Jobs Act: Quelles perspectives? Nicolas Turmeau
Le Jobs Act de Matteo Renzi se veut être une des grandes réformes de son mandat, celle sur laquelle plusieurs gouvernements se sont cassés les dents. Ainsi, cette loi a réformé en profondeur le droit du travail: non seulement il favorise le CDI mais il en fait l'horizon de tous les salariés. Mais il s'attaque aussi à un Totem du droit du travail italien, l'article 18 du Statut des Travailleurs, lequel obligeait la réintégration du salarié d'une grande entreprise pour tout licenciement abusif. Pour mieux mettre tout cela en valeur, une comparaison avec le droit français et même de l'actualité de ce côté-ci des Alpes s'avère plus qu'utile pour voir les enjeux de cette réforme votée en pleine crise économique.
Selon l’Institut National des Statistiques italien, le chômage en Italie a baissé, en un an, de 13% à 11,4%, résultat obtenu selon le gouvernement de Matteo Renzi grâce à sa grande réforme du marché du travail. Bien que les causes de cette baisse soient plus nuancées - et ce n’est pas l’objet de ce billet de les mettre en évidence - il n’en reste pas moins intéressant d’aller voir ce que recèle cette réforme.
La réforme du marché du travail porte plusieurs noms: loi 92/2012 ou loi Fornero -nom du ministre qui porta le projet- mais j’utiliserai celui donné par le gouvernement, le Jobs Act. Cette loi a un spectre d’action large avec pas moins de 270 alinéas répartis en 4 articles. Elle porte sur une réorganisation des différents contrats de travail, sur le licenciement, l’indemnisation-chômage, l’apprentissage et sur une procédure accélérée spécifique au droit du travail. De cet ensemble, je ne traiterai que de ce qui fît le plus parler, les contrats de travail et le licenciement.
Face à la grave crise que connaît l’Italie, le troisième Président du Conseil en 3 ans, Matteo Renzi, a lancé sa grande réforme en partant du constat que l’actuel système est trop rigide et trop cher, que les employeurs étaient forts réticents à embaucher et que la priorité pour les chômeurs, surtout les jeunes, fût de trouver un emploi. Il fallait donc qu’il trouvât un juste équilibre entre incitation à l’embauche et protection des travailleurs, juste équilibre que nous appellerons tentative de choix équitable.
Ainsi, dans quel mesure le Jobs Act fut-il conçu comme un choix équitable?
Plusieurs détails importants doivent être éclaircis avant de continuer. D’abords la spécificité même du droit du travail: le travailleur est en position de subordination vis-à-vis de l'employeur, celui-ci est donc en position de faiblesse. Le législateur a donc décidé, au cours de l'Histoire, d'intervenir sur plusieurs facteurs pour contrebalancer cet état de fait: le licenciement, ses modalités et les recours contre celui-ci; la durée du travail, contrat à durée indéterminée favorisé ou la durée légale encadrée (35 heures); ou encore, le développement des libertés syndicales.
Les contrats de travail sont répartis en deux principaux groupes: le contrat à durée indéterminée, la norme, et le contrat à durée déterminée, l’exception. Ce dernier est soumis à des règles plus strictes: le formalisme est exigé, c'est-à-dire, par exemple, qu'un écrit est obligatoire tout comme certaines mentions comme la définition précise du motif qui ne peut être une activité normale ou permanente de l’entreprise. Il est aussi soumis à des conditions moins avantageuses: nombre de renouvellements et durée dans le temps limités et cotisations plus élevées. Avant la réforme, en France et en Italie, cette même vision irriguait le droit du travail. Depuis, le système italien a un nouveau paradigme: l’on qualifie un contrat à durée indéterminée lorsque juridiquement ses effets s’appliquent. Plus précisément, au bout d’un certains temps, la situation est telle que le contrat à durée déterminée tend à devenir indéterminée et il n’y requalification de l’ensemble du rapport de travail. C’est cela l’idée sous-jacente du Contratto a tutele crescenti (contrat à protection croissante) que nous appelons en France - par abus de langage dans les deux cas puisque il y a de facto et de jure plusieurs contrats différents - contrat unique.
Enfin, dernier point, lorsque l’une des parties souhaite mettre un terme à un contrat à durée indéterminée plusieurs choix se présentent à elle: la rupture de commun accord, dit rupture conventionnelle en France (convention signée par les parties au contrat de travail pour définir les conditions de la rupture) et risoluzione consensuale en Italie (de l’autre côté des Alpes, il doit y avoir un accord explicite de la part du salarié à l’acte unilatéral de l’employeur de cessation du rapport contractuel), qui permet au salarié de bénéficier de l’indemnisation-chômage; la démission qui est à l’initiative du seul salarié et le prive d’indemnité-chômage et le licenciement qui est à l’initiative de l’employeur, doit donner droit à une indemnisation et surtout être justifié au risque pour ce dernier de devoir réintégrer le travailleur - ce qui par ailleurs est toujours le cas pour les licenciements nuls ou discriminatoires - les règles variants selon la taille de l’entreprise ou l’ancienneté du salarié.
Cette introduction montre bien la complexité de cette réforme, je vais donc tâcher d’exposer dans un premier temps comment juridiquement la réforme du licenciement tente-il un choix équitable (I) et ensuite dans quelle mesure l’essaye-t-il dans le nouveau cadre contractuel (II)
I/ Licenciement abusif du salarié: l’indemnisation plutôt que la réintégration.
Avant la réforme, le droit italien et le droit français donnaient des réponses sensiblement différentes à de mêmes problèmes (A), réponses qui ont dernièrement eu tendance à converger (B)
A/ Selon la taille de l’entreprise: les règles d’indemnisation et de réintégration varient
Dans le Statut du Travailleurs, cœur du droit du travail italien, en cas de licenciement abusif dans les entreprises de moins de 15 salariés dans l’unité de production, l’employeur a six jours pour réintégrer le travailleur, s'il refuse, au bout de trois jours, il doit lui verser une indemnité. Dans celles qui dépassent ce seuil ou possèdent plus de soixante salariés sur l’ensemble du territoire national, le salarié percevait non seulement une indemnité mais de plus, il était réintégré. Il est important de souligner que l'indemnité est toujours encadrée par la loi (Statuto dei Lavoratori) et qu'elle varie selon les licenciements mais a toujours un minimum et un maximum.
En France, tout licenciement non fondé donne lieu a deux possibilités: soit l’employeur réintègre son salarié soit il refuse et il doit, en conséquence, verser une indemnité. Si l’employé a deux ans d’expériences ou l’entreprises plus de onze salariés, elle est au moins égale à six mois de salaires. Si ces conditions ne sont pas remplies, cela dépend du préjudice subi. On voit là une différence à souligner, c'est au juge français de déterminer le montant que percevra le salarié abusivement licencié. L'on peut considérer, et c'est d'ailleurs l'avis du Gouvernement français, que cela est contraire au principe de sécurité juridique tout comme à l'incitation à l'embauche.
B/ Réforme du licenciement abusif: les deux systèmes tentent de converger
Le Jobs Act permet désormais une solution comparable à celle de la France. Il fallut pour cela toucher à l'article 18 du Statut des Travailleurs. Lorsque les motifs du licenciement personnel ne sont pas suffisamment graves pour le justifier, l’employeur peut soit réintégrer le salarié soit lui verser une indemnité tandis que pour les licenciements collectifs, seul l’indemnisation est possible. Le cas de figure du motif insuffisant est, dans la réalité, le plus récurrent. Lorsque le licenciement est nul ou discriminatoire, le fait dont découle le licenciement n'existe pas ou est inefficace (car la procédure n'a pas été respecté), la réintégration est obligatoire.
En France, la Loi Macron a voulu créer un barème et un plafonnement des indemnités de licenciement en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise. Dispositif censuré par le Conseil Constitutionnel car contraire à l’égalité devant la loi mais aussi parce que l’indemnisation ne dépendait plus du préjudice subi. Plus concrètement, le salarié d'une petite entreprise aurait vu ses indemnités plus fortement limitées que celles d'un salarié d'une grande entreprise. Le gouvernement a voulu remettre sur la table avec la loi El Khomri le plafonnement obligatoire cette fois-ci uniquement basé sur l’ancienneté. Il s’est, pour le moment, contenté d’un barème indicatif mais le plancher de 6 six mois a, quant à lui, disparu.
Dans les deux cas, l’objectif est de ne pas rendre l’employeur pieds et poings liés lorsqu’il recrute et qu’il sache à l’avance le coût d’un licenciement. On espère ainsi qu’il prenne des risques et conséquemment, embauche. Nous allons voir maintenant comment avec les mêmes perspectives, les contrats de travail ont été modifiés.
II/ Lorsque le coût des out est compensé en vue d’un CDI
Le contrat unique est la quintessence de ce choix équitable: d’un côté une incitation financière (A), de l’autre ce que l’on pensait comme un recul quant au licenciement devient une avancée pour l’accès au CDI (B)
A/ Un CDD plus cher et un CDI plus avantageux financièrement
Pour rendre moins avantageux le CDD, le Jobs Act augmente le taux d’imposition du salaire imposable de 1,4 point, sachant qu’il est déjà supérieur de 1,31 point à celui du CDI. Il devient même avantageux de convertir le rapport de travail car ce taux additionnel est remboursé à la transformation du CDD en CDI (équivalent au maximum à 6 mois de paiement ). De plus, à ce remboursement, s’ajoute une réduction de 50% des cotisations patronales sur une période de 18 mois.
Il existe aussi une majoration en France qui varie entre 0,5 et 3% si le CDD remplit ces trois conditions: il s’agit d’un CDD dit d’usage ou le motif du CDD est l’accroissement temporaire d’activité, le CDD a une durée initiale inférieure ou égale à trois mois et la relation contractuelle ne se poursuit pas en CDI. A cela s'ajoute une prime de précarité (au minimum 10% de la rémunération brut en cas de non transformation à la fin du CDD). Enfin, le Président de la République veut mettre en place une prime de 2000 euros pour toute entreprise de moins de 250 salariés qui recrutera un salarié payé entre 1 et 1,3 le SMIC en CDI ou en CDD de 6 mois, ce qui dans les faits équivaut à 2 ans de contribution.
L'on peut voir que dans les deux pays, le CDI est favorisé financièrement mais ce qui fait la spécificité en Italie est que le système ne veut pas seulement rendre plus attractif économiquement le contrat à durée indéterminée mais est agencé pour que le passage du CDD au CDI soit naturel. Aspect qui sera encore plus mis en valeur dans la partie suivante.
B/ Transformation du CDD en CDI: le contratto a tutele crescenti
La grande nouveauté du Jobs Act est la volonté de faire du contrat à durée indéterminée l’horizon de tous les salariés. Ainsi la collaboration à durée déterminée ne peut dépasser 36 mois ni être prorogée plus de cinq fois. Si cette règle n’est pas respectée, le CDD est converti en CDI et l’employeur ne pourra bénéficier des avantages fiscaux. La protection croissante est donc la conversion incitée ou imposée du rapport de travail en CDI. Tout en rappelant qu'une embauche faite directement en CDI permet une réduction de 50% pendant 18 mois des cotisations patronales. Le salarié a donc bon espoir de travailler dans la durée tandis que l'employeur peut prendre des risques tant le coût est substantiellement amorti.
En France, seul reste la limite de deux renouvellement du CDD et d’une durée maximale de 18 mois si on la précise dans le contrat, mais jusqu’à bien plus tard si ce n’est pas le cas. Selon l'article L 1243-11 du Code du travail, lorsque la relation contractuelle se poursuit au-delà du terme du CDD, celui-ci est automatiquement requalifié en CDI par le juge, cas d'espèce impossible lorsque le terme n'est pas précisé. De même, seul le juge peut redéfinir la succession abusive de CDD en CDI lorsque ce qui aurait du être plusieurs CDD avec des motifs différents se révèlent être une succession quasi ininterrompue de CDD et une activité normale ou permanente de l’entreprise. On pourrait presque faire une analogie avec le plafonnement mais le manque de sécurité juridique est cette fois-ci en défaveur du travailleur.
Plus largement, on peut donc faire le constat que le Jobs Act non seulement favorise le CDI, financièrement ou structurellement, mais il assure aussi une plus grande sécurité juridique que ce soit pour l'employeur ou pour le salarié. L'objectif, soulignons-le une dernière fois, est de favoriser l'emploi tout en continuant à protéger les travailleurs.
Bibliographie:
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Droit du travail, Relations individuelles, Bernard Teyssié/ Jean-François Cesaro/ Arnaud Martinon, 3éme édition, LexisNexis
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Jobs Act: Così cambia il mercato del lavoro, Studio Legale Trifirò & Partners coordinamento Massimo Fracaro, CorriereEconomica
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La Riforma del Lavoro: Istruzioni per l'uso, Studio Legale Trifirò & Partners coordinamento Massimo Fracaro, CorriereEconomica
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Il Jobs Act e gli incentivi deludono a dicembre, Paolo Baroni, 3 septembre 2016, La Stampa