Un jeu vidéo peut-il bénéficier d’une protection automatique partout dans le monde ? par Christiana MAROSE
Le jeu vidéo peut constituer une œuvre de l'esprit dont la protection automatique par le droit d’auteur est reconnue partout dans le monde. Néanmoins, les modalités de cette protection diffèrent quelque peu d'un pays à l'autre. S’ajoute une autre problématique liée au fait qu’à la base, chaque jeu vidéo est composé d’un logiciel. La protection des logiciels est en train d’évoluer. Elle se fait de plus en plus souvent par le biais du droit du brevet, ce qui implique que la protection n’est pas automatique.
Tout le monde sait ce qu’est un jeu vidéo. Moins nombreux sont ceux qui savent comment il fonctionne. Et rares sont ceux qui connaissent sa valeur juridique. Il n’existe pas de définition juridique du jeu vidéo. C’est un produit complexe qui peut revêtir des formes diverses, du jeu de cartes tout à fait banal aux jeux qui s’apparentent à des films. Désormais, il est incontestable que le jeu vidéo se compose de plusieurs éléments: à sa base se trouve toujours un logiciel. Ce logiciel est l’ensemble de milliers de programmes de traitement qui, par leur interaction, génèrent des images et éventuellement des sons.
Lorsqu’on songe à la protection automatique du jeu vidéo, le seul moyen envisageable est le droit d’auteur, qui, par rapport aux autres instruments juridiques comme le droit du brevet ou le droit des dessins et modèles, ne nécessite pas de démarches administratives. Le droit d’auteur protège toute création intellectuelle lorsqu’elle se concrétise dans une forme qui est originale. Cette protection est automatique, parce qu’elle existe dès le moment de la création de l’oeuvre de l’esprit. Il faut alors s’interroger sur une éventuelle protection du jeu vidéo par le droit d’auteur. Pour ce faire, on envisagera la situation sous deux systèmes de droit qui sont européens, le droit allemand et le droit français, et on les comparera au système américain. Finalement, on s’interrogera sur la persistance de la situation actuelle en raison des évolutions juridiques en matière des logiciels.
Le jeu vidéo comme œuvre protégeable par le droit d’auteur dans différents systèmes juridiques nationaux
En droit français, la Cour de cassation a admis que le jeu vidéo constitue une œuvre protégeable par le droit d’auteur par les arrêts ATARI et WILLIAMS ELECTRONICS (Plén. 07/03/1986 « Atari » et « Williams Electronics »; D.86 p. 405 conclusions Cabannes, note Edelman ; RIDA juillet 86 n°129 p. 134 note A. Lucas). La solution est la même en droit allemand, elle est posée par un arrêt AMIGA CLUB (OLG Cologne, 18/10/1991; GRUR Zeitschrift « Gewerblicher Rechtss... 1992, p. 312). Le principe est donc bien établi: un jeu vidéo est protégeable au titre du droit d'auteur, à condition toutefois qu'il témoigne d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son créateur. L’Allemagne et la France étant tous les deux Etats membres de l’Union Européenne et ayant des conceptions juridiques comparables en la matière, il n’est pourtant pas étonnant que les solutions soient identiques.
Pourtant, on pourrait se demander si la protection du jeu vidéo se fait partout par le droit d’auteur, ou s’il n’y a pas de système juridique qui préfère la protection par le biais d’autres moyens comme le brevet. Toutefois, la situation est „homogénéisée“ aujourd’hui. Il n’existe pas de pays qui refusent la protection du jeu vidéo par leur droit d’auteur (Dreier, Thomas: « Der Urheberrechtsschutz für Computerprogramme im Ausland – Rechtsfragen und Tendenzen in der Rechtsprechung und Gesetzgebung », GRUR International 1988, p. 476).
Une fois posées les bases de sa protection par le droit d’auteur, le jeu vidéo doit être classé dans une des catégories légales qui existent en droit. Dès lors, il convient de se poser une question préalable fondamentale : le jeu vidéo, dont on sait qu’il est protégé par le droit d’auteur, l’est-il parce qu’il contient un certain nombre d’œuvres, ou parce qu’il est lui même une œuvre, dans sa globalité ? Les conséquences de la réponse qu’on choisira d’apporter à cette question sont fondamentales. Si l’on estime qu’il est une seule œuvre qu’on pourrait qualifier « d’unitaire », alors on pourra appliquer directement à cette œuvre les critères pour le classer dans l’une ou l’autre catégorie. Si en revanche on considère qu’il y a plusieurs œuvres dans le produit multimédia, chacune d’entre elle devra être classée selon ses spécificités. En France, l’arrêt MIDWAYS (Crim. 20/06/2000 ; Treppoz « La pertinence de la qualification logicielle d’un jeu vidéo par la cour de cassation » PA 27/06/2001 n°127 p. 25) semble avoir consacré la qualification logicielle unitaire du jeu vidéo. Celui-ci est alors protégé comme un logiciel. Ainsi, le système français nie la réalité technique complexe du jeu vidéo en se bornant à protéger le tout par le bais du logiciel « qui apparaît comme spécifique et primordial dans le produit complexe qu’est le jeu vidéo» (CA Caen 19/12/97; JCP E 2000 p. 1374 obs. Sardain ). En revanche, il est peu probable que cette solution très critiquée puisse perdurer, notamment lorsqu’on regarde les solutions dans les autres systèmes juridiques.
Ainsi, le droit allemand reconnaît la complexité du jeu vidéo et admet la protection par le droit d’auteur de toutes les composantes du jeu. C’est ce qui ressort notamment de l’arrêt AMIGA-CLUB. Le tribunal énonce que « les jeux vidéo sont protégeables par le droit d’auteur en tant que logiciel et en tant qu’œuvre cinématographique, lorsque ces composantes peuvent être qualifiées d’œuvre de l’esprit au sens du § 2 al. 2 de la loi allemande sur le droit d’auteur (Urheberrechtsgesetz; UrhG), c'est-à-dire lorsqu’ils sont originales. Si les conditions du § 2 al. 2 ne sont pas réunies, les jeux vidéo sont en tout cas protégés en tant qu’»illustration animée» (Laufbilder) au sens du § 95 UrhG». La protection du jeu vidéo n’est alors pas unitaire, mais multiple : d’un côté, le logiciel est protégé selon les §§ 69a ss UrhG (sachant que les différents programmes de traitement de ce logiciel sont, quant à eux, également protégés lorsqu’ils remplissent les conditions du § 2 al. 2 UrhG Wandtke/Bullinger/Grützmacher, Pra...). De l’autre, les images et sons sont également protégés, soit en tant qu’œuvre cinématographique lorsqu’ils sont une œuvre de l’esprit au sens du § 2 al. 2 UrhG, sinon au moins en tant qu’«illustration animée». Ces protections des différents œuvres composantes le jeu vidéo sont cumulables (Landgericht Bochum, décision du 06/01/1995, „Computer und Recht“ 1995, p. 274).
On voit alors que le jeu vidéo est protégé soit dans son ensemble, soit par ses différentes composantes, mais toujours par le droit d’auteur. Par contre, en dehors des droits nationaux, il faut s’interroger sur la question de la protection automatique partout dans le monde.
La protection internationale
Le droit d’auteur est régi par le principe de territorialité. Selon ce principe, on applique le droit d’auteur du pays où la protection est requise (Rehbinder, Manfred, Urheberrecht, 13. Auflage, C.H. Beck, notes 475/476). Ainsi, l’auteur ne dispose pas d’un droit d’auteur universel qui le protègerait partout dans le monde, mais d’une multitude de droits d’auteur nationaux, qui peuvent différer dans leur contenu, leur étendu, la durée de protection et même la titularité des droits, selon les dispositions nationales concernant le droit d’auteur dans les pays où la protection est demandée. Désormais, des conventions internationales existent qui définissent un seuil minimum de protection. L’instrument le plus important est la Convention de Berne (CB). Les Etats membres à la CB s’accordent réciproquement le traitement national. Surtout, l’article 5 § 2 de la CB énonce le principe d’absence de formalités qui interdit aux Etats membres à la CB de prescrire une quelconque formalité comme condition de la protection par le droit d’auteur. Depuis l’adhésion à la CB des Etats-Unis comme pays d’exportation le plus important d’oeuvres de l’esprit, on peut parler du traitement national à l’échelle mondiale en matière de droit d’auteur. Il en résulte que l’auteur est protégé dans tous les Etats membres à la CB selon le droit d’auteur du pays concerné, et nonobstant l’existence d’un droit d’auteur dans son pays d’origine. L’autre instrument international efficace en la matière est l’accord ADPIC qui reprend les articles 1 à 21 de la CB (sauf l’article 6bis sur le droit moral) et rajoute le principe du traitement de la nation la plus favorisée qui instaure une égalité de traitement. Si un pays accroît les avantages qu’il accorde à un partenaire commercial, il doit appliquer le même “meilleur” traitement à tous les autres membres de l’OMC pour que tous restent “les plus favorisés”. Tout de même, une situation particulière existe pour les œuvres américaines.
La situation particulière des œuvres américaines
Le droit américain présente une particularité en ce qui concerne la protection des œuvres de l’esprit par le copyright. Jusqu’à il y a quelques années, l’enregistrement de l’œuvre était obligatoire pour l’existence de la protection. Aujourd'hui, l’enregistrement n’est plus que volontaire, le copyright existe dès le moment l’œuvre est créée (§ 408a du Copyright Law of the United States ). Désormais, le droit du copyright offre différents avantages pour encourager les titulaires du copyright d’enregistrer leur œuvre. Ainsi, l’enregistrement établit une présomption simple de la titularité du copyright s’il est fait dans les cinq premières années depuis la publication. Surtout, avant qu’une action en contrefaçon puisse être engagée, l’enregistrement est nécessaire pour les œuvres d’origine américaine (§ 411a du Copyright Law of the United States ).
L’enregistrement ne conditionne alors pas la protection automatique par le copyright. En revanche, il offre des avantages tellement importants qu’en pratique, l’enregistrement auprès du Copyright Office est désormais nécessaire. C’est alors une formalité facultative à recommander à tout éditeur de jeu vidéo américain ou dont le pays d’origine n’est pas partie à l’OMC ou à la CB, ce qui est désormais très rare.
Le principe de la protection automatique du jeu vidéo semble alors être bien établie, bien qu’il n’y ait pas de protection universelle partout dans le monde. Néanmoins, il faut tenir compte d’une problématique liée au fait qu’à sa base, chaque jeu vidéo repose sur un logiciel. La protection du logiciel est très controversée, sachant que de plus en plus, la pratique admet la brevetabilité des logiciels. Si tel est le cas, il se pourrait que la protection du jeu vidéo ne soit plus automatique, car une ou quelques de ses composantes nécessite un enregistrement pour être protégée.
La problématique liée au fait que tout jeu vidéo ait comme base un logiciel
On a vu que chaque jeu vidéo fonctionne avec un logiciel qui est l’ensemble de plusieurs programmes de traitement. Cet ensemble est protégé par le droit d’auteur, les programmes peuvent également l’être. Le système français va encore plus loin et protège le jeu vidéo entièrement en tant que logiciel. En principe, les logiciels sont formellement exclus de la brevetabilité. Le droit français range les logiciels parmi les œuvres protégeables par le droit d’auteur dans son article L.122-5 CPI. Le droit allemand exclut expressément dans son § 1 al. 2 n° 3 de la loi allemande sur les brevets (Patentgesetz) les logiciels « en tant que tels » de la brevetabilité, et les énumère parmi les œuvres protégeables par le droit d’auteur dans le § 2 al. 1er n° 1 du UrhG. Cette règle se trouve également au niveau européen à l’article 52 II de la Convention de Munich sur le brevet européen.
Mais bien que les logiciels soient par principe protégés par le droit d’auteur, la protection par le biais du brevet n’est pas complètement fermée aux logiciels lorsqu’ils ont un caractère technique. C’est ce qui a été décidé dans une décision ANTIBLOCKIERSYSTEM (Cour fédérale de justice allemande, 13/05/1980). Dans cette décision, la Cour reprend la notion d’« en tant que tels » et énonce que les logiciels peuvent être brevetables dans un contexte bien défini, c'est-à-dire lorsqu’ils sont utilisés à résoudre un problème technique concrète. Ainsi, le simple fait qu’il s’agit d’un logiciel ne peut pas empêcher la protection par le brevet lorsque ce logiciel a un caractère technique au sens décrit. Cette même solution se trouve au niveau européen (Office européen des brevets, IBM, 01/07/1998). En d’autres mots, bien que les logiciels ne soient par principe pas brevetables en Europe, les logiciels ayant un caractère technique sont désormais admis à la brevetabilité.
De surcroît, dans d’autres systèmes juridiques comme par exemple celui des Etats-Unis ou encore du Japon, il est beaucoup plus facile de breveter un logiciel. Par exemple, aux Etats-Unis, on peut breveter un logiciel lorsqu’il présente un résultat « utile, concrète et tangible» (Rummler, Felix, « Effektiver IP-Schutz », www.elektronikpraxis.de/sh/fachartikel/ep_sh_-fachartikel/ep_sh_facharti...). Ces conditions étant plus larges que le critère européen de la technicité, on peut breveter aux Etats-Unis des programmes qui ne présenteraient pas le caractère technique requis en Europe. Ainsi, il se pourrait que dans des circonstances restreintes, le logiciel servant de base à un jeu vidéo puisse être breveté.
La question de la brevetabilité des logiciels a suscité une controverse tellement vive qu’elle a menée à un projet européen de la brevetabilité des logiciels.
Le projet de directive européenne sur la brevetabilité des logiciels
Depuis des années, on s’interroge sur la question de savoir quel système offre la meilleure protection aux logiciels et répond les mieux aux besoins de l’innovation. Le droit d’auteur ne protège son titulaire que contre les copies au sens stricte. C’est pourquoi il n’offre pas toujours une protection satisfaisante pour les logiciels. Au contraire, la protection par le brevet offre des avantages plus larges: elle inclut l’exploitation des résultats du programme et s’étend aux programmes qui sont différents du programme breveté en ce qui concerne leur code source, mais qui résoudrent le même problème avec des moyens techniques équivalents. C’est pourquoi au niveau communautaire, un projet de règlement sur la brevetabilité des logiciels a été élaboré.
Par contre, cette question est très controversée. Les partisans de la brevetabilité évoquent que le brevet est le moyen de protection approprié, car le logiciel est plus le résultat d’un effort technique qu’une œuvre artistique. Ils soutiennent leur thèse par le fait que le brevet s’est révélé comme producteur de l’innovation et de l’investissement dans plusieurs domaines techniques, et qu’il n’y a pas de raison pour laquelle ces avantages devraient rester fermés à l’industrie des logiciels (Nack, Ralph, „Neue Gedanken zur Patentierbarkeit von computerimplementierten Erfindungen“, GRUR International 2004, p. 771, 774). En plus, à la fin de la période d’exclusivité, tout le monde est libre d’utiliser, ce serait alors un gagnant-gagnant. De l’autre côté, les adversaires soutiennent que compte tenu de la difficulté de vérifier l’état de l’art existant, la décision finale de validité d’un brevet serait implicitement laissée à la justice. Défendre ou se défendre contre un brevet coûte cher, ce qui fait que les grandes multinationales largement avantagées par rapport aux PME et aux développeurs indépendants (Weyand, Joachim et Haase, Heiko, „Anforderungen an einen Patentschutz für Computerprogramme“, GRUR 2004, p. 198, 199). Les brevets logiciels seraient détournés de leur finalité initiale : ils servaient, pour une société, à préempter un domaine particulier dans le but d’empêcher ses concurrents d’y entrer en dressant une barrière artificielle.
Finalement, le 6 juillet 2005, le Parlement européen a rejeté la position commune du Conseil des ministres avec 648 votes pour le rejet et seulement 14 contre. Certains eurodéputés l’ont évidemment fait parce qu’ils préféraient le statut quo à une prohibition explicite des brevets logiciels. Désormais, la discussion reste vivante.
Appréciation finale
La protection automatique du jeu vidéo au niveau international revêt un caractère aléatoire. Elle est relative et dépend de l’acception de la notion de jeu vidéo en corollaire avec la protection pour celui-ci par le droit d’auteur par le pays dans lequel on cherche à exercer son droit. Cela signifie effectivement qu’un auteur ne verra pas forcément son jeu vidéo protégé de la même façon suivant qu’il cherche à exercer son droit en France ou ailleurs. Effectivement il ne ressort d’aucune convention internationale une définition unitaire des œuvres protégeables et notamment de la qualification du jeu vidéo.
Il parait souhaitable que soit établi au niveau mondial une définition de ce qui est le jeu vidéo. Puis, une qualification uniforme est également nécessaire, sachant qu’une qualification unitaire semble préférable. Par contre, comme on le voit en France, une qualification unitaire reposant sur une des composantes du jeu est trop restreinte. Il serait alors souhaitable soit de regrouper les jeux vidéo parmi les œuvres multimédia, soit de créer une protection sui generis et créer au niveau mondial ou au moins communautaire un propre système de protection.