Entretien avec SHAKA - Marchal Mithouard, réalisé par les étudiantes de première année du master MCEI

Marchal Mithouard, alias Shaka, nous reçoit un matin d’octobre, dans son atelier, à Igny, dans lequel la quantité de toiles et de peintures rend compte de son foisonnement créatif. Les différents éléments rassemblés - bombes, toiles, câbles, etc. - témoignent de l'éclectisme et de la richesse de son parcours et de son œuvre. C'est avec enthousiasme et passion qu'il nous parle de son art, entre les toiles encore enroulées de sa dernière exposition à SOLO SHOWS URBAN ART FAIR à l'espace Commines en octobre dernier, et les œuvres sur lesquelles il travaille actuellement. 

 

Marianne, 2017, réalisée à Grigny

Shaka n’a que 20 ans lorsqu’il commence à arpenter les rues de la banlieue sud de Paris avec sa bande pour trouver les bons « spots», là où l’emblème de son Crew sera le plus visible. Artiste plasticien né en 1975, Marchal Mithouard, plus connu sous le nom de Shaka, découvre la bombe aérosol en 1995. Très vite, ses visages colorés couvrent les murs d'Evry, sa ville d'origine ; il graffe la nuit avec ses amis, sur les murs ou sur les trains... Le graffiti s'impose comme un moyen artistique lui permettant de s'exprimer librement et sans limite dans l'espace public. 

Pourtant, Marchal ne prétend pas "venir de la banlieue" dans le sens d'une banlieue précaire, isolée et ghettoïsée. Il vient d'une banlieue pavillonnaire, fils de pharmacien et étudiant à la Sorbonne en Arts Plastiques; estampillé "ancien grapheur et vandale", Marchal manie en réalité le pinceau depuis toujours et était déjà surnommé à l'époque "l'artiste de la bande". Mais son arrivée dans les galeries révèle justement que les artistes qui font du graffiti ne sont pas uniquement des artistes de rue (ce que certains seulement revendiquent). Il remarque cependant qu'en banlieue on ne le connait que pour le Street Art, et qu'à Paris, on ne le connait que pour son travail en galerie... Son engagement politique est en tout cas visible de ses premières toiles à ses œuvres plus récentes, même s'il n'aime pas confronter violemment le public avec des messages trop directs, préférant interpeller le spectateur par un discours plus implicite.

Lorsque nous entrons dans son atelier, l'impressionnante collection de bombes de peinture nous rappelle justement les débuts de l'artiste dans le Street art. Puis nos regards sont happés par les multiples câbles électriques et les pots de peinture conductrice d'électricité disposés dans un coin de son atelier. Ce matériel nous donne un avant-goût de son travail actuel, réalisé à l'aide d'une caméra thermique. Caché derrière une toile, on aperçoit un visage sculpté dans de la mousse expansive. Shaka a en effet l'habitude de mobiliser divers matériaux pour réaliser ses œuvres : peinture, plexiglas, mousse expansive ou encore acier donnent à ses toiles leur dimension et leur caractère si particuliers. Chaque technique nourrit alors les autres et contribue à faire de Shaka un artiste inimitable.

Au fond de l'atelier, sous un puits de lumière, nous découvrons sa nouvelle création qui, même inachevée, évoque déjà l'esthétique et l'engagement de l'artiste : La Traversée du Styx. Sur cette toile on remarque une femme debout sur une barque. Une simple femme ? Pas du tout ; si l'on regarde de plus près, nous verrons qu’elle est coiffée d’un bonnet phrygien. C'est bien Marianne qui guide cette barque dans laquelle on trouve d'autres personnages accroupis, désespérés. Dans cette mer agitée, nagent des monstres portant des masques, rappelant ceux des médecins soignant la peste. Sur d’autres toiles de l’artiste, on retrouvera ces corps décharnés, s’inscrivant dans une dynamique violente et passionnée, et semblant sortir du cadre de la toile. 

Mais à côté de ces œuvres réalisées en atelier, Marchal nous explique qu’il continue aussi de réaliser des fresques dans l’espace urbain, comme celle qu’il a réalisée au stade de football de Lyon. Dans Rat Race, l'homme semble fuir et le titre évoque une course sans fin et autodestructrice. À propos de cette œuvre, véritable métaphore de l'homme moderne qui n'a jamais assez de temps, qui veut un meilleur salaire pour consommer plus, qui vit dans une spirale infernale à la recherche d'un manque à combler, Marchal nous dit : "Je m'en sers pour me rappeler qu'il faut toujours savoir pourquoi nous faisons les choses". 

 

Rat Race, 2018, Lyon, Stade des Lumières

L'univers de Marchal est au carrefour de plusieurs influences, à l’image de la culture Hip Hop, dont le Graffiti est issu. Certaines sont revendiquées, d'autres naissent au fur et à mesure des créations et des discussions avec le public. Reste que toutes ses influences s'entrecroisent et s'entremêlent, donnant à ses œuvres leur hybridité si particulière. Univers antique des mythes, œuvres tribales, expressionnisme allemand et arts premiers se rencontrent ainsi sur la toile, aux côtés des arts figuratifs, du cubisme et du futurisme. On notera l’influence du Caravage pour la technique du clair-obscur et la façon d’organiser l’espace pour dépeindre entre autres des scènes bibliques. Giuseppe Arcimboldo, par les reliefs infinis de ses portraits maniéristes, apporte également à l'artiste un vaste creuset d'inspiration. La plasticité et la manière d’habiter l’espace des œuvres de l'artiste français Xavier Veilhan ou encore celles de Christian Boltenski auront aussi représenté pour Marchal une source importante d’inspiration.

 

Visite de l'atelier : les élèves de M1 MCEI face à l'oeuvre Le Caroussel 

 

Pour finir, Marchal nous parle d’un futur projet de Boiler Garden qu’il souhaiterait réaliser, en invitant des artistes une à deux fois par mois afin qu’ils peignent sur le mur de son jardin. Ces œuvres éphémères perdureraient grâce aux photographies postées sur Instagram.

Enfin, Marchal exposera prochainement dans la galerie Lazarew les nouvelles œuvres issues de son travail avec une caméra thermique. On a hâte de voir ça !