Vers une efficacité renforcée des décisions de retour d’enfants victimes d’un enlèvement international, par Audrey Broche

Le 7 mars 2013, la CEDH a condamné la France pour non-respect d'une ordonnance de retour des enfants à leur mère entraînant la violation de son droit au respect de la vie privée et familiale. Les autorités françaises, en s'abstenant d'exécuter une décision de retour fondée en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, ne permettent pas d'assurer l'effectivité du droit international.

Le 7 mars 2013, la Cour européenne des Droit de l’Homme (CEDH) s’est prononcée sur l’exécution d’une décision de retour d’enfants dans le cadre de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après dénommée « Convention de La Haye »).

En l’espèce, une mère, ressortissante britannique résidant au Royaume-Uni, réclamait le retour de ses deux enfants retenus par leur père résidant en France. Autrefois mariés, les parents avaient divorcé il y a plusieurs années de cela. L’autorité parentale était conjointement exercée par les deux parents. La résidence habituelle était fixée au domicile de la mère. Un droit de visite et d’hébergement avait été attribué au père.

Lors d’un séjour chez leur père en France, les enfants évoquèrent leur crainte de retourner chez leur mère où ils souffraient de carences éducatives et de maltraitances. Face à ces allégations, le père des enfants décida de ne pas les renvoyer auprès de leur mère. Celle-ci saisit alors les juridictions anglaises qui qualifièrent d’illicite la rétention, ordonnèrent le retour des enfants ainsi que, considérant les risques invoqués par les enfants, leur placement sous tutelle. La mère saisit l’autorité centrale en Angleterre, conformément au règlement Bruxelles II bis et à la Convention de La Haye, qui, elle-même, saisit par la suite les autorités et juges français. Ces derniers rendirent une ordonnance de retour des enfants le 2 février 2009, confirmée par la Cour d’appel de Poitier le 16 avril 2009 puis par la Cour de cassation le 8 juillet 2010. Le père ne s’exécuta pas. Les autorités françaises ne prirent aucune mesure et ne firent aucune démarche significative pour favoriser l’exécution des arrêts et se désinvestirent peu à peu. La mère saisit donc la CEDH invoquant la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie privée et familiale en raison du manquement de l’Etat français à faire exécuter la décision ordonnant le retour de ses enfants. La Cour conclut à la violation de l’article 8 et condamne la France. 

La Cour se prononce sur deux points, l’exécution d’une décision de retour et la prise en compte de l’opposition de l’enfant, afin de renforcer l’efficacité de la Convention de La Haye.

Le contentieux en matière d’enlèvement international d’enfants est en constante augmentation et nourrit la jurisprudence. Les raisons liées à l’ampleur de ce phénomène tiennent à la mobilité des personnes, l’ouverture des frontières et l’instabilité des unions (GODECHOT-PATRIS S., « Enlèvement sur enlèvement ne vaut… », Revue Juridique Personnes et Famille, 2014).

Originairement, le déplacement illicite d’enfants au niveau international était régi par les différents droits internes. La complexité des situations en découlant a amené les Etats à conclure des accords internationaux afin de simplifier la procédure et d’accélérer le processus de retour des enfants.  La convention la plus importante dans ce domaine et qui retiendra notre attention dans ce billet est la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Le but visé par cette convention est le retour de l’enfant dans le pays où il avait sa résidence habituelle (Art 1 et 3). Selon celle-ci, un déplacement d’enfant est qualifié d’illicite lorsqu’il a eu lieu en violation d’un droit de garde exercé seul ou conjointement (Art 3). Le principe moteur est le retour de l’enfant dans son pays d’origine (Art 12). Ce principe est naturellement assorti de deux exceptions (Art 13). C’est la deuxième qui nous intéressera, à savoir, lorsqu’il existe un risque grave pour l’enfant dans le pays d’origine ou lorsque l’enfant lui-même s’oppose à son retour.

 

Le manquement des autorités internes dans l’exécution des décisions de retour d’enfants

La Convention de La Haye présente une avancée très importante dans les conflits d’enlèvements internationaux d’enfants. Toutefois, pour qu’elle soit pleinement efficace, le concours des droits nationaux en faveur de son application dans les Etats membres demeure essentiel.

  • Les législations nationales en matière d’exécution des décisions de retour

Le « talon d’Achille » de la Convention de La Haye, pour reprendre la formule d’Elisa Viganotti (« Enlèvement international d’enfant : la Cour européenne des droits de l’Homme constate la violation pour la France de l’article 8 de la Convention », Gazette du Palais, 11 avril 2013, n°101, p. 13),  réside dans son exécution. En effet la Convention de La Haye ne régit pas elle-même la question de son exécution qui relève donc des législations internes de chaque Etat membre. De fait, la difficulté majeure liée au contentieux de l’enlèvement international d’enfants tient à son exécution qui diffère selon les droits nationaux. Ce phénomène est une illustration d’un problème classique d’effectivité du droit international. L’articulation entre les différents ordres juridiques revêt ici tout son intérêt concernant la mise en exécution du droit international par les ordres internes afin d’assurer son effectivité.

En droit français, l’exécution de la Convention de La Haye est assurée par les articles 227-5 à 227-11 du Code pénal (CP) et 1210-4 à 1210-9 du Code de procédure civile (CPC). Tout d’abord, l’article 227-5 CP dispose que le parent enleveur doit être puni d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement.  Ensuite, l’article 1210-6 CPC vise explicitement le cas où la décision de retour, en cas de déplacement illicite international d’enfants, n’est pas appliquée. Le procureur de la République sera chargé de veiller à son exécution. Dans ce but, il peut requérir l’aide de la force publique et dispose d’un pouvoir d’information notamment concernant les risques planant sur l’enfant. En vertu de l’article 1210-8 CPC, il peut « - s'attacher les services de toute personne qualifiée aux fins de favoriser l'exécution amiable de la décision et de déterminer les modalités du retour de l'enfant ; - requérir toute personne qualifiée afin de vérifier la situation matérielle, familiale et sociale de l'enfant faisant l'objet de la décision de retour ; - faire procéder à tout examen médical, psychiatrique et psychologique de l'enfant qu'il estime nécessaire. ».

En droit allemand, l’exécution de la Convention de La Haye relève également de la combinaison de plusieurs dispositions. Le § 44 IntFamRVG (Loi sur l’exécution de certains instruments juridiques dans le domaine du droit international de la famille) prévoit, en cas de manquement à l’exécution des décisions prises en vertu de la Convention de La Haye, des amendes administratives (Ordnungsgeld)  ou des détentions administratives (Ordnungshaft).  Ces mesures, par leur caractère de sanction, visent à agir sur le comportement du parent enleveur (ANDRAE, Internationales Familienrecht, Nomos, 3. Auflage, 2014, p. 472). Le § 90 FamFG (Loi sur la procédure à suivre dans les affaires relatives au droit de la famille ainsi que dans les affaires relatives aux juridictions gracieuses) invite, quant à lui, à prendre des mesures coercitives lorsque les mesures préalables n’ont pas permis le retour de l’enfant. Enfin le § 213a GVGA (Règle de procédure pour les huissiers de justice) désigne l’huissier de justice comme compétent pour mettre en application les mesures coercitives visées au § 90 FamFG. A ce titre, il peut mettre en place un accompagnement pour le retour de l’enfant, perquisitionner l’appartement du parent enleveur et requérir l’aide de la police.

Les droits allemand et français présentent donc des mécanismes semblables afin de faire exécuter les décisions de retour. Ils prévoient tous deux des mesures que l’on pourrait qualifier de « préalables » (amende, emprisonnement) à l’adoption de mesures coercitives. Mais est-ce à dire que ces mesures préalables permettent d’assurer efficacement le retour de l’enfant? Il est permis d’en douter au regard de la condamnation récente de l’Allemagne pour manquement à l’exécution du droit de visite d’un père envers son fils (CEDH, 15 janvier 2015, n°62198/11, Kuppinger c/ Allemagne). Les amendes sont souvent dérisoires et d’aucun effet sur le comportement du parent en question. Le moyen le plus effectif reste la prise de mesures coercitives au travers de la désignation d’un huissier pour l’Allemagne et du procureur de la République pour la France, qui disposent tous deux de pouvoirs relativement similaires et importants afin de mettre en application une décision de retour. Cependant les Etats se montrent souvent réticents à prendre de telles mesures contraignantes.

  • L’exécution d’une décision de retour, une obligation de moyens pour l’Etat

Par sa décision, la Cour rappelle, selon une jurisprudence classique (Affaire Ignaccolo-Zenide c. Roumanie), que l’article 8 de la ConventionEDH fait peser des obligations positives sur les Etats parties. Ces obligations consistent en la prise de toutes les mesures nécessaires et adéquates possibles pour assurer le respect de la vie privée et familiale (§ 84). Outre le fait que les autorités françaises ont montré un certain désinvestissement, elles ont omis de prendre de telles mesures. Concrètement, il s’agissait pour l’Etat d’adopter des mesures coercitives. Peu importe le fait qu’elles n’auraient pas permis d’atteindre l’effet escompté, à savoir le retour de l’enfant. Il s’agit d’une obligation de moyens (POULINQUEN, « Mise en œuvre d’une décision de retour d’enfant : une obligation de moyens pour l’Etat », Revue Lamy Droit Civil, 2013, p. 40). Les Etats ne sont pas tenus quant au résultat mais quant aux moyens mis en œuvre pour l’atteindre. Il en résulte une violation de la ConventionEDH.

En imposant une obligation de moyens aux Etats, la CEDH les incite à la prise de mesures contraignantes afin d’assurer l’effectivité de la Convention de La Haye lorsqu’il y a épuisement de toutes les mesures amiables possibles. La Cour veille donc à ce que l’interaction entre les ordres juridiques international et interne assure l’effet utile des instruments internationaux.

La difficulté majeure rencontrée par les autorités nationales tient à l’attitude des enfants. L’opposition d’un être mineur n’est pas sans soulever de multiples questions très délicates.  En effet, selon l’article 13 b de la Convention de La Haye, une exception au principe de retour de l’enfant peut résulter de son opposition. Il ne s’agit là que d’une possibilité. La volonté de l’enfant est un critère très difficile d’appréciation variant en fonction de son âge et de sa maturité. Les juges de la CEDH en font une interprétation stricte. Ils décident que la volonté des enfants de rester avec leur père n’est pas déterminante pour ne pas exécuter l’ordonnance de retour (§ 95).

 

Le rôle de la volonté de l’enfant dans les procédures de retour

L’expression de la volonté de l’enfant est certes à prendre en considération mais elle ne doit pas constituer un obstacle à l’application efficace du droit international.

  • Un obstacle apparent à l’exécution des décisions de retour

Le respect de la Convention de La Haye ne se fait pas seulement par le simple écoulement du temps mais invite les Etats à arrêter des mesures positives. Le retard dans le retour de l’enfant auprès du parent lésé est en mesure d’affecter leur relation de manière irréversible (Affaires Maire et Karoussiotis). Il peut même en résulter un conflit de loyauté car le parent enleveur est en mesure d’exercer une influence négative sur la volonté de l’enfant en le persuadant de vouloir rester auprès de lui. C’est alors que l’opposition de l’enfant peut constituer un obstacle à l’application de la Convention de La Haye. Le refus de l’enfant de retourner auprès du parent lésé est-il l’expression réelle de sa volonté ou le reflet de sa loyauté envers le parent enleveur ? Une fois encore, l’articulation entre droit national et international est en plein cœur de la question. La Convention de La Haye commande de tenir compte de la volonté de l’enfant mais son appréciation relève de la compétence des juges nationaux.

En droit allemand, le § 159 FamFG oblige les juges à entendre l’enfant dans une procédure le concernant. Le caractère obligatoire de cette disposition révèle que l’expression de la volonté de l’enfant en Allemagne revêt une importance substantielle (VOMBERG / NEHLS, Rechtsfragen der internationalen Kindesentführung, C.H. Beck, 2002, p. 44).

En droit français, l’article 388-1 du Code civil, quant à lui, n’impose pas au juge d’entendre l’enfant mais énonce simplement un droit pour ce dernier à être entendu dans toutes procédures le concernant.

En droit français comme en droit allemand, et conformément aux articles 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, 13 de la Convention de La Haye et 11. 2 Du Règlement Bruxelles II bis, il est très fortement recommandé aux Etats d’écouter et de considérer l’avis de l’enfant. A cette fin, les juges devront tenir compte de deux facteurs à savoir l’âge et la maturité de l’enfant. S’il appartient aux juges nationaux d’apprécier l’expression de l’enfant, les juges de Strasbourg vont pour la première fois se prononcer sur la question en leur donnant une ligne directrice selon laquelle, si l’opposition des enfants est à prendre en compte, elle ne constitue pas un obstacle définitif à leur retour.

  • L’intérêt supérieur de l’enfant, seul critère déterminant

Les Etats sont certes invités à mettre en œuvre des mécanismes contraignants afin d’agir sur le parent enleveur, mais le recours à la violence lors de l’exécution d’une décision de retour se heurte au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce principe commande d’éviter le plus possible la prise de mesures coercitives. Bien que l’intérêt supérieur de l’enfant s’oppose à la prise de toutes mesures coercitives contre l’enfant lui-même (Affaire Ignaccolo-Zenide c. Roumanie précitée), il ne l’empêche pas, et l’encourage même, lorsqu’elle intervient en dernier recours, à l’encontre du parent enleveur (VOMBERG / NEHLS, Rechtsfragen der internationalen Kindesentführung, C.H. Beck, 2002, pp. 44-45).

Sur ce point, l’arrêt de la Cour a fait l’objet de vives critiques (SUDRE F ., « L’intérêt de l’enfant : pas si « supérieur » que çà ! », La Semaine Juridique Edition Générale n°14, 1er avril 2013, 392). Une partie de la doctrine tend à voir dans le droit de l’enfant à être entendu, une obligation pour les juges de suivre l’opinion exprimée. Mais en décidant que l’opposition ne doit pas nécessairement faire obstacle à leur retour, on ne peut que saluer la sagesse des juges de Strasbourg. Au-delà de la volonté de l’enfant, c’est son intérêt qui doit constituer le critère déterminant susceptible de faire obstacle à son retour (Affaire Neullinger et Shuruk).  Les deux notions – volonté et intérêt – ne doivent pas être confondues ! De la bouche même de la Cour, l’intérêt supérieur de l’enfant commande une certaine prudence (§ 86). En effet, ce n’est pas parce qu’il s’oppose à son retour, que c’est ce qu’il y a de mieux pour lui. Son opposition traduit souvent, comme en l’espèce, sa loyauté envers le parent enleveur, manipulant la volonté de l’enfant. La Cour de Strasbourg interprète donc restrictivement la volonté de l’enfant et incite cette fois-ci les juges nationaux à la prudence dans la considération de la volonté de l’enfant afin d’éviter tout abus possible de la Convention de La Haye. Il faut espérer que cela conduise à une évolution de la pratique dans les pays français mais surtout allemand.

 

En incitant les Etats à la prise de mesures coercitives et à la prudence dans la considération de l’opposition de l’enfant, les juges internationaux contribuent à une efficacité renforcée de la Convention de La Haye au niveau national. Plus largement, au travers de la défense des droits de l’enfant, ils participent à la mise en œuvre de cette Convention et à une convergence des droits nationaux.