Une procédure de discovery simplifiée par l’introduction en Angleterre des « Civil Procedure Rules » (SI 1998/3132) - par Mélanie D’ANGLEJAN CHATILLON

Le droit anglais de la preuve est caractérisé par la procédure de discovery selon laquelle les parties à un procès sont tenues de divulguer toutes les pièces se trouvant en leur possession, quelles leurs soient favorables ou défavorables. En France au contraire, les parties ne font état que des éléments de preuves au soutien de leurs prétentions. Cette opposition semble pourtant s’atténuer depuis l’introduction en Angleterre des Civil Procedure Rules.

La procédure de discovery, étape clef dans le déroulement des procès soumis au Common Law, requiert d’une partie qu’elle divulgue à la partie adverse tous les éléments de preuve pertinents au litige dont elle dispose. Il peut s’agir aussi bien de faits, d’actes, ou encore de documents qu’ils lui soient favorables ou défavorables. Notre législateur n’a cependant jamais été particulièrement attiré par cette méthode préférant, par la pratique de l’injonction de produire, une divulgation dite « utile » des pièces.

Tendant à lui donner raison, il est apparu au fil des années que la procédure de discovery générait des coûts très importants et allongeait considérablement la durée des procès. En Angleterre, ces difficultés ont été soulignées en Juin 1993 par le rapport Heilbron/Hodge à la suite duquel les Civil Procedure Rules ont été adoptées en vue de simplifier la procédure de discovery. Depuis leur entrée en vigueur le 26 Avril 1999, le terme de « discovery » n’est d’ailleurs plus utilisé mais a été remplacé par celui de « disclosure » et « inspection of documents ».

En ayant à l’esprit la pratique française qui reste focalisée sur la seule production des éléments de preuves aptes à soutenir les prétentions des parties, la procédure de disclosure apparait aujourd’hui comme très intéressante, en ce qu’elle garantit davantage d’égalité entre les parties, et abrège un procès en permettant l’élimination de certains points qui ne sont pas véritablement contestés.

Nous allons tout au long de ce billet examiner et comparer les règles applicables dans chacun des deux systèmes de droit, afin d’établir leurs différences et, s’il y en a, leurs similitudes. L’objectif étant d’évaluer dans quelle mesure la nouvelle procédure civile anglaise est susceptible d’influencer notre droit.

I- De profondes différences qui confirment la particularité des deux systèmes de droit.

C’est au cours de l’instruction de l’affaire, c'est-à-dire avant le début du procès, que la question de la communication des pièces se pose.

La divulgation de tous les éléments de preuves. En Angleterre, cette phase de pre-trial est caractérisée par la procédure de discovery. Il s’agit comme nous l’avons signalé, d’une période pendant laquelle chaque partie peut exiger de l’autre qu’elle lui transmette les documents ou toutes autres sortes de pièces dont elle dispose, incluant celles qui peuvent lui être préjudiciables. Réaffirmant cette règle, la Queen’s Bench Division (Cour supérieure de Justice) a jugé dans un arrêt Compagnie Financière et Commerciale du Pacifique v. Peruvian Guano de 1982 (11 QBD 55 à 63) que « tout document, contenant des informations qui seraient favorables à la situation d’une partie à l’instance ou qui permettraient de témoigner d’un fait contre la partie adverse, doit être divulgué ». Ce principe a été repris par l’article 31.6 des Civil Procedure Rules qui impose à une partie de « divulguer (a) les pièces sur lesquelles elle fonde ses prétentions, (b) les pièces qui vont à son encontre, (c) les pièces qui affectent de manière négative la situation d’une tierce personne ou (d) qui l’affecte de manière positive. » Cette obligation a un champ d’application large puisqu’elle s’étend à tous les documents qui sont ou on été « sous le contrôle» de ladite partie. Cela comprend (Article 31.8 des Civil Procedure Rules) : les pièces étant ou ayant été en sa possession, les pièces sur lesquelles elle a ou avait un droit de possession, et enfin les pièces qu’elle a ou avait la possibilité de consulter ou de faire des copies. Il est intéressant de noter que le fondement de cette obligation de divulgation n’a été introduit que tardivement. C’est en effet l’article 1.3 des Civil Procedure Rules qui le pose en prévoyant que: « les parties sont tenues d’apporter leur concours à la justice afin de permettre à la Cour de se prononcer équitablement sur les faits qui lui sont soumis ».

Une communication volontaire. En droit français, par application du principe du contradictoire, la communication des pièces est « spontanée », comme le dispose l’article 132 du Nouveau Code de procédure civile. Ainsi, chaque partie au procès ne fait état que des éléments de preuve au soutien de ses prétentions. Cette communication volontaire se distingue de la production des pièces, dont l’objet est de divulguer un élément de preuve non soumis aux débats. La situation est la suivante : une partie connaît l’existence d’un document qui lui permettrait d’établir la réalité d’un fait allégué. Pourtant ce document est détenu par la partie adverse ou parfois même par un tiers. Pendant très longtemps notre droit a refusé la production dite forcée des pièces en matière civile. Le fondement en était le suivant : « Nul n’est tenu de prouver contre lui-même ». Cette solution traditionnelle a pourtant été renversée par la loi du 5 Juillet 1972 (Loi n° 72-626) qui a introduit dans notre Code civil un nouvel article 10 disposant que : « Chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ». Il s’ensuit que : « Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts ». Désormais, comme l’établit l’article 11 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile, « Si une partie (ou un tiers) détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin sous peine d’astreinte ».

Le rôle du juge. Nous pouvons par ce début d’analyse, constater une grande différence dans le rôle du juge. En droit français, ce dernier participe activement à l’instruction car préalablement à l’ordonnance d’une injonction de produire, il doit se prononcer sur le bien fondé de la demande. Pour cela le juge s’assure de l’existence des pièces réclamées (Cass 2e civ. 17 novembre 1993, décision n° 92-12.922) et peut par la suite refuser une requête qui ne serait pas essentielle à l’issue du litige (Article 139 du Nouveau Code de procédure civile). Enfin, lorsque la production des pièces est imposée, le juge en fixe les conditions et les garanties (Article 139 du Nouveau Code de procédure Civile). En Angleterre, en revanche, en application du modèle accusatoire, le juge semble avoir un rôle assez largement passif en ce que la responsabilité relative à l’administration de la preuve repose sur les parties à l’instance (M.R Damaska, Evidence Law Adrift, 1997, p. 74). Pourtant, malgré un rôle affaibli, le juge anglais n’est pas toujours le spectateur passif de la querelle. En effet, il est en cela intéressant de noter que, contrairement au juge français qui lui peut ordonner qu’un élément de preuve soit divulgué, le juge anglais, en vertu de l’article 31.5 alinéa 2 des Civil Procedure Rules, a le pouvoir de limiter la production des pièces. En effet, l’article dispose que: « La Cour peut dispenser ou limiter la ‘standard disclosure’ », c'est-à-dire la production des éléments de preuves énoncée à l’article 31.6 (Voir supra).

Il semble ainsi qu’en matière d’administration des pièces avant l’ouverture du procès, les règles de procédure civile anglaises et françaises sont à l’opposé les unes des autres. Pourtant, un rapprochement est susceptible de s’opérer dans certains domaines.

II- Des similitudes inattendues qui laissent supposer une convergence des droits.

L’introduction d’une injonction de produire. Le droit anglais étant, depuis l’entrée en vigueur des Civil Procedure Rules, revenu sur une procédure de disclosure stricto sensu en permettant au juge de limiter la divulgation des pièces, il est apparu indispensable de pouvoir désormais forcer les parties à produire certains documents considérés comme indispensable à l’issue du procès. L’article 31.12 dispose à cet effet que : « La Cour peut ordonner une ‘specific disclosure’. Il s’agit, comme l’explique l’article 31.12 (2), d’une injonction imposant à une partie de (a) divulguer certains éléments de preuve dont elle dispose, (b) faire une recherche spécifique ou (c) produire tous les documents obtenus dans le cadre de la recherche. Nous remarquons que l’hypothèse inscrite à l’article 31.12 (2) (a) rejoint très nettement notre production forcée des pièces de l’article 11 alinéa 2 du Nouveau Code de procédure civile.

La preuve détenue par un tiers. La difficulté que pose la divulgation d’un élément de preuve détenu par un tiers à l’instance est réglée par les deux systèmes de droit d’une manière similaire. En droit français ce sont les articles 138 à 141 du Nouveau Code de procédure civile qui donnent la règle applicable. Le premier dispose que « Si une partie entend faire état d’une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge saisi de l’affaire d’ordonner la production de la pièce ». L’article 139 poursuit : « Le juge, s’il estime cette demande fondée, ordonne la délivrance ou la production de la pièce, au besoin sous astreinte ». En droit anglais, la Chambre de Lords a affirmé dans un arrêt Norwich Pharmacal v. Customs and Excise Commissioners de 1973 (2 All E.R 943 à 973c) que « le principe d’accès aux pièces n’est pas confiné aux seules parties à l’instance mais peut être étendu aux tierces personnes détenant un document essentiel ». Cette règle a été reprise par l’article 31.17 des Civil Procedure Rules. Notons que les deux textes français et anglais exigent que la demande soit « fondée » (Article 139 du Nouveau Code de procédure civile). L’article 31.17 des Civil Procedure Rules dispose en effet que: « The application must be supported by evidence ». Nous savons qu’en droit français, cette condition est remplie dès lors que « la production est indispensable, du moins utile à la solution du litige » (Gérard Couchez, Procédure civile, 14ème édition, 2006, p. 328). L’article 31.17 (3) des Civil Procedure Rules retient lui que: « La Cour ne peut imposer une telle divulgation que lorsque (a) les pièces demandées sont susceptible d’apporter leurs soutien aux prétentions du demandeur ou d’aller à l’encontre de celles d’une partie à l’instance, et lorsque (b) la production est nécessaire à la réalisation d’un procès équitable ou pour éviter certains frais ».

L’opposition au juge. Un système aussi large d’accès aux pièces comporte bien évidemment des opposants, qui sont entre autre, les défenseurs de la confidentialité des documents. Nous pouvons donc enfin nous interroger sur la question de savoir si la partie, qui s’est vue imposer par le juge la divulgation d’une ou plusieurs pièces, est en mesure de s’y opposer? Cette hypothèse est très clairement réglementée par le droit anglais qui a mis en œuvre des privilèges ou immunités. Certains d’entre eux revêtent un caractère absolu, comme par exemple les informations protégées par le secret professionnel. D’autres font l’objet d’une balance d’intérêts. Concernant ces derniers, les Civil Procedure Rules offrent aux parties trois « échappatoires ». Le premier est inscrit à l’article 31.19 qui dispose qu’: « Une personne peut refuser de produire un document lorsque cela risquerait de porter atteinte à l’intérêt public ». Par ailleurs en application de l’article 31.3 (1), la partie peut invoquer le fait que la pièce ne se trouve plus sous son contrôle. Elle peut enfin, en vertu de l’article 31.3 (2), revendiquer que l’accès au document par la partie adverse serait disproportionné. Le droit français autorise lui aussi la remise en cause de l’injonction du juge par le biais de l’article 141 du Nouveau Code de procédure civile. Ce dernier permet au juge, « en cas de difficulté ou s’il est invoqué quelque empêchement légitime, de rétracter ou modifier sa décision ». La Cour de Cassation fait une application large de cette disposition, comme le montre l’arrêt du 14 novembre 1979 (Civ. 2e, 14 nov.1979, décision n° 78-13.120, D.1980.J.365) dans lequel la deuxième Chambre Civile a jugé que « Si le juge peut ordonner la production de pièces détenues par un tiers, il s’agit pour lui d’une simple faculté dont l’exercice est laissé à son pouvoir discrétionnaire. On ne saurait dès lors reprocher à une Cour d’appel d’avoir infirmé une ordonnance sur requête enjoignant à un tiers de produire des documents à un expert sans relever l’existence d’un empêchement légitime ». Notons cependant que la jurisprudence a posé certaines limites au principe comme en témoigne l’arrêt du 7 décembre 2004 (Civ. 1ère, 7 déc.2004, décision n° 02-12.539, D.2005.245). La Cour de Cassation a ainsi déclaré que : « Si le juge civil a le pouvoir d’ordonner à un tiers de communiquer à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission, il ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret , le secret médical constituant un empêchement légitime que l’établissement de santé a la faculté d’invoquer ».

Par ce billet nous avons pu constater à quel point l’introduction des Civil Procedure Rules a modifié la procédure de discovery. Alors qu’il y a quelques années les deux systèmes de droit s’opposaient catégoriquement en la matière, la procédure civile anglaise relative à l’administration de la preuve avant tout procès apparait aujourd’hui que comme plus proche du système français en ce que le juge peut désormais limiter la divulgation et même parfois l’imposer. Mais notre droit a aussi été largement influencé par les principes anglo-saxons. Il s’est ainsi assoupli en accroissant les pouvoirs de juge pour lui permettre, par le biais de l’injonction de produire, d’atteindre plus facilement la vérité. Pour le Professeur A. Zuckerman, la procédure de disclosure est d’une telle importance en droit anglais qu’elle serait susceptible de revêtir une signification constitutionnelle. Son objectif serait double: garantir l’exactitude d’une décision de justice au regard des faits et promouvoir une confiance dans le système procédural, afin qu’il soit considéré comme étant efficace et apte à résoudre les litiges (A. Zuckerman, Pivilege and public interest, dans C. Tapper, Crime, Proof and Punishment; Butterworths, 1981 p.248). Il existerait par ailleurs un intérêt public évident à vouloir protéger et sécuriser l’accès aux pièces car sans celui-ci il y aurait, de l’avis d’I.H Dennis, un réel danger pour la justice de rendre des décisions incomplètes et d’aboutir à une erreur judiciaire (I.H. Dennis, The Law of evidence, 2ème édition, 2002, p. 289). Nous constatons que depuis plusieurs années nos systèmes de droit sont de plus en plus incités à tendre vers un état d’harmonisation des règles applicables tant au niveau européen qu’international. Nous pouvons donner entre autre l’exemple de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles de 1980 (80/934/CEE), la Convention sur le brevet européen de 1973, ou encore la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente internationale de marchandises de 1980. A force d’être ainsi confronté aux différentes applications et interprétations du droit à l’étranger, je pense que le législateur est indirectement influencé par celles-ci.

En ce qui concerne le doit de la preuve, nous nous apercevons après cette analyse, que les parties à un procès français divulguent elles aussi des pièces favorables à la partie adverse, c'est-à-dire des éléments de preuve qui ne soutiennent pas leurs prétentions. Pourtant au lieu de les produire en début d’instruction, comme dans le cas de la procédure de disclosure, elles ne s’exécutent qu’une fois forcées par l’injonction du juge.

L’écart ne semblant plus si grand, nous pouvons légitimement nous interroger sur la question de savoir si les droits anglais et français de la preuve vont continuer à s’influencer et par là, atteindre un état d’harmonisation de leurs règles applicables?

Bibliographie:

Ouvrages spécialisés anglais:

• Practical Guide to Evidence; Christopher Allen, 3ème edition, 2004 • Evidence; Andrew L.T Choo, 2006 • Cross and Tapper on Evidence; Colin Tapper, 11ème edition, 2007 • Evidence-Student Statutes; Roderick Munday, 4ème edition, 2000 • The Law of evidence, I.H. Dennis, 2ème edition, 2002 • M.R Damaska, Evidence Law Adrift, 1997 • A. Zuckerman, Pivilege and public interest dans Colin Tapper “Crime, Proof and Punishment”; Butterworths, 1981

Ouvrages spécialisés français: • Droit judiciaire privé, Manuels Juris Classeur, Loïc Cadiet, Emmanuel Jeulan, Paris, Litec, 5ème édition, 2006 • Procédure civile, Gérard Couchez, 14ème édition, 2006 • Procédure civile : l’action en justice, le procès, les voies de recours, Mélina Douchy-Oudot, 2ème édition, 2006 • Guide pratique de procédure civile, Hervé Croze, Christian Morel, Olivier Fradin, 3ème édition, 2006 • Dalloz Action, Droit et pratique de la procédure civile, sous la direction de Serge Guinchard, 5ème édition, 2006-2007