Analyse comparative de l’appréciation de la prohibition des clauses léonines concernant les promesses de rachat de titres à prix fixe ou à prix plancher en droit français et en droit italien : de la rigueur à la souplesse.

 

Primam partem tollo, quiniam nominor leo, cette expression qui vient de la célèbre fable de Phèdre signifiant « je prends la première part, parce que je m’appelle le lion » prend tout son sens en droit des sociétés.

En effet, tous les associés ont le droit de participer aux résultats. Cependant, les statuts peuvent sensiblement modifier les droits de chacun. En effet, l’article 1844-1 du code civil alinéa 1 dispose que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social et la part de l’associé qui n’a apporté que son industrie est égale à celle de l’associé qui a le moins apporté, le tout sauf clause contraire ». Les dispositions de ce premier alinéa sont des règles supplétives de détermination de la part de chaque associé dans les bénéfices et les pertes de la société. Les associés peuvent donc décider de rédiger des clauses dans les statuts ou des pactes extrastatutaires stipulant une répartition des bénéfices et des pertes différente. Le second alinéa, en revanche, dispose que « toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l’exonérant de la totalité des pertes, celles excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ». Cet alinéa fait référence à la clause léonine qui est la limite à la liberté des parties de pouvoir répartir les bénéfices et les pertes comme ils le souhaitent.

En droit italien, l’article 2265 du code civil italien dispose qu’ «est nul le pacte par lequel un ou plusieurs associés sont exclus de chaque participation aux bénéfices et aux pertes».

Si l’article 2265 du code civil italien et 1844-1 du code civil français ne semblent pas poser de difficultés particulières, force est de constater que la prohibition des clauses léonines a provoqué de nombreuses controverses doctrinales et jurisprudentielles dans les deux ordonnancements juridiques. En effet, non seulement il est très rare qu’une clause statutaire ou extrastatutaire soit stipulée de manière directement contraire à la prohibition des clauses léonines mais surtout la jurisprudence et la doctrine ont été confrontées à la question épineuse de savoir si la prohibition des clauses léonines s’appliquait pour les promesses de rachat à prix fixe ou à prix plancher.

De telles promesses de rachat d’actions ou de parts sociales sont en effet susceptibles de tomber sous la prohibition des clauses léonines. En effet, lorsqu’un associé acquiert des parts ou des actions, il peut se faire consentir par les autres associés une promesse d’achat de ses titres après une période déterminée. Tel accord peut constituer pour son bénéficiaire une protection contre la perte de valeur des titres. C’est à ce moment-là que le cocontractant tentera d’invoquer la prohibition des clauses léonines pour éviter d’avoir à racheter des titres à un prix supérieur que leur véritable valeur. (Civ. 1ere, 7 avril 1987)

La question de l’applicabilité de la prohibition des clauses léonines aux promesses d’achat à prix fixe ou à prix plancher entre associés illustre bien la complexité du droit des sociétés qui est un droit tiraillé entre ses règles protectrices et égalitaires à l’égard des associés d’une part et le besoin de souplesse, de liberté et de pragmatisme nécessaire au bon déroulement des affaires et à l’intérêt social de la société.

Ainsi, il sera question de voir, comment, les juges français et italiens sont passés de la méfiance à la bienveillance quant à l’appréciation de la prohibition des clauses léonines quant aux promesses d’achat à prix fixe entre associés. En d’autres termes, dans quelle mesure, le droit français et le droit italien tendent à sanctionner le moins possible les promesses d’achat à prix fixe entre associés ?  

Il sera donc nécessaire dans un premier temps, de mettre en avant la libéralisation de la prohibition des clauses léonines en droit français et en droit italien concernant les promesses de rachat à prix fixe ou à prix plancher (I) puis dans un second temps d’analyser les sanctions possibles qui sont similaires en droit français et en droit italien (II).

 

I La libéralisation de la prohibition des clauses léonines en droit français et en droit italien concernant les promesses de rachat à prix fixe

 

Si le droit français et italien ont connu une certaine réticence quant à la question de la compatibilité des dispositions relatives à la prohibition des clauses léonines avec les promesses de rachat à prix fixe ou à prix plancher (A), force est de constater que les deux ordonnancements juridiques, dans un souci de pragmatisme économique, n’hésite plus à violer telle prohibition (B).

 

A)La réticence jurisprudentielle passée quant à la question de la compatibilité des dispositions relatives à la prohibition des clauses léonines avec les promesses de rachat à prix fixe en droit français et en droit italien.

 

Les promesses de rachat à prix fixe ou à prix plancher entre associés ont suscité de vives controverses prétoriennes et doctrinales aussi bien en droit italien qu’en droit français. En effet, la question de la prohibition des clauses léonines mérite d’être posée concernant telle opération financière. Le problème juridique majeur étant l’exonération du cédant de l’obligation de contribution aux pertes qui incombe à tout associé. En effet, lors de la cession du titre, le cessionnaire est garanti contre toute perte de valeur des titres ce qui est incompatible avec la prohibition des clauses léonines. La convention de portage fait partie des opérations de promesses de rachat à prix fixe ou à prix plancher entre associés qui a suscité de nombreuses questions quant à leur compatibilité avec la prohibition des clauses léonines. En effet, telle convention voit un donneur d’ordre demander à un porteur, qui est souvent un établissement de crédit, de porter des parts ou des actions pour son compte, généralement avec l’obligation pour le porteur de respecter les instructions du donneur d’ordres quant à l’utilisation des droits conférés par les titres. Il est convenu qu’après un certain délai les parts ou actions seront transférées au donneur d’ordres ou à un tiers pour un prix fixé dès l’origine. La convention de portage offre donc au bénéficiaire une porte de sortie de la société car il n’aura pas à supporter une possible baisse de valeur des titres.

En droit français, la jurisprudence a été fluctuante sur l’application de la prohibition des clauses léonines concernant les promesses de rachat à prix fixe ou à prix plancher. En effet, dans un premier temps, elle excluait systématiquement de telles promesses (1). Jusqu’à la fin des années 1980, les juges français n’hésitaient pas à sanctionner les promesses de rachat de titres à prix fixes ou à prix planchers (Civ. 1ere, 7 avril 1987).

Dans un deuxième temps, la Chambre commerciale de la Cour de cassation ne va plus exclure ces promesses stipulées dans les pactes extrastatutaires au motif que ladite promesse, portant engagement de racheter les titres à un autre associé à un prix déterminé par avance ou à un prix minimum, est étrangère au contrat de société car elle n’est pas rédigée dans les statuts. La Chambre commerciale de la haute Cour considérait donc applicable les dispositions de l’article 1844-1 du code civil que si la clause était stipulée dans les statuts. Tel raisonnement a été consacré dans un arrêt de la Chambre commercial en 1982. (2) Il était donc fait référence au critère « géographique ».

 

La jurisprudence italienne en revanche était casuistique en ce sens qu’elle avait affirmé dans un célèbre arrêt en date du 29 octobre 1994 qu’il fallait apprécier au cas par cas si lesdits pactes avaient pour unique finalité d’éviter la sanction de la prohibition des clauses léonines. Si la réponse était positive, le juge annulait la clause. Le Tribunal de Cagliari, par la suite, dans un jugement en date du 19 juin 2000, avait validé une promesse d’achat à prix fixe au motif que, si l’associé avait été exonéré de toute contribution aux pertes, il avait été aussi exclu de tout pouvoir de gestion. Ainsi, la jurisprudence italienne insistait sur le fait que la prohibition du pacte léonin avait pour principal objectif d’éviter une dissociation entre le risque social et les pouvoirs de gestion. Dans ce sillage jurisprudentiel, le tribunal de Cagliari a maintenu tel raisonnement dans des jugements ultérieurs. (5) En revanche, le Tribunal et la Cour d’appel de Milan avaient adopté des solutions différentes en annulant le pacte de rétrocession à prix garanti au visa des dispositions prohibant les clauses léonines (6). Le droit italien, connaissait donc une certaine défiance, comme le droit français quant à l’appréciation des clauses léonines.

 

Si les jurisprudences françaises et italiennes ont connu pendant un certain temps une réticence à admettre la validité des promesses d’achat entre associés à prix fixe ou à prix plancher, le droit positif de ces deux ordonnancements juridiques est aujourd’hui sensiblement différent. En effet, les juges, dans un souci de pragmatisme économique, semblent les reconnaître valides.

 

B)L’acceptation des promesses de rachat à prix fixe par le juge : entre violation des dispositions de la prohibition des clauses léonines et pragmatisme économique

 

En droit français, le célèbre arrêt Bowater en date du 20 mai 1986 qui a reconnu la validité d’une clause stipulant une promesse de rachat à prix plancher au motif qu’il « s’agit de céder des actions, moyennant un prix librement convenu, et non de porter atteinte au pacte social » est sans aucun doute l’avènement du pragmatisme économique français. Ainsi, cet arrêt consacre une appréciation nouvelle : celle de l’objet de la convention.

Depuis ce célèbre arrêt, les juges français contournent avec audace la prohibition des clauses léonines concernant les promesses d’achat à prix fixe ou à prix plancher entre associés. Par la suite, de récents arrêts ont fait référence à la notion de « bailleur de fond » (4) consacrant ainsi une distinction fondamentale entre les véritables associés et les autres qui ne seraient que des investisseurs pouvant déroger à une partie des règles du droit des sociétés, notamment la prohibition des clauses léonines.

La Chambre commerciale a, dans un arrêt du 22 février 2005, reconnu la validité d’une promesse unilatérale de rachat de droits sociaux en mettant en exergue pour la première fois qu’il convient de faire une appréciation au cas par cas laissant ainsi tomber le critère des promesses croisées de rachat et de vente retenu jusque-là.  En effet, La Cour dit qu’il est nécessaire de vérifier pour chaque situation qu’un certain niveau de risque pèse encore sur l’associé afin d’apprécier l’annulabilité de la clause. En l’espèce, la Haute juridiction a cassé l’arrêt des juges du fond au motif que l’option ne pouvait être levée qu’à l’expiration d’un certain délai et pendant un temps limité, ce dont il résulte qu’en dehors de cette période le bénéficiaire de la promesse de rachat des actions restait soumis au risque de dépréciation des actions comme les autres associés.

Bien que le raisonnement des juges français n’ait pas trouvé une ligne unitaire, force est de constater que les clauses qui pourraient avoir un caractère léonin, comme les promesses de rachat à prix fixe ou à prix plancher, ne sont désormais plus sanctionnées par les dispositions du second alinéa de l’article L1844-1 du code civil.

Pour ce qui est du droit positif italien, le Tribunal de Milan, dans un récent jugement en date du 6 août 2015 a estimé qu’une option put ne constitue pas un pacte léonin contraire aux dispositions de l’article 2265 du code civil au motif que l’exclusion de l’associé à la contribution des pertes ou des bénéfices n’est ni totale ni constante. Partant, la prohibition des clauses léonines n’est pas susceptible de s’appliquer. Les juges milanais ont fait preuve d’audace et de pragmatisme à l’instar des juges français. En effet, en utilisant - eux aussi - le critère temporel de l’option, ils n’ont pas voulu constater l’exonération de la contribution aux pertes et aux bénéfices de l’associé. En l’espèce, le juge de Milan, s’est directement inspiré de l’arrêt du 22 février 2005 de la Cour de Cassation française. Là aussi, en dehors du temps de l’option, l’associé restait soumis au risque de dépréciation des titres au même titre que les autres associés. Il y a donc une convergence quant à l’appréciation de la prohibition des clauses léonines concernant les promesses d’achat à prix fixe et à prix plancher par la jurisprudence française et italienne. Il s’agit d’une véritable libéralisation du droit des sociétés qui, il y a encore quelques décennies, était inconcevable.

Ainsi, les juges français et italiens ont compris qu’il était nécessaire d’avoir une appréciation souple du droit pour le bon déroulement des affaires des associés entre eux quitte à ne pas appliquer le droit des sociétés dans certains cas.

Il a été vu que l’appréciation de la prohibition des clauses léonines converge en droit français et italien.

Il sera désormais question de voir que les sanctions des deux ordonnancements juridiques sont en substance similaires.

 

II) Des sanctions similaires quant à la prohibition des clauses léonines en droit français et en droit italien

Même si en principe, dans un souci de préserver l’intérêt social, seule la clause est frappée de nullité (A), il arrive parfois que le contrat de société lui-même soit annulé aussi bien en droit français qu’en droit italien(B)

 

A)La nullité de la clause léonine

 

Tout d’abord, il convient de préciser que la prohibition des clauses léonines fait preuve d’une certaine souplesse car les clauses prévoyant une répartition des bénéfices et des pertes différente que la participation des associés dans le capital est possible à condition qu’il ne soit pas constatée une exonération des droits et devoirs des associés substantielle. (7). Une telle souplesse est basée sur la liberté contractuelle. La doctrine française et italienne parlent en ce sens de la « contractualisation » du droit des affaires.

En droit français, le législateur de 1978 par la rédaction de l’article L 1844-1 du code civil a voulu diminuer les cas de nullité de la société. En conséquence, il a limité à la clause léonine la portée de la sanction. Pour les SARL et les sociétés par actions la clause est « réputée non écrite ». En d’autres termes elle disparait rétroactivement car elle est censée ne jamais avoir existée. Quant à la règle supplétive légale relative à la participation proportionnelle aux apports, elle s’applique automatiquement. Cette solution est particulièrement bien adaptée au droit des sociétés car elle permet de sauvegarder le contrat de société alors que la jurisprudence antérieure était susceptible de l’annuler si la clause était déterminante (8).

L’article 2265 du code civil italien dispose que sera déclaré nul uniquement le pacte léonin. Une fois annulé, s’applique l’article 2263 du code civil qui dispose que les bénéfices et les pertes sont attribués aux associés proportionnellement à leur apport et si le contrat de société ne précise pas lesdits apports, ils seront présumés égaux. De plus ledit article dispose également que s’il est précisé uniquement la part de chacun pour le partage des bénéfices, il est présumé que les pertes seront réparties de la même manière, l’inverse étant valable aussi. L’article 2264 à titre subsidiaire consent à un tiers arbitre de déterminer la répartition des bénéfices et des pertes aux associés.  

Il est intéressant de noter que le droit français considère la clause léonine « non écrite » alors que le droit italien la considère nulle. Il est vrai qu’en droit français le « réputé non écrite » s’applique que à la clause litigieuse permettant ainsi de sauvegarder la validité du contrat. Cependant, étant donné que l’article 2265 du Code civil italien précise que la nullité sera déclarée uniquement pour le pacte léonin, cela signifie que c’est la même chose en droit français et en droit italien.

Que ça soit en droit français ou en droit italien, le législateur tend donc à maintenir le contrat de société dans le souci de sauvegarder l’intérêt social.

Cependant, il conviendra de se poser la question de savoir si l’annulation du contrat de société est possible dans certains cas ?

 

B)La nullité possible mais rare du contrat de société en droit français et en droit italien

 

Bien que les législateurs français et italiens aient voulu limiter au maximum les cas de nullité de la société elle-même, il existe certaines hypothèses où cela reste possible. En effet, si la clause léonine est stipulée dans les statuts de la société, les juges pourront aller jusqu’à l’annulation de ces statuts et prononcer la liquidation de la société.

En droit français, l’article 1832 du code civil dispose que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Or, tel article fait partie des dispositions pouvant être sanctionnées par la nullité du contrat de société. En effet, l’article 1844-10 dispose que : la nullité de la société ne peut résulter que de la violation des dispositions des articles 1832, et 1833, ou de l’une des causes de nullité des contrats en général. Ainsi, la Cour d’Appel de Paris a dans un arrêt en date du 4 avril 1997 retenu que la clause léonine affectait l’ensemble contractuel provoquant sa nullité en tant que « société léonine ». En l’espèce, il s’agissait d’une convention de croupier où l’associé non croupier ne devait supporter aucune perte. Si l’annulation du contrat de société est rare, elle reste possible.

En droit italien, la nullité du pacte léonin provoquera la nullité de la participation de l’associé concerné s’il résulte que sans ledit pacte il n’aurait pas participé à la société (article 1419 du code civil). Or, si le juge constate que la participation de tel associé est essentielle, il prononcera la nullité du contrat de société. En effet, l’article 1420 du code civil dispose que : dans les contrats avec plus de deux parties, dans lesquels les prestations de chacune ont pour objectif la réalisation d’un objectif commun, la nullité qui entache l’engagement d’une partie n’emporte pas nullité du contrat sauf si la participation de celle-ci doit, selon les circonstances, être considérée comme essentielle ».  

 

 

En conclusion, il est intéressant de noter que les droits français et italien, dans un souci de devoir s’adapter à la vie économique, ont su s’adapter et assouplir la prohibition des clauses léonines.  En effet, l’intérêt des promesses de rachat de titres à prix fixe permet au donneur d’ordre de ne pas révéler son identité aux associés dans laquelle il souhaite prendre une participation. En règle générale, dans les deux droits, la sanction de telles clauses est limitée à la clause elle-même, sauf exception.

 

 

 

Cass. Com 9 avril 1941
Cass.com., 15 juin 1982
Civ. 1ere, 7 avril 1987
Cass.com., 16 nov. 2004, n. 00-22713
Trib. Cagliari, 3-4-2008
Trib. Milano, 30-12-2011 et CA Milano 17-09-2014
Cass com 1994 29 10
1ere Chambre Civile 1988

 

 

 

Bibliographie :

Il Sole 24 Ore, 07 ottobre 2015, Norme e tributi, www. notaio- busani.it

Droit des sociétés, Paul Le Cannu et Bruno Dondero 6ème édition Lextenso

Droit des sociétés, Bruno Dondero, Dalloz 3 ème édition

Droit commercial et des affaires, Dominique Legeais, 23 ème édition 2017, sirey

Diritto commerciale 2 Diritto societario, M. Campobasso, 9a edizione, UTET giuridica

Trasformazione, scioglmento e liquidazione delle società. Aspetti civilistici e contabili. Maurizio Meoli, Gianluca Odetto, Francesca Tosco. Ipsoa 2009