Appréciation de la culpabilité : l'ombre portée de la personnalité de l’accusé - par Mélanie D’ANGLEJAN CHATILLON
Le juge doit-il prendre en considération la personnalité de l’accusé lorsque se pose la question de sa culpabilité? En droit anglais, aucun élément de la personnalité de l’accusé ne peut être révélé au moment de la détermination de la culpabilité. En droit français en revanche, le juge d’instruction dispose à cet égard de nombreux pouvoirs. Il peut entre autre exiger l’ouverture d’enquêtes médicales ou encore sociales. Pourtant, l’introduction du Criminal Justice Act en 2003 a profondément transformé le droit anglais de la preuve. Depuis son entrée en vigueur en Décembre 2005, les règles traditionnelles, jusque là applicables, ont en effet été abolies. Ce billet propose un examen critique des régimes appliqués en droit français et anglais de la preuve.
Ce billet s’appuie sur l'article de Gregory Durston : “The impact of the Criminal Justice Act 2003 on prosecution evidence of defendant bad character adduced to « undermine credit »”, (2004) 16 Justice of the peace 610.
Encore récemment, les règles applicables en droit français et anglais en matière de preuve de la personnalité de l’accusé lors d’un procès pénal différaient en tout point. Dans les systèmes Romano-germaniques, la règle est que la personnalité (qui inclut les traits de personnalité, l’état de santé et le casier judiciaire de l’accusé) de l'accusé est appréciée au même moment que l’établissement des faits reprochés. Au contraire, dans les pays de Common Law, aucun renseignement sur sa personnalité ne peut être divulgué pendant la première phase du procès, c'est-à-dire pendant celle relative à la détermination de la culpabilité. En revanche, lors de la phase dite de la sentence (phase de la fixation de la peine), ces informations sont fournies au juge, lui permettant ainsi d’adapter la peine. L’idée est la suivante : le prévenu ne doit pas être jugé au regard de sa personnalité mais au regard des actes qui lui sont reprochés. Sur ce point, Lord Herschell a déclaré dans un arrêt Makin v. Attorney-General for New South Wales (1894, A.C.) que « le ministère public ne peut rapporter de preuves tendant à établir que l’inculpé a déjà été, dans le passé, condamné pour des actes criminels autres que ceux pour lesquels il est jugé actuellement, dans le but de démontrer qu’il est, en raison sa personnalité, susceptible d’avoir commis l’acte en question ».
Le droit anglais a été considérablement transformé par l’adoption du Criminal Justice Act en 2003. Preuve en est l’intitulé de l’article 99 : « Abolition of the Common Law Rules ». S’en suit une structure en trois parties : l’article 98 définit la notion de « bad character », les articles 100 et 101 établissent la règle applicable. Enfin, l’article 101 (1) (a)-(g) énonce implicitement les situations dans lesquelles l’établissement de la personnalité de l’accusé sera prohibé. Il s’agit des « seven gateways ». Cet important changement a donné lieu à un très grands nombre d’articles de doctrine dont celui de Gregory Durston, avocat et « senior conférencier » à l’Université de Kingston, spécialisé, entre autre, en Droit de la preuve.
Il apparaît très intéressant d’analyser cette réforme en tant qu’elle semble opérer un rapprochement significatif entre les règles de Common Law et les règles applicables dans les systèmes Romano-germaniques. Pourtant, l’existence de sept exceptions à la règle risque de nuancer fortement cette impression. Nous étudierons donc dans une première partie dans quelle mesure l’introduction du Criminal Justice Act a opéré un rapprochement significatif entre les droits français et anglais de la preuve (I), avant de nous pencher sur les remèdes apportés par le droit français ainsi que les limites posées par la loi anglaise et nous interroger sur une éventuelle divergence des droits (II).
I. L’adoption du Criminal Justice Act : la convergence des droits français et anglais en matière de preuve de la personnalité de l’accusé?
A. Le droit français et la possible remise en cause du principe d’impartialité.
Le droit français applicable. Le Code de procédure pénale confère au juge d’instruction un grand nombre de pouvoirs en matière de preuve de la personnalité de l’accusé. Celui-ci peut tout d’abord, par application de l’Article 81 alinéa 6, procéder « ou faire procéder … à une enquête sur la personnalité des personnes mises en examen ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale». Par ailleurs, le juge a la possibilité de demander à tous services compétents l’ouverture d’une enquête sociale (Article 81 alinéa 7). Enfin, en vertu de l’alinéa 8, le juge peut « prescrire un examen médical, un examen psychologique ou ordonner toutes mesures utiles ». Ce sont ces trois enquêtes qui forment le dossier de personnalité de l’accusé. L’Article D17 du Code de procédure pénale énumère les circonstances où la constitution d’un dossier de personnalité apparait comme particulièrement opportune: lorsque la personne mise en examen est âgée de moins de vingt-cinq ans (alinéa 1), lorsqu’elle est récidiviste (alinéa 2), lorsqu’elle a commis certains actes comme par exemple des coups et blessures volontaires ou des délits sexuels (Alinéa 3) ou encore lors d’une éventuelle prononciation de déchéance de l’autorité parentale (Alinéa 4) ou d’une décision de sursis avec mise à l’épreuve (Alinéa 5).
La remise en cause de principes fondamentaux. L’application de l’Article 81 du Code de procédure pénale pose la question de la possible remise en cause, par le droit français, de certains principes fondamentaux. Notre droit apparait tout d’abord susceptible de porter atteinte au principe même d’impartialité du juge. En effet, la simple ouverture d’un dossier de personnalité semble considérer de facto l’accusé comme étant coupable. Cette supposition, même inconsciente, risque de porter atteinte à la présomption d’innocence. Par ailleurs, dans certaines situations où le juge pourra être enclin à relâcher l’accusé « au bénéfice du doute », la présentation d’un dossier pénal risque fortement d’emporter la conviction du juge.
B. Le droit anglais et l’abolition des règles de Common Law.
L’article 99 du Criminal Justice Act. C’est pour éviter ces « débordements » que le droit anglais considérait qu’aucun renseignement relatif à la personnalité de l’accusé ne pouvait être révélé lors de l'appréciation de la culpabilité de ce dernier. Pourtant, les Common Law Rules ont été récemment abolies par l’introduction du Criminal Justice Act de 2003 (entrée en vigueur en Décembre 2005) et plus précisément par son Article 99. Désormais la règle est tout autre. L’Article 101 dispose que « Dans un procès pénal, la preuve de la personnalité de l’accusé est admissible ». Ce nouveau régime a été caractérisé par Gregory Durtson de « changement radical ». Ce dernier considère que le nouveau droit est particulièrement compliqué et crée une « confusion considérable ».
La nouvelle définition de la notion de « bad character ». La notion de « bad character » a été définie de manière large par le Criminal Justice Act. Dans un article 98, il est dit que « toutes références dans ce Chapitre à des preuves relatives à la personnalité de l’accusé seront considérées comme des preuves relatives à sa mauvaise conduite, autres que (a) les preuves liées aux faits reprochés ou, (b) les preuves relatives à une mauvaise conduite de l’accusé en rapport avec les faits qui lui sont reprochés». Le terme de « bad character » est donc considéré comme englobant tous les actes passés du prévenu, au-delà même des condamnations pénales. Le droit anglais semble sur ce point se rapprocher du droit français qui définit aussi très largement la notion de dossier de personnalité.
En opérant une profonde modification de ses règles traditionnelles, le droit anglais apparait comme beaucoup plus proche du droit français de la preuve. Désormais en effet, les deux systèmes juridiques autorisent la divulgation du dossier de personnalité au moment même de la détermination de la culpabilité du prévenu, dossier qui fait l’objet d’une définition large dans chacun des deux systèmes. Pourtant, ce sentiment de convergence des droits est nuancé par l’existence de certaines limites. Le droit français a en effet introduit des remèdes aux risques de violation de certains principes fondamentaux. De son côté le droit anglais a prévu sept exceptions à la règle générale de recevabilité de la preuve de la personnalité de l’accusé lors d’un procès pénal.
II. Des remèdes français aux « seven gateways » anglaises : vers une divergence des droits ?
A. L’article D. 16 du Code de procédure pénale.
L’ouverture facultative du dossier de personnalité. Avant toute chose, il est intéressant de noter que l’ouverture d’un dossier de personnalité par le juge d’instruction, bien que obligatoire en matière criminelle, n’est que facultative en matière correctionnelle, comme le dispose l’Article 81 alinéa 6 du Code de procédure pénale. Ceci constitue un premier « remède » aux larges pouvoirs du juge d’instruction.
Les limites apportées au risque d’impartialité. Par ailleurs, le législateur, conscient du risque de partialité pouvant être engendré par le dossier de personnalité, a expressément énoncé, à l’Article D16 du Code de procédure pénale, que le dossier de personnalité des personnes mises en examen « a pour objet de fournir à l’autorité judiciaire, sous une forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l’affaire en cours, des éléments d’appréciation sur le mode de vie passé et présent » de l’accusé. « Il ne saurait avoir pour but la recherche de la culpabilité ». Cet article pose une affirmation de principe. Pourtant, comme nous l’avons souligné dans la première partie, rien ne garantit que le juge ne soit pas, inconsciemment, influencé et tenté de prendre en considération le dossier de personnalité de l’accusé lors de la détermination de la culpabilité. Par ailleurs, cet article opère un rapprochement significatif entre les droits français et anglais de la preuve. En effet, c’était en raison de ce risque de connections entre le dossier de personnalité et la recherche de la culpabilité que les juges anglais avaient décidé de limiter la divulgation d’un tel dossier à la seule phase dite de la sanction. Pourtant, ces règles traditionnelles ne sont plus applicables aujourd’hui, comme nous l’avons précédemment mentionné. Sur ce terrain, le droit français se rapproche donc de l'état antérieur dy du droit anglais.
B. Les nombreuses limites introduites par le Criminal Justice Act de 2003.
Le nouveau droit applicable. Désormais, comme nous l’avons précédemment observé, la preuve de la personnalité de l’accusé est recevable lors d’un procès pénal. Pourtant, de nombreuses limites ont été prévues. En effet, si cette divulgation est autorisée par l’Article 101, ce n’est que « si et seulement si: (a) toutes les parties au procès acceptent la révélation du dossier de personnalité; (b) les preuves sont fournies par le défendeur lui-même ou apportées en réponse à une question qui lui a été posée lors d’un contre interrogatoire ayant pour objectif d’obtenir ladite preuve; (c) la preuve constitue une preuve explicative; (d) la preuve représente un enjeu particulièrement important dans la relation entre le défendeur et le demandeur; (e) la preuve a une valeur probatoire substantielle en rapport avec un point de particulière importance dans la relation entre le défendeur et le demandeur; (f) la preuve a pour objectif de corriger la mauvaise impression du défendeur; (g) le défendeur a remis en cause la personnalité d’une tierce personne. » Comme nous pouvons le constater, le droit anglais définit de manière très précise les circonstances dans lesquelles la révélation de la personnalité de l’accusé pourra être autorisée. Les conditions posées apparaissent comme beaucoup plus exigeantes que celles mentionnées par le droit français. En particulier, l’Article 101(b) diffère fortement de notre enquête de personnalité, celle-ci ne dépendant en effet en aucune manière, d’une acceptation quelconque de l’accusé.
Analyse des conséquences d’un tel changement. Dans son article, Gregory Durston critique ouvertement le nouveau droit, considérant « la loi comme étant désormais vague et générale ». Il estime qu’un « nombre significatif d’arrêts va être nécessaire afin d’élucider le droit applicable ». De son côté, Colin Tapper, dans un article paru en 2004 dans le Criminal Law Review, conclut son analyse par les considérations suivantes : « Les nouvelles dispositions applicables à la preuve de la personnalité de l’accusé représentent une réponse restrictive aux problèmes qu’elles présentaient. S’il elles constituent véritablement une tentative de simplification du droit applicable, elles semblent avoir difficilement atteint leur objectif. Ces nouvelles dispositions représentent une opportunité malheureusement manquée d’améliorer le droit. Ce dernier ayant fait un pas en arrière, de nouvelles réformes sont désormais nécessaires ».
Comme nous avons pu le constater tout au long de ce billet, la tendance semble s’être inversée entre les droits français et anglais en matière de preuve de la personnalité de l’accusé. En effet, alors que le droit français autorise la divulgation du dossier de personnalité au moment de la détermination de la culpabilité de l’accusé, le législateur a inséré dans le Code de procédure pénale un Article D16 qui semble faire écho aux règles de Common Law. Ces dernières ayant été abolies, le droit anglais semble aujourd’hui se tourner vers une « solution à la française » où le dossier de personnalité est « admissible » lors d’un procès pénal. Pourtant, en posant sept échappatoires à la règle principale, le droit anglais montre son intention de préserver l’esprit « Common Law ». Ainsi, même si une convergence apparente a pu être observée, chacun des droits, anglais et français, conserve ses particularités.
Bibliographie :
1) Livres spécialisés de droit anglais • Dennis, I.H., “The law of evidence”, 2ème edition, 2002 • Emson, Raymond, « Evidence », 3ème edition, 2006 • Munday, Roderick, “Evidence-Student Statutes”, • Tapper, Collin, « Cross & Tapper on evidence », 11ème édition, 2007 • Uglow, Steve, “Evidence”, 2ème edition, 2006
2) Livres spécialisés de droit français
• Ambroise-Castérot, Coralie, « La procédure pénale », 2007 • Ribeyre, Cedric, « La communication du dossier pénal », 2007 • Soyer, Jean-Claude, « Droit pénal et procédure pénale, «17ème édition, 2003 • Stefani, Gaston, Georges Levasseur et Bernard Bouloc, « Procédure pénale », 8ème édition, Précis Dalloz, 2001
3) Articles de doctrine
• Durston, Gregory, “The impact of the Criminal Justice Act 2003 on prosecution evidence of defendant bad character adduced to “undermine credit””, (2004) Justice of the Peace, 610 • Tapper, Collin, “Criminal Justice Act 2003, Evidence of bad character”, (2004) Criminal Law Report 533 • Wilcock, Peter et Joel Bennathan, “The new meaning of bad character”, (2004) New Law Journal 1054
4) Législation
• Criminal Justice Act 2003, disponible à l’adresse suivante: http://www.opsi.gov.uk/acts/acts2003/ukpga_20030044_en_12#pt11-ch1-pb1 • Code de procédure pénale, disponible sur le site : www.legifrance.fr