherche, mais ce projet de loi n’a pas abouti. Il a été reproché à la députée Rivers de ne pas expliquer comment commercialiser des technologies relatives à des tests génétiques. Quant à la situation européenne, celle-ci est également en cours de „rectification“. Alors que l’OEB avait accordé à la firme américaine Myriad Genetics trois brevets relatifs à la recherche de prédisposition au cancer du sein et de l’ovaire lié au gène BRCA1, il est revenu sur ces délivrances suite à une grande opposition au sein des États membres. À l’instigation de l’Institut Curie et de l’Institut Gustave Roussy, bon nombre d’instituts européens de recherche ainsi que différents ministères de la santé se sont opposés à cette délivrance pour les mêmes raisons que l’on retrouve dans le projet de loi américain : coût élevé pour réaliser le diagnostic et frein à la recherche. Sous cette influence la division d’opposition de l’OEB a, en mai 2004, totalement révoqué le brevet EP 699 754 parce qu’il „ne satisfait pas aux exigences de la CBE“, ceci en raison d’un excès de revendication. Les deux autres brevets accordés en 2001 à Myriad Genetics (EP 705 903 et EP 705 902) ont été partiellement révoqués en 2005. Myriad Genetics ayant fait appel de ces décisions, on ne connaît pas encore la position que l’OEB va finalement adopter, néanmoins on constate que ces nouveaux procédés nécessitent encore que l’on se penche sur leur considération par le droit des brevets.

Bibliographie

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Accord ADPIC entré en vigueur le 1er janvier 1995

Directive 98/44 sur la protection juridique des inventions biotechnologiques ainsi que ses objectifs

Egalement consultation de sites internet, notamment ceux de l’OMC et de l’OEB.