A propos de la convergence des modèles juridiques Britanniques et Français : Moteurs, obstacles et opportunité. par Guillaume Prouteau
Existe-t-il un phénomène de rapprochement entre le système britannique de Common Law et le système français de Droit Civil ? La plupart des auteurs s’accordent à dire que les traités internationaux, et les normes internationales de manière plus large, conduisent progressivement à une harmonisation des règles de droits entre ces deux systèmes pourtant si différents. On peut toutefois distinguer différentes formes de convergence en fonction de leurs sources et de leurs effets.
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Dans son étude comparative sur l’impact et l’importance du rôle des juges et plus généralement du processus juridictionnel sur la convergence des systèmes juridiques (Le pouvoir des juges, 1990) Mauro Cappelletti fait l’observation de l’émergence d’une dynamique de convergence entre les deux grandes familles de droit que sont la Common Law et le Droit Civil.
Nous définirons la convergence comme étant le phénomène qui amène plusieurs systèmes juridiques de traditions divergentes à évoluer vers un ensemble plus homogène de règles, d’interprétation et de procédure. En Europe où l’harmonisation des règles est un puissant mécanisme de convergence avec une visée intégrationniste avouée, s’est posé la difficile question de la convergence entre les systèmes de Common Law et les systèmes de Droit Civil.
Nous essaierons ici de déterminer quels sont les forces motrices de la convergence, quels sont les mécanismes qui permettent d’identifier ce phénomène, ses potentiels bienfaits pour la société et les obstacles qu’il pourra rencontrer.
Pour les besoins de cet exercice et par souci de cohérence, la convergence des systèmes juridiques dans le cadre de l’Europe doit se comprendre comme étant la première marche menant vers une intégration plus poussée des Etats Membres et par la suite au concept plus large d’unification. En effet, la convergence résulte d’un phénomène s’inscrivant dans la continuité, relevant ainsi à bien des égards de l’évolution, prenant plusieurs formes et s’observant à différents niveaux. Chaque étape de cette évolution vise l’homogénéité totale des systèmes juridiques des Etats Membres. La construction Européenne associe au processus unificateur une méthode d’harmonisation des règles, qui concourent tous deux à la convergence.
On trouve dans la doctrine des positions diverses au sujet de la faisabilité et de l’existence même de la convergence entre la Common Law et le Droit Civil. Toutefois, les arguments semblent se rejoindre sur le point de l’existence de différents niveaux de convergence. Pierre Legrand, qui pose l’impossibilité même de la convergence (European Systems are not converging, 1996) explique qu’il ne suffit pas de se concentrer sur les similitudes observables entre deux systèmes juridiques, constituant selon lui le niveau superficiel de la convergence, pour en conclure que ces systèmes sont convergents et qu’une attention plus importante encore doit être portée aux facteurs historiques et culturels qui furent fondateur des systèmes juridiques en question. On retrouve cet argument chez des auteurs qui soutiennent le postulat inverse. Selon John Merryman, la distinction entre un niveau de convergence superficiel et un niveau plus profond est tout à fait pertinente mais ne s’oppose en rien à ce que cette convergence superficielle devienne par la suite un terrain favorable à l’émergence d’une convergence profonde et donc mieux ancrée et plus durable (On the convergence (and divergence) of the Common Law and Civil Law, 1981).
Bien que chacun des deux systèmes reconnaisse la légitimité du pouvoir parlementaire en tant que source du droit, la France et plus généralement, les systèmes de traditions Civilistes ont développé leur système juridique au travers de la codification, là où la Common Law, repose plus volontiers sur la jurisprudence comme principale source de droit. Toutefois, ainsi qu’a pu le noter Guido Calabresi (A common law for the age of statutes, 1982), une forme de convergence avec la tradition de Droit Civil s’est installé, sous l’impulsion des politiques de l’Etat providence avec le développement de textes législatif comme source de droit plus prévisible, tel que le Sale of Goods Act ou le Copyright Design and Patents Act, tandis que les juridiction de Droit Civil se sont émancipées de la structure sans doute trop rigide proposées par la codification du droit, en recherchant plus de souplesse afin d’apporter des réponses appropriées à des situations nouvellement apparues.
Le contexte de l’Union Européenne offre des exemples de convergence entre la Common Law et le Droit Civil, autant à un niveau superficiel qu’à un niveau profond. L’intégration juridique étant l’un des objectifs de l’Union, on dénombre un volume important de règlements et de directives que les Etats Membres ont le devoir d’intégrer à leur ordre juridique et l’obligation d’en garantir l’applicabilité. Il en découle qu’on trouvera désormais des réponses identiques à un problème juridique donné dans chacun des Etats Membres, et ce sous la vigilance des tribunaux européens. La recherche d’une unité des systèmes juridiques au sein de l’Europe est une conception répandue et partagée dans la doctrine, pour laquelle il est nécessaire de trouver des compromis et qu’ils soient exprimés de façon univoque. On observe cette démarche d’unification au niveau régional, avec le règlement Européen Rome I, reprenant dans sa grande majorité les dispositions de la convention de Rome de 1980, et qui transpose donc ses dispositions dans l’ensemble de l’Union Européenne. La convergence est ici violemment imposée, contrairement à la souplesse de l’approche harmonisatrice. Les directives Européenne sont un puissant outil de convergence par l’harmonisation et il y est fait recours dans de nombreux domaines. On peut citer la directive 2008/88/CE concernant certains aspects de l’organisation du temps de travail a eu un impact visible sur le droit du travail dans tous les Etats Membres et participe à la clarification et l’harmonisation des droits nationaux dans ce domaine.
Pour que le droit européen ait un niveau satisfaisant de pénétration dans les droits nationaux des Etats Membres, les Cours Européennes ont explicitement énoncé le principe de primauté du droit Européen dans les ordres juridiques nationaux dès 1964 et l’arrêt Costa c. Enel. On retrouve ce principe à l’article 288(2) du TFUE concernant l’applicabilité directe des règlements européen dans les Etats Membres. Dès lors, le droit européen en tant que moteur de la convergence étend son influence non plus seulement au niveau superficiel, en tant que simple ensemble de règles mais aussi au niveau de convergence profond qu’est la tradition constitutionnelle des Etats. De fait, l’applicabilité directe est un trait caractéristique des systèmes monistes se réclamant de tradition civiliste. En affirmant le principe de primauté du droit européen, le traité et la cour excluent la possibilité pour un Etat membre d’adopter une approche dualiste envers le droit européen.
Au Royaume-Uni, c’est l’article 2 de l’European Communities Act de 1972 qui pose le principe de l’applicabilité directe des normes européennes dans l’ordre juridique national, amenant ainsi un système traditionnellement dualiste vers une approche moniste du droit européen. Une abondante jurisprudence s’en est suivi et témoigne de la difficulté qu’ont eu les juges britannique à adopter un tel raisonnement et bien que l’on puisse considérer qu’aujourd’hui la primauté du droit européen ne fasse plus de doute on constate tout de même la réticence des juges à faire application d’une norme européenne entrant en contradiction avec un droit national préexistant.
La tradition constitutionnelle Française pose elle le monisme comme principe. La constitution elle-même donne aux dispositions des traités internationaux une valeur légale plus importante que celle de la loi nationale. Seulement, ce constat à lui seul permet d’invalider la posture moniste puisque la supériorité du droit international sur le droit interne n’est possible que grâce à une disposition de droit interne (A.Pellet, Vous avez dit « monisme », 2006).
Ces exemples démontrent l’évolution des positions Britannique et Française au sujet des normes externes et nous voyons une tendance pour ces modèles à adopter des approches similaires qui ne sont plus seulement superficielles au sens où l’on retrouvera les dispositions de la norme Européenne dans chacun des ordres juridiques nationaux, mais plus profondes puisqu’elles touchent à la tradition constitutionnelle de ces Etats. D’une part le Royaume-Uni pour se plier aux exigences qui accompagnent le statut de membre de l’Union a démontré une volonté de dépasser les divergences fondamentales qui le séparait de la vision continentale de l’Union Européenne quand d’autre part, les Cours Françaises ont mis à mal le postulat constitutionnel du monisme et se sont ainsi rapproché d’une conception dualiste propre aux systèmes de Common Law.
Pierre Legrand émet l’hypothèse selon laquelle certaines des différences qui peuvent être observée à un niveau profond sont irréductibles et que dès lors la convergence véritable ne peut être atteinte. Il explique que ces deux cultures juridiques sont si fondamentalement différentes que la compréhension de la Common Law par un juriste de Droit Civil, et inversement, est impossible. On peut pour illustrer ce point se référer à la réticence qu’éprouvent les Britanniques à ratifier la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandise. Parmi les arguments régulièrement avancés pour justifier de ce refus, on peut citer la formulation de l’article 7-1 sur l’interprétation qui doit être faite des dispositions de la convention. Si tous les termes de l’article semblent avoir un sens clair, aux yeux des juristes britanniques il en va tout autrement de l’exigence de bonne foi dans la conduite du commerce international. La bonne foi n’étant pas définie par la convention, l’interprétation du concept est laissée aux cours des Etats signataires de la convention. Paul J. Powers écrit, que le concept de bonne foi a connu tellement d’interprétations différentes selon les époques et les pays qu’il est absolument impossible d’en déduire un sens précis (Defining the undefinable, 1999). Plus encore, la rédaction de l’article 7-1 laisse planer une incertitude au sujet du caractère à donner à l’exigence de bonne foi. S’agit-il d’un devoir s’imposant aux parties et dont le manquement pourrait résulter dans la résiliation du contrat, ou la bonne foi ne doit elle se comprendre que comme étant une ligne directrice dans l’interprétation de la convention ? En France aussi la question a fait débat au cours de l’affaire Bonavanture de 1995.
Pour Merryman, on ne peut envisager la convergence que comme un phénomène à long terme, dès lors, l’accumulation des points de convergence superficielle venant s’ajouter à l’émergence d’une culture juridique européenne mènera inévitablement à la convergence. Au regard de ces développements, il peut être soutenu que la construction Européenne est un terreau fertile à l’apparition de juristes rompus à la pratique des deux systèmes et ayant développé une compréhension extensive de chacun d’eux permettant à terme de produire une législation plus adaptée et plus efficace. Sous ce postulat, on retrouve l’idée que la convergence relèverait d’un phénomène naturel. Pour voir se produire une forme de convergence, les sociétés et les systèmes juridiques devront se rejoindre sous la forme d’un compromis, à un point d’équilibre idéal. L’idée qui sous-tend cette hypothèse est celle que l’un des systèmes soit intrinsèquement inférieur à l’autre dans les solutions qu’il apporte à un problème donné et qu’il nécessiterait dès lors d’évoluer vers la solution qu’offre l’autre système à un problème identique.
De ce point de vue, la convergence emporte une connotation très favorable puisqu’elle est censée représenter une forme d’idéal et d’aboutissement du processus d’évolution du droit. En s’affranchissant de certaines contraintes traditionnelles, les Etats et les sociétés pourraient abandonner des normes obsolètes ou incohérentes au regard des normes Européennes. Ainsi en France, a récemment été abandonné le statut du « Bon père de Famille » au profit d’un critère de raisonnabilité qui n’est pas sans rappeler au juriste averti la Reasonnability si chère à l’ordre juridique Britannique. On pourrait y voir une convergence superficielle, mais si l’on garde à l’esprit que cette notion est aussi ancienne que l’est le code civil et que son retrait de ce dernier intervient dans un contexte de changement culturel au sein de la société, glissant d’un modèle patriarcal vers un modèle plus libéral, on constate bien que nous avons affaire à une convergence plus profonde et qu’elle suit une idéologie partagée autant par la société française que par la société britannique. La question de l’adoption du critère de raisonnabilité par d’autre Etats Membres de tradition civiliste reste en suspens mais à mesure que les sociétés d’Europe se ressemblent, leurs systèmes juridiques évoluent en conséquence. Dès lors, l’aspect évolutionnaire de la convergence n’est pas seulement l’une de ses forces motrices, c’est aussi l’un de ses effets les plus souhaitables.
D’un certain point de vue idéologique, la convergence en tant que phénomène permettant l’émergence d’un droit Européen unifié (unique ?) qui transcenderait les barrières historiques entre la Common Law et le Droit Civil constituerait le but ultime de la construction européenne. Néanmoins, la recherche à tout prix de la convergence aura très certainement comme conséquence l’érosion des droits nationaux. En ce sens, la convergence n’est souhaitable que dans la mesure où elle reste un moyen d’améliorer l’efficacité du droit et ne devient pas un objectif en soi. Lorsqu’elle est comprise ainsi, la convergence entre deux systèmes ne peut et ne doit uniquement résulter qu’en une amélioration pour les sociétés, puisque ce sont bien là les sujets et premiers bénéficiaires du droit. La recherche de la convergence ne doit donc pas se faire au prix d’une régression sociale et doit toujours être envisagée comme une étape naturelle aux yeux de chacun des acteurs. Cette perspective soulève une difficulté dans la mesure où il est peut-être difficile de faire coïncider les valeurs et les aspirations des peuples ; et en cela une unification trop brusque ne semble pas préférable à une harmonisation progressive dont il résultera naturellement une convergence. Mais dans cette harmonisation l’idée que la convergence doit amener un système juridique inférieur à se mettre au niveau de l’autre doit primer.
Bibliographie :
1. Cappelletti, Le pouvoir des juges, coll. « Droit public positif », Aix et Paris, Presses Universitaires d’Aix-Marseille et Economica, 1990
2. Schlesinger, The past and future of comparative law, American journal of comparative law, 1995
3. Le Grand, European legal systems are not converging, International and comparative law quarterly, 1996
4. Merryman, On the convergence (and divergence) of the Common Law and the Civil Law, Stanford journal of international law, 1981
5. Calabresi, A Common Law for the age of statutes, Harvard University press, 1982
6. Pellet, Vous avez dit « monisme » ?, In L’architecture du droit – Mélanges en l’honneur du professeur Michel Troper, Economica, 2006
7. Bradley, Ewing, Constitutional and administrative law, Pearson Longman, 14th edition, 2007
8. Mattei, Luca, Civil Law and Common Law : Towards Convergence ?, Oxford handbook of law and politics, 2008
9. Powers, Defining the undefinable : Good faith and the United Nations Convention on the Contracts for International Sale of Goods, 18 J.L. & Com. 1999