A propos de la La proposition de directive relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté, par Carina Grigorian
Le Parlement européen et le Conseil ont proposé un projet de directive qui, si elle est ratifiée et transposée, devrait aboutir à une harmonisation du droit pénal portant sur la responsabilité pénale des entreprises. Les difficultés surgissent notamment dans la législation allemande qui devra être réformée car elle ne prévoit aucune responsabilité pénale des entreprises contrairement au droit français. Le droit pénal allemand dispose d’un « Code des infractions réglementaires » qui peut servir de base à l’injonction d’une amende pécuniaire à l’encontre d’une personne morale tandis que toutes les normes du Code Pénal sont applicables à la personne morale en France. La nécessité de mettre en œuvre un droit harmonisé ou même unifié s’est manifesté depuis quelques années, notamment par le projet d’un Code Pénal européen, l’objectif sous-jacent étant toujours une mise en œuvre facile et effective du droit.
Présentée par la Commission européenne en 2001 puis dans une version modifiée en 2003, la proposition de directive relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté n’a, à ce jour, pas donné naissance à une directive. Cette proposition de directive qui vise à unifier les législations pénales nationales n’est pas un projet isolé. L’étude sur la mise en oeuvre du Corpus Juris dans les États membres concernant les dispositions pénales pour la protection des finances de l'Europe réalisée sous la direction de Mme. Delmas- Marty (1ère proposition d’unification) et la proposition d’un Code Pénal Européen des finances fondé sur le livre vert présenté par la commission en 2001 relatif à la protection pénale des intérêts financiers communautaires et la création d’un procureur européen (proposition émanant de certains auteurs allemands, notamment Schwarzburg et Hamdorf) attestent de l’intérêt porté à création d’un espace pénal communautaire. Une simple proposition de directive peut être de nature à fonder une comparaison juridique entre Etats lorsque les conséquences d’une éventuelle transposition auraient des effets notoires sur l’état des législations nationales. En effet, le droit communautaire dérivé à travers l’outil des directives s’impose aux Etats membres mais de manière indirecte car elles nécessitent une transposition dans la législation interne. Les gouvernements nationaux devront adapter leurs législations afin de les rendre conformes aux objectifs du texte communautaire, et ce dans le délai imparti par ce dernier. En l’espèce, la proposition de directive a pour objectifs majeurs d’éviter la fraude en matière de dépenses et en matière de recettes, de lutter contre la corruption active et passive, de supprimer le blanchiment de capitaux ainsi que d’assurer la responsabilité pénale et l’exécution des sanctions au sein de l'Union Européenne. Cet article ne traitera que de ce dernier point, car celui-ci semble le plus pertinent dans une approche de comparaison juridique.
En effet on peut légitimement se demander quelles seraient les conséquences d’une transposition de la directive sur les législations françaises et allemandes. Ou plus précisément, quelles difficultés poserait l’harmonisation des lois sur la responsabilité pénale des entreprises. Cela suppose évidemment une concrétisation de la directive et une transposition dans les Etats membres, ce qui prendra un certain temps. Reste néanmoins qu’une telle projection dans l’avenir n’est pas dénuée d’intérêt comme en atteste les discussions doctrinales depuis quelques années.
Les disparités structurelles du droit pénal français et allemand : un frein à l’harmonisation
Dans la perspective de l’adoption d’une directive, c’est bien d’ « harmonisation » dont on parle, c'est-à-dire de l’adoption de principes généraux permettant de rapprocher les droits pour les rendre compatibles, et non d’ « unification » car celle-ci consisterait en des dispositions exactement communes aux Etats membres (ce qui serait l’hypothèse d’un Code Pénal européen).
En droit positif, les disparités entre législations allemandes et françaises se manifestent lors de l’analyse des notions fondamentales du droit pénal général comme les types infractions, les auteurs qui peuvent voir leur responsabilité engagée ou les sanctions encourues.
Les infractions et leur codification dans les deux ordres juridiques
Le droit français connaît une classification tripartite des infractions pénales selon leur gravité : crime, délit, contravention. Le Nouveau Code Pénal (NCP) s’applique par conséquent à ces trois types d’infractions. Les principales violations imputables aux personnes morales sont les crimes et délits contre des personnes physiques (art 221-5-1 sur le mandat criminel, 222-33-1 sur les agressions sexuelles…), contre des biens (art 311-16 NCP sur le vol, art 324-9 NCP sur le blanchiment d’argent…), contre la nation (art 414-7 ss. NCP), contre la bioéthique (L. 511-28), ainsi que les infractions contenues dans les codes de commerce, de construction et habitation, de l’environnement, de propriété intellectuelle etc… Il n’y a aucun consensus européen sur la nature des infractions pénales, c’est pourquoi le droit allemand diffère du droit français avec seulement deux types d’infractions : les crimes et les délits. De plus, les normes qui se réfèrent à ces infractions sont inscrites dans deux codes différents : le code pénal (Strafgesetzbuch, littéralement code des peines) et le « code des infractions réglementaires » (Ordnungswidrigkeitsgesetz -OWiG-). Il semble que les infractions les plus importantes au regard de la constitution relèvent du droit pénal et que celles qui sont considérées comme moins graves relèvent du « code des contraventions » (ou « code des infractions réglementaires» suivant les auteurs). L’Allemagne n’est pourtant pas la seule à avoir un « code des contraventions ». Le Portugal, les Pays-Bas, l’Autriche, l’Espagne, ainsi que la Suède disposent de type de code mais ils ont parallèlement des règles de droit pénal « criminel et délictuel » applicables aux personnes morales. Une telle dualité du système pénal, c'est-à-dire l’existence d’un code de droit pénal « criminel et délictuel » applicable à toute personne physique ou morale, ainsi que d’un code des infractions réglementaires applicable corrélativement est une hypothèse à ne pas exclure lors d’une transposition d’une directive qui contraindrait l’Allemagne à adopter une responsabilité pénale des personnes morales.
L’entreprise auteur et pénalement responsable, un sujet de discorde majeur entre les Etats membres
La notion de personne morale est comprise largement par le droit français car il n’opère aucune distinction contrairement au droit allemand entre les personnes morales et les groupements de personnes ayant une personnalité juridique. En effet si les personnes morales (juristische Personen) n’ont pas de responsabilité pénale, il n’en est pas tout à fait de même concernant les groupements de personnes ayant une personnalité juridique (rechtsfähige Personnenvereinigung). Cependant, cette distinction a perdu de sa pertinence depuis une loi du 22 août 2002 qui élargit le champ d’application du § 30 OWiG en l’appliquant non seulement aux personnes morales mais aussi aux groupes de personnes possédant la personnalité juridique, rejoignant ainsi le champ d’application de l’article 121-2 du NCP.
A l’occasion de l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales en droit français en 1994, le Sénat craignait que l’application de la responsabilité pénale à toutes les personnes morales, notamment celles de droit public, aboutisse à une violation des libertés et droits fondamentaux. Il en résulte que l’Etat ainsi que tous ses démembrements ne sont pas pénalement responsables (121-2 NPC). Les principales personnes morales responsables sont les sociétés de capitaux, les groupements, associations, partis politiques, syndicats… La norme clef du OWiG est le §30. Il énonce une possibilité de sanction contre une personne morale ou un groupe de personnes. Cette sanction prend la forme d’une amende qui a la même fonction que les sanctions pécuniaires du droit de la concurrence. Elle existe donc dans toutes les législations des Etats membres de la Communauté qui appliquent le droit de la concurrence européenne. Elle s’applique lorsque le représentant de la personne morale a commis une infraction. L’objectif de cette amende est de mettre la personne physique et la personne morale sur un pied d’égalité et d’ainsi d’éviter l’impunité de la personne morale. Cette amende a un effet essentiellement dissuasif ; elle encourage l’entrepreneur à porter plus d’attention à la personne qu’il choisit pour gérer l’entreprise.
Le droit français reconnaît une responsabilité pénale aux entreprises lorsque l’auteur de l’infraction est un organe de l’entreprise ou son représentant légal. La responsabilité pénale de l’entreprise n’est pas engagée par une violation commise par un simple salarié. Ceci peut s’expliquer par le fait que seules ces deux entités peuvent incarner la volonté (l’élément intentionnel) de la personne morale (cass, ch.crim, 2 décembre 1997). La responsabilité pénale de la personne morale n'exclut pas la responsabilité des personnes physiques qui ont commis ou ont été complices de l'infraction. La loi consacrée à l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité dite « Perben II » du 9 mars 2004 a étendu la responsabilité pénale de la personne morale à l'ensemble des délits et des crimes. Le Code Pénal de 1994 avait introduit la responsabilité de la personne morale en conséquence de la faute de la personne physique. Mais des critiques s'étaient élevées contre le fait que certaines infractions entraînaient la responsabilité des sociétés et d'autres pas. Ainsi l'abus de confiance et le vol entraînaient la responsabilité de l’entreprise, mais pas l'abus de bien social ou les infractions d'urbanisme. La loi du 9 mars 2004 précitée, entrée en vigueur le 31 décembre 2005, a porté remède à cette incohérence, puisque aujourd’hui toutes les infractions sont sources de responsabilité. Le paradoxe du droit allemand se révèle ici en ce qu’il reconnaît la possibilité de sanctionner un groupement de personnes par une « amende de groupe » (Verbandgeldbuße) tout en excluant la responsabilité pénale. La responsabilité des personnes morales est donc toujours à étudier à deux niveaux : au regard du code pénal et au regard du code des infractions réglementaires.
« L’amende de groupe » est généralement prononcée lorsque l’auteur ne peut être identifié. Deux cas peuvent illustrer cette hypothèse : soit plusieurs organes, représentants ou mandataires peuvent être soupçonnés mais il n’est pas possible d’établir lequel a commis l’infraction, soit il peut être prouvé qu’au moins un des auteurs appartient au cercle des organes dirigeants de l’entreprise. Il en ressort donc que l’auteur des faits ne doit pas être identifiable mais que l’acte doit être commis par un organe de la personne morale. Il semble que le droit allemand connaisse une responsabilité que l’on pourrait qualifier de « quasi-pénale » (Desportes, Le Gunéhec, Droit Pénal Général, n°587) qui permet d’infliger une sanction pécuniaire à une personne morale. Certains auteurs (Jescheck et Weigend) parlent alors de « vertige d’étiquettes ».
Le Corpus Juris propose dans son second paragraphe (art.10 à 14) d’instaurer le principe de culpabilité comme fondement de la responsabilité pénale. Il précise alors les cas de responsabilité individuelle, celle du chef d’entreprise et enfin celle des groupements. La pluralité des auteurs existant dans la majorité des ordres juridiques européens, le Corpus Juris reprend la distinction auteur, instigateur, complice pour mettre en évidence le fait que la responsabilité pénale n’est pas restreinte à ceux qui commettent l’infraction de leurs propres mains.
Les sanctions pénales criminelles ou administratives
En droit allemand, le système de sanctions repose sur la personnalité juridique individuelle de chaque délinquant ce qui le rend inapplicable aux personnes morales. Le sujet de droit ne peut être qu’une personne physique, c’est pourquoi la responsabilité pénale des entreprises n’est pas reconnue. L’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales en droit français a été codifiée et fait l’objet d’une section particulière consacrée aux personnes morales (art 131-37 à 131- 49 NCP). Le Conseil constitutionnel a jugé que le principe de personnalité des peines n’empêchait pas de condamner une personne morale à une sanction pécuniaire. De plus, l'entrée en vigueur de la loi dite Perben II marque l’abandon du principe de spécialité ; les personnes morales peuvent désormais être poursuivies sur le fondement de toutes les infractions pénales, sans qu'il soit nécessaire qu'un texte particulier prévoit expressément cette responsabilité.
Le droit allemand ne pourra sanctionner l’entreprise que par une amende administrative et seulement si l’infraction correspond à la lettre du § 30 OWiG, c'est-à-dire si par l’infraction qu’il commet, l’auteur viole les devoirs de la personne morale ou du groupement de personnes ou si la personne morale ou le groupement de personne s’enrichit du fait de cette violation.
Le droit en revanche connaît un nombre considérable de peines qui peuvent aller jusqu'à la dissolution de la société.
Les articles 121-2 NCP et 30 OWiG ont ceci en commun que l’infraction doit être commise pour le compte de la personne morale (art 121-2 al 1 NCP). En effet l’enrichissement de la personne morale du fait de la violation suffit à engager la sanction pécuniaire selon le droit allemand. La violation peut être commise à l’encontre des personnes physiques mais aussi des biens, et peut être intentionnelle ou commise par négligence. L’enrichissement de la personne morale varie selon ces types de délits. L’élément objectif de la violation est le gain obtenu et l’élément subjectif le comportement fautif de l’auteur.
La question s’est posée de savoir si les sanctions administratives devaient être utilisées pour la protection des intérêts financiers de l’UE. Il a été considéré que les sanctions administratives doivent être distinguées des sanctions de droit pénal criminel en ce qu’elles ne sont pas du droit pénal criminel mais découlent du droit pénal au sens large. Les arguments avancés contre l’utilisation des sanctions pénales criminelles pour protéger les intérêts financiers de l’UE consistaient principalement à dire que celles-ci tombent nécessairement sous l’égide des juridictions pénales. Or la Commission étant compétente pour le prononcé des sanctions administratives, cela reviendrait à accorder une compétence à une autorité administrative en matière pénale ce qui ne sera probablement pas accepté par les Etats membres.
Certains arguments avancés étaient la rapidité et la plus grande facilité de sanction des infractions par les sanctions administratives. Selon d’autres auteurs (Gröblinghoff, Kuhl, Tiedemann, Vogt…) lorsque la sanction du crime est une simple sanction administrative, elle n’est pas de nature suffisamment dissuasive pour l’auteur.
Une nécessaire européanisation du droit pénal
L’utilité d’une sécurité juridique pour les entreprises lors des opérations internationales
L’utilité d’une européanisation de la responsabilité pénale des entreprises se manifeste essentiellement à l’occasion d’actions transnationales. On peut se demander au regard du droit international dans quelles mesures, à tire d’exemple, le droit allemand est applicable à des faits causés par une entreprise allemande à l’étranger ou une entreprise étrangère en Allemagne. Ces questions sont réglées par les § 3 ss. StGB relatifs au droit pénal international.
Ainsi, une entreprise allemande qui commet une infraction à l’étranger serait responsable de façon analogue à une personne physique, c'est-à-dire dans l’Etat où l’infraction a été commise. Selon le droit positif, la sanction du § 30 OWiG pourrait être prononcée contre l’entreprise car les règles de droit pénal international sont applicables aux infractions commises par des personnes physiques. Les difficultés apparaissent lorsque les deux Etats en cause ont une législation différente concernant la responsabilité des personnes morales. Si une entreprise étrangère commet une infraction sur le territoire français, sa responsabilité sera recherchée selon le droit français sur la base du principe de territorialité, quand bien même l’entreprise n’aurait pas la personnalité morale dans son pays d’origine. Dans l’hypothèse où une entreprise étrangère (française) ayant un siège en Allemagne commettrait une infraction en Allemagne, seule une amande découlant du § 30 OWiG serait envisageable au regard du droit en vigueur. Des difficultés pourraient apparaître dans le cas où l’entreprise française n’aurait pas son siège en Allemagne. Il faudrait alors appliquer la procédure d’exequatur à la sanction prononcée par le juge allemand. Reste que pour la simple reconnaissance d’une sanction prononcée à l’étranger, le droit international exige que les deux Etats connaissent la sanction dans leur propre ordre juridique. Une initiative européenne (émanant de la France, la Suède et du Royaume-Uni) en vue de l’adoption par le Conseil d’une décision-cadre concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires propose de rendre exécutoire les décisions rendues contres des personnes morales même en l’absence de reconnaissance mutuelle. Cela conduirait de facto les Etats qui ne connaissent pas de responsabilité pénale des personnes morales à appliquer un système plus punitif. En conséquence, l’Allemagne pourrait être contrainte de reconnaître une « sanction pénale criminelle » prononcée contre une entreprise allemande en France.
Les positions doctrinales relatives à l’adoption de la directive
La responsabilité des personnes morales divise les législations des Etats membres. Elle est admise en France, en Angleterre, en Finlande et aux Pays-Bas. L’Allemagne n’admet que la responsabilité administrative des personnes morales et certains Etats comme la Belgique ou l’Italie n’admettent qu’une responsabilité civile. La directive ayant pour objectif d’harmoniser les droits européens sur ce point, les arguments élevés lors de discussions relatives à un Code Pénal européen pourraient être transposées ici. Ainsi, les débats engagés par le Corpus Juris (présenté comme des solutions apportées à la protection des intérêts financiers de l’UE mais qualifié par Mme Delmas-Marty elle-même de « cheval de Troie » pour le développement d’un droit pénal européen) ont pu faire valoir des arguments à l’encontre ainsi qu’en faveur de règles communes (La grande aventure d’un Codé pénal européen ; entre rêve et réalité, Jean Pradel). De manière générale les arguments contre l’unification touchaient à l’idée d’abandon de souveraineté des Etats et des trop fortes dissemblances nationales, notamment terminologiques. Les auteurs favorables à une unification estiment que ces dissemblances sont d’importance secondaire. Ils considèrent que l’unification du droit pénal, notamment concernant la fraude communautaire, s’inscrit dans la suite logique des autres branches du droit largement unifiées grâce aux outils du droit communautaire secondaire. En Allemagne, un texte sanctionne la fraude communautaire alors qu’en France à défaut de texte spécifique, les magistrats font appel à des qualifications de droit commun ce qui entraîne une grande disparité et profite aux fraudeurs.
La proposition de directive relative à la protection pénale des intérêts financiers de la Communauté est sans doute un autre « cheval de Troie » du Parlement et du Conseil permettant l’harmonisation d’un point précis du droit pénal en contournant l’idée d’unification par un Code auquel les Etats sont encore hostiles.