Russie : les organes de gouvernements fédéraux et autonomes se mettent à Internet, par Marion Lapresle
La loi relative à la mise à disposition de l’information concernant les activités des organes de l’État et des organes autonomes locaux consacre l’émergence d’un nouveau média de diffusion par la création de sites internet dédiés aux organes de pouvoir locaux et autonomes et destinés à communiquer sur leurs activités. Elle prévoit également un service original d’information téléphonique. Les domaines d’application de cette diffusion apparaissent très étendus alors pourtant que son fonctionnement fait naître de sérieux doutes sur la transparence de ce service. Il est de plus question de deux régimes d’accès à l’information : l’un gratuit et l’autre payant.
Le projet de loi décidé par le président Medvedev intervient dans un contexte de décalage des moyens d’information modernes avec ceux utilisés par les organes de pouvoir pour communiquer. Alors qu’internet et le web devient le support le plus utilisé pour s’informer, le gouvernement s’était jusque là refusé à se rendre accessible par ce média. L’enjeu d’une telle loi est évidemment de faire la lumière sur des pans que la société russe juge encore trop inaccessibles mais également de prouver à la communauté internationale que la Fédération de Russie fait preuve de la même transparence que les autres États démocratiques. L’affaire n’est pas aisée puisque la Russie se trouve fréquemment pointée du doigt au sujet de la liberté d’expression et de l’opacité des instruments de pouvoir tout en reconnaissant le pouvoir d’internet au travers notamment de la très récente condamnation à 21 mois de prison d’Irek Murtazin le 15 janvier 2010, par la cour suprême du Tatarstan, pour avoir posté sur le site livejournal en 2008 un commentaire relatif à la santé du chef de l’exécutif local… S’il s’agit d’une mise en conformité sur le modèle d’autres États comme la France, l’Allemagne ou leurs voisins européens, des dispositions semblent aller d’elles même et représentent de réels progrès. Des innovations réalistes et adaptées à la société russe sont, quant à elles, à retenir. Enfin le traitement de certains articles et le concept de rémunération de l’information, concernant les organes de pouvoir, peut provoquer un certain étonnement. Alors quelle avancée représente cette loi : quelles nouvelles facilités et quel accès à l’information consacre-t-elle et quelles limites rendent-elles le projet moins ambitieux ? C’est tout l’objet de cette analyse.
La création de sites internet dédiés aux organes de pouvoir Il est question de la création de sites internet pour les principaux organes de l’État et les organes autonomes locaux, faisant état de leur agenda, de leurs discussions et des projets à venir. L ‘élément majeur réside donc dans la création de sites officiels pour les organes gouvernementaux fédéraux et autonomes. La Russie rattrape ainsi son retard sur l’accès informatique, puisque ses voisins européens sont dotés depuis plusieurs années d’instruments particulièrement efficaces et accessibles au plus grand nombre : pour exemple le site de l’assemblée nationale française légifrance est traduit en quatre langues, comporte une version pour malvoyants, un compte personnel de démarches en ligne… ; le parlement allemand est doté d’un site très complet (bundestag.de) traduit en trois langues retraçant législation en ligne, histoire des institutions, demande d’informations… Les enjeux fondamentaux sont annoncés dès l’article 1 : le projet de loi a pour but d’offrir une information complète comprise comme une documentation répertoriant définitions, descriptions, actions et projets des organes gouvernementaux fédéraux et autonomes. Le texte s’inscrit ainsi, de façon pertinente, dans la suite des lois consacrant la libéralisation de l’accès à l’information, rappelant le jeune passé législatif de la Russie en la matière puisque l’accès aux décisions de justice date de 2008. La longue énumération des organes, concernés par ce projet, suscite peut être un léger doute. Les destinataires de ce projet de loi, entendus comme bénéficiaires de cet accès à l’information sont longuement exposés. Il est question de tous les niveaux d’organisation de la société, personnes physiques, personnes morales, personnes publiques, citoyens : énumération assez inutile puisqu’elle englobe les citoyens de la Fédération dans chacune de ses déclinaisons.
Des innovations intéressantes Les intermédiaires de diffusion des activités des organes de pouvoir sont décrits avec une grande minutie et gagneraient à être plus simplement présentés. Concernant ces intermédiaires, le mode de diffusion « oral » est à souligner : il s’agit en fait d’une assistance téléphonique, répondant aux questions sur les activités des organes fédéraux et autonomes. Un numéro par organe est prévu, ainsi que le propose le système d’information allemand alors que la France est dotée d’un numéro unique (39 39) renvoyant ensuite à l’institution désirée. Ce moyen de diffusion de l’information, représente ainsi un progrès considérable dans l’information des populations âgées, peu fortunées ou à l’accès informatique difficile et surement à l’avantage pédagogique. De plus ce service ne devrait pas être surtaxé, ce qui n’est pas évident en Russie où subsiste encore dans les gares et les métros, pour exemple, le principe de la question payante. En France, ou en Allemagne l’obtention d’informations par téléphone est d’une pratique aisée : sur le site du servie public français, il est en effet possible d’obtenir par courriel en 3 jours, 7 maximum la réponse à une question ou d’appeler le 39 39 au prix d’un appel local ; sur le site allemand bund.de, tous les organes et institutions sont recensées avec en lien direct une adresse mail et un numéro de téléphone souvent doublé. Il n’est pas indiqué de délai, la pratique veut pourtant que l’information soit délivrée en maximum 3 jours par courriel. Les délais russes sont de trente jours à compter de l’enregistrement de la demande (soumis lui-même à un délai de 3 jours). Certaines modalités sont prévues dans le cas d’une question ne concernant pas l’organe désignée, celle-ci doit être renvoyée à l’organe compétent dans les 15 jours maximum. Il s’agit là seulement d’une version simplifiée et la multitude de délais, enregistrement compris ne facilite pas la clarté de la procédure. L’article 8 consacre, quant à lui, les droits des utilisateurs :recevoir une information « véridique », refuser de recevoir l’information, ne pas justifier de la nécessité de recevoir des informations dont le contenu n’est pas limité et surtout ester en justice de l’action ou de l’inaction des organes gouvernementaux et d’administration locale dont les représentants auraient violé l’obligation de rendre accessible les informations et la procédure de fourniture de celle-ci et exiger des dommages et intérêts en réparation de la violation du droit d’accès à l’information. Les modalités sont encore floues mais il s’agit là d’une véritable garantie. A l’heure des condamnations répétées des transmetteurs d’informations, ce droit à réparation ouvre de nouvelles perspectives d’épanouissement de la liberté d’expression. L’article 11 de la Déclaration Des Droits de l’Homme dont le contenu a été constitutionnalisé en France dispose de son côté : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme, tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ». Le Conseil constitutionnel en a tiré le concept de liberté de communication, défini par Jean Rivero comme «la liberté d’émettre et de recevoir des informations ou des idées par le biais d’un média quel qu’il soit » et dans une décision du 10 octobre 1984, 84-181 DC elle a été jugée « particulièrement précieuse car condition d’exercice de toutes les autres libertés. » La liberté de communication fait donc l’objet d’une protection particulièrement importante, toute amélioration dans le sens de sa protection en droit russe est à souligner de la même façon.
Au titre des innovations matérielles à saluer, la loi prévoit l’installation de postes informatiques à différents échelons de la Fédération afin de faciliter la transmission de l’information. Le chapitre 2 dispose en effet de la création de points de connexion à internet « afin de ne pas pénaliser un ensemble de personnes ne disposant pas d’un accès personnel à internet ». L’organisation est cependant laissée à la charge des organes et ne s’inscrit ni dans des délais ni dans un budget précis. En France, le problème est quasi identique, l’installation étant à la charge des collectivités, elle suit généralement les capacités financières et la politique budgétaire la concernant.
Des limites inquiétantes Des incohérences viennent encombrer le texte de loi : pour exemple le rappel à l’article 4 de la soumission de la présente loi à la Constitution et aux traités internationaux. La hiérarchie des normes est pourtant claire et explicitement formulée dans la Constitution de la Fédération de Russie (art 15 alinéa 1 et 4) et le contrôle de constitutionnalité largement pratiqué pour qu’une loi ne puisse être promulguée en violation de la Constitution. L’inscrire dans le texte de loi au mieux paraît inutile, au pire fait naître un certain doute sur la conception de la soumission à la Constitution. On imagine mal une loi française, rappeler que la loi est soumise aux traités internationaux depuis les arrêts Société des cafés Jacques Vabre (1975) et Nicolo (1989) : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés … ont une autorité supérieure à celle des lois ». Les juristes russes Pobegailo et Skouratov analysent cela comme « la priorité rappelée du traité international sur le droit interne, ce principe ne signifiant pas que le traité international constitue une loi à effet direct, mais que le législateur est tenu, aussitôt après la signature et la ratification d’un accord international, d’apporter les correctifs nécessaires à la loi. » Cette conception est donc bien spécifique des modalités de révision de la loi russe et peut étonner un juriste européen. A l’évidence, le texte de loi ne fait pas preuve d’une grande clarté ni d’une grande simplicité. La volonté de produire un texte complet tourne parfois au flou le plus total et il est facile de se perdre dans le dédale des énumérations qui dilue le contenu législatif. A cet égard l’article 13 énumère la liste des informations vouées à être diffusées. Si le paragraphe 1 parle de « toute » et « n’importe quelle» information, il en détaille pour autant les sujets visés sur sept alinéas qui peuvent apparaître comme « seulement » voués à être concernés par la diffusion en ligne. Une autre zone d’ombre est évoquée dans le très court article 5 : des limites sont prévues à la diffusion des activités des organes de l’État en cas de « secret d’État ». Il n’est pas fait lumière sur l’envergure possible de cette exception qui laisse présager une marge d’appréciation, source de grande ambiguïté. Le problème vient en fait de l’absence de définition de la notion de secret d’état. Pour comparaison, en France, la loi du 17 juillet 1978 précise le champ recouvert par la notion de secret d’état. Les administrations françaises sont ainsi dispensées de donner accès aux documents administratifs dont la communication porterait atteinte aux secrets protégés par la loi et énumérés à l’article 6 de cette loi. Si le manque d’exhaustivité de la formulation de ces articles fait percevoir la diversité des secrets recensés, les secrets "publics" ne demeurent légitimes qu'à condition de justifier de leur nécessité. Ils sont donc considérés non pas comme le principe de l'action publique, mais comme des exceptions limitativement prévues et dont la mise en œuvre reste dérogatoire.
L’article 22 est difficilement concevable à l’aune de la comparaison avec les systèmes français ou allemands. Il dispose en effet de la rémunération perçue en paiement de l’information dispensée. L’article 21 énumère d’une part les informations gratuites : celles obtenues par voie orale, disponibles dans les points d’accès prévus à cet effet, concernant les droits des utilisateurs à recevoir l’information. L’article 22 précise alors que le paiement est de règle lorsque la demande excède le domaine gratuit (de l’article précédent). Sombre formulation puisque le paiement apparaît comme le principe dont les exceptions seraient les trois alinéas de l’article 21 mais aucune précision ne circonscrit de manière plus exacte le champ des informations à caractère payant. Notons qu’en France, comme en Allemagne, il n’est pas fait état d’information susceptible de paiement et qu’il est possible d’imprimer, de faire une copie ou de consulter les décisions de justice, textes législatifs par le biais des sites internet qui leur sont dédiés. Le deuxième objet d’inquiétude est le contrôle du droit d’accès à l’information, conçu au départ comme garantie à la liberté d’information mais aux modalités troubles : en effet la procédure de contrôle de l’accessibilité des informations est confiée aux responsables mêmes des organes et la législation mise en place par les organes eux-mêmes. Comment alors exercer un contrôle de sa propre action ou inaction ? Un niveau supérieur est prévu dans le contrôle : il s’agit d’un phénomène procédural inexistant en droit français ou allemand pour comparaison, (après l’appel et la cassation) et dénommé « surveillance générale ». Il permet d’annuler les jugements déjà passés en force de chose jugée pour mauvaise application du droit au fond. Cette pratique de révision des jugements a été condamnée comme créant une insécurité juridique importante et associant procédures d’appel et de cassation. Le nadzor est assuré par la Prokuratura, organe soumis au pouvoir exécutif. On peut douter de la perspicacité de ce contrôle, au premier niveau confié aux organes mêmes qui sont débiteurs de l’obligation d’information et au deuxième niveau confié à une entité dont l’indépendance est régulièrement remise en cause. Enfin une procédure compliquée s’applique aux membres des organes de pouvoir, qui auraient violé les droits d’accès à l’information. Ceux-ci portent la responsabilité « administrative, disciplinaire, civile et pénale » de leurs actes. Cette tendance peut s’inscrire dans le processus de surabondance de répression pénale, décrit par le président de la Cour Suprême de la Fédération de Russie Lebedev, dans son introduction au nouveau Code pénal déplorant que « certains agissements ne fassent pas plutôt l’objet de sanctions administratives ». « On observe dans l’évolution de la société une nette tendance au renforcement de la répression » ajoute un autre juriste dans la revue « Justice russe ». Il est vrai qu’une responsabilité de ce type est difficilement concevable dans l’ordre juridique français où les principes de la responsabilité publique prévoient que les fonctionnaires et agents publics ne répondent que d'une faute personnelle traduisant la volonté consciente, délibérée, de s'affranchir des lois et règlements, et non d'une faute de service.
On peut donc regretter le traitement répétitif qui dilue le contenu de la loi: le texte devient alors un instrument très lourd, aux rouages maladroits. Il n’en demeure pas moins qu’il consacre la création d’un moyen nouveau d’information et qu’il revient de se féliciter d’une telle avancée. A en voir le succès des sites consacrés au Sénat, Assemblée nationale, gouvernement, parlement européen, Cour de Justice européenne, il n’est qu’à souhaiter que cette simplification de l’accès aux organes du pouvoir provoque une poussée d’intérêt et une culture collective des institutions de pouvoir en Russie. Il reste tout de même des interrogations récurrentes sur la nature de certaines dispositions : s‘agit-il d’une liste exhaustive ou d’une illustration multiple destinée à être enrichie ? Faut-il comprendre que l’information prodiguée ne concernera que les sujets explicitement évoqués ou le thème abordé ? Y répondre n’est pas aisé et la virgule peut revêtir des sens très différents dans les textes juridiques russes.
Bibliographie : - Constitution de la Fédération de Russie 1993(www.constitution.ru) - Constitution française du 4 octobre 1958, legifrance - Institut européen Est-Ouest « La liberté de conscience en Russie : du transfert d’un concept au conflit de normes » - « Droits de l'homme et libertés fondamentales », Jacques Robert et Jean Duffar, Montchrestien - la Vème république, Guy Carcassonne, Armand Colin - Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Russian Federation. 12/12/2003 - Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie (ksrf.ru) - Iris Merlin, Adoption de la loi relative à l’accès à l’information - Rosiskaïa Gazieta « loi relative à la mise à disposition de l’information concernant les activités des organes de l’État et des organes autonomes locaux » (http://www.rg.ru/2009/02/13/dostup-dok.html) - UNESCO « liberté de l’information » par Toby Mendel - Lawmix.ru « Medvedev ratifie la loi relative à la mise à disposition de l’information concernant les activités des organes de l’État et des organes autonomes locaux » (http://www.lawmix.ru/content.php?id=1354) - « Constat Russie » Nadine MARIE-SCHWARTZENBERG, Chercheur au CNRS - Justice Russe, Pobegailo et Skouratov, « Introduction pour un nouveau Code pénal » - Bund.de, service public allemand - Bundestag.de, Le parlement de la République fédérale d'Allemagne