A propos des crédits hypothécaires aux particuliers à risque (subprime) en France et aux Etats Unis, par Nicolas Boittin

Les deux dernières années ont été marquées par d’importantes turbulences financières. Des crédits hypothécaires mal distribués aux Etats-Unis, puis titrisés sur les marchés financiers au moyen de mécanismes complexes, ont entraîné une crise de liquidité mondiale. L’impact de ces crédits sur les particuliers a été différent en France et aux Etats-Unis, compte tenu du recours limité à ce type de financement en France mais la comparaison des recours en droit français et droit américain permet de distinguer deux approches dans la régulation bancaire.

La crise financière actuelle, dite « crise du subprime », révèle peu à peu les sources de ce déséquilibre du système financier. Les nombreux recours déjà entrepris, mis en évidence par Sabry et Schopflocher dans leur article “The subprime meltdown: Who, what, where and why…Investigations & Litigation”, et ceux encore à venir, sont le reflet des pertes importantes subies à la fois par les particuliers endettés, voire surendettés, ayant contractés des crédits hypothécaires (Subprime Mortgage) et les investisseurs ayant investis dans des titres adossés à ces mêmes crédits hypothécaires (Mortgage Backed-Securities). Le marché des crédits hypothécaires subprimes existe aux Etats-Unis depuis le début des années 1980 mais ce n’est qu’au milieu des années 1990 qu’il a connu un véritable essor. (Discours prononcé à la Chambre des Représentants par Sandra F. Braunstein, membre du conseil d’administration de la Reserve Fédérale, le 27 mars 2007). En 1995, aux Etats-Unis, la part des crédits hypothécaires subprimes dans l’ensemble des crédits hypothécaires accordés s’élevait à 5%. En 2005, ce chiffre était de 20%. (Ibid.). La France, quant à elle, reste réticente au crédit hypothécaire. (Vignaud M., Les français toujours réfractaires au crédit hypothécaire, Le Point, 11/12/2008). Face au développement de ce marché, les crédits hypothécaires ont été titrisés sous forme de Mortgage Backed-Securities (MBO – Titre adossé à des crédits hypothécaires – Traduction AMF) pour être ensuite revendus à des investisseurs situés partout dans le monde, y compris en France. Les particuliers contractant un subprime sont des ménages pour lesquels le risque de non-remboursement est élevé et dont le montant de l’acompte versé par les particuliers aux banques est faible, ne couvrant ainsi qu'une infime partie du montant prêté. Le contrat de crédit hypothécaire, crédit à long terme, se caractérise par une clause de pénalité en cas de remboursement anticipé du prêt. En général, le prêt peut prendre deux formes. Traditionnellement, le prêt est à taux fixe, avec des échéances déterminées. Autrement, le prêt peut varier en fonction d’un indice qui évolue tous les mois, tous les semestres ou tous les ans. La majorité des subprimes prend la forme d’un mélange entre prêt à taux variable et prêt à taux fixe. Les deux ou trois premières années sont à taux fixe puis le taux devient variable avec une marge fixe. L'article commenté expose les raisons purement mécaniques de la crise et présente une liste des recours entrepris par divers intervenants aux Etats-Unis, sans pour autant proposer de solutions juridiques à ces derniers. Les enjeux actuels sont de deux types. Expliquer la crise en profondeur pour mieux y remédier et trouver des solutions pour les investisseurs et ménages ayant subis d’importantes pertes. La comparaison entre droit français et droit américain permettra de mettre en lumière les raisons de la crise des subprimes et la différence d’impact en France et aux Etats-Unis (I), ainsi que des solutions individuelles pour compenser les pertes et des options de réforme du système financier afin d’éviter des crises futures (II).

I) Les raisons de la crise et la différence d’impact en France et aux Etats-Unis Trois facteurs principaux ont contribué à la crise actuelle. Le premier facteur est exposé par Sabry et Schopflocher dans leur article. Il s'agit de la complexification du mécanisme de titrisation dans les opérations impliquant des subprimes, de sorte que les investisseurs français et américains, passant par de multiples intermédiaires et différents niveaux de titrisation, se sont révélés, sans le savoir, engagés dans des investissements risqués (1). A cela s’ajoute un manque de professionnalisme des différents intervenants, aveuglés par les profits engendrés par le marché grandissant des subprimes (2). Enfin, le facteur conjoncturel ne doit pas être négligé car, comme le précisent Sabry et Schopflocher, l’éclatement de la bulle immobilière joue un rôle central dans l’implosion du marché des subprimes (3).

(1) La complexification de la titrisation L’ingénierie juridique et financière a permis de transformer ce qui, au départ, était un simple contrat de crédit hypothécaire entre le propriétaire d’un immeuble, débiteur, et une banque ou autre établissement de crédit, créancier, en une relation juridique impliquant de multiples intermédiaires. Afin d’augmenter leurs profits et répartir le risque lié aux subprimes, les banques ont étendu le mécanisme juridique de titrisation et rendu les subprimes séduisants aux yeux des épargnants institutionnels comme les hedge funds (fonds spéculatif) ou fonds de pension. La répartition du risque par les banques s’opère à la fois sur la créance elle-même et grâce aux différents intervenants auxquels la banque revend les créances. La première étape de « dilution » de la créance elle-même consiste à découper les créances immobilières en tranches, en fonction du niveau de risque associé à la créance. Ainsi, les tranches « triple A » ou « double A » sont les moins risquées. Les tranches « equity » sont, à l’inverse, les plus risquées. Au même moment, les banques américaines, certaines spécialisées dans les subprimes, créent un « Trust » (Fiducie) auxquels elles revendent leurs créances. (Sabry F., Schopflocher T., “The subprime meltdown: Who, what, where and why…Investigations & Litigation”). En droit français, la fiducie n’étant apparue qu’en 2007 aux articles 2011 et suivants du Code civil, les banques cèdent leurs créances à un fond commun de créance (L. 214-47 C. mon. fin.) qui, pour financer cette acquisition, émet des titres sur les marchés financiers. C’est le processus de titrisation. Le fonds commun de créance, lorsqu’il décide de faire appel public à l’épargne est soumis à l’agrément de l’AMF en vertu des articles 321-1 et suivants de son Règlement général. Aux Etats-Unis, lorsque le trust procède à la titrisation, ce dernier regroupe en « paquets » les tranches précédemment découpées. Pour les subprimes, ces titres regroupant plusieurs créances sont les RMBS residential mortgage-backed securities (Titres adossés à des crédits immobiliers d’habitation – Traduction AMF). Il s’agit là simplement d’une titrisation primaire. Un deuxième niveau de titrisation intervient lorsque les investisseurs institutionnels, ayant achetés les titres émis par les trusts, combinent des RMBS avec d’autres titres adossés à d’autres types de crédit aux particuliers, comme, par exemple, les créances en matière de cartes de crédit. Ces nouveaux « paquets » qui incluent des RMBS, font l’objet d’une titrisation secondaire pour prendre la forme de CDO collateralized debt obligations (Dette collateralisée par des titres adossés à des actifs – Traduction AMF). Ces titres sont revendus à divers types d’investisseurs, dont certains sont des particuliers. En marge de ces opérations complexes interviennent également les agences de notation chargées de noter les titres pour informer les investisseurs du risque encouru par chaque produit et les assureurs monolines, qui assurent les investisseurs contre un défaut de paiement des intérêts ou principal ou en cas d’insolvabilité des particuliers ayant contracté un crédit hypothécaire subprime. Les intervenants et les niveaux de titrisation sont nombreux de sorte que personne ne sait au juste la nature des créances originelles, dont une grande partie se révèle être des subprimes. En raison des gains considérables accumulés, certains intervenants au sein du processus ont manqué de vigilance et insuffisamment informé les investisseurs, générant ainsi une confiance excessive chez ces derniers.

(2) Le manque de régulation interne des intervenants Les agences de notation, chargées d’évaluer le risque associé aux titres vendus sur les marchés, devrait en principe être des organismes indépendants pour mieux informer les épargnants et investisseurs. En réalité, les agences de notation participent au processus de conception de produits de plus en plus complexes, qu’elles sont ensuite chargées d’évaluer. En outre, l’indépendance des agences est limitée car elles sont rémunérées par les firmes dont elles sont censées noter les produits. A titre d’exemple, le revenu total des trois plus grandes agences de notation a doublé entre 2002 et 2007 (Attali J., La crise et après ?, p. 75, Fayard, 2008.) A l’autre bout du spectre, aux Etats-Unis, les banques, spécialisées ou non dans les crédits hypothécaires subprimes, accordent ces mêmes crédits en procédant à un contrôle superficiel des dossiers. Les banques américaines sont aveuglées et se sentent, à tort, protégées par la croissance des prix de l’immobilier car elles se prémunissent des risques de défaut de remboursement avec une hypothèque immobilière. En vertu de l’article 2393 du Code civil, l’hypothèque immobilière « est, de sa nature, indivisible, et subsiste en entier sur tous les immeubles affectés, sur chacun et sur chaque portion de ces immeubles ». Ainsi, un crédit garanti uniquement par une hypothèque immobilière ne permet au créancier de se prévaloir que de la valeur des biens immobiliers affectés. Le principe de l’hypothèque est le même aux Etats-Unis. En France, les banquiers préfèrent limiter le recours aux hypothèques et accordent les crédits en fonction de la capacité du client à rembourser compte tenu de ses revenus et de son endettement préalable. (Vignaud M., Les français toujours réfractaires au crédit hypothécaire, Le Point, 11/12/2008). En outre, en droit français, l’hypothèque doit faire l’objet d’une inscription au bureau des hypothèques ce qui augmente le coût d’une telle sûreté (2426 C. civ.). Un « Fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers » permet par ailleurs aux établissements de crédit de vérifier le degré d’endettement bancaire des ménages (L. 333-4 C. conso.). Aux Etats-Unis, le coût d’une hypothèque est faible et la loi ne prévoit pas de fichier national, même si les établissements de crédit ont développé la méthode du « scoring », permettant de déterminer l’endettement d’un particulier et d’éventuels incidents de remboursement. En dépit de cette méthode de prévention, les établissements de crédit américains spécialisés dans les subprimes ont eu massivement recours au crédit hypothécaire et, une fois la chute des prix de l’immobilier entamée, ont été contraints à la liquidation judiciaire.

(3) L’éclatement de la bulle immobilière Même si ce troisième facteur est purement financier, il convient de l’analyser brièvement pour expliquer ses implications juridiques sur les subprimes. Sabry et Schopflocher expliquent qu'avec la dévalorisation de l’immobilier, la valeur des biens immobiliers affectés en garantie des crédits a baissé et la plupart des contrats de crédit, appliquant désormais le taux de remboursement variable, imposaient des remboursements plus élevés. Les ménages ayant contracté des subprimes étant par définition peu solvables, ceux-ci n’ont pas pu faire face à l’augmentation du montant des remboursements. La valeur de l’immeuble hypothéqué ne couvrant plus le montant que les banques avaient prêté aux particuliers, beaucoup de ces établissements ont engagé une procédure de liquidation judiciaire aux Etats-Unis.

II) Les solutions juridiques immédiates et axes de réforme du système financier

Dans l’immédiat, des solutions doivent être proposées aux particuliers qui ont perdu leur logement (1) et aux investisseurs qui ont investis alors qu’ils étaient insuffisamment informés (2). Dans l’optique d’une amélioration du processus, et afin d’éviter une nouvelle crise similaire, il convient de proposer des voies de réforme du système financier (3).

(1) Des solutions pour les particuliers ayant contracté un crédit hypothécaire Aux Etats-Unis, plusieurs actions de groupe (Class Action Federal Rule of Civil Procedure 23) ont été engagées par des propriétaires à l’encontre des établissements de crédit ayant accordés des prêts subprimes (Sabry F., Schopflocher T., “The subprime meltdown: Who, what, where and why…Investigations & Litigation”). En droit américain, les particuliers devront démontrer que les établissements ont eu une pratique abusive dans l’attribution des crédits (predatory lending). Le Truth in Lending Act (15 U.S.C. § 1601-1667(f)) et le Home Ownership and Equity Protection Act (15 U.S.C. § 1639) ont permis à des particuliers d’obtenir indemnisation auprès de Capitol Mortgage Corp., un établissement de crédit, en raison de termes trop complexes dans leurs contrats de crédit hypothécaire (Federal Trade Commission v. Capitol Mortgage Corp., C.D. Cal. Aug. 2, 1999). Le récent « Plan Obama » (Obama Stimulus Plan) prévoit également 50 milliards de dollars afin d'aider les particuliers les plus en difficulté à négocier un assouplissement des conditions de leurs crédits hypothécaires. En France, le nombre de particuliers victimes de crédits hypothécaires est moindre, même si l’ordonnance du 23 mars 2006 consacrant l’hypothèque rechargeable, aurait pu exposer les français à des dangers similaires. Le droit bancaire français est préventif, à la différence du droit américain, ce qui explique la réticence des banquiers français à recourir au crédit hypothécaire et à l’hypothèque rechargeable. Outre le fichier instauré par l’article L. 333-4 du Code de la consommation, l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier consacre une obligation spéciale d’information du banquier concernant les sûretés réelles demandées en garantie d’un crédit à un entrepreneur individuel. La jurisprudence française a également consacré un devoir de vigilance dans l’intérêt des clients (Cass. Ch. Mixte, 29 juin 2007). D’éventuels particuliers, victimes de crédits hypothécaires abusifs en France pourraient se prévaloir de ces dispositions ou décisions. En France, l’essentiel des victimes de la crise des subprimes sont des investisseurs ayant investi dans des titres RMBS ou CDO.

(2) Des solutions pour les investisseurs ayant investi dans les RMBS ou CDO Aux Etats-Unis, le Code of Federal Regulations protège tout investisseur ayant acheté un titre, quel qu’il soit, contre des manipulations frauduleuses qui auraient pour effet d’induire un investisseur en erreur (17 CFR § 240.10 b-5). En droit français, la Cour de cassation a imposé au banquier une obligation de mise en garde d’un client inexpérimenté en cas de risques excessifs (Cass. Com. 31 janvier 2006). En revanche, un client ne peut, en principe, faire supporter à la banque la perte qu’il aurait subie dès lors qu’il a été correctement informé du risque que comporte le type de produit financier qu’il a acquis (Cass. Com. 19 septembre 2006). La banque serait-elle responsable dans l’hypothèse des subprimes, où la banque elle-même ne dispose pas de suffisamment d’information pour informer le client des risques ? Nous pouvons imaginer que la réponse soit négative et c’est la raison pour laquelle une plus grande protection du consommateur passerait d’abord par une meilleure information des opérateurs sur les marchés financiers. En ce qui concerne les investisseurs institutionnels ou organismes ayant accordés des subprimes aux Etats-Unis, le Emergency Economic Stabilization Act, a autorisé le gouvernement fédéral à acquérir, pour un montant de 700 milliards de dollars, l'ensemble des créances à risque en contrepartie d'une prise de participation de l'Etat dans le capital social de ces établissements. Les fonds spéculatifs (Hedge Funds) ne bénéficient pas de la loi, car jugés en partie responsables de la crise actuelle par le Congrès américain. Avec la création du Troubled Assets Relief Program (Plan Paulson), permettant la mise en oeuvre de la loi, l'administration Bush a acquis des créances pour un montant d'environ 300 milliards de dollars. L'administration Obama dispose désormais d'environ 350 milliards de dollars, ainsi que de 500 milliards supplémentaires pour assainir le système financier et économique américain.

(3) Des voies de réforme du système financier De nombreuses propositions développées par les dirigeants au G20 de Washington le 15 novembre 2008, par les dirigeants des pays membres de l’Union Européenne et au niveau national, par l’Autorité des marchés financiers (AMF) préconisent une plus grande transparence des marchés. L’article 222-2 du Règlement général de l’AMF prévoit déjà que l’information financière soit « exacte, précise et sincère ». Parmi ces propositions, apparaissent cruciales le développement de documents qui contiennent des descriptions précises des termes et conditions des titres émis pour une meilleure information des investisseurs et l’information complète par les agences de notation sur les paramètres d’attribution d’une note. En outre, une action renforcée des régulateurs de marché et opérateurs pour informer les investisseurs sur la situation réelle de la répartition du risque entre acteurs permettrait d’identifier clairement le détenteur final du risque (L’analyse de l’AMF à la crise du « subprime », La lettre de la régulation financière – AMF, 2ème trimestre 2008).

Bibliographie:

Article commenté: Sabry F., Schopflocher T., “The subprime meltdown: Who, what, where and why…Investigations & Litigation”, Practicing law institute corporate and practice course handbook series, 2007, p. 91.

Bonneau T., Drummond F., Droit des marchés financiers, Paris, Economica, 2ème édition 2005. Gavalda C., Stoufflet J., Droit bancaire, Paris, Litec, 7ème édition 2008. Mishkin F., Economics of money, banking and financial markets, Harper Collins, 1995.

Attali J., La crise et après ?, Saint-Amand-Montrond, Fayard, 2008.

Fox M., David L., “Lessons from the US subprime mortgage crisis”, Journal of international banking law and regulation, 2008, pp. 449-457. Vignaud M., « Les français toujours réfractaires au crédit hypothécaire », Le Point, 11/12/2008.

L’analyse de l’AMF à la crise du « subprime », La lettre de la régulation financière – AMF, 2ème trimestre 2008.

Site internet de l’AMF : http://www.amf-france.org/, visitée le 27 janvier 2009.