A propos de la notion d’établissement de crédit en droit français et en droit russe par Raphaël Galand

L’établissement de crédit se distingue des autres sociétés par la nature de son activité et la surveillance dont il fait l’objet. Le droit russe et le droit français accordent aux établissements de crédit le monopole des opérations de banque, mais prévoient également un contrôle de ces établissements par la délivrance d’un agrément et par la surveillance de leur activité par des organismes extérieurs, qui ont été récemment réformés  à la suite de la crise financière aussi bien en droit de l'Union européenne qu'en droit français.

La notion d’établissement de crédit est une notion générique en droit français, en ce sens qu’elle regroupe des sociétés qui peuvent avoir des statuts différents mais qui ont en commun d’effectuer des opérations de banque. Cette notion trouve son origine en droit français dans la première Directive bancaire  n° 77/780/CEE du 12/12/1977. L’établissement de crédit par excellence reste en France la banque, mais l’unification du statut bancaire, qui commença progressivement avec la loi du 24/01/1984, a accru les compétences des autres établissements quant aux opérations de banque.

En droit russe, la Loi fédérale du 02/12/1990 « O bankah i bankovskoj deätel’nost’ » (« Des banques et l’activité bancaire ») [pour la suite « la Loi fédérale »] constitue le texte principal relatif aux établissements de crédit et à l’activité bancaire en général. Cette loi a fait l’objet de modifications successives par la suite mais reste la norme de référence concernant les établissements de crédit, dont la définition n’a pas changé depuis. Il est possible de considérer que le droit russe a la même approche que le droit français de la notion d’établissement de crédit, qui regroupe des sociétés de diverse nature, mais qui ont en commun d’effectuer des opérations de banque.

En vertu de l’article L.511-1 du Code monétaire et financier (CMF), « Les établissements de crédit sont des personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque au sens de l’article L.311-1. Ils peuvent aussi effectuer des opérations connexes à leurs activités, au sens de l’article L.311-2. » En droit russe, la Loi fédérale dans sa rédaction du 03/02/1996 définit dans son article 1er l’établissement de crédit comme « une personne morale à but lucratif qui a la capacité d’accomplir des opérations de banque prévues par la présente loi fédérale, en vertu d’une autorisation spéciale (agrément) délivrée par la Banque centrale de la Fédération de Russie.
Elle est fondée sur toute forme de propriété et constituée sur le modèle de la société de capitaux à but lucratif. »

Ces deux dispositions donnent les caractéristiques essentielles de l’établissement de crédit, à savoir une personne morale accomplissant des opérations de banque. Tout comme le droit russe, le droit français prévoit la nécessité d’un agrément pour que les établissements de crédit puissent effectuer leurs activités. Par ailleurs, un élément primordial de la notion d’établissement de crédit est l’existence d’un contrôle extérieur de leurs activités, avec la particularité en droit russe d’un véritable pouvoir normatif de la Banque centrale.

Dès lors, il s’agit de déterminer les caractéristiques essentielles des établissements de crédit et la spécificité de la réglementation de leur activité dans les deux systèmes juridiques.

Pour cela, il convient d’analyser dans un premier temps les éléments d’identification de l’établissement de crédit (I), puis, dans un second temps, la réglementation de leur activité dans les deux systèmes juridiques (II).

I/ Les éléments d’identification de l’établissement de crédit

L’étude de la notion d’établissement de crédit amène dans un premier temps à déterminer les caractéristiques essentielles des établissements de crédit dans les deux systèmes (A). Il s’agit ensuite d’analyser la nature des différents établissements de crédit en fonction de leur compétences respectives (B).

A/ Les caractéristiques essentielles des établissements de crédit en droit français et en droit russe

1. La nécessaire personnalité morale de l’établissement de crédit

Si les deux systèmes juridiques excluent les personnes physiques de la catégorie d’établissements de crédit, le droit français ne semble pas exiger que la personne morale soit une société commerciale, alors que les opérations de banque sont des actes de commerce, tandis que le droit russe le prévoit expressément. En vertu de l’alinéa 1er de la Loi fédérale russe, l’établissement de crédit ne peut être qu’une société de capitaux à but lucratif. Cela concerne en droit russe trois types de société: une société par actions, une société à responsabilité limitée ou une société à responsabilité renforcée (société inconnue en droit français mais très proche de la SARL). A l’inverse, la Cour de cassation considère que l’activité d’un établissement de crédit est commerciale, même lorsque son statut est civil ( Cass. Com., 24/01/1984, Bull. civ. IV, 1984, n°27, C. Gavalda, J. Stoufflet, Droit bancaire, Litec 8è édition, 2010).

2. L’accomplissement d’opérations de banque

En droit français, la deuxième condition pour qu’il y ait qualification d’établissement de crédit est la nécessité d’accomplissement répété d’opérations de banque (à titre de profession habituelle), visées par l’article L.110-1 du Code de commerce comme des actes de commerce. L’article L.311-1 du CMF énumère les opérations de banque sans en donner une définition générale : il s’agit de la réception de fonds du public,  de la mise à disposition de la clientèle avec la gestion des moyens de paiement, des opérations de crédit. Les opérations de banque peuvent cependant être définies en droit français comme les activités caractéristiques des établissements de crédit et sur lesquelles ceux-ci se sont vus reconnaître, sous réserve d’exceptions, un monopole (Th. Bonneau : Droit bancaire, Précis Domat Montchrestien, 8è édition, 2009).

La directive du 14/06/2006 donne une définition plus restreinte des opérations de banque dans son article 4 : un établissement de crédit est une entreprise dont l'activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d'autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte ou un établissement de monnaie électronique au sens de la directive 2000/46/CE. Au sens du droit de l’Union européenne (UE), la catégorie des établissements de crédit englobe par ailleurs les établissements de monnaie électronique, c’est-à-dire des « établissements qui limitent leur activité à l’émission, la mise à la disposition du public ou la gestion de la monnaie électronique » selon le règlement du Comité de la réglementation bancaire et financière du 21/11/2002.

Les opérations de banque, prévues comme étant une prérogative des établissements de crédit, ont également la particularité de ne pas être définies dans la législation russe. L’article 5 de la Loi fédérale dans sa rédaction du 03/02/1996 énumère huit types d’opérations de banque, complétées par un neuvième, introduit par une loi du 31/07/1998. Parmi ces opérations de banque, il y a la réception des fonds des personnes physiques et morales, la gestion de ces fonds à terme, à charge de les restituer et de les rémunérer, l’ouverture et la gestion des comptes bancaires des personnes physiques et morales, les opérations de caisse.

B/ Les différents établissements de crédit et leurs compétences respectives

1. La compétence générale des établissements bancaires pour les opérations de
banque

En droit français, seules les banques ont une compétence générale quant aux opérations de banque tandis que les autres établissements de crédit ont une compétence limitée. L’article L.511-9, alinéa 3 du CMF dispose ainsi que les banques peuvent effectuer toutes les opérations de banque.

En droit russe, le critère de la compétence pour les opérations bancaires est également pertinent pour distinguer des établissements de crédit qui sont des banques de ceux qui ne le sont pas. En vertu de l’alinéa 2 de l’article 1er de la Loi fédérale, la banque est également en droit russe l’établissement de crédit qui détient le droit exclusif d’accomplir toutes les opérations de banque.

2. Les compétences limitées des établissements autres que les banques

En droit français, les autres établissements ont une compétence limitée qui repose sur deux critères : la réception du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme et les limites imposées pour l’accomplissement des opérations de banque. Une première catégorie comprend les banques mutualistes ou coopératives et les caisses de crédit municipal, qui sont habilitées à recevoir des fonds du public en vertu de l’article L.511-9, alinéa 2 du CMF, tandis que conformément aux articles L.515-1, alinéa 1 et L.516-2, les sociétés financières ou les institutions financières ne sont pas habilitées à recevoir ces fonds sauf si elles disposent d’une autorisation par arrêté ministériel.

En droit russe, l’article 1er, alinéa 3 de la Loi fédérale prévoit, pour les « organisations commerciales non-bancaires » (« NKO »), la possibilité d’accomplir des opérations de banque accessoires prévues par la présente loi. Le critère de distinction entre banque et autres établissements de crédit s’avère donc être la nature des opérations de banque (V.S Belyh, Bankovskoe Pravo, « Prospekt », M., 2011). Parmi ces derniers, il faut distinguer les établissements de crédit spécifiques, régis par une Instruction de la Banque centrale de la Fédération de Russie en date du 26/04/2006, qui ne peuvent ouvrir et gérer les comptes bancaires des personnes physiques, et les établissements de crédit de dépôt, régis par un Règlement de la Banque centrale du 21/09/2001, qui peuvent recevoir des fonds des personnes physiques à terme ou placer en dépôt les fonds de personnes morales.

 

Les opérations de banque font l’objet d’un monopole prévu aux articles L.511-5 à L.511-7 et L.571-3 du CMF en droit français, et à l’alinéa 2 de l’article 1er de la Loi fédérale en droit russe. Ce monopole porte sur toutes les opérations bancaires. Par conséquent, l’activité des établissements de crédit est strictement réglementée, dans le but de garantir le respect des politiques menées par les autorités publiques ainsi que la sécurité du public et du système financier.

 

II/ La réglementation de l’activité des établissements de crédit dans les deux systèmes
juridiques

La réglementation des activités des établissements de crédit s’effectue a priori dans les deux systèmes juridiques par la procédure de l’agrément (A). Cela n’empêche pas que ces établissements font l’objet d’une tutelle par des institutions extérieures, quand bien même ils auraient été agréés pour accomplir des opérations de banque (B).

A/ L’agrément, préalable à l’activité des établissements de crédit

En droit russe, l’article 1er de la Loi fédérale prévoit expressément l’obligation d’une autorisation spéciale de la Banque centrale, l’agrément, pour que l’établissement de crédit puisse exercer son activité en tant que tel. En vertu de l’article 59 de la même loi, dans sa rédaction du 10/07/2002, il s’agit d’une compétence exclusive de la Banque centrale. Les différents agréments sont classés en fonction des opérations de banques exercées plutôt qu’en fonction des établissements de crédit. Ils sont énumérés aux articles 8.2, 8.2.1 à 8.2.5, 8.3. à 8.3.2 de l’Instruction de la Banque centrale du 14/01/2004 relative à l’enregistrement des établissements de crédit et l’agrément délivré par la Banque centrale pour effectuer des opérations de banque.

En droit français, l’agrément est délivré, en vertu de l’article L.511-10 du CMF et depuis l’ordonnance du 21/01/2010, par l’Autorité de contrôle prudentiel, qui est le résultat d’une fusion des autorités d’agrément et de contrôle des banques, des entreprises d'investissement et des assurances.

La législation de l’UE s’intéressa à l’agrément des établissements de crédit à partir de la Directive du 12/12/1977. Cette Directive prévoyait l’obligation d’un agrément administratif de ces établissements dans tous les Etats membres. La deuxième grande Directive concernant les établissements de crédit date du 15/12/1989. Elle prévoit un système d’agrément unique qui implique la possibilité pour les établissements de crédit, agréés dans un Etat membre, de créer librement des succursales dans les autres Etats membres (sans la personnalité morale) ou d’agir en libre prestation de service, sans avoir à solliciter un agrément administratif. Le système d’agrément unique repose dès lors sur la reconnaissance mutuelle des agréments administratifs entre Etats membres.

B/ La tutelle des établissements de crédit

En droit français, il fallait distinguer jusqu’il y a peu le Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (CECEI) et la Commission bancaire. Le premier avait compétence pour délivrer les autorisations d’activité aux établissements de crédit, ainsi que leur retrait, et les autorisations préalables à certaines modifications individuelles des établissements de crédit. De son côté, la Commission bancaire était une autorité administrative  indépendante, qui, en vertu de l’ancien article L.613-1 du CMF, était « chargée de contrôler le respect par les établissements de crédit des dispositions législatives et réglementaires qui leur sont applicables et de sanctionner les manquements constatés ». Ce contrôle s’effectuait a posteriori, la Commission ne pouvant s’immiscer dans la gestion des établissements de crédit.

Depuis l’ordonnance du 21/01/2010, ces deux institutions ont fusionné, pour former l’Autorité de contrôle prudentiel, mise en place à la suite de la crise financière pour pallier les insuffisances des anciens régulateurs face à cette crise. Par ailleurs, la Commission bancaire devait être réformée en raison de l’absence de séparation entre ses pouvoirs réglementaires et juridictionnels jugée contraire au règles du procès équitable par un arrêt de la Cour EDH, Dubus SA c/ France du 11/06/2009 (A-N. Moulin, Les incidences de l’arrêt Dubus sur la Commission bancaire et l’Autorité de contrôle prudentiel, Revue de Droit
bancaire et financier n° 3, Mai 2010). L’ordonnance réforme les articles L.612-1 à L.612-50 du CMF, et réunit désormais autorités d'agrément, de surveillance, de contrôle et de sanctions des entreprises du secteur bancaire.

Au niveau du droit de l’UE, les autorités de supervision bancaire étaient jusqu’à peu consultatives. Depuis la Directive et le Règlement du 24/11/2010, une Autorité bancaire européenne (ABE) dispose désormais de prérogatives élargies en matière de surveillance bancaire et financière. Ces textes ont pour but de remédier entre autres aux carences révélées par la crise financière. L’une des missions essentielles de l’Autorité sera d’élaborer un corpus de règles harmonisées et obligatoires pour l’ensemble des établissements de crédit de l’UE, qui pourront être adoptées par la Commission européenne sous forme de Règlements par la suite (A. Gourio, L.Thébault, Autorité bancaire européenne, Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2010).

En droit russe, c’est à la seule Banque centrale que revient la compétence de surveiller l’activité des établissements de crédit. Aux termes de l’article 74 de la Loi « De la Banque centrale de la Fédération de Russie » du 27/06/2002, elle a compétence pour surveiller les établissements de crédit afin d’accomplir sa mission de régulation bancaire, et dispose à ce titre d’un pouvoir d’injonction ainsi que de sanction, en cas de manquement par les établissements de crédit à une obligation prévue par la Loi fédérale. En vertu de l’article 56 de la même loi, les pouvoirs de surveillance de la Banque centrale s’effectuent à travers un organe unique- le comité de surveillance bancaire- mais ces pouvoirs ne peuvent conduire à une immixtion de ce dernier dans la gestion des établissements de crédit. (V.S Belyh, Bankovskoe Pravo, « Prospekt », M., 2011). Elle dispose également d’un pouvoir normatif prévu par l’article 2, alinéa 2 de la Loi fédérale, qui fait l’objet de critiques de la doctrine, car n’en précisant pas la portée ni les limites de ce pouvoir normatif, qui ne devrait pas dépasser selon cette même doctrine les questions de constitution, d’enregistrement et d’agrément des établissements de crédit, le reste étant de la compétence du législateur (Bratko A.G., la Banque de Russie et les lacunes de la législation, Business et banques, mai 2010, n°19).

 

Bibliographie :

- Ouvrages:

- droit français :

Bonneau TH. : Droit bancaire, Précis Domat Montchrestien, 8è édition 2009

Gavalda C., Stoufflet J. : Droit bancaire, Litec, 8è édition 2010

- droit russe :

Братко А.Г Банковское право в России (ворпосы теорри и практики), Система Гарант,
2007
Bratko A.G : Bankovskoe pravo v Rossii ( voprosi teorri i praktiki), Sistema Garant, 2007
[ Droit bancaire en Russie ( question théoriques et pratiques)]

Белоусов Д. С. : Банковское право, М.: изд. Окей-книга, 2008.
Belousov D.S : Bankovskoe pravo, Moscou., Okej Kniga, 2008
[Droit bancaire]

Белых В.С, Банковское право, Проспект, М., 2011
Belyh V.C, Bankovskoe pravo, Prospekt, Moscou, 2011
[Droit bancaire]

- documents officiels :

- Site officiel de la Banque centrale de la Fédération de Russie : http://www.cbr.ru/

- Instruction de la Banque centrale de la Fédération de Russie du 14/01/2004 relative à l’immatriculation des établissements de crédit et l’agrément délivré par la Banque centrale pour effectuer des opérations de banque _ Bulletin de la Banque de Russie n°15 du 20/02/2004
http://www.cbr.ru/analytics/standart_acts/health/

- Instruction de la Banque centrale de la Fédération de Russie du 25/04/2006 sur les opérations de banque et autre opérations des établissements spécifiques de crédit _ Bulletin de la Banque de Russie n°32 du 31/05/2006
http://www.cbr.ru/analytics/standart_acts/bank_supervision/

- Règlement du 21/09/2001 sur les particularités de la réglementation des établissements de crédits de dépôts non bancaires _ Bulletin de la Banque de Russie n°60 du 27/09/2001
http://www.cbr.ru/analytics/standart_acts/bank_supervision/

- Articles de revue :

- droit français :

Hervé Causse et Anthony Maymont - L'Autorité de contrôle prudentiel . - Commentaire de l'ordonnance du 21 janvier 2010 portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance, Revue de droit bancaire et financier n° 3, Mai 2010

A.Gourio, L.Thébault, Autorité bancaire européenne, Revue de droit bancaire et financier, n°5, septembre 2010

A-N. Moulin, Les incidences de l’arrêt Dubus sur la Commission bancaire et l’Autorité de contrôle prudentiel, Revue de droit bancaire et financier n° 3, Mai 2010

- droit russe :

Братко А. Г. , Банк России и пробелы в законодательстве, Бизнес и банки, 2010, n°19 [ Bank Rossii i probeli v zakonodatel’stve, Biznes i Banki]
Bratko A.G., la Banque de Russie et les lacunes de la législation, Business et banques, mai 2010, n°19