Des responsabilités pénales et civiles, et des réparations dues aux dommages de pollution par hydrocarbures - Analyse comparative de l’affaire du Prestige et l’affaire similaire de l’Erika au miroir des droits français et espagnol
Le 13 novembre 2002, le navire pétrolier Prestige a subi un accident au large des côtes de Galice, dans le nord de l’Espagne. Cet évènement provoqua le déversement en pleine mer des 77000 tonnes de fioul que le navire, âgé de plus de 20 ans, transportait. Avant de sombrer, ce pétrolier appartenant à l’armateur grec Mare Shipping domicilié au Libéria, et battant pavillon de complaisance des Bahamas, avait erré durant plusieurs jours dans le sud du golfe de Gascogne alors qu’il était en détresse et souffrait une brèche dans sa coque.
Au même moment, la direction de la marine marchande espagnole refusa son entrée dans un port de la côte nord, préférant la solution du remorquage au large. Malheureusement, la coque du pétrolier ne résista pas aux conditions hivernales et le navire finit par se briser en deux au nord du Cap Finisterre (Espagne). Ce seront près de 3000 km de côtes qui seront pollués en raison des courants répandant le fioul lourd du Portugal à la Bretagne (García Rubio, La responsabilidad por los daños causados por el hundimiento del prestige, 2007, p. 23s.).
Hélas, ce désastre n’était pas le premier ; trois ans auparavant, c’est l’Erika qui subit les mêmes vicissitudes - avec des conséquences équivalentes pour les côtes de Bretagne.
« Un mal pour un bien », pourrait-on dire, beaucoup espérèrent, déjà avec l’Erika, et plus que jamais avec le Prestige, que ces tristes évènements pussent servir à prévenir et empêcher d’autres situations à haut risque. Conscients de la faiblesse relative des victimes face à des opérateurs économiquement puissants, les juges français et espagnols se sont placés tous deux dans une dynamique de réparation du préjudice écologique subi, à travers des jurisprudences indéniablement favorables aux victimes. Ces juges ont eu à cœur de dédommager au maximum les victimes mettant en question la déresponsabilisation invoquée par certains acteurs. Ainsi ces acteurs n’ont-ils pas hésité à utiliser notamment les mécanismes de limitation de responsabilité civile prévus par certaines conventions, comme la convention de 1992 sur la responsabilité civile régissant la responsabilité des propriétaires de navires au titre des dommages de pollution par les hydrocarbures.
En comparaison du droit français, les juges espagnols fondent-ils la responsabilité des acteurs et le dédommagement des victimes du Prestige sur les responsabilités pénales spéciales, ou sur la responsabilité civile ?
Il sera ici question de comparer la façon dont les juridictions françaises et espagnoles articulent les impératifs de sanction des acteurs concernés (I), et de réparation des parties civiles (II).
I- Détermination des responsabilités spéciales pénales des principaux opérateurs concernés
Les incidents de contamination marine en raison d’hydrocarbures en général, et celui du Prestige tout particulièrement, posent des questions diverses et complexes notamment du point de vue du droit de la responsabilité pénale des intervenants que ce soit pour le capitaine (A), pour l’armateur (B) ou même pour la direction de la marine marchande espagnole (C).
A - De la responsabilité pénale du capitaine du navire
La grande ordonnance de Colbert d'août 1681 consacrait déjà « les qualités requises d'un capitaine : talent de navigateur, négociant et meneur d’hommes ». L’ordonnance sur la marine de 1681, dite Ordonnance de Colbert (ministre du commerce), est un recueil de règles élaboré en France sous l’égide de Louis XIV. A cette époque-là, il existait une volonté de suprématie des Nations sur la mer. Dès lors cette ordonnance aura pour ambition de réglementer toutes les questions relatives à la mer (les contrats, les espaces, la police du littoral…). Colbert va de plus chercher à rapprocher la marine marchande de la marine de guerre (La Royale) avec des institutions communes. Cette Ordonnance connaîtra un rayonnement considérable en Europe et à travers le monde, servant de base à la rédaction du Code de commerce sous la Révolution française. Ainsi, ces « qualités requises » sont-elles encore très présentes dans le droit maritime actuel. De même, le capitaine pour manquement à ses obligations pourra voir sa responsabilité engagée. (Bonassies Pierre, Scapel Christian, Droit maritime, 3ème édition, 2016, p. 244, 246, 264).
S’agissant de la responsabilité pénale du capitaine en matière de pollution marine par hydrocarbures, celle-ci obéit à un régime spécifique qui a suivi les législations environnementales renforcées après les catastrophes de l’Erika et du Prestige.
Conformément aux faits relatés dans la décision de la Cour Provinciale de La Corogne en date du 13 novembre 2013, la Cour suprême de Madrid, dans son arrêt du 14 janvier 2016, a déclaré le capitaine du Prestige coupable d’un délit commis contre les ressources naturelles et l’environnement conformément à l’article 325 du Code pénal espagnol, auquel s’ajoute la circonstance aggravante prévue à l’article 327 de celui-ci en raison du préjudice irréversible ou catastrophique dû à l’accident commis à la suite d’une imprudence grave. Selon sa jurisprudence, la Cour entend par imprudence grave « toute conduite impliquant un oubli total et absolu des normes les plus élémentaires de prévision et de prudence » (Cour suprême en date du 29 décembre 1998).
Selon la Cour, l’imprudence grave est constituée, au regard de l’état général du navire, des mauvaises conditions météorologiques et de navigation.
De plus, la décision comporte de nombreuses déclarations soulignant la particulière gravité de l’imprudence commise par le capitaine, affirmant que non seulement il a assumé une navigation risquée, mais également qu’il a provoqué un risque grave « excédant ce qui est permis […] dans une situation où il lui était tout à fait impossible de le contrôler […] il ne pouvait donc pas garantir la sécurité du navire devant un si fort contretemps […] à l’origine de l’effondrement de la machinerie et la fracture de la coque. Avarie ne pouvant être considérée comme improbable, en sachant d’autant plus l’âge du navire ». Il aura donc contribué à l’augmentation du risque par des agissements ayant un impact décisif non seulement sur la capacité de résistance du navire mais également sur la difficulté de son sauvetage. La Cour se base entre autres sur les preuves apportées lors du jugement de la Cour Provinciale de La Corogne, indiquant que le capitaine avait reçu l’ordre de procéder au remorquage du navire à cinq reprises. Or, le capitaine a répondu aux ordres avec « réticence, en indiquant qu’une autorisation préalable de l’armateur était nécessaire » (Arroyo Ignacio, Curso de derecho marítimo : (ley 14/2014, de navegación marítima), 2015, p.769).
L’Union Européenne, en souhaitant davantage organiser la répression des pollutions par les hydrocarbures, a mis en place un système renforçant au niveau européen le dispositif de la Convention internationale de 1973 pour la prévention de la pollution par les navires, telle que modifiée par le Protocole de 1978 (Bellayer-Roille Alexandra, Annuaire de droit maritime et océanique, 2003, p. 134, 184).
En droit français, après transposition de la Directive 2005/35/CE du 7 sept. 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l'introduction de sanctions en cas d'infractions, est fait application du code de l’environnement, modifié par les lois du 3 mai 2001 et du 1er août 2008 alourdissant les sanctions déjà sévères de la loi du 5 juillet 1983. Ainsi, en tant que responsable de la conduite du navire, le capitaine devient le premier concerné par la responsabilité pénale en la matière, en témoigne la formulation de l’article L. 218-11 du code de l’environnement qui « punit de 50 000 € d’amende le fait, pour tout capitaine (…) à bord d’un navire de se rendre coupable d’un rejet de substance polluante ». Dans certains cas les peines peuvent atteindrent 15 millions d’euros d’amende pour le capitaine en fonction de la taille du navire et du nombre de tonneaux. Néanmoins, ces dispositions ont rarement été utilisées, la peine d’emprisonnement à l’encontre du capitaine du navire n’a été prononcée que dans deux affaires (Kalhed Ibn Whaleed 2004, et Mega express II 2005). Dans une autre affaire, le 1er juillet 2009, le Tribunal corectionnel de Brest a prononcé à l’encontre des capitaines des navires des amendes record dans deux affaires (Al Esraa, et Valentia 2009). A contrario, dans l’affaire Erika le capitaine du navire a été relaxé par les juges d’appel. En effet, le Tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 16 janvier 2008 a décidé de relaxer le capitaine du navire ; ce tribunal s’est livré à une analyse très subtile, remontant tous les maillons de la chaîne du transport maritime pour identifier ceux dont les défaillances étaient à l’origine du naufrage (Le Couviour, Karine, La Semaine Juridique Edition Générale n° 6, 6 février 2008, act. 88).
Traditionnellement, la responsabilité pénale était canalisée sur le capitaine ou le responsable à bord (Beurier Jean-Pierre, Droits maritimes, 2015-2016, p. 430, 432). Depuis la loi du 1er Août 2008, le cercle des personnes pénalement responsables n’a cessé de s’élargir.
Le capitaine n’étant plus le « seul maître à bord après Dieu », il n’est donc plus l’unique responsable potentiel, en témoigne l’armateur du navire.
B - De la responsabilité pénale de l’armateur du navire
Quant à la responsabilité pénale de l’armateur du navire, la Cour suprême ne se prononce pas. Néanmoins, elle estime certain que le comportement du capitaine n’est pas le seul à avoir provoqué le déversement.
Sans pour autant nier la probable imputabilité de l’armateur du navire (mais également d’autres personnes qui avaient l’obligation de maintenir le navire en bon état de navigabilité, comme par exemple la figure de l’armateur gérant), la Cour suprême ne se penche pas sur sa responsabilité pénale pour la simple et bonne raison qu’aucune accusation formelle n’a été présentée à cet effet durant l’Instance, a contrario de l’affaire Erika où la Cour de cassation approuvant les juges d’appel français, avait retenu la responsabilité pénale de l’armateur-gérant en charge du navire pollueur pour négligences graves, et manquement à son devoir d’alerte (Bonassies Pierre, Scapel, Droit maritime, 3ème édition, 2016, p. 325, 326).
De manière générale, en droit français, l’article L.218-23-I dispose que le tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait et notamment des conditions de travail du capitaine, décider que le paiement des amendes prononcées à son encontre, soit en totalité ou en partie à la charge du propriétaire ou de l'exploitant, entre autres l’armateur (Cour de cassation, 2 mai 2018, n°17-82.971).
En droit espagnol, l’article 386 de la LNM dispose que l’armateur pourra engager sa responsabilité sauf s’il est prouvé que le désastre écologique a été causé à cause d’une force majeure inévitable, ou bien en raison de la négligence d’une autorité responsable de la maintenance, ou de tiers (Arroyo Ignacio, Curso de derecho marítimo : (ley 14/2014, de navegación marítima), 2016, p. 769, 771).
Néanmoins, en écartant la responsabilité pénale de l’armateur, les juridictions espagnoles continuent en ce sens en éliminant la responsabilité pénale du Directeur Général de la Marine Marchande.
C - De la responsabilité pénale de l’autorité de contrôle
Enfin, la Cour suprême confirme l’acquittement de la Direction Générale de la Marine Marchande (DGMM) espagnole, prononcé par la Cour Provinciale en Instance, malgré le refus de mettre à l’abri le navire. Néanmoins, la Cour indique qu’il est probable que « l’autorité maritime ait pu se tromper, en sachant que le déversement aurait provoqué in fine une véritable catastrophe écologique, mais d’un point de vue strictement juridique, son comportement, conformément aux éléments présentés à la Cour d’Instance, ne réunit pas les conditions nécessaires à l’identification d’un quelconque délit contre l’environnement ». En Espagne, le contexte d’urgence et d’incertitude suffit à la Cour pour prononcer l’acquittement de la DGMM.
Ce problème avec l’autorité maritime ne s’est pas posé dans l’affaire de l’Erika, ce qui constitue une des différences existant entre les deux catastrophes.
A présent que les aspects pénaux ont été abordés, il convient de se pencher sur l’engagement de la responsabilité civile des acteurs du désastre et la difficulté quant à sa délimitation.
II - Les aspects civils des réparations et indemnisations dues aux victimes
Face au risque de déresponsabilisation permis par la CLC/92, les juridictions française et espagnole retiennent les responsabilités civiles du capitaine (A) et du propriétaire (B). De plus, la responsabilité de l’assureur dans l’affaire du Prestige est également retenue (C). Néanmoins, deux juridictions font utilisation du mécanisme d’indemnisation complémentaire (D), dans le but d’indemniser au maximum les victimes.
A - De la responsabilité civile du capitaine
La Cour suprême reconnaît l’applicabilité de la Convention de 1992 sur la responsabilité civile régissant la responsabilité des propriétaires de navires au titre des dommages de pollution par les hydrocarbures (CLC/92). En vertu de cette convention, la responsabilité objective du propriétaire est établie, ce qui signifie qu’il est responsable même s’il n’a pas commis de faute. Cela écarterait donc la possibilité d’exiger la responsabilité civile du capitaine si toutefois les préjudices n’étaient pas le résultat du fait « qu’un tiers a délibérément agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un dommage ».
En droit français, comme l’indique le Code disciplinaire et pénal de la marine marchande, le capitaine est le préposé de l’armateur, chargé de la conduite et du commandement d’un navire de commerce. En l’espèce, l’armateur peut exonérer sa responsabilité propre en cas de faute nautique de son capitaine et bénéficier des « limitations de responsabilité » prévue par la Loi du 18 juin 1961 et la Convention de Bruxelles de 1924 dans lesquelles il est prévu que l’armateur ne réponde pas des fautes nautiques du capitaine.
De plus, l’article L. 5412-2 du Code des transports indique que « le capitaine répond de toute faute commise dans l’exercice de ses fonctions » (Delebecque Philippe, Droit maritime, 2014, p. 229). Néanmoins, la CLC/92 rend le propriétaire du pétrolier responsable du dommage de pollution, et non le préposé de ce dernier, entre autres le capitaine du navire, sauf en cas de faute inexcusable. De plus, il s’agit d’un problème renouvelé par un arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 25 février 2000, l’arrêt Costedoat, où il est indiqué que le capitaine « qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui est impartie par l’armateur n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers ».
En l’espèce, la Cour suprême rappelle que le capitaine du navire avait accepté d’embarquer et de réaliser le voyage en sachant, non seulement qu’il était possible que la résistance structurelle de la coque du navire s’avère défectueuse provoquant ainsi un naufrage, mais plus spécifiquement que cela allait être véritablement le cas, mettant délibérément de la sorte en danger sa propre vie et celle des membres de l’équipage, c’est à ce titre que la Cour suprême fait application de la CLC/92.
A contrario, les juges français considèrent que la CLC/92 n’a aucune incidence sur l’application au capitaine de la « doctrine Costedoat », alors même qu’il aurait commis une faute de témérité/faute inexcusable, l’essentiel étant le respect des « limites de la mission ». Il est ici possible de constater une fois encore la volonté des juges français de se concentrer sur l’ensemble des acteurs, en limitant au maximum tout système de canalisation permis par la CLC/92 (Bonassies Pierre, Scapel Christian, Droit maritime, 3ème édition, 2016, p. 263, 264).
Tout comme pour le capitaine, la Cour suprême fait à nouveau application du CLC/92 et de son principe de canalisation de la responsabilité pour le propriétaire du navire.
B - De la responsabilité civile du propriétaire du navire
Le principe de canalisation de la responsabilité interdit toute action en réparation pour dommage par pollution, non seulement contre les préposés ou mandataires du propriétaire, mais également contre « les membres de l’équipage, le pilote ou toute autre personne qui, sans être membre de l’équipage, acquitte de services pour le navire » (art. III 4, b). Néanmoins, il convient de rappeler que les immunités accordées ne sont pas absolues. Comme il a été constaté préalablement, la responsabilité du capitaine peut être mise en cause en cas de faute volontaire ou de faute de témérité (« faute inexcusable » pour reprendre la jurisprudence française de Costedoat).
La Cour déclare le propriétaire du navire responsable civilement mais de façon « subsidiaire » conformément à l’article 120.4 du Code Pénal espagnol. En droit espagnol de la responsabilité civile, il y a une distinction entre responsabilité principale ou directe, et responsabilité subsidiaire. Le responsable subsidiaire répond des agissements de ses subordonnés ayant agi pour son compte. Néanmoins, la Cour espagnole rappelle également la possibilité pour le propriétaire de voir sa responsabilité limitée, à condition qu’il soit prouvé que l’accident n’ait pas été provoqué par une action ou une omission sienne (Arroyo Ignacio, Curso de derecho marítimo : (ley 14/2014, de navegación marítima), 2015, p. 778, 786, 789). En l’espèce, il en va tout autrement, la Cour considère que le propriétaire Mare Shipping Inc. a commis une faute ou une négligence civile, prouvant qu’il aurait agi de « façon téméraire, en minimisant volontairement les risques graves qu’impliquaient ses agissements » (Goñi Etchevers José Luis, Temas de Derecho marítimo, 2016, p. 189).
Il en est de même pour l’Erika ; la Cour de cassation a jugé que le propriétaire ayant commis une faute de témérité ne pouvait donc pas se prévaloir de la protection de la CLC/92 sur la responsabilité civile, au même titre que le président de la société gestionnaire du navire, la société de classification, et l’affréteur Total SA.
Malgré la canalisation prévue par la CLC/92, les victimes peuvent agir également contre l’assureur qui a imprudemment accordé à un navire en mauvais état l’attestation nécessaire à son exploitation (Bonassies Pierre, Scapel Christian, Droit maritime, 3ème édition, 2016, p. 397).
C - De la responsabilité civile de l’assureur
Aux termes de la CLC/92, tout pétrolier doit être couvert par une assurance, ou une autre garantie financière (par exemple le cautionnement). L’obligation d’assurance figure à l’article L. 5123-2 I du Code des transports français (Bonassies Pierre, Scapel Christian, Droit maritime, 3ème édition, 2016, p. 412, 991), et 254 de la loi des ports de l’Etat et de la marine marchande espagnols, Ley de Puertos del Estado y de la Marina Mercante.
Dans la décision commentée, il s’agit du London Protection and Indemnity Club. Cet assureur a constitué un fond d’indemnisation d’un montant de 22.777.986 Euros, correspondant à la taille du « Prestige » en tonnage brut, s’agissant de la somme maximale en matière de responsabilité directe du propriétaire et de son assureur, conformément à la CLC/92, n’admettant « aucune exception ».
Néanmoins, l’assureur était parvenu à un accord de police d’assurance avec l’assuré couvrant une somme pouvant aller jusqu’à un billion de dollars (Gabaldón, José Luis, « Artículo de José Luis Gabaldón sobre la reciente sentencia del prestige », 5 février 2016).
Or, la Cour désireuse de dédommager au maximum les victimes, déclare la responsabilité civile directe de l’assureur impliquant une sanction d’un montant « limité à 1 billion de dollars ». Elle fait ainsi une application directe de l’article 117 du Code Pénal espagnol, en écartant la limitation pourtant prévue dans la CLC/92. De façon plus ou moins convaincante, elle justifie sa décision en indiquant que « l’assureur a décidé de se maintenir en dehors du procès (…) démontrant ainsi sa volonté de ne pas se défendre […] qu’il lui revenait donc d’assumer les conséquences de son manque de diligence durant le procès ».
En ne faisant pas application du fonds de limitation prévue dans la CLC/92, supérieure dans la hiérarchie des normes au Code Pénal espagnol, la Cour méconnaît le principe du iura novit curia.
En droit français, pour obtenir les mêmes effets, les dispositions de la CLC/92 doivent être complétées par l’article L. 5123-4 du code des transports impliquant la responsabilité de l’assureur qui n’a pas contrôlé la sécurité du navire assuré. De plus, conformément à l’article 4.1 du Règlement européen du 11 juillet 2007, la loi applicable est celle du pays où le dommage de pollution survient. Ainsi, la responsabilité de l’assureur ayant accordé de façon téméraire son certificat d’assurance au navire pourrait être engagée sans limitation, l’assureur du navire ne faisant également pas partie des personnes « protégées » par l’article III.4 de la CLC/92.
Une fois ces responsabilités établies, il a été question autant pour les juges français qu’espagnols de se pencher sur d’autres mécanismes d’indemnisation en raison de l’ampleur des dommages, démontrant une fois de plus l’insuffisance des moyens existants.
D - L’indemnisation par le Fonds International d’Indemnisation
Le Fonds International d’Indemnisation des Dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL/1992) est alimenté notamment par des contributions versées par toute entreprise qui a reçu des quantités totales d’hydrocarbures transportées par mer supérieures à 150.000 tonnes par an.
La Cour déclare qu’en application de l’article 4.1 du FIPOL/92, le Fonds ne sera tenu d’indemniser que les limites établies expressément. La limite de cette responsabilité s’établit en fonction du maximum établi par la CLC/92, en l’espèce 135 millions d’unités de compte.
L’objet principal du FIPOL est d’apporter aux victimes de pollution une contribution complémentaire à la réparation (Robert Sabrina, L'Erika. Responsabilités pour un désastre écologique, 2003, p. 53, 74). Malgré tout, ces fonds sont insuffisants. Ainsi, après les sinistres du Prestige et de l’Erika, la Commission des Communautés, sous la pression de certains États membres, dont la France, a envisagé la mise en place d’un fonds communautaire qui aurait porté la contribution des entreprises pétrolières à un milliard d’euros (Bonassies Pierre, Scapel Christian, Droit maritime, 3ème édition, 2016, p. 406).
Bibliographie consultée
Ouvrages
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Articles
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Jurisprudence
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Webographie
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Casas Jésus, 18 novembre 2013, blog Hay derecho, « El caso Prestige : ¿Puede causar una injusticia una sentencia ajustada a Derecho ? ».<http://hayderecho.com/2013/11/18/el-caso-prestige-puede-causar-una-injus...
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Le Monde, 25 septembre 2012, « ‘Erika’ : la Cour de cassataion confirme la condamnation de Total ». <http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/09/25/la-cour-de-cassation-co...
Pérez Fernando, 26 janvier 2016, « El Supremo condena al capitán del ‘Prestige’ por daño ambiental ». <https://politica.elpais.com/politica/2016/01/26/actualidad/1453809050_90...
Site Eurogers, « Après l’Erika… le Prestige : que fait l’Union Européenne pour la sécurité maritime ? ».<http://www.eurogersinfo.com/art702.htm>