La lutte préventive contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme aux Etats-Unis et en France

« Is the U.S. ready for the next attack against the homeland? »  – Question posée à Hilary Clinton, candidate à l’investiture du parti démocrate pour l’élection présidentielle américaine de 2016, lors du débat démocrate du 11 février 2016.

Cette interrogation reflète bien la place que le terrorisme occupe aujourd’hui dans les consciences, on ne s’interroge plus désormais sur la probabilité d’une attaque, mais sur l’imminence de celle-ci.

C’est pourquoi les gouvernements, organisations régionales et internationales font de la lutte contre le terrorisme une de leurs priorités absolues. Les Etats-Unis peinent à refermer la plaie béante laissée par les attentats du 11 septembre 2001 ; quant à la France elle a payé, par deux fois dans l’année qui vient de s’écouler, un lourd tribut au terrorisme. Les opérations de combat traditionnelles, sous forme de frappes militaires, s’avèrent difficiles à mener face à ces organisations criminelles d’une nouvelle forme et sont souvent perçues par l’opinion publique comme coûteuses, peu efficaces et parfois même en contradiction avec les droits de l’homme. Les législateurs se tournent donc vers des moyens de paralyser ce que l’on appelle familièrement « le nerf de la guerre », autrement dit les capitaux. En effet, le blanchiment de capitaux est souvent l’accessoire indispensable au financement d’activités criminelles de moyenne et grande envergure. S’il a longtemps été associé au trafic de stupéfiants, il constitue maintenant un élément-clé à neutraliser dans la lutte contre le terrorisme. Pour preuve de la corrélation entre blanchiment de capitaux et terrorisme, le Groupe d’Action Financière Internationale (GAFI), créé en 1989 lors du sommet du G7 de Paris dans le but de lutter contre le blanchiment de capitaux et qui compte la France et les Etats-Unis parmi ses 34 Etats membres, a vu son mandat étendu à la lutte contre le financement du terrorisme en octobre 2001. Cette même organisation définit le blanchiment comme un processus qui « consiste à retraiter des produits d’origine criminelle pour en masquer l’origine illégale » afin de permettre « au criminel de profiter de ces bénéfices tout en protégeant leur source ». Le Code monétaire et financier (CMF) français définit cette activité comme le « processus à l’issue duquel des fonds obtenus au moyen de la commission d’infractions pénales sont réinjectés dans l’économie légale ». Autrement dit, il s’agit d'un processus de « nettoyage » des capitaux issus d’activités criminelles, les fonds changent de forme et sont déplacés, investis et réinvestis jusqu’à prendre l’apparence de revenus légalement générés.

Le GAFI, en s’appuyant sur les dispositions de la Convention de Vienne du 20 décembre 1988 et de la Convention de Palerme du 12 décembre 2000, émet des recommandations à valeur non-contraignante, dans l’espoir d’inciter ses membres à adopter de nouvelles mesures de lutte.

L’Union européenne a adopté le 20 mai dernier la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme (dispositif LCB/FT), en remplacement de la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005. Cette dernière, transposée en droit interne sous l’ordonnance n°2009-104 du 30 janvier 2009, sera abrogée le 26 juin 2017, date limite à laquelle le législateur français devra transposer la nouvelle directive. La directive (UE) 2015/849 prévoit notamment un renforcement de la coopération entre Etats membres par le biais de leurs cellules de renseignements financiers, une plus grande autonomie de ces cellules, ainsi que de nouvelles dispositions prévoyant une souplesse pour les produits de monnaie électronique, qui pourront désormais être exemptés de certaines mesures de vigilance s’ils répondent à des critères précis. Cette directive contient également une liste explicite des facteurs à risque que les acteurs visés devront prendre en compte lorsqu’ils effectueront des opérations de vérification. La directive (UE) 2015/849 soumet également de nouveaux acteurs à cette obligation de vigilance, notamment les fournisseurs de services de jeux d’argent (aussi bien casinos que sites de paris en ligne).

Le règlement (UE) 2015/847, applicable également à partir du 26 juin 2017, assurera la mise en conformité du droit européen avec la recommandation 16 du GAFI qui incite à une plus grande vigilance en ce qui concerne les virements électroniques préconise une application stricte des mesures de gel des transactions des personnes désignées comme se livrant à des activités de blanchiment liées au financement du terrorisme.

En droit interne, c’est par une loi du 12 juillet 1990 (n°90-614) relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants que le législateur français a pour la première fois mis en place un système de contrôle des opérations financières, de prévention et de détection des activités de blanchiment. Cette loi ainsi que les modifications apportées par la transposition de 2009 sont actuellement codifiées aux articles L.561-1 et suivants du CMF.

Les Etats-Unis quant à eux, font du blanchiment de capitaux un crime fédéral depuis l’adoption en 1986 du Money Laundering Control Act (MLCA), que l’on trouve au Title 18 U.S. Code §1956 et §1957. En réaction au traumatisme du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont par la suite adopté, le 26 octobre de la même année, le Uniting and Strengthening America by Providing Appropriate Tools Required to Intercept and Obstruct Terrorism Act plus connu sous le nom de USA Patriot Act. Les dispositions anti-blanchiment sont visées au Titre III de ce texte, intitulé International Money Laundering Abatement and Financial Anti-Terrorism Act et viennent renforcer les dispositions du MLCA ainsi que du Bank Secrecy Act (BSA), texte de 1970 qui oblige notamment les banques à garder des traces de certaines opérations dans leurs fichiers ainsi qu’à déclarer toute activité suspecte qui pourrait suggérer des activités de blanchiment aux autorités compétentes. Le Patriot Act était constitué en grande partie de « sunset provisions », c’est-à-dire d’articles ayant vocation à ne plus s’appliquer à partir d’une certaine date, à moins que le Congrès décide d’en prolonger l’application. Le USA Freedom Act du 2 juin 2015 a renouvelé les dispositions du Patriot Act jusqu’en 2019.

 

Nous étudierons dans un premier temps les entités engagées dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (I), pour ensuite nous intéresser aux obligations pesant sur ces dernières (II).

 

I.    Les entitées engagées dans la lutte préventive contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

 

Les conditions essentielles à un rendement bénéfique des mesures anti-blanchiment résident dans une articulation efficace entre les règles édictées par les autorités étatiques (A) et les agissements des personnes privées (B).

 

A – Le rôle des autorités étatiques

 

La recommandation 29 du GAFI préconise l’institution d’une cellule de renseignements financiers, qui serait chargée de recueillir et d’analyser les déclarations d’opérations suspectes au niveau national.

Sur ce point, la France s’est dotée dès 1990, à la suite d’un sommet du G7, d’un service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN), qui a acquis en 2006 le statut de service à compétence nationale et dont les compétences sont détaillées aux articles L.561-15, L.561-23 et R.561-33 (CMF). Ce service est placé sous l’autorité du Ministère des Finances et des Comptes publics.

Les Etats-Unis ont également confié la mission de lutte anti-blanchiment au Secretary of the Treasury (31 U.S. Code Chapter 53). La cellule de renseignements financiers est incarnée par le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN) dont les compétences sont listées au Title 31 U.S. Code Subchapter II §§5311-5332.

Ces deux services recueillent les déclarations faites par les institutions financières et sont chargées d’enquêter sur la nature des informations fournies. TRACFIN (article R.561-33 4° CMF) et FinCEN (31 U.S. Code §310 (C)(vi)) ont également pour mission de participer à l’étude de mesures à mettre en œuvre pour faire échec au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme.

 

B – Le concours des établissements financiers

L’une des principales difficultés à laquelle se heurte la lutte anti-blanchiment est la protection offerte par le secret bancaire. Il est compréhensible que les établissements de crédit souhaitent préserver cette garantie, élément essentiel au maintien de la confiance du public. Cependant, les institutions financières sont tenues d’appliquer les mécanismes dérogatoires mis en place par les législateurs.

En France, les articles L.561-1 et L.561-2 fournissent une large liste des professions visées par les obligations anti-blanchiment. En tête figurent évidemment les établissements de paiement ainsi que les établissements de monnaie électronique depuis la loi n°2013-100 du 28 janvier 2013 mais également les établissements de crédit, les compagnies d’assurances, les entreprises d’investissement ou encore certaines professions juridiques lorsqu’elles assistent leurs clients ou qu’elles réalisent certaines opérations en leur nom. 

Les Etats-Unis utilisent les notions de « financial agency » ou « financial institution » au Title 31 U.S. Code §5312 et tous les établissements autorisés à recevoir les fonds du public (commercial banks, credit unions, insured banks) sont concernés. Tout comme en France, sont également visées les compagnies d’assurances, les opérateurs de jeux et paris, les personnes se livrant au commerce de métaux précieux. La législation américaine présente un éventail encore plus large que la législation française, puisque le Title 31 U.S. Code §5312 (a)(2)(V) vise le service USPS (équivalent de La Poste) alors que le Title 31 U.S. Code §5312 (a)(2)(T) impose des obligations aux entreprises engagées dans le commerce de véhicules (terrestres, aériens, maritimes).

 

  II.    Les obligations imposées aux entités en charge de la lutte préventive contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

 

Le GAFI préconise deux types de mesures préventives qui se retrouvent dans les législations française et américaine de la matière et revêtent un caractère contraignant. Il s'agit respectivement d'un devoir de vigilance dans ses recommandations 10 et 11 (A) et d'une obligation de déclaration dans ses recommandations 20 et suivantes (B).

 

A – L’obligation de vigilance

 

Aux Etats-Unis, une obligation de « recordkeeping » impose aux établissements visés de conserver certains documents liés aux transactions financières qu’ils effectuent (Title 31 U.S. Code §5318 (a)(2) et (3)). En France cette obligation, qui n’est imposée par aucun texte, est dérivée de la nécessité de permettre au TRACFIN de procéder à une analyse si nécessaire et constitue la preuve de la vigilance (décision ACP n°2011-01 du 29 juin 2012).

L’autre volet de l’obligation de vigilance est constitué par une obligation de vérification des éléments d’identification des clients, mentionnée à l’article L.561-5 (CMF) ainsi que par le Title 31 U.S. Code §5314 (a)(1), (2), (3) et (4) pour les transactions impliquant une entité étrangère et par le Title 31 U.S. Code §5313 (a) lors d’une transaction domestique. Aux Etats-Unis, cette obligation est vue comme une adaptation du principe de due diligence, qui irrigue l’ensemble du droit civil américain, à la lutte contre le blanchiment de capitaux (Title 31 U.S. Code §5318 (i)). 

 

B – L’obligation de déclaration

 

Dans sa recommandation 20, le GAFI conseille aux Etats d’imposer une obligation légale de déclaration auprès de la cellule de renseignements financiers à ses institutions financières lorsqu’elles « suspectent ou ont des motifs raisonnables de suspecter, que des fonds sont le produit d’une activité criminelle ou ont un rapport avec le terrorisme ».

L’article L.561-15 (CMF) impose à toute personne mentionnée à l’article L.561-2 (les autres devant s’adresser au procureur de la République) de déclarer au TRACFIN les « sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles […] participent au financement du terrorisme ». Ce critère du soupçon est également mentionné dans la législation américaine, en effet le BSA impose à tout employé qui suspecte qu’un client se livre à des activités de blanchiment de remplir un « suspicious activity report » (SAR) (12 CFR 21.11) pour toute transaction supérieure à 5000$.

Une telle révélation est en violation du secret bancaire, c’est pourquoi les législations ont prévu des mécanismes d’exemption afin de protéger les opérateurs divulguant ce type d’informations. L’article L.561-22 (CMF) offre une immunité civile, administrative et disciplinaire aux personnes ayant effectué une déclaration de bonne foi ; aucune poursuite ne pourra être intentée en vertu d’une violation du secret professionnel. Le Title 31 U.S. Code §5318 (3)(A) offre également une exemption de toute responsabilité (fédérale et étatique) à l’institution ou à la personne qui divulgue l’activité suspecte. 

De la même façon, les deux législations condamnent pénalement le fait de divulguer à un client qu’il fait l’objet d’une déclaration dans le Title 31 U.S. Code §5318 (2)(A) ainsi que dans l’article L.574-1 (CMF).

 

Les grandes similarités qui ressortent de l’étude de ces deux régimes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ne sont pas dues au hasard. Les progrès technologiques de ces trente dernières années ont fait des capitaux un produit invisible, dont il devient très difficile de détecter l’illicéité.  Le volume de la circulation des capitaux est d’une telle ampleur qu’il complique la mission qu’ont les acteurs de la lutte contre le blanchiment de séparer les capitaux sains de ceux entachés d’illégalité. L’une des clés se trouve très certainement dans l’harmonisation de la matière et dans le renforcement de la coopération entre cellules de renseignements financiers. L’Union européenne, avec la directive 2005/60/CE, puis désormais avec la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme semble avoir répondu favorablement aux appels du pied du GAFI en matière d’harmonisation et de coopération.

 

Bibliographie –

•    L. Dubouis et C. Blumann : Droit matériel de l’Union européenne, Précis Domat Montchrestien, 7e éd. 2015
•    Th. Bonneau et F. Drummond : Droit des marchés financiers, Economica, 3e éd. 2010
•    Th. Bonneau : Droit Bancaire, Précis Domat Montchrestien, 11e éd. 2015
•    M.P. Malloy : Banking Law and Regulation, Wolters Kluwer Law & Business, 12/07/2015
•    C. Proctor : The Law and Practice of International Banking, 2nd ed. 2015
•    www.legifrance.gouv.fr
•    www.eur-lex.europa.eu
•    www.fatf-gafi.org 
•    www.economie.gouv.fr
•    www.law.cornell.edu
•    www.fincen.gov
•    www.ffiec.gov
•    www.pwc.lu, Publication of the 4th anti-money laundering directive: European Union adopts stronger framework to combat money laundering and terrorism financing, PwC
•    Convention de Vienne du 20 décembre 1988 sur le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes
•    Convention de Palerme du 12 décembre 2000 contre la criminalité transnationale organisée
•    Convention de New York du 15 novembre 2000 pour la répression du financement du terrorisme