A propos de la Réserve des Etats-Unis à l'Article 6 §5 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques par Cécile Bertaux
L'article 6 §5 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques prévoit que « la peine de mort ne doit pas être imposée pour les crimes commis par des personnes de moins de 18 ans ». En ratifiant le Pacte, les Etats-Unis ont émis une réserve à cet article, alors que la France a préféré abolir la peine de mort. Elle cependant émis d'autres réserves au Pacte et a, avec dix autres Etats, objecté à la réserve américaine. Cet exemple sert de point de départ pour tenter de cerner les positions réciproques des Etats-Unis et de la France sur la pratique des réserves aux traités relatifs aux droits de l'Homme.
Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) a été adopté le 16 décembre 1966 par l'Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution 2200 A (XXI) et est entré en vigueur le 23 mars 1976, suivant la 35ème ratification. Il a été ratifié par la France en 1980 et par les Etats-Unis en 1992. L'article 6 §5 du Pacte prévoit que « la peine de mort ne doit pas être imposée pour les crimes commis par des personnes de moins de 18 ans et ne devra pas être pratiquée sur des femmes enceintes ». Or, jusqu'en 2005, les Etats-Unis appliquaient encore la peine de mort sur des criminels mineurs au moment des faits. Pour rendre le droit international compatible avec le droit interne, le Sénat américain, en ratifiant le Pacte, a donc émis une réserve à son article 6 §5 en déclarant que « Les Etats-Unis se réservent le droit, sous réserve des limitations imposées par leur Constitution, de prononcer la peine de mort contre toute personne (autre qu'une femme enceinte) dûment reconnue coupable en vertu de lois en vigueur ou futures permettant l'imposition de la peine de mort, y compris pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans ». La France a choisi d'abolir la peine de mort pour rendre son droit interne compatible avec le droit international, mais a émis des réserves à d'autres articles, dont à l'article 27 sur la protection des minorités. Au regard de ces deux réserves, qui des Etats-Unis ou de la France utilise la pratique des réserves de façon plus extensive, à la fois quantitativement et qualitativement? La nature particulière des traités relatifs aux droits de l'homme affecte-t-elle les attitudes respectives de ces deux Etats vis-à-vis de la pratique des réserves? Les Etats-Unis et la France sont tous deux des Etats monistes, mais en pratique, mettent-ils en oeuvre cette conception avec la même rigueur? La réserve des Etats-Unis à l'article 6 §5 du PIDCP sert de point de départ pour tenter de cerner les positions réciproques des Etats-Unis et de la France sur la pratique des réserves aux traités relatifs aux droits de l'homme. Nous remarquerons que les Etats-Unis et la France ont tous deux profité de la possibilité d'émettre des réserves au Pacte, mais que les Etats-Unis en ont fait une pratique plus extensive. Nous verrons ensuite que ces deux Etats monistes ont pourtant choisi des solutions différentes face à une incompatibilité de leur droit interne avec le droit international. Enfin, nous finirons sur la timide opposition de la France à la réserve des Etats-Unis comme étant incompatible avec l'objet et le but du Pacte.
Les Etats-Unis et la France ont tous deux profité de la possibilité d'émettre des réserves au Pacte, mais les Etats-Unis en ont fait une pratique plus extensive. L’article 2 §1 d) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités définit une réserve comme étant « une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un Etat quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet Etat ». Certaines conventions interdisent les réserves ou encadrent la faculté d'en émettre par une clause spéciale. D'autres conventions, comme le PIDCP, ne prévoient rien sur la question des réserves. Cependant, le Comité des Droits de l'Homme (CDH) créé par le PIDCP a adopté un Commentaire Général n°24 le 2 novembre 1994 sur la question des réserves au Pacte, dans lequel il a confirmé la pratique subséquente des Etats reflétant l'acceptabilité des réserves. Au moment de la ratification du PIDCP, les Etats-Unis ont ainsi limité sa portée en y introduisant de nombreuses réserves, en particulier à son article 6, mais ils ont également formulé la seule réserve jamais faite à l'article 7 du Pacte, qui prohibe la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans la mesure où cette disposition peut s'appliquer à la peine capitale. William A. Schabas remarque que ces réserves aux dispositions sur la peine capitale sont les plus extensives jamais faites à un traité sur les droits de l'homme, au sens où les Etats-Unis laissent ouverte la possibilité d'exécution des handicapés mentaux sévères par exemple. Par sa décision Roper v. Simmons (543 U.S. 551) rendue le 1er mars 2005, la Cour Suprême des Etats-Unis a aboli la peine de mort pour les criminels mineurs au moment des faits, non pas au vu de son interdiction en droit international, mais au vu de son inconstitutionnalité. Elle a en effet été déclarée contraire au 8ème Amendement à la Constitution sur l'interdiction des châtiments cruels ou disproportionnés. Entre 1992 et 2005, cette réserve à l'article 6 §5 du Pacte permettait donc aux Etats-Unis d'exercer la peine de mort sur toute personne sauf sur les femmes enceintes. La France, pour sa part, a émis huit réserves et déclarations au PIDCP, dont une réserve à l'article 27. Cet article dispose que « Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. » Le Gouvernement français a déclaré « compte tenu de l'article 2 de la Constitution de la République française, que l'article 27 n'a pas lieu de s'appliquer en ce qui concerne la République. » Bien que cette réserve peut se justifier au regard de l'attachement de la France à sa forme républicaine, elle ouvre, comme la réserve américaine mais de façon peut-être moins apparente, la porte à de graves abus. En 1994 dans son Commentaire Général, le CDH a noté qu’à ce moment là, 46 des 127 Etats parties au PIDCP avaient formulé à eux tous 150 réserves au Pacte. Or, cette pratique semble porter atteinte à l’intégrité du traité. D’un autre côté, la pratique des réserves permet d’étendre la participation aux traités relatifs aux droits de l’homme à des Etats qui refuseraient sinon d’y être liés, et c'est cette tendance qui semble avoir prévalu. Par exemple, alors que la France aurait pu se passer de sa réserve à l'article 27 sans trop grande difficulté, les Etats-Unis n'auraient peut-être pas ratifié le Pacte s'ils n'avaient pu se réserver le droit d'appliquer la peine de mort sur des personnes mineures au moment des faits. Le Comité a également parlé dans son Commentaire Général de l’inadéquation du régime des réserves défini par la Convention de Vienne aux traités relatifs aux droits de l’homme. En effet, dans ce domaine, la nature conditionnelle des réserves pose problème en mettant en cause l'objectivité des droits intangibles protégés par ces traités. Les réserves à ces traités ne doivent donc pas être prises à la légère.
Les Etats-Unis et la France, tous deux des Etats monistes, ont pourtant choisi des solutions différentes face à une incompatibilité de leur droit interne avec le droit international. L'article 6 §2 de la Constitution américaine prévoit que les traités dont les Etats-Unis sont partie sont la «Loi suprême du Pays» et sont supérieurs aux Constitutions et lois des Etats. Les traités sont ainsi directement applicables en droit interne selon une conception moniste. La France est également un pays moniste dont l'équivalent à l'article 6 §2 est l'article 55 de la Constitution française de 1958, selon lequel « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, (...)». Lors de l'élaboration du PIDCP, la délégation des Etats-Unis a fait valoir sa crainte que le Pacte ait plus d'impact dans le droit interne des Etats monistes que dans celui des Etats dualistes, ce qui créerait ainsi un risque d'inégalité. Or ceci n'est justement pas le cas des Etats-Unis, qui utilisent des subterfuges pour limiter l'applicabilité des conventions relatives aux droits de l'homme. De 1952 à 1957, le Sénateur John W. Bricker de l'Ohio a mené une campagne visant à contourner la prépondérance des traités aux Etats-Unis et a proposé un amendement à la Constitution allant dans ce sens. L'amendement Bricker n'a cependant pas passé la barre requise du vote des deux tiers du Sénat. Plus tard, les Etats-Unis ont proposé d'insérer dans le PIDCP une clause selon laquelle « les dispositions du Pacte ne sont pas d'elles-mêmes applicables en droit interne», afin de déroger à la présomption de caractère « self-executing » des traités. Finalement, cette clause n'a pas été insérée dans le Pacte, mais les Etats-Unis adoptent souvent une réserve niant toute applicabilité directe aux traités. Les Etats-Unis démontrent ainsi une préférence dualiste, alors que la France semble bien plus fidèle à son modèle moniste. La « Bricker legacy » a persisté dans la pratique américaine sous la forme de réserves faites aux traités lors de leur ratification. L'introduction de réserves apparaît en effet pour les Etats-Unis comme un moyen d'éviter l'application de certaines dispositions des traités qui seraient contraires à leurs valeurs. Le CDH, dans son Commentaire Général n°24, a remarqué que « Les réserves révèlent souvent une tendance des Etats à ne pas vouloir changer une loi particulière. Et parfois cette tendance est érigée en une politique générale». En particulier, le Comité a noté que les réserves américaines avaient pour but « de s'assurer que les Etats-Unis n'acceptaient que ce qui faisait déja partie des lois des Etats-Unis. » Les Etats-Unis sont l'une des rares démocraties à continuer à appliquer la peine de mort. Elle est en effet autorisée dans 37 Etats, ainsi que par le gouvernement fédéral et l'armée. Au contraire, elle a été abolie en France en 1981, et son abolition a été intégrée dans l'article 66-1 de la Constitution française, qui dispose que «Nul ne peut être condamné à mort». Plutôt que d'émettre une réserve à l’article 6 §5 du PIDCP, la France a pris la ratifictation du PIDCP comme une occasion d'aligner son droit interne avec le droit international et ainsi de se donner une image de « bon élève » vis-à-vis de la communauté internationale. Les Etats-Unis avaient donc une alternative à la réserve. Plutôt que d'émettre une réserve afin de rendre le Pacte compatible avec leur droit national, pourquoi les Etats-Unis n’ont-ils pas suivi l'exemple de la France et aboli entièrement la peine de mort afin de rendre leur droit national compatible avec le Pacte ? Le CDH, dans son Commentaire Général, montre une préférence pour cette deuxième solution lorsqu’il dit que « Les lois nationales peuvent nécessiter un changement approprié pour refléter les obligations du Pacte ». L’article 6 du Pacte lui-même traite la peine de mort comme une exception assortie de conditions pour les Etats rétentionnaires, et les paragraphes 2 et 6 de cet article encouragent son abolition. La France s'est timidement opposée à la réserve des Etats-Unis comme étant incompatible avec l'objet et le but du Pacte. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités qui, bien qu'entrée en vigueur qu'en 1980, reflète le droit coutumier relatif aux réserves, dispose dans son article 19 qu’ « Un Etat, au moment de signer, de ratifier, d'accepter, d'approuver un traité ou d'y adhérer, peut formuler une réserve, à moins: (...) c) que, dans les cas autres que ceux visés aux alinéas a) et b), la réserve ne soit incompatible avec l'objet et le but du traité ». Ce critère de compatibilité était alors supplétif, mais la CIJ dans son avis consultatif de 1951 sur les réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en a fait le critère de «droit commun» en affirmant que « c'est la compatibilité de la réserve avec l'objet et le but de la Convention qui doit fournir le critère de l'attitude de l'Etat qui joint une réserve à son adhésion et de l'Etat qui estime devoir y faire une objection ». Ceci a été confirmé par le CDH qui déclare dans son Commentaire Général que « le test de l’objet et du but fourni par l'article 19 c) de la Convention de... (…) gouverne la question de l’interprétation et de l’acceptabilité des réserves ». Le CDH estime que des réserves aux dispositions du Pacte représentant « des règles de droit international coutumier » seraient incompatibles avec l’objet et le but du Pacte, qui sont de « créer des normes relatives aux droits de l’homme juridiquement contraignantes ». Or, le Comité a inclus dans cette liste la prohibition de l’exécution des femmes enceintes ou des enfants. Lorsque le rapport initial des Etats-Unis a été examiné par le CDH les 30 et 31 mars 1995, le Comité a affirmé que la réserve à l'article 6 §5 était « incompatible avec l'objet et le but du Pacte » et a recommandé aux Etats-Unis de la reconsidérer dans l'optique de la retirer. Dans son Commentaire Général, le CDH affirme « qu’il incombe nécessairement au Comité de déterminer si une réserve donnée est compatible avec l’objet et le but du Pacte». Les Etats-Unis et la France ont tous deux critiqué ce commentaire, mais pour des raisons différentes. Les Etats-Unis, pour justifier de la validité de leur réserve, ont remarqué que la pratique des Etats ne fait pas de l'interdiction de la peine de mort sur les mineurs une coutume du droit international. La France a nié la possibilité pour le Comité de juger de la compatibilité des réserves puisqu'un tel pouvoir n'avait pas été expressément conféré par le PIDCP. Il revient en effet aux Etats, par le biais des objections, de juger de l'acceptabilité d'une réserve. Onze Etats de l'Union Européenne parties au PIDCP, dont la France, ont objecté aux réserves des Etats-Unis, en particulier aux articles 6 §5 et 7, comme étant incompatibles avec l'objet et le but du Pacte. Cependant, aucun de ces onze Etats n'a objecté à la réserve dans les douze mois suivant la communication de la réserve aux parties. Or, l'article 20 §5 de la Convention de Vienne dispose qu' « (...) une réserve est réputée avoir été acceptée par un Etat si ce dernier n'a pas formulé d'objection à la réserve soit à l'expiration des douze mois qui suivent la date à laquelle il en a reçu notification, soit à la date à laquelle il a exprimé son consentement à être lié par le traité, si celle-ci est postérieure. » La France n'a donc pas été à la hauteur du rôle qu'elle s'est donné de juger de la compatibilité des réserves avec l’objet et le but du Pacte. Le CDH dans son Commentaire Général a noté que « L’absence de protestation par les Etats ne peut impliquer qu’une réserve est soit compatible soit incompatible avec l’objet et le but du Pacte. » Or si la France était opposée à une telle réserve, on peut se demander si elle n'a pas agi à la lumière de son intéret à ne pas voir ses propres réserves mises en cause, comme celle à l'article 27 du PIDCP par exemple. Jusqu'en 2005, la réserve des Etats-Unis est donc restée applicable à l'encontre de la France ainsi que de tous les autres Etats parties au Pacte. Entre 1992 et 2005, les tribunaux américains ont continué de condamner des criminels à mort pour des crimes commis en dessous de l'age de 18 ans, et ont mis à exécution plusieurs telles condamnations. Dans l'arrêt Domingues v. Nevada (528 U.S. 963) du 1er novembre 1999, la Cour Suprême des Etats-Unis a considéré l'imposition de la peine capitale sur un individu âgé de 16 ans au moment de la commission du crime. Le représentant du Gouvernement a soumis à la Cour un dossier d'amicus curiae soutenant que la réserve à l'article 6 était valide et que les Etats-Unis n'étaient donc liés par aucune obligation légale coutumière au regard des exécutions de mineurs au moment des faits.
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