A propos de l'arrêt Van Parys de la CJCE par Henri Daudet

L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est née le 1er janvier 1995. Le droit de l’OMC est constitué d’accords internationaux négociés par les gouvernements. Malgré sa valeur hiérarchique supra-nationale se pose le problème de savoir si et dans quelle mesure les particuliers peuvent l’invoquer dans l’ordre juridique de leur Etat-membre en cas de contestation de la validité de normes internes au droit de l’OMC. Cette étude se limite aux cas des Etats-Unis, des Communautés Européennes et de la République Fédérale d’Allemagne.

L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est née le 1er janvier 1995. Néanmoins, le système commercial qu’elle représente a presque un demi-siècle de plus : l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT, General Agreement on Tariffs and Trade) qui a établi les règles du système en 1948 a connu plusieurs cycles (ou Rounds) de négociation, dont le plus important d’entre eux (le cycle d’Uruguay, qui s’est déroulé de 1986 à 1994), a donné naissance à l’OMC à proprement parler. L’OMC est « fondée sur des règles », c’est-à-dire sur des accords négociés par les gouvernements, qui en constituent le socle juridique. D’un point de vue hiérarchique et du fait de leur portée internationale, ils sont juridiquement supérieurs aux droits nationaux des Etats-membres (150 depuis l’adhésion officielle du Viet-Nam, le 11 janvier 2007). Les traités fondateurs de l’OMC constituent de manière univoque le socle de l’obligation des droits internes au droit de l’organisation. Il rompt en cela avec la tradition qui prévalait sous le régime du GATT de 1947, aussi connu sous le nom de « clause d’antériorité ». Ce système permettait aux parties de se prévaloir d’une règle interne antérieure à l’Accord Général pour ne pas remplir ses obligations. Désormais, l’obligation de conformité des droits internes au droit de l’OMC est inscrite dans le traité de Marrakech, en son article XVI § 4, qui dispose que « chaque membre assurera la conformité de ses lois, réglementations et procédures avec ses obligations telles qu’énoncées dans les accords figurant en annexes », c’est-à-dire les accords OMC. Mais les particuliers peuvent-ils s’en prévaloir dans leur ordre juridique interne ? En d’autres termes, existe-t-il un effet direct des dispositions des traités OMC ? Les justiciables peuvent-ils invoquer les accords de l’OMC et les décisions de l’Organe de Règlement des Différends (ORD) afin de contester la validité d’une réglementation nationale ?

Le traité demeure muet quant à un éventuel effet direct du droit de l’OMC. L’importance décisive de cette question apparaît donc limpide, dans la mesure où elle est subordonnée aux jurisprudences dont la brève étude de celles de trois membres de l’OMC (les Etats-Unis, les Communautés Européennes et l’Allemagne) constitue l’objet de ce devoir.

Etats-Unis : refus formel de l’effet direct

Etudions ici l’impact juridique des traités OMC dans l’ordre juridique interne des Etats-Unis, afin d’ensuite déterminer si et en quelle mesure ils peuvent être invoqués par les particuliers lors d’un recours en conformité du droit interne américain au droit de l’OMC. Précisons tout d’abord que c’est le droit américain qui accorde la place et les effets du droit international dans son ordre interne. Le point de départ à cette incorporation est la constitution, dont l’article 6 § 2 énonce la Supremacy Clause :

« This Constitution, and the laws of the United States, which shall be made in pursuance thereof ; and all treaties made, or which shall be made, under the authority of the United States, shall be the supreme law of the land ; and judges in every state shall be bound thereby, anything in the Constitution or laws of any state to the contrary notwithstanding ».

Une fois incorporés en droit interne, les traités internationaux ont donc valeur hiérarchique la plus élevée, au même rang que les lois fédérales édictées par le Congrès (Acts of Congress). Néanmoins, les traités OMC sont au préalable soumis à deux impératifs procéduraux. La jurisprudence américaine exige (Supreme Court, Haver v. Yaker, 1869), outre la ratification du traité, sa proclamation par le Président dans le Federal Register ainsi que sa publication officielle dans différents recueils juridiques (Treaties and Other International Acts Series and Other International Agreements, TIAS, et United States Treaties and Other International Agreements, UST). La ratification se réfère au processus de réalisation du traité, contrairement à la proclamation qui concerne sa valeur dans l’ordre juridique interne. Les dispositions non publiées des traités, ou les dispositions publiées dans une autre langue que la langue anglaise officielle n’ont pas de valeur juridique en ordre interne. Les traités OMC sont transposés en droit interne américain par une loi fédérale. Ainsi les traités élaborés durant l’Uruguay Round ont-ils été transcrits dans l’ordre juridique américain grâce au Uruguay Round Agreement Act (URAA, 1994). Force est de constater que la notion d’effet direct demeure lettre morte dans les traités OMC ; il faut donc se référer à des principes prétoriens. L’on peut en outre se demander si les décisions de l’ORD sont directement applicables au sein de l’ordre juridique américain. Les réponses à ces questions se trouvent dans la loi fédérale de transposition des traités de l’Uruguay Round. Ainsi la section 123 de l’URAA prévoit-elle des procédures spéciales pour la mise en œuvre des décisions de l’ORD, sur la base de consultations entre le Congrès, les représentants du secteur privé et l’USTR (United States Trade Representative). Ces procédures présentent les décisions de l’ORD comme n’ayant aucun effet direct dans l’ordre juridique interne. De plus, les Etats fédérés et les personnes privées ne peuvent pas invoquer directement les traités OMC, mais uniquement les droits contenus dans la loi de transposition (URAA, 1994). En outre, qu’en est-il des problèmes de collision entre une disposition des traités OMC et une norme de droit interne ? Le droit américain donne ici primauté au droit fédéral postérieur. La règle, énoncée à la section 102 (a) (1) de l’URAA est simple :

« United States Law to Prevail in Conflicts – No provision of any of the Uruguay Round Agreements, nor the application of any such provision to any person of circumstance, that is inconsistent with any law of the US shall have effect ».

Ainsi, en application de l’adage latin « lex posterior derogat legi posteriori », en cas d’inconformité entre droit fédéral et droit de l’OMC, le droit fédéral postérieur à une disposition d’un Traité OMC contraire prévaut sur elle. Quant aux incompatibilités entre droit fédéral et décisions de l’ORD, il faut ici distinguer trois cas de figure, selon que l’incompatibilité provient d’une loi fédérale, d’une disposition ou pratique de l’Administration fédérale, ou du droit d’un des Etats fédérés : • Si une loi fédérale est cause d’une violation, alors seule une nouvelle loi fédérale pourra y remédier. • Si une disposition fédérale administative viole une obligation de l’OMC, avant modification, l’USTR, le Congrès, les représentants du secteur privé et les directions d’administration doivent se consulter. • Si le droit d’un Etat fédéré viole une obligation de l’OMC, alors le gouvernement fédéral peut entamer une procédure en annulation contre le droit de l’Etat concerné.

La question de l’applicabilité directe des conventions internationales n’a toujours pas trouvé de jurisprudence entièrement univoque en droit interne américain. Toutefois, même si les dispositions du GATT 1947 n’étaient pas directement applicables, certaines de celles des traités OMC sont suffisament précises pour être d’applicabilité directe. Cependant, la loi fédérale de transposition de ces traités n’accorde qu’au seul gouvernement fédéral la possibilité de se référer directement aux dispositions des traités OMC. Les Etats fédérés et les personnes privées peuvent attendre.

Les Communautés Européenes : un constat en demi-teinte

D’un point de vue historique, les Communautés Européennes n’étaient pas partie aux accords du GATT de 1947. Lorsque l’OMC fut créée en 1994, les CE en sont devenues membre, en plus des Etats-membres de l’Union Européenne, le 1er janvier 1995. La question essentielle qui s’est alors posé en filigrane a été de savoir quelles allaient être les relations entre l’Union Européenne et l’Organisation Mondiale du Commerce. Du fait de la portée de ses arrêts, la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes doit retenir toute notre attention. La position du juge communautaire saurait être lue dans plusieurs de ses arrêts. Retenons une affaire récente, l’affaire van Parys (CJCE, 01.03.2005, aff. C-377/02). La Cour doit ici répondre à la question de savoir si les accords de l’OMC engendrent pour les justiciables de la Communauté le droit de s’en prévaloir en justice en vue de contester la validité d’une réglementation communautaire. Si l’Organe de Règlement des Différends déclare un règlement communautaire incompatible avec les règles de l’OMC, les ressortissants de l’Union peuvent-ils s’y référer directement devant les juridictions internes ? En l’espèce, Van Parys, établie en Belgique, importe depuis plus de 20 ans dans la Communauté Européenne des bananes en provenance de l’Equateur. Elle a introduit un recours devant le Conseil d’Etat belge (Raad van State) contre les décisions du BIRB (Bureau d’Intervention et de Restitution Belge) lui refusant des certificats d’importation. Dans ses recours, Van Parys a fait valoir que ces décisions sont irrégulières en raison de l’illégalité, au regard des règles de l’OMC, des règlements qui régissent l’importation des bananes dans la Communauté et sur lesquels se fondent lesdites décisions. Cependant, afin de rester fidèle à sa jurisprudence, le Conseil d’Etat belge, déclarant qu’il n’appartient pas au juge national de se prononcer sur la validité d’actes communautaires, a décidé de sursoir à statuer et de poser à la Cour une question préjudicielle. Avant de trancher le cas d’espèce, la Cour posa un problème de droit au cadre plus général (point 38 de l’arrêt) : « Avant de procéder à cet examen, il convient de trancher la question de savoir si les accords OMC engendrent pour les justiciables de la Communauté le droit de s’en prévaloir en justice en vue de contester la validité d’une réglementation communautaire, dans l’hypothèse où l’ORD les a déclarées inompatibles » avec le droit de l’OMC. Ainsi, le juge communautaire est-il compétent pour apprécier la légalité de dispositions communautaires au regard des règles de l’OMC ? Le principe, moult fois réitéré dans la jurisprudence de la Cour (Arrêt du 23.11.1999, Portugal c/ Conseil, C-149/96, Arrêt du 30.09.2003, Biret International c/ Conseil, C-93/02) est que les accords OMC ne figurent pas parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions communautaires. Néanmoins, la Cour rappelle l’existence de deux exceptions : si la Communauté à entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, et dans l’hypothèse où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC, alors il appartient à la Cour de contrôler la légalité de l’acte communautaire en cause au regard des règles de l’OMC. Ainsi la Cour énonce-t-elle un principe fondamental : « un opérateur économique ne peut pas invoquer devant une juridiction d’un Etat membre qu’une réglementation communautaire est incompatible avec certaines règles de l’OMC, alors même que l’ORD a déclaré ladite réglementation incompatible avec celles-ci ».

L’Allemagne, cas ambigü

Une multitude d’Etats ont explicitement refusé d’accorder tout effet direct à l’ordre juridique de l’OMC dans leur droit interne. Pour mémoire, citons les principaux partenaires économiques des Communautés Européennes : les Etats-Unis, le Japon et le Canada.

Le cas de l’Allemagne est bien plus amibigü.

La loi transcrivant les discpositions des accords OMC en droit allemand dispose que les règles de ces traités, « d’après leurs termes, conviennent d’être directement applicables » (« die ihrem Wortlaut nach hierfür in Betracht kommen, unmittelbar anwendbar zu sein »). Il convient de déterminer quelle force obligatoire renferme cette conception, donnée par le Bundesrat, de l’effet direct des traités OMC en droit interne. Cela revient à savoir si la compétence de décider de l’applicabilité des dispositions des traités OMC en droit interne appartient aux institutions allemandes. Dans le domaine du droit du commerce extérieur, il existe entre les Communautés Européennes et ses Etats-membres des compétences partagées. Ce considérant, la CJCE a expressément reconnu dans sa jurisprudence (CJCE, arrêt du 14.12.2000, Parfum Christian Dior, aff. C-300/98 et C-392/98) la compétence des Etats-membres en matière d’attribution d’effet direct, sous réserve de deux conditions : uniquement concernant certaines dispositions du droit de l’OMC, pour lesquelles la Communauté n’a pas encore exercé sa compétence législative.

Le cas de l’Allemagne est donc atypique : le législateur national peut obliger les tribunaux nationaux à directement ajuster les conflits qui se présentent à eux aux dispositions du droit de l’OMC. Toutefois, cette compétence a été relativisée, suite à l’expansion des compétences communautaires (Traité de Nice) dans d’importants domaines tels que la possibilité pour la Communauté de faire usage de ses compétences législatives au sein-même de la Communauté. Mais voici qui peut aboutir à des paradoxes. Par exemple, la reconnaissance dans l’ordre juridique interne par le législateur allemand de l’effet direct d’une disposition du droit de l’OMC, plus tard supprimé par la Communauté, faisant exercice de ses nouvelles prérogatives.

Bibliographie indicative

Revues

• Neugärtner / Puth, Europäische Zeitschrift für Wirtschaftsrecht (EuZW) 2000, p. 276 à 281 : « EuGH : Nichtigkeitsklage gegen Ratbeschluss über den Marktzugang für Textilwaren » • Juristische Schuldung (JuS) 2000, p. 640 à 642, « Die Wirkung der WTO-Übereinkommen im Gemeinschaftsrecht » • Hilf / Göttsche, Recht der Internationalen Wirtschaft 2003, p. 161 « China : Umsetzung des WTO-Übereinkommens »

Ouvrages

• Heiner Baab, « GATT und WTO im Recht der USA (Die Integration des Völkerverrtragsrechts in die Rechtsordnung der USA am Beispiel der GATT–Abkommen und der WTO–Übereinkommen) », Peter Lang Verlag, 2001, 204 pages. • Markus Krajewski, « Wirtschaftsvölkerrecht », C. F. Müller Verlag Heidelberg, 2001, 304 pages. • John H. Jackson, « The Jurisprudence of GATT and the WTO : Insights on treaty law and economic relations », Cambridge University Press, 2001, 497 pages. • Hilf / Petersmann, « GATT und Europäishe Gemeinschaft », Nomos Verlagsgesellschaft Baden-Baden, 334 pages.