L’arrêt Bundesrepublik Deutschland contre Y et Z du 7 septembre 2012: la clarification par la Cour de Justice de l’Union européenne des conditions d’octroi du statut de réfugié pour motifs religieux.
Messieurs X. et Z. sont deux individus de nationalité pakistanaise qui appartiennent à la communauté religieuse Ahmadiyya, un courant réformateur de l’Islam. Ayant fui leur pays en raison de leurs craintes d’être poursuivis du fait de l’exercice de leur religion, lequel est passible de trois ans d’emprisonnement au Pakistan, ils se sont installés en Allemagne et ont chacun sollicité l’asile et la protection en tant que réfugiés. Par décisions des 4 et 8 juillet 2004, le Bundesamt, autorité administrative compétente, a rejeté ces demandes. Les requérants ont alors introduit une action en contestation de ces décisions respectivement devant le Verwaltungsgericht (tribunal administratif) Leipzig et le Verwaltungsgericht Dresden.
Le premier a, par un jugement du 18 mai 2007, annulé la décision du Bundesamt enjoignant à celui-ci de reconnaître le statut de réfugié pour Y. Le second a rejeté le recours de Z. par un jugement du 13 juillet 2007. Les deux affaires ont ensuite été portées devant le sächsisches Oberverwaltungsgericht (tribunal administratif du Land de Saxe) qui, par décisions du 13 novembre 2008, a, d’une part, confirmé le jugement de première instance en faveur de Y, et d’autre part, infirmé le jugement du Verwaltungsgericht Dresden à l’encontre de Z.
Le Bundesamt et le Bundesauftragter (représentant des intérêts de la République fédérale d’Allemagne) ont alors formé un recours en « Revision », correspondant au pourvoi en cassation français, devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale). Ils affirment que la juridiction d’appel a fait une interprétation trop large des articles 9 et 10 de la directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 (ci-après « la directive »). La Cour administrative fédérale décide alors de surseoir à statuer et poser trois questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après « la Cour »). En substance, la Cour administrative fédérale demande à la Cour si seule une atteinte au noyau dur de la liberté de religion est susceptible de constituer un acte de persécution au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive. Elle demande ensuite à la Cour de préciser le contenu de ce noyau dur si une réponse positive est apportée à la première question. Elle demande enfin à la Cour si l’on peut s’attendre raisonnablement à ce que le requérant abandonne les actes religieux faisant naître un danger pour sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté physique, une fois rentré dans son pays d’origine.
La Cour s’est donc prononcée sur ces questions à l’occasion de l’arrêt Bundesrepublik Deutschland contre Y. et Z. rendu le 7 septembre 2012.
Quels sont les critères retenus par la Cour, dans cet arrêt, concernant les demandes d’asile et d’octroi du statut de réfugié pour des motifs de persécution religieuse ?
Afin de répondre à cette question, nous étudierons tout d’abord les critères objectifs posés par la Cour, puis nous nous attacherons à étudier les critères liés à la situation personnelle des demandeurs d’asile.
I. Les critères objectifs pour l’octroi de l’asile et de la protection au titre du statut de réfugié dans le cadre d’une violation de la liberté de religion
Nous nous attacherons tout d’abord à étudier le refus de la Cour de retenir la conception allemande du « noyau dur » (A), puis nous verrons comment la Cour exige une violation grave d’un droit de l’Homme pour qualifier une persécution (B).
A. Le refus de la conception allemande du « noyau dur »
Selon une jurisprudence constante en Allemagne jusqu’en 2007, année de transposition de la directive en droit allemand (voir point 42 de l’arrêt étudié), seules les violations graves d’un « noyau dur » (ou forum internum) de la liberté de religion pouvaient constituer une persécution au sens de l’article premier, section, paragraphe 2 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés entrée en vigueur en 1954.
En l’espèce, cette conception est aussi celle présentée par les requérants allemands. Elle a pour conséquence que seules les violations de la pratique de la religion dans la sphère privée pouvaient être qualifiées de persécutions. Dans l’arrêt étudié, la Cour de Justice se fonde sur l’article 10, paragraphe 1, sous b) de la directive pour réfuter la conception présentée par les requérants, cette directive ayant pour but d’interpréter uniformément la Convention de Genève au sein de l’Union européenne. Cet article indique que : « b) la notion de religion recouvre, en particulier, le fait d'avoir des convictions théistes, non théistes ou athées, la participation à des cérémonies de culte privées ou publiques, seul ou en communauté, ou le fait de ne pas y participer, les autres actes religieux ou expressions d'opinions religieuses, et les formes de comportement personnel ou communautaire fondées sur des croyances religieuses ou imposées par ces croyances ». Au regard de cette définition, la Cour affirme que la distinction entre le «forum internum» et le «forum externum » de cette dernière n’est ici pas pertinente. La Cour entend ainsi protéger plus largement les demandeurs d’asile pour motifs religieux en admettant une conception large de la liberté de religion qui regroupe l’ensemble des actes religieux, qu’ils soient pratiqués dans le domaine privé ou dans le domaine public.
B. La nécessité d’une « violation grave » pour qualifier une persécution pour motif religieux
Selon les termes de l’article 9, paragraphe 1, sous a) de la directive, une persécution est un acte ou un ensemble d’actes « suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des Droits fondamentaux de l’Homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la CEDH ». La Cour de Justice, dans cet arrêt, tente de clarifier cette définition en essayant tout d’abord d’exclure les actes qui ne sont pas suffisamment graves pour qualifier une persécution. Elle s’y attèle aux points 60 et 61 de l’arrêt. Au point 60, la Cour exclut les actes limitant simplement le droit à la liberté de religion sans pour autant aller à l’encontre de celui-ci. Ceci vise les dispositions prises en conformité avec l’article 52, paragraphe 1 de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, c’est-à-dire lorsque ces limitations sont prévues par la loi et qu’elles sont nécessaires et proportionnelles. Au point 61, elle exclut les actes qui , bien qu’ils violent le droit à la liberté de religion, ne sont pas suffisamment graves pour atteindre l’intensité d’une violation des droits indérogeables inscrits à l’article 15, paragraphe 2 de la CEDH. Par cette formule, la Cour entend donner un standard de gravité afin de pouvoir qualifier des actes de persécution.
La Cour donne par ailleurs une définition plus précise de cette notion au point 67 de l’arrêt étudié. Elle y explique que pour qu’il y ait persécution, il faut que la violation alléguée de la liberté de religion fasse courir un risque réel au demandeur d’asile d’être poursuivi ou soumis à des traitements ou des peines inhumains ou dégradant dans son pays d’origine. Dans cet arrêt, la Cour restreint donc la conception de persécution pour les seules violations les plus graves du droit à la liberté de religion.
Nous étant attachés tout d’abord aux critères objectifs posés par la Cour pour étudier le bienfondé d’une demande d’asile dans le cadre d’une violation du droit à la liberté de religion, nous allons maintenant aborder les critères subjectifs, c’est-à-dire liés à la personne des demandeurs d’asile.
II. Les critères liés à la situation personnelle des demandeurs d’asile sur le fondement d’une persécution religieuse
Dans cette partie, nous verrons tout d’abord la notion subjective d’acte religieux que retient la Cour (A), puis nous nous attacherons à étudier si la possibilité pour les demandeurs d’asile d’abandonner les actes religieux engendrant les risques de persécution dans leur pays d’origine peut constituer un motif de refus de demande d’asile (B).
A. La notion subjective d’acte religieux retenue par la Cour
Dans l’arrêt étudié, la Cour s’attache non seulement à définir l’étendue de la notion de religion dans le cadre des demandes d’asile en fonction de la nature publique ou privée des actes religieux, mais elle définit aussi ce qu’est un acte religieux au sens de l’article 10, paragraphe 1, sous b) de la directive. Cette disposition énonce notamment que « la notion de religion recouvre (…) les formes de comportement personnel ou communautaire fondées sur des croyances religieuses ou imposées par ces croyances ». La Cour, reprenant cette définition au point 71 de l’arrêt, en déduit que doit être qualifié d’acte religieux tout acte que le demandeur d’asile estime nécessaire pour lui-même afin de pratiquer librement sa religion, quand bien même l’observation de telles pratiques « ne constitue pas un élément central pour la communauté religieuse concernée ». Ainsi, la Cour entend encore élargir le champ d’application du droit à la liberté de religion pour le cas des demandeurs d’asile. Elle s’écarte, conformément à la directive, d’une conception dogmatique de la religion qui s’attacherait uniquement aux actes reconnus comme nécessaire au bon exercice d’une religion par la communauté religieuse dans son ensemble. Cela permet notamment de prendre en compte certains particularismes dans la pratique de religion. En l’espèce, par exemple, la communauté ahmadiyya est un courant minoritaire et réformateur de l’Islam qui, de fait, ne peut pleinement se reconnaître dans le dogme général de l’Islam.
B. La possibilité qu’aurait le demandeur d’asile d’éviter les persécutions en cessant la pratique de certains actes religieux ne peut justifier un refus de l’octroi du statut de réfugié
Au point 77 de l’arrêt, la Cour se fonde sur l’article 4 de la directive pour évaluer l’importance du risque qui pèse sur les demandeurs d’asile d’être persécutés à leur retour dans leur pays d’origine. Elle relève alors au point 77 de l’arrêt que le fait que le demandeur d’asile puisse éviter la persécution en cessant la pratique des actes donnant lieu à persécution n’est non seulement pas pertinent mais, surtout, contreviendrait à l’objectif de protection des demandeurs d’asile posé par la directive. En effet, si la Cour a fait une interprétation vaste des notions de religion et d’acte religieux, ce n’est pas pour permettre aux Etats de déjouer ces mécanismes protecteurs et de renvoyer les demandeurs d’asile dès lors que ceux-ci peuvent éviter la persécution en cessant de pratiquer les actes religieux punis dans son Etat d’origine.
Cette décision de la Cour a pour conséquence de garantir l’effectivité de la protection issue de la directive et de la Convention concernant le statut des réfugiés précitée, en interdisant aux Etats membres de renvoyer des demandeurs d’asile sur ce fondement comme ce fut le cas d’un ex-musulman, converti au christianisme, qui eut été renvoyé en Afghanistan par les autorités danoises en 2012 sur le fondement que s’il cachait sa conversion il pouvait échapper à la persécution, sans l’intervention de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (voir le communiqué publié par cette Agence le 23 octobre 2012).
Pour conclure, il faut reconnaître que les critères développés par la Cour de Justice de l’Union européenne sont plus favorables aux demandeurs d’asile que ceux posés par l’ancienne jurisprudence allemande, notamment sur les conceptions de religion et d’acte religion. Néanmoins, cet assouplissement des critères d’octroi de l’asile et de la protection au titre du statut de réfugié ne pourrait-il pas constituer une limitation à la faculté des Etats de réguler l’immigration de ressortissants d’Etats non membres de l’Union européenne ?
BIBLIOGRAPHIE :
Ouvrages :
Herdegen M., Europarecht, C.H. Beck, 13ème édition, 2011, p. 29
Pages web :
Luc Leboeuf, « Droit d’asile : L’atteinte à la liberté de religion comme persécution » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 11 septembre 2012.
Article du Centre suisse de compétence pour les droits humains du 31 octobre 2012 : http://www.skmr.ch/frz/domaines/migration/nouvelles/persecution-religieuse.html
Article de l’internationales Verbund du 10 septembre 2012 : http://www.asyl.net/index.php?id=130&tx_ttnews%5Btt_news%5D=46216&cHash=d38105c777aac1866e46276dd1f0c484
Article de Pro Asyl du 5 septembre 2012 (source allemande) :
Communiqué de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés du 23 octobre 2012 :
http://www.unhcr.se/is/fjoelmidlar/baltic-and-nordic-headlines/2012/october/19-23-october-2012.html
Conventions :
Convention de Genève relative au statut des réfugiés signée le 28 juillet 1951 et entrée en vigueur le 22 avril 1954
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée le 7 décembre 2000