ROYAUME UNI - La doctrine de la ‘frustration’ telle qu’admise par la Chambre des Lords dans l’arrêt Davis Contractors Ltd v. Fareham UDC (1956), par Mikaela Nilsson

Cet arrêt établit en droit anglais la doctrine de la frustration dans son aspect le plus moderne. Si le droit anglais, longtemps respectueux de la règle pacta sunt servanda, a été réticent à l’idée de résilier un contrat si l’économie du contrat est bouleversée, cet arrêt démontre clairement la volonté des Cours anglaises de protéger la justice contractuelle. Le projet de droit européen des contrats semble quant à lui adopter la théorie de l’imprévision, telle que reconnue pour les contrats administratifs en droit français…

Introduction:
Pacta sunt Servanda. Si le droit des contrats ne peut faire abstraction de cette idée, de plus en plus, la protection de la justice contractuelle semble faire son apparition. En droit anglais, l’apparition de la doctrine de la ‘frustration’ a joué un role primordial dans l’évolution vers la prise en compte de la volonté veritable des parties au contrat. Le projet de droit européen des contrats semble, lui aussi, favorable à la protection d’une certaine justice contractuelle. En effet, la théorie de l’imprévision a pris une place centrale dans les discussions concernant le projet d’harmonisation du droit des contrats au niveau européen. La théorie de l’imprévision n’existant pas en droit anglais, il serait tentant d’affirmer que la codification européenne du droit des contrats ne reflète pas uniquement les règles appliquées uniformément dans tous les pays européens. Cependant, il s’agit de voir plus loin que ce raisonnement et de tenter de déterminer si les pays du Common Law, n’ayant pas adopté la théorie de l’imprévision, n’ont pas pour autant un mécanisme semblable à ce dernier. En effet, même si aucun équivalent conceptuel n’existe il peut tout à fait y avoir un équivalent fonctionnel. A travers l’étude jurisprudentielle du droit des contrats anglais on découvre l’existence de la doctrine de la ‘frustration’. L’arrêt Davis Contractors ltd v. Fareham Urban District Council de 1956 a joué un rôle déterminant dans la reconnaissance de cette doctrine, tout du moins en son aspect le plus moderne. Il faudra donc s’attacher ici étudier la doctrine de la ‘frustration’ afin de voir si celle ci ne se rapprocherait pas de la théorie de l’imprévision...

Apparition et evolution de la doctrine de la ‘frustration’:

Il existe en droit anglais l’idée que lorsqu’un évènement postérieur à la conclusion du contrat rend l’exécution du contrat impossible, illégale ou radicalement différente de ce qui avait été initialement prévu par les parties, il y a ‘frustration’ c’est-à-dire impossibilité d’exécuter le contrat. Les Cours Anglaises ont longtemps refusé d’admettre l’existence d’une telle doctrine et l’arrêt pertinent à cet égard est Paradine v. Jane (1647 Al 26, 82 ER 897 ). En effet, il fut affirmé à cette occasion « …When the party by his own contract creates a duty or charge upon himself, he is bound to make it good, if he may, notwithstanding any accident by inevitable necessity, because he might have provided against it by contract. And therefore if the lessee covenants to repair a house, though it be burnt by lightning, or thrown down by ennemies yet ought to be repaired ». Si cet arrêt reflétait la doctrine de l’obligation absolue d’éxecuter le contrat, il y a eu un important revirement avec l’arrêt Taylor v. Caldwell (Taylor v. Caldwell (1863) 3 B & S 826). Dans cet arrêt, l’absolutisme de la doctrine jusqu’à présent en vigueur fut anéantie par l’application de la doctrine de la ‘frustration’. L’élément justificatif de cette application fut la théorie des ‘implied terms’(termes implicites), cette construction légale permettait en effet d’affirmer qu’il existait dans le contrat même l’idée qu’en cas de survenance d’un événement changeant la nature même de ce qui avait été souhaité par les cocontractants, il devrait être mis fin au contrat. Ce mécanisme justificatif reposant plus ou moins sur une fiction poussa de plus en plus de Cours Anglaises à chercher un autre fondement à l’application de la doctrine de la ‘frustration’. Cette volonté des cours trouvait aussi son origine dans le fait que les Cours souhaitaient appliquer la doctrine à une majorité de cas d’espèce et cela n’était pas possible avec la théorie des ‘implied terms’.
Dans l’arrêt Davis Contractors ltd (Davis Contractors ltd v. Fareham Urban District Council 1956 AC 696 ) il fut reconnu que « …frustration occurs whenever the law recognizes that without default of either party, a contractual obligation has become incapable of being performed because the circumstances in which performance is called for would render it a thing radically different from that which was undertaken by the contract. Non haec in foedera veni. It was not this that I promised to do ». Par cet arrêt clé, la Chambre des Lords a reconnu que la théorie des ‘implied terms’ était inadaptée en ce qu’elle ne permettait pas d’appliquer la doctrine de la ‘frustration’. Lord Reid et Lord Radcliff ont appuyé le fait que, dans de nombreux cas, il a été impossible de prouver qu’il existait véritablement un ‘implied term’ dans le contrat alors qu’il était clairement admis que la doctrine de la ‘frustration’ aurait du s’appliquer si les seuls faits de l’espèce étaient pris en considération. Cet arrêt a sans aucun doute modernisé la doctrine de la frustration. Cette évolution de la doctrine de la ‘frustration’ a été présentée par Lord Radcliff dans cet arrêt. Si ce dernier a laissé entendre que dans la plupart des cas il ne change absolument rien d’avoir comme fondement juridique la théorie des ‘implied terms’ ou une règle objective de droit des contrats indépendante de la volonté des parties, il a cependant appuyé le fait que dans certains cas cependant cela peut jouer un rôle significatif et en ce qui le concerne, cela suffit à vouloir modifier le fondement théorique à l’origine de l’application, ou non, de la doctrine de la ‘frustration’. Lord Reid a ajouté que l’approche doit être constructive, cela nécessite de déterminer les évènements qui ont eu lieu, et ce à la lumière des termes même du contrat, afin de voir si l ‘exécution du contrat, telle que prévue, est impossible ou d’une nature totalement différente de ce qui avait été initialement prévu par les parties..

Rebuc Sic Stantibus : application en France et en Angleterre

Si la règle rigide de pacta sunt servanda a longtemps été respectée, elle a cependant été largement atténuée par la doctrine de la frustration. Et, en effet, si rebuc sic stantibus n’a pas été expressément adopté dans les pays du Common Law (et donc par le Royaume-Uni) les Cours Anglaises ont cependant réussi à atteindre des résultats très similaires et ce à travers la doctrine de la ‘frustration’. La locution latine rebuc sic stantibus reflète l’idée générale et relativement ancienne selon laquelle il relève d’un principe du droit naturel que toute obligation résultant formellement d’un échange de consentement entre deux ou plusieurs parties, n’est ‘viable’ que si les choses restent en l’état. Il semble que le droit anglais grâce à son évolution jurisprudentielle et à l’apparition de la doctrine de la ‘frustration’ a ouvert le droit anglais à cette idée de rebuc sic stantibus. En droit français, cela se traduit par l’existence de la théorie de l’imprévision. Il s’agira alors de se demander si la doctrine de la frustration aurait la même fonction que la théorie de l’imprévision ?
La théorie de l’imprévision admet la modification du contrat ou sa résolution quand des circonstances économiques postérieures à la conclusion du contrat rendent son exécution excessivement difficile ou beaucoup plus onéreuse sans pour autant qu’elle soit impossible. En France, il n’y a pas de reconnaissance de la théorie de l’imprévision pour les contrats de droit privé. La justification de cette absence est que le Code Civil Français consacre l’autonomie de la volonté en droit des Contrats ( Article 1134 : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »). Ce raisonnement a été clairement reconnu dans l’arrêt Canal de Craponne ( Canal de Craponne, 6 mars 1876, Cour de Cassation). La théorie de l’imprévision est cependant reconnue pour les contrats publics.
La théorie de l’imprévision telle qu’acceptée pour les contrats administratifs par le Juge français permet (Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux , CE, 1916) d’indemniser en cas de survenance d’évènements affectant l’exécution du contrat. L’événement doit être imprévisible, extérieur aux parties et doit bouleverser l’économie du contrat. Enfin, les circonstances en cause doivent être temporaires. L’idée semble donc être semblable : ne pas imposer aux cocontractants une modification extérieure à leur volonté qui modifierait l’économie générale dudit contrat. En droit anglais, la conséquence, en Common Law, de la présence de ‘frustration’ est la résiliation automatique du contrat. La loi anglaise, Law Reform ( Frustrated Contracts) Act, de 1943 s’applique uniquement lorsqu’il n’y a aucune provision expresse dans le contrat indiquant ce qu’il se passe en cas de ‘frustration’. Il faut donc noter ici que la doctrine de la ‘frustration’ n’a, en droit anglais, qu’une fonction résiduelle. Il est donc intéressant de noter ici que le jeu de l’imprévision s’est aussi vu conférer un caractère subsidiaire. En effet, l’existence de la théorie de l’imprévision a conduit l’Administration et ses cocontractants à introduire dans leurs contrats des clauses de révision qui permettent une adaptation aux évolutions de la situation financière et économique.
Cependant la différence se situe peut-être dans le fait que le droit anglais admet la possibilité de « résilier le contrat pour imprévision » alors qu’en ce qui concerne la théorie de l’imprévision il est possible de réviser le contrat pour imprévision, ce qui n’aboutit sûrement pas au même résultat…Il s’agit alors de se demander si ce qui ressemble le plus à la théorie de l’imprévision en droit anglais : la frustration, ne se rapprocherait pas finalement plus de la force majeure ? Malgré l’existence de divergences, il semble généralement admis que la doctrine de la ’frustration’ trouve son équivalent dans la théorie de l’imprévision.

Bibliographie:

  • J.C Smith, Smith & Thomas: A Casebook on Contract, 11th edition, Sweet & Maxwell, p 540->544
  • Jill Poole, Textbook on Contract Law, 8th edition, oxford university press, p469->481
  • http://westlaw.co.uk
  • Paradine v. Jane (1647) Al 26, 82 ER 897
  • Taylor v. Caldwell (1863) 3 B & S 826
  • Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux , Conseil d’Etat, 1916
  • Canal de Craponne, Cour de Cassation, 1876