Décret anti-immigration et Constitution américaine

Le 20 janvier dernier, Donald Trump devenait le 45ème Président des Etats-Unis. Une semaine plus tard, il signait un décret intitulé « Protéger la Nation de l’entrée des terroristes étrangers aux Etats-Unis ». Le décret modifie considérablement la possibilité, pour des étrangers, d’être admis sur le territoire Américain, notamment, mais pas exclusivement, en tant que réfugiés.

 

Parmi les mesures adoptées, le décret suspend l’admission des réfugiés sur le territoire pendant 120 jours et indéfiniment celle des réfugiés Syriens dont il est estimé qu’elle « porte atteinte aux intérêts des Etats-Unis ». Par ailleurs, le décret interrompt, pour trois mois, l’accès au territoire américain pour les citoyens de sept pays (l’Irak, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yemen).

 

Au cours des semaines qui ont suivi son adoption, la mise en œuvre du décret et les effets du décret ont été considérablement amoindris par la multiplication de décisions de justice défavorables. Cependant, la portée de ces décisions demeure insuffisante car limitée au traitement de cas individuels urgents et à l’encadrement temporaire de dispositions précises. Désormais, une nouvelle stratégie judiciaire se développe par laquelle il s’agit d’invalider le décret dans son entièreté, notamment afin de protéger les milliers de personnes visées qui demeurent bloquées à l’étranger.

 

Parmi les opposants au décret, l’Etat de Washington a obtenu le 3 février dernier la délivrance d’une ordonnance restrictive temporaire qui suspend l’application des mesures principales du texte sur l’ensemble du territoire national. Les arguments développés pour attaquer le décret s’articulent autour de deux idées principales : sur le fond, le décret serait illégal, tandis que sa mise en œuvre résulterait en des préjudices considérables.

           

La probable illégalité du décret

 

La violation de l’Equal protection clause

 

            Tout d’abord, le décret violerait la « clause d’égale protection des lois » (Equal protection clause) qui figure dans le texte du 5ème amendement de la Constitution Américaine (Harris v. McRae) en ce qu’il établit une distinction fondée sur la nationalité (étrangère) des personnes qui souhaitent accéder au territoire américain. En effet, en vertu de la clause d’égale protection des lois - qui s’applique également aux personnes ne possédant pas la nationalité américaine (Kwai Fun Wong v. United States) -  les mesures législatives ou administratives fondées sur une « catégorisation présumée inconstitutionnelle » (ou « classification suspecte ») qui affectent une « classe » déterminée par un critère de race, de religion, de nationalité (critère «  intrinsèquement suspect », Graham), voire de pauvreté, ou qui restreignent l’exercice d’une liberté ou d’un droit fondamental, sont soumises à un contrôle de proportionnalité strict (Ball v. Massanari). Le gouvernement doit alors justifier la prise en compte d’un tel critère « suspect » par l’existence d’un « un motif impérieux d’intérêt général » et la législation doit être « étroitement circonscrite», pour ne pas dépasser ce qui est nécessaire pour la réalisation de l’objectif avancé.

Les cours, auxquelles il revient d’établir la réalité de cette classification, prennent alors en compte les moyens mis en œuvre pour atteindre l’objectif et l’existence de moyens moins contraignants.

 

            Ainsi, tout d’abord le décret discriminerait les personnes selon leurs origines, en refusant l’accès au territoire des personnes de nationalité de l’un des sept pays pré-cités et ce même lorsque ces derniers ont acquis le droit de résidence permanente. Or, les résidents permanents, même s’ils ne disposent pas de la nationalité américaine, bénéficient des mêmes protections constitutionnelles que les citoyens américains (Kwonv Hai Chew v. Coding).

 

            Par ailleurs, le décret prévoit une différence de traitement parmi les réfugiés en ce qu’il suspend indéfiniment l’accès au le territoire des réfugiés de nationalité syrienne. En l’espèce, la distinction établie par le décret repose bien sur un critère de nationalité, celle de l’un des pays visés par le texte. Or, d’après l’arrêt Graham v. Richardson), les « classification fondées sur un ‘critère d’’extranéité’ sont intrinsèquement suspectes et soumises à un contrôle de proportionnalité strict ».

 

            Enfin, le décret met en place un traitement différencié discriminatoire des demandes d’asile faites sur le fondement de persécutions religieuses en favorisant les demandes de personnes dont la religion est « minoritaire dans leur pays d’origine » ( Sec.5(b) EO). Or, il est évident qu’une telle distinction s’explique par la volonté de favoriser les demandes émanant de réfugiés Chrétiens, au détriment des réfugiés Musulmans, notamment au regard des multiples déclarations faites par le Président lors de sa campagne.

 

            Ainsi, il apparaît évident que le décret reprend une « classification suspecte » fondée sur la nationalité et la religion des personnes visées et qu’il doit être soumis à un contrôle de proportionnalité strict.

 

            Pour justifier de la nécessité d’une telle classification et de la légalité du décret, il appartient au gouvernement de démontrer l’existence d’un « motif impérieux d’intérêt général » et d’établir que la mesure est suffisamment circonscrite pour ne pas dépasser ce qui est nécessaire dans la réalisation de l’objectif recherché.

 

            Tout d’abord, le gouvernement invoque la nécessité d’alléger temporairement le « fardeau administratif » des autorités et de leur permettre d’utiliser au mieux leurs ressources dans le cadre de la procédure de délivrance des visas. Par ailleurs, il s’agirait également de prévenir « l’infiltration de criminels et de terroristes étrangers » (Sec.3(c) EO). Or, s’il est admis que la politique en matière d’immigration est un domaine pour lequel le pouvoir exécutif dispose d’une grande marge de manœuvre (Shaughnessy v. United States), il ne s’agit pas pour autant de ne pas contrôler ses actions.

 

Il semble qu’aucun des arguments avancés ne soit suffisant pour justifier la discrimination établie par le décret. L’Etat de Washington, demandeur à l’instance du 3 février dernier pour obtenir une injonction temporaire, estimait que le champ d’application du décret est à la fois trop étendu et trop restreint pour atteindre l’objectif qu’il prétend rechercher.

En effet, le décret interdit l’accès au territoire américain de tous les nationaux des sept pays cités, sans distinction selon leur situation individuelle et sans raison de suspecter aucune activité terroriste. Or, le gouvernement n’a « aucun fondement factuel pour présumer que tous les nationaux d’un pays sont une menace telle qu’elle nécessite une interdiction totale d’accès au territoire, plutôt que des mesures moins radicales » (référence de la citation).

 

Par ailleurs, l’objectif affiché du gouvernement est de lutter contre le terrorisme. L’administration évoque ainsi les évènements du 11 septembre 2001 pour justifier de l’interdiction des nationaux de certains pays étrangers. Or, il est établi qu’aucun des pays d’origine des individus impliqués dans les attaques (en l’occurrence, l’Egypte, le Liban, l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis) citées n’est concerné par l’interdiction.

 

Enfin, sans justifier de la menace particulière que représentent l’admission sur le territoire des réfugiés, l’exécutif invoque la nécessité d’une interdiction temporaire « pour déterminer les procédures additionnelles à mettre en place afin de s’assurer que les personnes admises comme réfugiés ne sont pas une menace pour la sécurité et le bien-être de la Nation ».

 

Dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité strict, seul un moyen direct, et non approximatif, d’atteindre le but recherché peut être admis (Hunter ex rel. Brandt v. Regents of Univ. of Cal.) puisque la clause d’égale protection des lois est un « garde-fou conte les généralisations hâtives à propos de catégories de personnes fondées sur des critères tels que la nationalité ou la religion » (Shaw v. Reno). En l’espèce, il n’existe aucune adéquation entre l’objectif recherché et les moyens employés.

 

La violation de l’Establishment clause

 

L’Establishment clause du 1er amendement de la Constitution américaine interdit au gouvernement « de promouvoir, d’instaurer ou de soutenir financièrement une religion ».

 

Lorsqu’une mesure légale ou administrative porte sur une question relative à la religion, les cours sont tenues d’effectuer le test établi depuis 1971 par l’arrêt Lemon v. Kurtzman pour déterminer s’il y a violation de l’Establishment clause. Le test s’articule en trois étapes.

            Tout d’abord, la mesure doit avoir un « objet séculaire ». Les cours ont alors le « devoir » de rechercher la réalité de l’objet de la mesure (McCreary v. Am. Civil Liberties Union of Ky).

Pour ce faire, elles doivent faire « preuve de ‘bon sens’ » et prendre en compte le « contexte politique qui préside l’adoption de la mesure », ce qui permet parfois de retenir l’inconstitutionnalité d’une mesure d’ordinaire jugée constitutionnelle. En 2005, la Cour Suprême estimait alors « qu’une même mesure peut être constitutionnelle si elle est nouvelle, ou inconstitutionnelle lorsqu’elle s’inscrit dans un héritage religieux ». Or, en l’espèce, les déclarations du Président confirment que l’objectif du décret est bien de « favoriser ou désavantager une religion » (Wallace v. Jaffree).

 

            Par ailleurs, la mesure ne doit pas avoir pour principal effet d’encourager ou de décourager une croyance ou une pratique religieuse. Pour déterminer si c’est le cas, il faut se demander si un « observateur raisonnable » pourrait percevoir la mesure comme soutenant une religion ou désapprouvant une autre, voire les deux.

 

Enfin, le gouvernement ne doit pas être « excessivement impliqué » dans une religion, ce qui implique qu’il n’en favorise aucune par rapport à d’autres. Or, l’effet du décret est bien d’affecter plus durement les réfugiés Musulmans que les Chrétiens dont la situation est favorisée.

 

La violation de la due process clause

 

            La due process clause du 5ème amendement de la Constitution Américaine prévoit, entre autres, qu’aucune mesure ne peut priver une personne de sa vie, de sa propriété ou de sa liberté sans procédure légale préétablie. En l’espèce, la question est donc de déterminer si la procédure légale prévue a été respectée lors de la mise en œuvre du décret.

 

Le respect du due process impose aux autorités d’informer les personnes concernées par la mesure et de leur donner l’opportunité d’être entendues avant de leur refuser l’accès au territoire.

 

Le décret interdit l’accès au territoire de citoyens de sept pays visés, y compris pour les personnes résidant de façon permanente aux Etats-Unis ainsi que celles pourvues d’un visa, et qui détiennent ainsi théoriquement le droit de quitter le territoire et d’y revenir librement.

Or, le 5ème amendement protège toutes les personnes admises sur le territoire des Etats-Unis (Mathews v. Diaz) et qui se trouvent à l’intérieur des frontières, quel que soit leur statut migratoire, notamment ceux « dont la présence dans le pays est illégale, involontaire ou transitoire « (Zadvydas v. Davis). Par ailleurs, une « absence temporaire des côtes » ne prive pas du droit de due process (Kwong Hai Chew v. Colding).

 

Ainsi, le due process protège les individus visés et impose qu’ils bénéficient d’une audience équitable au cours de laquelle ils disposent d’une « opportunité raisonnable de faire connaître leurs revendications » (Colmenar v. INS).

 

            Par ailleurs, le décret porte atteinte au droit des citoyens étrangers qui résident de façon permanente sur le territoire ou détiennent un visa en ce qu’il restreint considérablement leur possibilité de se déplacer pour quitter le pays. Le droit de voyager, qui inclut le droit de se déplacer hors des frontières, est une « liberté constitutionnellement protégée » qui est aussi « importante aux yeux des individus que le choix de ce qu’il mange, ce qu’il porte ou ce qu’il lit » (Kent v. Dulles).

 

Parmi les nationaux des sept pays précités interdits d’entrée sur le territoire, nombre d’entre eux sont actuellement résidents aux Etats-Unis, travailleurs ou étudiants.  Or, pour ces personnes, la possibilité de voyager hors des frontières est à la fois essentiel pour leur travail mais également pour leur vie de famille.

 

L’existence d’un préjudice irréparable

 

            Le préjudice irréparable est celui « pour lequel il n’existe pas de remède légal tel que l’octroi de dommages et intérêt » (Ariz. Dream Act Coal. v. Brewer), notamment constitué par un « retard, même de quelques mois, pour l’introduction d’une requête, et qui fait perdre du temps de productivité qui ne peut être retrouvé”. En l’espèce les personnes exposées à un tel préjudice sont principalement les travailleurs et les étudiants étrangers visés par le décret et auxquels l’accès sur le territoire est refusé.

Dans l’Etat de Washington, par exemple, près de 140 000 personnes travaillent dans des entreprises qui appartiennent à des immigrants ou des réfugiés. Par ailleurs, l’industrie technologique repose lourdement sur le programme de visa H-1B ouvert aux travailleurs étrangers. À l’échelle nationale, l’Etat est placé au 9ème rang des plus populaires pour les demandes de visa dans l’industrie high-tech et de grandes entreprises, parmi lesquelles Microsoft, Amazon, Expedia et Starbucks, emploient des milliers de personnes détenant ce type de visa.

La mise en œuvre du décret ferait perdre à l’Etat, et à ses entreprises, une main d’œuvre extrêmement qualifiée et les placerait dans une situation de désavantage face aux concurrents. Or, il est admis que les dommages immatériels, comme la perte des efforts et du temps investis dans le recrutement peuvent être considérés comme un préjudice irréparable (Rent-A-Center, Inc. v. Canyon).

 

            Les universités et leurs étudiants sont également touchés par la mise en œuvre du décret. Des centaines d’étudiants des universités américaines viennent de l’étranger et possèdent la nationalité de l’un des sept pays visés. Or, en leur interdisant la possibilité de voyager à l’étranger, le décret les prive de nombreuses opportunités, notamment de recherche et d’étude, ainsi que de la possibilité de rendre visite à leur famille, d’étudier à l’étranger et d’autres activités que « des dommages et intérêts ne peuvent compenser » (http://agportal-s3bucket.s3.amazonaws.com/uploadedfiles/Another/News/Pre...).

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Executive Order - “Protecting the Nation from Foreign Terrorist Entry Into the United States” 82 Fed. Reg. 8,977

 

Harris v. McRae, 448 U.S. 297, 297 (1980)

Kwai Fun Wong v. United States, 9th Circ. 2004)

Ball v. Massanari, 254 F.3d 817, 823 (9th Cir. 2001)

Kwonv Hai Chew v. Coding 344 U.S. 590 (1953)

Zadvydas v. Davis 533 U.S. 678 (2001)

Shaughnessy v. United States ex rel. Mezei, 345 U. S. 206

Hunter ex rel. Brandt v. Regents of Univ. of Cal., 190 F.3d 1061, 1077 (9th Cir. 1999)

Shaw v. Reno, 509 U.S. 630, 647 (1993)

Lemon v. Kurtzman, 403 U.S. 602 (1971)

McCreary Cty, Ky. v. Am. Civil Liberties Union of Ky., 545 U.S. 844, 865 (2005)

Wallace v. Jaffree, 472 U.S. 38, 75-76 (1985)

Mathews v. Diaz, 426 U.S. 67, 69, 77 (1976

Zadvydas v. Davis, 533 U.S. 678, 693 (2001)

Kwong Hai Chew v. Colding, 344 U.S. 590, 596 (1953)

Colmenar v. INS, 210 F.3d 967, 971 (9th Cir. 2000)

Kent v. Dulles, 357 U.S. 116, 125 (1958)

Ariz. Dream Act Coal. v. Brewer (9th Cir. 2014)

Rent-A-Center, Inc. v. Canyon Tel. Appliance Rental, Inc., 944 F.2d 597, 603 (9th Cir. 1991)