L’arrêt Emmott vs. Michael Wilson & Partners lève un peu plus le voile de la confidentialité dans l’arbitrage international, par Mohamad Sobh

Ce billet porte sur une décision d’une Cour d’Appel Anglaise d’autoriser dans certaines circonstances la révélation d’éléments liés à l’arbitrage, ce qui remet en question les principes implicites touchant la confidentialité de la procédure arbitrale.

Introduction

L’arbitrage international possède un avantage majeur sur le mode classique de règlement du litige : sa confidentialité. Néanmoins, avec l’expansion d’entreprises internationales, l’arbitrage fait face à un nouveau défi à la fois complexe et risqué pour l’institution qu’il représente. En effet, les conflits transfrontaliers font souvent intervenir plus d’un ordre juridique, ce qui pose problème quant à la confidentialité de la procédure devant une autre institution. Comment est-il possible dans cette situation de conserver cette confidentialité de la procédure sans pour autant utiliser ce principe dans le but d’induire en erreur une Cour étrangère ? Où en est la confidentialité aujourd’hui alors qu’elle est souvent définie de manière imprécise et parfois contradictoire ? Pourtant cette notion de confidentialité est considérée comme la base de la procédure arbitrale comme le montrent les différents instruments CNUDCI, CCI ou encore CIRDI. Selon Serge Lazareff, Président de l’institut du droit des affaires internationales d’ICC, « La confidentialité de l’arbitrage est le plus souvent présumée par les arbitres, les conseils et les parties, sans pour autant être systématiquement reconnue par les conventions d’arbitrage, les règlements d’arbitrage, ou la plupart des droits nationaux. Les réponses apportées par les droits nationaux sont ainsi multiples et fort variées, toutes traditions juridiques confondues ».

Un récent arrêt d’une Cour d’Appel Anglaise apporte une clarification sur la nature privée et confidentielle de l’arbitrage commercial en Angleterre. Dans cet arrêt, la Cour établit qu’il existe bel un bien une obligation découlant de la loi anglaise de ne révéler aucun document préparé pour et utilisé dans la procédure arbitrale comme l’affirme Lord Justice Collins « uncontroversal starting point… that English law arbitration is a private process ». Pourtant, il met en avant quatre situations où il est possible de déroger au principe de confidentialité, ce qui n’avait jamais été aussi clairement établi. Cette décision nous amène à nous interroger sur la situation en France aujourd’hui alors que ces deux pays sont reconnus comme étant des sièges privilégiés de l’arbitrage international. Après avoir examiné le contenu de l’arrêt Ermott (I) comparée à l’étendue traditionnelle de la confidentialité (II), il sera possible de déterminer les réelles conséquences en pratique d’une telle décision (III).

I/ L’arrêt Ermmott v. Michael Wilson & Partners de 2008

Cet arrêt traite de la confidentialité de l’arbitrage et pose la question de savoir si des documents produits lors d’une procédure arbitrale en Angleterre peuvent être utilisés lors d’une autre procédure. D’une part, Michael Wilson & Partners (MWP ci-après) estime que rompre la confidentialité constitue une intrusion illégale dans la procédure d’arbitrage et que cela peut avoir de conséquences importantes sur l’attrait que suscite l’Angleterre en tant que siège pour l’arbitrage. D’autre part, Monsieur Emmott estimait que le fait de ne pas révéler ces documents lors d’un procès distinct pouvait lui être préjudiciable si la cour n’avait pas tous les éléments en sa possession pour arriver à un jugement éclairé.

Dans cet arrêt, la Cour d’Appel a confirmé le jugement rendu en première instance et a ordonné la révélation des documents en question en se fondant sur le fait qu’il était contraire aux intérêts de la justice d’être potentiellement induit en erreur par une volonté de dissimuler des éléments ayant servis à la procédure arbitrale. Plus important encore, la Cour a mis en avant quatre situations dans lesquels la révélation de documents peut être valide mais cela reste à déterminer au cas par cas : - Lorsque les parties l’ont prévu - Lorsque qu’il y a une injonction - Lorsque cela est nécessaire pour la protection des intérêts légitime d’une des parties - Lorsque l’intérêt de la justice ou l’Ordre Public le justifie La Cour justifie son raisonnement en concluant que l’intérêt de la justice requiert des tribunaux la certitude que les parties à un arbitrage ne se servent du voile de confidentialité dans le but d’induire en erreur un Tribunal étranger qui aurait été saisi en parallèle avec la procédure d’arbitrage. Enfin, la Cour d’appel est arrivée à la conclusion que le juge de première instance avait le pouvoir de se pencher sur la question portant sur la confidentialité et que de ce fait il était en droit d’autoriser la révélation d’éléments ayant servi à l’arbitrage. Lord Justice Collins apporte lui-même une précision concernant l’influence qu’a pu avoir le droit bancaire dans la détermination des quatre situations donnant lieu à l’exception. En effet, depuis ces deux dernières décennies, les tribunaux britanniques ont été influencés par les principes relatifs à la confidentialité bancaire (compulsion by law, public duty, bank interest and consent of the customer) pour développer les règles régissant la confidentialité de la procédure arbitrale. Les principes de confidentialité bancaire ont été mis en avant dans un arrêt de 1924 (Tournier v National Provincial and Union Bank of England, 1 KB 461) et ont été adaptés dans le domaine arbitral pour la première fois dans l’arrêt Ali Shipping Corp v Shipyard Trogir de 1999 (1 WLR 314).

II/ L’étendue traditionnelle de la confidentialité en France et en Angleterre.

En France, la question de la confidentialité n’est abordée que dans le Nouveau Code de Procédure Civile à l’Article 1469 qui dispose que « Les délibérations des arbitres sont secrètes ». Cette disposition ne concerne qu’une partie de la procédure arbitrale, le délibéré, mais reste silencieux concernant le reste des éléments pouvant être utilisés lors d’un recours ultérieur comme les débats, les échanges de pièces ou même la sentence. Cela nous amène à nous poser la question de l’étendue de l’obligation de confidentialité en France et en Angleterre.

La confidentialité de la procédure en elle-même : En France, il semble qu’il n’existe aucune règle établie concernant la confidentialité de l’existence de la procédure d’arbitrage. Néanmoins, un arrêt de 1999 met en avant le fait que si les parties le prévoient dans la clause ou dans le compromis, la procédure peut demeurer confidentielle (T.com. fév. 1999, Publicis contre True North). Aussi, une sentence C.C.I. n°6932 de 1992 met en avant le caractère confidentiel de la procédure, généralement considéré comme une règle fondamentale pour les opérateurs de commerce.

En Angleterre, il était établi implicitement que dans la convention d’arbitrage chaque partie se doit de garder les informations relatives à la procédure confidentielles. Cette position a été remise en question par une décision de la High Court Australienne dans l’arrêt Esso/BHP v.Plowman de 1995 (11 Arbitration International p.234). En l’espèce, la Cour avait affirmé que la confidentialité n’était pas un attribut essentiel de l’arbitrage et de ce fait il n’y a aucune règle implicite de confidentialité en l’espèce. Cela illustre bien le fait que le meilleur moyen pour les parties de conserver la confidentialité de la procédure reste tout de même de le préciser dans la Convention d’arbitrage.

La confidentialité de l’audience quant à elle, est moins problématique car elle est expressément prévue par les règlements de la CCI et de la CNUDCI qui interdit l’accès aux audiences aux tiers. En Angleterre, deux arrêts importants soulignent le fait que l’arbitrage est un moyen privé de règlement alternatif des différends et que de ce fait il est implicitement établi que les tiers doivent être exclus des débats (The Eastern Saga 1984 2 Lloyd’s Rep.373 à 379 ainsi que Hassneh Insurance Co. Of Israel v. Stewart 1993 2 Lloyd’s Rep. p.243).

Documents et confidentialité : Le droit français n’est pas clair concernant la production de pièces ayant servie à l’arbitrage lors d’une autre instance. La question qui se pose est la même qu’Outre Manche : comment balancer le devoir de confidentialité avec la nécessité d’examiner une des pièces pour le bon déroulement du procès ? Le droit Anglais considère que la nature privée de l’arbitrage implique une obligation pesant sur les parties de ne pas utiliser les documents dans un autre litige que celui pour lequel ils ont été obtenus (Dolling Baker v. Merrett and others 19912 All ER 891 CA p.899). Selon Lord Justice Parker, cette obligation s’étend à « tous les documents préparés pour et utilisés lors de l’arbitrage ». Pour autant, dans un arrêt ultérieur London Leeds Estates Ltd v. Paribas Ltd ((No 2) 1995 2 EG 134), il est précisé que cette obligation peut être mise à l’écart si les parties le consentent ou si la cour le demande.

La confidentialité de la sentence : Toute cette démarche de confidentialité est couronnée par le secret de la sentence elle-même. Cette dernière ne peut être publiée que par le consentement des parties mais en général lorsque la sentence est exécutée de manière spontanée, il n’y a pas lieu de se poser la question. Néanmoins, il est arrivé que des sentences soient publiées mais certains éléments sont masqués pour éviter de reconnaitre les parties, ce qui est d’une efficacité relative.

En Angleterre, le principe est que la sentence arbitrale reste confidentielle. La jurisprudence montre clairement qu’elle peut être dévoilée à un tiers si cela est nécessaire pour la protection d’une des parties contre ce tiers. L’arrêt Hassneh (cité p.3) met en avant un double test pour déterminer dans quels cas cela est possible : la pertinence et la nécessité. Aussi, une sentence peut difficilement éviter sa publication lorsqu’il s’agit d’un arbitrage impliquant l’Etat ou ses organes comme le montre notamment l’arrêt Esso Australia cité précédemment.

III/ La jurisprudence Emmott constitue-t-elle un revirement important ?

Un de éléments les plus important de cette décision est que la Cour a décidé que la notion d’ « intérêt de la justice » ne se limitait pas à ses frontières de par le caractère international de ces procédures qui exige une vision nettement plus large. Néanmoins, cela peut sembler problématique en pratique car il reste la question de la loi applicable concernant la confidentialité lorsque le litige traverse les frontières (Russel on Arbitration, page 235). Cela peut être à la fois la loi établi dans le contrat, la loi du siège d’arbitrage ou encore la loi du lieu où les communications ont été produites. Cela signifie t-il que lorsque les documents en question traversent une frontière ils perdraient leur statut privilégié ?

Les intérêts de la justice requièrent que les tribunaux anglais empêchent tant que possible les parties à un arbitrage de se cacher derrière le voile de la confidentialité dans le but de dissimuler des éléments devant des tribunaux étrangers, spécialement lorsqu’il s’agit de même allégations que devant le tribunal arbitral. C’est dans ce contexte que la Cour d’Appel a débouté MWP et a ordonné la révélation de certains débats dans le souci de ne pas induire en erreur le tribunal.

Même s’il existe encore aujourd’hui un intérêt grandissant pour protéger la confidentialité de l’arbitrage, il n’en demeure pas moins que cette dernière doit faire place à l’intérêt public comme le montre l’arrêt Department of Economics, Policy and Development of the City of Moscow v. Bankers Trust Co (2005, QB 207). Par conséquent, depuis l’Arbitration Act de 1996, il existe des cas de figure où les détails d’une procédure arbitrale deviennent publics. Pourtant, la jurisprudence de ces vingt dernières années avait établi qu’il y avait bel et bien une obligation implicite dans la loi et découlant de la nature même de l’arbitrage pour les parties de ne pas violer la confidentialité de la procédure. Cette obligation valait autant pour les affaires commerciales que pour les affaires impliquant l’Etat. Dans l’arrêt Ermmott contre MWP, l’intérêt de la justice nécessitait la révélation de documents mais les intérêts abordés n’étaient pas confinés à l’Angleterre. La dimension internationale de ce jugement élargi la vision de la confidentialité dans l’arbitrage même s’il faut garder à l’esprit que la majorité des procédures d’arbitrage en Angleterre restent privées et se déroulent en toute confidentialité, tout comme la France.