Suggestions quant à la meilleure manière d’assurer l’application des directives communautaires par Henri DAUDET
L’indispensable prise de conscience de l’importance des directives communautaires, confrontée aux difficultés de leur application en droit interne, justifie la nécessité du présent rapport qui entend présenter au Gouvernement français des réformes, dans l’objectif d’une amélioration de leur actuelle application. Une succincte analyse comparée des méthodes d’application des directives chez trois de nos voisins européens (Danemark, Allemagne et Italie) offre de multiples pistes d’études. Elles sont ici différenciées, selon qu’elles sont envisageables à échelle nationale ou communautaire.
« La directive est un élément du droit communautaire à part entière : la liberté des Etats membres quant au choix des moyens propres à atteindre les objectifs fixés ne signifie nullement que la directive devrait être traitée comme un non-être juridique du point de vue du droit interne », affirmait Pierre Pescatore, juge communautaire durant 18 ans.
Grâce à la procédure instaurée par la circulaire du 27 septembre 2004, la France a énormément progressé en matière de transposition de directives. Cependant, à la lecture des statistiques publiées chaque année par la Commission (Cf. Tableau d'Affichage du marché intérieur, Ed. 15 du 18 juillet 2006, P.7.), elle occupe la 17e place au sein des 25 Etats-membres de l’Union désormais élargie. Force est de constater que la France ne transpose pas, transpose mal, ou transpose au-delà des délais qui lui sont impartis. La directive est l’une des sources du droit dérivé communautaire; acte de législation indirecte, on peut l’assimiler à une loi-cadre. L’Etat membre est donc assujetti à l’obligation de résultat fixée par elle, mais dispose néanmoins d’une liberté –relative- quant aux moyens de sa mise en œuvre.
Dès lors, les enjeux d’une meilleure transposition en droit interne apparaissent limpides. Du fait du retard qu’elle accuse, la France perd de sa crédibilité au sein des négociations communautaires, en ce qu’elle porte atteinte à l’esprit même de la Communauté dont elle a en grande partie inspiré l’élaboration. En outre, elle risque à tout moment d’être condamnée au paiement de lourdes sanctions, participant de facto à une aggravation de l’insécurité juridique. Enfin, à l’heure où l’élargissement communautaire traverse une étape des plus cruciales, la mauvaise transposition des directives par l’un de ses membres fondateurs exacerbe les limites de l’efficacité de l’Union.
Pour se justifier, le gouvernement invoque souvent l’encombrement des ordres du jour des Assemblées parlementaires. Les causes sont malheureusement plus complexes, plus profondes ; tantôt politiques, tantôt juridiques, elles sont aussi d’ordre administratif.
La notion de l’effet direct des directives en droit interne comporte différentes interprétations. D’abord réticente à un quelconque effet direct des directives (CA Paris, 12 avril 1972, A./Min public et Administration des douanes), la jurisprudence judiciaire a progressivement évolué jusqu’à se faire l’écho de la jurisprudence communautaire. (Cass., Civ. 1è, 11 décembre 1984 : Bureau central français c/Fonds de garantie automobile)
La juridiction administrative s’est quant à elle singularisée en développant sa propre conception de la directive. Faisant suite à sa jurisprudence Cohn-Bendit de 1978, le Conseil d’Etat a ainsi réduit leur portée en consacrant deux types d’invocabilités : l’invocabilité d’exclusion (ou d’éviction) et l’invocabilité d’interprétation. La première peut être soulevée à l’encontre d’un acte réglementaire (Alitalia, 1989 : vérification de la compatibilité d’un acte administratif réglementaire avec les objectifs de la directive, examinée uniquement si le requérant la soulève) ou à l’encontre d’une loi (Rothmans, 1992 : Appréciation de la compatibilité d’une loi de transposition avec l’objectif d’une directive, à l’expiration de son délai de transposition). Grâce à la seconde, le CE accepte d’interpréter les mesures réglementaires en tenant compte des objectifs fixés par les directives communautaires (Beaudroit, 1984)
Progressivement accordée sur celle communautaire, la jurisprudence française, malgré certaines divergences persistantes, a ainsi contribué à une meilleure application des directives en droit interne.
Le présent rapport ne prétend pas analyser le problème français de façon exhaustive, mais ambitionne de proposer au gouvernement des réformes envisageables qui permettraient d’améliorer l’application des directives.
Répondant à une logique comparatiste, nous tenterons en premier lieu de nous inspirer des solutions appliquées chez nos voisins - dans la mesure où elles seraient transposables en droit français. Forts de ces réflexions, nous présenterons ensuite des solutions concrètes que le Gouvernement pourrait appliquer au niveau national, ainsi que les améliorations qu’il pourrait tenter d’insuffler à ses partenaires et à la Commission.
Etude comparée de l’application des directives en Europe
Danemark : le bon élève de l’Europe ?
Le cas du Danemark est très instructif car il est celui des Etats membres qui accuse le moins de retard en matière de déficit de directives non transposées après forclusion des délais. De même, dans le cadre des procédures consécutives à la non-transposition des directives, le Danemark est encore celui des Etats qui est le moins poursuivi. (29 fois, contre 107 pour la France, au 1er juin 2006)
Contrairement à la pratique française, l’essentiel de l’application du droit communautaire - et donc des directives - est assuré par le Parlement danois (Folketing) qui jouit d’un monopole dans ce domaine de compétences. Il peut octroyer des délégations au gouvernement pour l’application des textes communautaires, à la condition néanmoins que ceux-ci viennent modifier des textes communautaires antérieurs. Le mécanisme est donc inverse à celui pratiqué en France, basé sur une prédominance du rôle du gouvernement et de celui du président de la République (Cf. Note relative à la transposition des directives en droit danois)
Malgré les tendances dualistes de sa jurisprudence, le Danemark ne se heurte pas à des difficultés majeures dans l’application du droit communautaire. Pour y échapper, la tendance des juridictions danoises est de s’appuyer sur la règle d’interprétation conforme – en appliquant la théorie élaborée par la CJCE dans sa jurisprudence - ou sur celle de présomption de conformité. Enfin, toujours en opposition à la pratique française, les juridictions danoises semblent accepter l’effet direct des directives communautaires.
En matière de transposition des directives, peut-être devrait-on en France octroyer plus de pouvoirs au Parlement, en instaurant une balance des pouvoirs entre Parlement et Gouvernement ?
Italie: des réformes à suivre ?
L’Italie a longtemps révélé des difficultés structurelles d’application du droit communautaire au sein de son ordre juridique, que les gouvernements successifs ont tenté de conjurer. Le processus législatif étant trop complexe, l’Italie a entrepris des réformes radicales, dont deux apparaissent essentielles :
La loi Fabbri de 1987 concernait l’exécution d’une centaine de directives, elle leur donnait force de loi et déléguait au Gouvernement le pouvoir de les appliquer, même si elles entraient dans le domaine législatif. Au regard de cette loi, une première solution consisterait donc à rattraper le retard accumulé en éludant un processus législatif trop long au profit d’un recours au gouvernement, plus rapide et à même d’agir dans ce domaine.
La loi Pergola du 9 mars 1989 instaure une nouvelle procédure suite à laquelle, au printemps de chaque année, le gouvernement présente au parlement un projet de loi comportant les dispositions nécessaires pour mettre en œuvre les directives de l’UE adoptées durant l’année précédente. A l’issue d’un examen minutieux, le parlement l’adopte en tant que « loi Européenne Annuelle », qui indique si la transposition se fait de manière directe, à travers des décrets législatifs délégués, ou par le biais de décrets gouvernementaux (Cf. La transposition des directives en Italie)
Les réformes italiennes ont porté leurs fruits, et l’Italie est depuis devenue l’un des membres les plus efficaces dans la transposition des directives. Une victoire, certes, mais à la Pyrrhus donc, puisqu’elle a été rendue possible au prix de délégations législatives qui ont marginalisé le rôle du Parlement italien en matière de transposition des directives.
Est-ce donc réellement applicable dans un pays comme la France ?
Allemagne : Etat fédéral ou décentralisation ?
Outre Rhin, le gouvernement n’a en principe pas de pouvoir réglementaire pour l’application législative du droit communautaire (refusé par la Bundesgerichtshof). Il existe cependant des mesures d’exception : les habilitations prévues par l’article 80 de la Loi Fondamentale, utilisées et envisagées par la loi de ratification du traité CE.
Le Gouvernement fédéral applique les textes communautaires dans les matières relevant de sa compétence. Il est aussi tenu d’informer le Parlement des projets de l’UE, chaque ministère informe ainsi le Parlement des projets européens qui relèvent de son ressort. L’accord du Bundesrat (chambre basse constituée des représentants des Länder) est nécessaire dans environ 50% des votes de lois ; ils participent donc à l’application des directives, même au niveau fédéral. Ils possèdent en outre l’application normative du droit communautaire pour les matières relevant de leurs compétences législatives (fixées par la Loi Fondamentale). Les Landtage (parlements régionaux des Länder) ont ainsi un rôle actif dans la mise en œuvre du droit communautaire.
A la lumière de l’exemple allemand, serait-il envisageable, dans le cadre du processus de décentralisation instauré en France par la loi Defferre du 2 mars 1982, déléguer aux régions plus de pouvoirs en matière d’application des directives grâce à une loi constitutionnelle?
Vers une amélioration de l’application des directives ?
Progrès envisageables à échelle nationale
Outre quelques blocages attribuables à des oppositions de nature politique (concernant les directives sur les OGM ou sur les droits d’auteur par exemple), l’essentiel des retards constatés est imputable à des obstacles administratifs clairement identifiés.
· Perfectionner le dispositif législatif ?
L’acte assurant la transposition d’une directive peut revêtir plusieurs formes. (simples lois, lois DDAC (Diverses Dispositions d’Application Communautaire), ordonnances de l’article 38 de la constitution prises par habilitation législative, …) Ce polymorphisme juridique ne favorise pas l’efficacité du mécanisme de transposition. A cela s’ajoute un obstacle structurel propre au système français : la stricte répartition des domaines de la loi et du règlement prévue par la constitution de 1958 constitue en effet une obligation très rigoureuse, qui ne pèse pas sur la plupart des autres Etats membres.
Elle contraint les ministères en charge de la transposition à déterminer la nature juridique de l’acte de transposition.
· Redéfinir le rôle du SGAE ?
Le Secrétariat Général du Comité Interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI), devenu Secrétariat Général des Affaires Européennes (SGAE) depuis le 18 octobre 2005, est placé sous l'autorité du Premier ministre. Il couvre l'ensemble des domaines définis par le traité sur l'Union (à l'exception de la PESC, seule compétence du ministère des Affaires étrangères), et se veut garant de l’unité de la position française au sein de l’UE. Il assure le suivi de la transposition en droit interne des directives, conformément à la circulaire du 27 septembre 2004.
Il veille à l'information du Parlement français sur l'activité législative de l'UE (à l’exception des actes de la PESC, voir motif précité). En liaison avec le Secrétariat général du Gouvernement (SGG) et après avis du Conseil d'Etat, le SGAE transmet aux parlementaires tous les textes européens comportant des dispositions de nature législative. L'Assemblée Nationale et le Sénat sont ainsi à même de se prononcer sur ces projets.
De plus, grâce aux fiches d'impact simplifiées (FIS), il informe le Parlement sur les incidences en droit national des projets de textes dont les négociations sont à venir (Cf. Relations SGAE - Parlement)
Le SGAE pourrait veiller à assurer une diffusion bien plus large du tableau récapitulatif tenu à jour par lui de l’état des transpositions ; l’effet escompté serait de montrer en temps quasi-réel l’état de la transposition des directives en France, en rapprochement avec celui des autres pays. Ses pouvoirs de contrôle des ministères quant à leur devoir de transposition pourraient en outre être accrus.
· Réduire le nombre d’intervenants ?
Au stade de la concertation interministérielle (où le SGAE joue un rôle-clef), la multiplicité des intervenants est à l’origine de nombreux retards. Par exemple, le recours trop fréquent aux décrets du Conseil d’Etat décuple la charge de travail déjà lourde de cette institution. Il peut ainsi attendre plusieurs mois avant d’examiner un projet qui lui a été transmis.
Certaines directives à transposer ne laissant pourtant aucune marge d’appréciation aux Etats membres, la consultation ne remplit qu’un intérêt formel !
Améliorations communautaires
Même s’il apparaît nécessaire de perfectionner les procédures à l’échelon national, une modification conjointe des mécanismes communautaires inciterait à une meilleure application des directives. Et l’enjeu est de taille : dans une Union recensant bientôt 27 membres, la mauvaise application des directives pourrait entraîner une fragmentation du droit communautaire.
· Offrir plus de moyens à la Commission ?
Bien que l’article 10 du TCE garantisse la compétence des seuls Etats membres en matière de transposition des directives, la Commission pourrait néanmoins y jouer un rôle déterminant. Dans le cadre de la procédure en manquement de l’article 226 TCE par exemple (qui prévoit que la Commission peut poursuivre devant la CJCE les Etats transposant mal ou ne transposant pas dans les délais les directives), la Commission saisit la CJCE dans seulement 10% des cas d’infractions présumées.
Pourquoi ne pas augmenter ce taux de saisine, en donnant à la Commission les moyens de saisir la CJCE dans un maximum de cas ?
· Plus de sévérité dans les sanctions ?
Rehausser les montants des sanctions communautaires, déjà relativement élevés, pourrait être une éventualité ; cependant l’approbation de la mise en place des astreintes par les Etats a déjà amélioré le phénomène de transposition en droit interne.
Serait-ce donc réellement suivi d’effets ?
· Repenser la rédaction des directives ?
En France, c’est lors du mécanisme de transposition des directives que le bas blesse. En moins d’un demi-siècle, la rédaction même des directives a évolué. Elles remplissaient autrefois leur fonction de loi-cadre, laissant libre champ aux Etats membres quant aux moyens de leur application. Désormais clarifiées à l’ultime, elles réduisent leur marge de manœuvre à un embarrassant minimum. A l’instar de l’initiative « Mieux légiférer 2003 » (adoptée conjointement par la Commission, le Conseil et le Parlement), qui incite les États à améliorer la qualité de leur réglementation nationale, une amélioration de la préparation des directives intégrant cette réalité serait favorable à leur meilleure application.
· Renforcer l’information ?
A l’attention des citoyens et des entreprises de l’Union, il conviendrait de publier les informations relatives à la transposition des directives afin de contraindre les Etats à leur meilleure application. Impliquer ces acteurs grâce à une base d’informations qui leur serait accessible et facilement compréhensible créerait une émulation favorable. Un site Internet pourrait par exemple mettre en exergue le délai de transposition imparti à chaque directive (permettant de savoir si la transposition a eu lieu à temps ou si le délai est forclos) ainsi que le contenu de la transposition de la directive en droit interne, etc.
Chaque citoyen, désormais informé, serait ainsi à même de faire valoir ses droits.