Des permis de séjour trop chers: la Cour de Justice condamne l'Italie (arrêt C-309/14 du 2 septembre 2015 )

Ce n’est que le 25 juillet 1998, soit quelques jours après son entrée dans l’Espace Schengen, que l’Italie s’est dotée d’une législation relative aux droits et devoirs des ressortissants de pays tiers. L’entrée en vigueur de la loi Turco-Napolitano, transposée et complétée par le décret-loi n. 286 de 1998 portant texte unique des dispositions concernant la réglementation de l’immigration et les règles relatives à la condition de l’étranger, a ainsi permis une meilleure prise en compte du phénomène migratoire ces dernières décennies.

Le 2 septembre 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne a condamné l’Italie, constatant qu’au regard de ce décret-législatif, la charge financière pour la délivrance ou le renouvellement du permis de séjour s’oppose à la directive 2003/109/CE relative aux résidents de longue période. Dès lors, en quoi le caractère disproportionné de la charge financière imposée aux ressortissants de pays tiers pour obtenir la délivrance ou le renouvellement des permis de séjours en Italie crée-t-il, pour la Cour, un obstacle tant à l’intégration des ressortissants de pays tiers qu’à l’obtention du statut de résident de longue durée au regard des principes de l’Union européenne ?

Après avoir considéré que la charge financière pour la délivrance ou le renouvellement des permis de séjour est disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par la directive (I), nous verrons que cette disproportion est également susceptible de créer un obstacle à l’obtention du statut de résident de longue durée (II).

 

I. Une charge financière pour la délivrance ou le renouvellement du permis de séjour contraire aux principes de l’Union européenne : un obstacle à l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres.

La Cour de Justice a retenu que la législation italienne en matière de permis de séjour est contraire au droit de l’Union européenne en ce qu’elle impose aux ressortissants de pays tiers, demandant la délivrance ou le renouvellement d’un permis de séjour, de payer une charge financière disproportionnée (A), provoquant ainsi un obstacle à l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres (B).

A. L’incompatibilité de la législation italienne à la directive : un coût disproportionné

Le décret-loi n. 286/ 1998 du 25 juillet 1998 prévoit en son article 5 al. 2 ter que « La demande de délivrance ou de renouvellement du permis de séjour donne lieu au versement d’un droit dont le montant est fixé entre un minimum de 80 euros et un maximum de 200 euros (…) ». Le montant de ces charges financières a été fixé par un décret adopté en 2011 :

- 80 euros pour les permis de séjour d’une durée supérieure à trois mois et inférieure ou égale à un an ;

- 100 euros pour les permis de séjour d’une durée supérieure à un an et inférieure ou égale à deux ans ;

- 200 euros pour la délivrance du permis de séjour pour les résidents de longue durée.

Le syndicat CGIL (Confederazione Generale Italiana del Lavoro, ci-après CGIL) et le patronat INCA (Istituto Nazionale Confederale Assistenza, ci-après INCA) ont demandé au Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (Tribunal administratif régional du Latium) l’annulation de ce décret en soulignant la nature disproportionnée et inéquitable de la charge financière. Le Tribunal retient en effet que « compte tenu du fait que le coût de la délivrance de la carte nationale d’identité en Italie est actuellement d’environ 10 euros (…) la charge financière imposée au ressortissant d’un pays tiers pour obtenir la délivrance d’un titre de séjour sur le territoire national est environ huit fois plus élevée » (point 18). Ainsi, pour la délivrance ou le renouvellement d’un permis de séjour en Italie, les ressortissants de pays tiers sont tenus à payer une somme, huit à vingt fois supérieure à celle demandée aux citoyens italiens pour l’obtention d’une carte d’identité nationale.

Outre les 80 à 200 euros à verser pour la délivrance ou le renouvellement d’un permis de séjour, la réglementation italienne prévoit également un « montant total de 73,50 euros pour la délivrance et le renouvellement des titres de séjour, indépendamment de la durée du permis de séjour » (point 9). A cela s’ajoutent le montant des frais à payer pour la délivrance d’un permis de séjour électronique à 27,50 euros (point 11), le coût du service à la charge du demandeur à 30 euros (point 12) et le montant du timbre fiscal à 16 euros (point 13).

En retenant une telle disproportion, le Tribunal a jugé nécessaire d’examiner la conformité des dispositions de la réglementation italienne avec les principes de la directive 2003/109/CE du Conseil relative au statut des ressortissants des pays tiers résidents de longue durée (point 18). S’agissant de la question de la conformité entre la norme nationale et le droit communautaire, le Tribunal a estimé nécessaire de solliciter l’avis de la Cour de Justice, compétente en matière d’immigration.

La Cour de Justice, tout en admettant les arguments retenus par la CGIL et l’INCA, a d’une part relevé le caractère disproportionné de la charge financière au motif qu’un citoyen italien dépense environ 10 euros pour obtenir une carte d’identité nationale. Et elle a, d’autre part, soulevé la non-conformité de la législation italienne au droit de l’Union européenne au motif que la charge financière ne favoriserait pas l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres.

Afin de consolider son raisonnement, la Cour se fonde sur l’arrêt Commission/ Pays-Bas (affaire C-508/10), dans laquelle elle avait déjà eu l’occasion de s’exprimer en matière de coûts de permis de séjour disproportionnés. En l’espèce, elle avait condamné les Pays-Bas au motif qu’un Etat membre respecte les principes mentionnés dans la directive n°2003/109 sur le statut de ressortissants de pays tiers séjournant de longue durée « seulement si les montants des droits demandés n’atteignent pas une somme qui serait démesurément élevée et donc disproportionnée par rapport au montant dû par les ressortissants du même Etat pour obtenir un titre analogue tel qu’une carte nationale d’identité » (point 16). Les Pays-Bas prévoyaient un montant égal à sept fois celui requis pour la délivrance d’une carte nationale d’identité. Selon la Cour, de telles sommes, excessives et disproportionnées, sont aptes à créer un obstacle à l’exercice des droits conférés par la directive et constituent donc un obstacle à l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres. En conséquence, les Pays-Bas ont failli à leurs obligations, et les dispositions de l’ordre juridique du Royaume des Pays-Bas sont donc considérés comme incompatibles avec les dispositions de la directive.

Bien que prononcée au regard des dispositions de l’ordre juridique du Royaume des Pays-Bas, cette décision a servi de base à l’argumentation de la Cour de Justice pour justifier l’incompatibilité de la législation italienne aux principes de l’Union Européenne. En effet le paiement d’une charge financière disproportionnée crée un obstacle à l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres (B).

B. Le non-respect de l’objectif fixé par la directive : un obstacle à l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres.

La directive 2003/109/CE prévoit en son article 4 que « les Etats membres accordent le statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays tiers qui ont résidés de manière légale et ininterrompue sur le territoire pendant les cinq années qui ont immédiatement précédé l’introduction de la demande en cause ». Ce nouveau statut a été préconisé par le Conseil européen de Tampere en 1999 en vue de favoriser l’intégration des résidents de longue durée dans les États membres et de promouvoir la cohésion économique et sociale. Les résidents de longue durée se voient ainsi accorder un statut de résident stable, et notamment un ensemble de droits uniformes qui sont aussi proches que possible de ceux dont jouissent les citoyens de l’Union européenne (point 21 des conclusions de Tampere).

Comme l’a rappelé la Cour de Justice quelques années plus tôt dans l’arrêt Commission c/ Pays-Bas (affaire C-508/10), l’objectif principal de la directive est l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres (point 21). En l’espèce, la Cour motive cet objectif en se fondant sur trois considérants de la directive. Il ressort ainsi que l’intégration des ressortissants des pays tiers installés durablement dans les Etats-membres est un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale (considérant 4) ; que la durée de résidence sur le territoire d’un Etat membre doit être le critère principal du statut de résident de longue durée (considérant 6) ; et enfin que le résident de longue durée doit jouir de l’égalité de traitement avec les citoyens de l’Etat membre (considérant 12).

Il convient de préciser qu’au sens de la directive, le ressortissant de pays tiers est toute personne n’ayant pas la citoyenneté d’un des Etats membres de la Communauté européenne et que le permis de séjour de résident de longue durée est le titre délivré par un Etat membre à l’occasion de l’acquisition du statut de résident de longue durée.

La Cour ayant retenu l’incompatibilité de la législation italienne et le caractère disproportionné de la charge financière, l’objectif de la directive n’a donc pas été respecté créant ainsi un obstacle à l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres.

Outre l’obstacle à l’intégration des ressortissants de pays tiers installés durablement dans les Etats membres, le caractère disproportionné de cette taxe peut également être un obstacle à l’obtention du statut de résident de longue durée (II).

 

II. Le coût de la délivrance ou du renouvellement du permis de séjour disproportionné : un obstacle à l’obtention du statut de résident de longue durée

Si le coût du renouvellement ou de la délivrance du permis de séjour peut être apprécié librement par chaque Etat membre, le principe de proportionnalité doit être respecté (A). La Cour ayant retenu le coût de la charge financière disproportionné, les ressortissants des pays tiers réclament un remboursement des sommes versées pour l’obtention de leur permis de séjour (B).

A. Le coût de la délivrance ou du renouvellement du permis de séjour : le pouvoir d’appréciation limité des Etats-membres

Si d’un côté chaque Etat membre est libre de fixer le coût de la délivrance d’un permis de séjour (point 22), la Cour retient que ce « pouvoir d’appréciation (…) n’est pas illimité » et doit être exercé dans le respect du principe du principe de proportionnalité afin de ne pas porter atteinte à l’effet utile de la directive (point 23). La Cour affirme en effet qu’« au regard du principe de proportionnalité, le niveau auquel sont fixés ces contributions ne doit avoir ni pour objet ni pour effet de créer un obstacle à l’obtention du statut de résident de longue durée » (point  25). Tout en reprenant les arguments qu’elle avait développé dans l’arrêt Commission c/ Pays Bas en 2010, la Cour retient que le coût pour obtenir un permis de séjour est disproportionné et contraire aux principes de l’Union Européenne et représente donc un véritable obstacle à l’obtention d’un statut de résident de longue durée.

La Cour souligne également que l’incidence financière de la charge financière peut être « considérable pour certains ressortissants de pays tiers » car « compte tenu de la durée de tels permis ces ressortissants sont contraints de solliciter le renouvellement de leurs titres assez fréquemment » (point 27).

La Cour rappelle en outre que le gouvernement, pour légitimer le coût d’une telle charge, s’est fondé sur l’article 14 bis du décret législatif n°286/1998 qui institue et réglemente le Fonds de retour (« Fondo rimpatri »). Cet article prévoit qu’un « fonds de retour est institué auprès du Ministero dell’Interno, afin de financer les dépenses liées au retour des étrangers dans leur pays d’origine ou de provenance ». La Cour souligne que « la moitié des recettes générées par la perception du droit est destinée à financer les dépenses liées au retour dans le pays d’origine ou de provenance des ressortissants de pays tiers qui ont été découverts en situation illégale sur le territoire national » (point 29). Elle rejette ainsi l’argumentation du gouvernement italien, ce dernier justifiant le coût de la délivrance du permis de séjour « à l’activité d’instruction nécessaire en vue de vérifier le respect des conditions requises pour obtenir le permis de séjour » (point 30).

La Cour, tout en démontrant le caractère disproportionné de cette charge financière et l’effet négatif qu’elle crée tant sur l’intégration du statut de ressortissant de pays tiers que sur l’obtention du statut de résident de  longue durée, condamne l’Italie. Cette condamnation permettra-t-elle aux ressortissants de pays tiers ayant payé cette charge financière d’être remboursés ? (B).

B. Une condamnation ouvrant la voie à des remboursements ?

Les ressortissants de pays tiers ayant payé une charge financière disproportionnée pour la délivrance ou le renouvellement de leur titre de séjour, ont demandé le remboursement des sommes versées. La CGIL et l’INCA ont ainsi encouragé cette action et soutenu la cause des ressortissants des pays tiers en rassemblant toutes les demandes de remboursement afin de les remettre au Ministre de l’Economie et des Finances.

La CGIL et l’INCA ont demandé à ce que l’Etat italien rembourse les cinq millions de ressortissants des pays tiers ayant payé entre 80 et 200 euros pour le renouvellement ou la délivrance de leur carte de séjour.

La Cour de Justice ayant statué essentiellement à l’échelle européenne, il appartiendra dès lors au juge national de se prononcer conformément à la décision européenne. En l’espèce, le Tribunal administratif régional du Latium, tribunal devant lequel la CGIL a présenté son recours, devra bientôt annoncer sa position. Cette charge financière disproportionnée restera néanmoins en vigueur tant que la législation italienne sur les permis de séjour n’aura pas été modifiée. Une fois le nouveau montant des charges financières fixé, il sera alors possible pour les ressortissants des pays tiers d’obtenir le remboursement de la somme excédentaire.

Ce n’est pas la première fois que l’Italie a été condamnée par la justice européenne pour sa règlementation en matière d’immigration. En septembre dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné l’Italie pour les conditions dans lesquelles des migrants tunisiens avaient été placés en rétention sur l’île de Lampedusa en 2011 (CEDH 1/09/2015, Khlaifia et autres c. Italie, req. n° 16483/12). Tout en reconnaissant le caractère exceptionnel de la crise humanitaire à laquelle l’Italie s’était retrouvée confrontée – près de 55 000 migrants avaient débarqué sur l’île de Lampedusa au moment des faits –, la Cour  a jugé que les conditions d’accueil dans ce centre constituaient un traitement inhumain et dégradant. Selon la Cour il y a bien eu « une atteinte à la dignité ». L’Italie devra verser à chacun des requérants 10 000 euros à titre de dommage moral.

 

La condamnation de l’Italie en matière de permis de séjour laisse place à des problèmes d’interprétation de la directive 2003/109. En effet, la question préjudicielle porte sur le problème de la compatibilité de la charge financière au regard des dispositions de la directive. Cela pourrait ainsi laisser penser que l’unique incompatibilité sanctionnée par la Cour concerne le paiement des 200 euros pour le renouvellement ou la délivrance du permis de séjour pour les résidents de longue durée. Cependant l’article 5 paragraphe 2 portant texte unique des dispositions concernant la réglementation de l’immigration fixe un montant minimum (80 euros) et maximum (200 euros) de la charge financière. La Cour a ainsi sanctionné la norme dans son ensemble, y compris le montant minimum, ce dernier ne concernant que les permis de séjour de courte durée.

Il convient en outre de souligner que le décret législatif en cause date de 1998. Ne pourrait-on pas le considérer aujourd’hui comme caduc au regard de la crise migratoire à laquelle l’Italie est confrontée ? En effet, ce phénomène ne nécessiterait-il pas d’être régi par des dispositions plus cohérentes avec les principes européens et surtout plus efficaces ?

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Articles

 

 

 

 

 

 

 

  • L’importo dei contributi richiesti per rilascio dei permessi di soggiorno ai cittadini di paesi terzi e familiari non deve costituire un ostacolo all’accesso allo status di lungo soggiornante, Associazione per gli Studi Giuridici sull’Immigrazione, publié le 30 avril 2012: http://old.asgi.it/home_asgi.php%3Fn=2158&l=it.html

 

 

 

 

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