La pertinence d’une déclaration universelle sous forme de soft law des droits des migrants internationaux.

Résumé :

Ce billet a pour but d’évaluer le bien-fondé et l’utilité potentielle d’un instrument international de droit souple (soft law) pour garantir la sauvegarde des droits fondamentaux des migrants internationaux et combler les failles actuelles des législations internationales et étatiques. Il s’agira d’analyser le postulat qu’une déclaration de droit souple est la réponse la mieux adaptée aux carences d’application des droits des migrants, et dans quelle mesure sa flexibilité est un atout face à des politiques publiques nationales de plus en plus restrictives (particulièrement en France et aux Etats-Unis), à travers l’étude d’un commentaire de l'International Migrants Bill of Rights par Ian M. Kysel, un des rédacteurs du projet (Kysel Ian M., Promoting the Recognition and Protection of the Rights of All Migrants Using a Soft-Law International Migrants Bill of Rights, accessible à http://jmhs.cmsny.org/index.php/jmhs/article/view/60 ).

La diversité des sources où sont énoncés les droits des migrants rend très complexe l’effectivité et le respect de ces droits, de même qu’elle conduit en pratique à reconnaître des droits à géométrie variable aux migrants selon les pays où ils se trouvent. L’Organisation des Nations Unies (ONU) estimait en 2013 à 230 millions le nombre de migrants dans le monde. Au vu de l’absence d’un instrument regroupant ces droits ou même d’une simple définition universelle de ce qu’est un migrant, et de l’urgence pressante de trouver et d’adopter un cadre clair, notamment face au défi à venir des migrants climatiques, quel est l’apport et l’utilité d’une déclaration internationale universelle sous forme de droit souple des droits des migrants ? Un tel instrument pourrait-il permettre de combler les défauts du morcellement des sources et de la difficulté pour les migrants d’accéder à leurs droits ? Dans le contexte actuel d’un durcissement des législations et politiques publiques en matière d’asile et d’immigration en France et aux Etats-Unis (Projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, abrogation du décret Deferred Action for Childhood Arrivals (DACA), travel ban etc.), et considérant les faibles nombres de ratification des différentes conventions internationales prévoyant des droits pour les migrants, l’utilité d’un instrument uniformisateur au niveau international semble incontestable pour garantir un socle de droits fondamentaux. Cependant, la forme reste en question : une déclaration sous forme de droit souple à l’avantage d’être moins contraignante et de permettre une application plus large par plus d’Etats, ce qui est également sa faiblesse : le caractère non contraignant peut également conduire à moins se conformer à une telle déclaration en raison de l’absence de sanction juridique en cas de non-respect des droits. Ce billet se fonde sur l’analyse d’un commentaire d’une tentative de déclaration internationale des droits des migrants, l’International Migrants Bill of Rights. Ce commentaire est écrit par un des corédacteurs qui prend position en faveur d’un instrument de soft law. La définition de la soft law[1] utilisée dans cet article est une combinaison des sens de droit mou, c’est-à-dire une forme de droit ne créant ni droits ni obligations, et de droit doux, c’est-à-dire sans sanction juridique contraignante.

Il s’agira d’abord de questionner le choix d’un instrument de droit souple comme proposition de solution juridique à l’absence d’une convention unique regroupant les droits des migrants internationaux (I) puis d’étudier les réponses qu’un tel instrument apporte pour pallier les failles des droits nationaux (II)

 

Le choix du droit souple

Un choix consubstantiel à l’objectif des rédacteurs

L’école de droit de l’université de Georgetown a rédigé une déclaration des droits des migrants internationaux[2], pour tenter d’apporter une réponse au non-respect des droits des migrants et à l’absence d’organisation chargée de garantir ces droits ou de gérer les migrations à l’échelle internationale. Le premier mérite de cette déclaration des droits est de s’adresser à toutes les catégories de migrants internationaux et non uniquement aux catégories déjà protégées par des traités normatifs et contraignants comme les réfugiés ou les travailleurs migrants. Cette approche globale faisait largement défaut jusqu’alors. Le deuxième apport crucial est d’avoir élaboré une définition simple et universelle de ce qu’est un migrant : une personne qui se trouve hors de l’Etat duquel elle est citoyenne, ou hors de son Etat de naissance ou de résidence habituelle dans le cas d’une personne apatride. Enfin, le troisième avantage de cette déclaration est de se fonder sur les textes existants en droit international, ce qui offre davantage de cohérence et de possibilités d’usage de cet instrument. La division entre l’emploi de shall (obligatoire) et should (incitatif) selon le caractère consensuel ou non du droit illustre cette prise en compte de la formulation, de la pratique et de l’usage général concernant un droit en particulier. Cela reflète également le double objectif de cette initiative : d’une part, essayer d’améliorer le respect des droits existants dans les textes internationaux normatifs comme la Convention sur les réfugiés ou les droits des travailleurs, et d’autre part suggérer des cadres normatifs dans les domaines controversés des droits des migrants, qui sont également souvent les plus actuels et cruciaux. M. Kysel prend pour exemple le droit de non-refoulement des demandeurs d’asile et son traitement dans l’International Migrant Bill of Rights (IMBR[3]) : l’article 13 de l’IMBR est composé de deux types de provisions : celles issues des traités internationaux (droit au non-refoulement ; non-déportation en cas de risque de torture) qui font consensus et sont obligatoires, et celles issues des jurisprudences des systèmes régionaux de protection des droits de l’Homme qui étendent les protections et créent de nouveaux droits sans toutefois faire consensus, et sont seulement suggérés. Ce double niveau de normes permet à la fois d’entériner des droits incontestés et d’offrir une force de proposition pour des droits qui ne sont reconnus que par certains Etats. Or, cette force de proposition n’est possible par nature que sous forme de soft law : un traité normatif et contraignant avec des mécanismes d’application et de sanction exclut la présence de propositions de législation ou d’extension d’un droit existant en son sein. Dès lors, il est légitime de s’interroger sur le choix du droit souple pour une telle déclaration de droits.

 

 

Un choix qui permet une application plus large

 

Le droit souple sert ainsi parfois de précurseur à l’adoption de normes contraignantes, alors que de nombreux pays auraient pu être réfractaires à un traité contraignant prévoyant les mêmes provisions. Ainsi, comme le note François Crépeau, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme des migrants, « les Etats continuent d’essayer de réguler les migrations principalement de façon unilatérale. Cela a conduit à un manque de cohérence entre les gouvernances globale, régionale et nationale, et à un retrait des cadres juridiques contraignants au sein de l’ONU »[4].

Parfois, c’est donc dans un sens inverse qu’apparait l’intérêt du droit souple : dans un rôle intérimaire avant l’adoption de normes contraignantes. Par exemple, dans le cas des réfugiés environnementaux, le droit positif contraignant n’existait pas jusqu’à l’adoption des Principes directeurs relatifs au déplacement des personnes à l’intérieur de leur propre pays[5] adoptés par l’ONU, le premier instrument de droit (souple et non contraignant) sur la question. Celui-ci a conduit à des normes contraignantes s’en inspirant dans le système régional africain de protection des droits de l’Homme. Suivant le même processus, l’IMBR pourrait servir de base de travail pour la création d’un statut de réfugié/migrant climatique reconnu par le droit international et impliquant des normes contraignantes pour garantir sa protection. Certains auteurs parlent ainsi de « rôle d’étape dans l’évolution du droit »[6]. Par ailleurs, la définition du migrant telle qu’elle figure à l’article 14 de l’IMBR, définition de droit souple par conséquent, a été utilisée par le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations-Unies dans ses principes et recommandations sur les droits de l’Homme aux frontières internationales[7]. C’est toujours du droit souple mais cette fois repris par une agence de l’ONU.

Enfin, si l’IMBR peut aller aussi loin dans la reconnaissance de droits aux migrants, notamment en intégrant les jurisprudences régionales les plus progressistes, c’est bien en raison de son caractère de droit souple : de telles innovations sous forme contraignante auraient surement conduit aux problèmes se posant pour les traités normatifs existants, principalement le faible taux de ratification par des pays qui accueillent le plus de migrants internationaux. En outre, l’IMBR nous rappelle à tous que les migrants ont des droits, qu’ils soient avec un statut légal ou en situation irrégulière.  Ce rôle de balise, qui trace une ligne entre ce qui est autorisé juridiquement et ce qui ne l’est pas selon l’interprétation des textes existants par les rédacteurs de l’IMBR, peut déboucher sur des traités de hard law bien plus ambitieux ratifiés par le plus grand nombre, ou encore influer grandement sur un changement des législations étatiques, fonction qui aurait été par nature exclue dans un traité normatif.

 

 

Les réponses du droit souple aux failles des législations nationales

Un rappel des obligations existantes des Etats

L’IMBR a donc la forme d’un cadre pré-normatif, qui centralise les différentes obligations déjà existantes des Etats en vertu des traités internationaux de protection des droits de l’Homme, des réfugiés, des personnes vulnérables etc. C’est pourquoi résumer le droit souple à des normes non-contraignantes n’a pas de sens : dans l’IMBR, la plupart des articles correspondent à des obligations contraignantes en bonne partie non appliquées. Or, l’absence d’effectivité des normes est souvent le reproche fait à la soft law. On voit bien que dans un contexte de non-respect de normes de hard law, la soft law peut jouer un rôle fondamental de rappel d’obligations et contribuer à l’application de normes contraignantes, justement en raison de son caractère non-contraignant juridiquement mais qui laisse plus de liberté d’innovation et donne d’autres moyens de pressions que la sanction. Par exemple, une fonction d’évaluation de la conformité de la pratique avec la lettre de la norme. Ainsi, paradoxalement, un instrument moins contraignant peut entraîner plus d’application et de respect de normes contraignantes préexistantes, de même que la création de nouvelles règles de hard law qui viennent combler les failles identifiées des règles de droit en vigueur. En outre, l’avantage d’un document tel que l’IMBR est de ne pas être rédigé sous l’influence des passions, faits divers et pressions publiques et médiatiques, mais au contraire de prendre le temps de trouver un cadre général, apaisé et efficace, centré sur le respect des droits existants des migrants et la promotion de nouveaux droits qui font cruellement défaut (respect des droits de l’Homme non fondamentaux etc.), dont le symbole majeur est la rédaction d’une définition de ce qu’est un migrant. Cela permet de sortir de la crise et l’urgence permanentes dans lesquelles sont rédigées les législations nationales.

Enfin, le choix d’un tel instrument est un aveu de l’impuissance des acteurs privés à pallier les manquements des Etats, et reconnait que l’Etat est le seul acteur juridique qui peut garantir la réalité d’un droit donné relatif aux migrants. Cela témoigne aussi du caractère sensible du droit international des migrations, en ce qu’il est étroitement lié à la souveraineté des Etats.

Un tel instrument a cependant bien d’autres applications et utilisations potentielles qu’une simple redéclaration regroupée des droits existants au niveau international.

 

De la manière d’utiliser un outil de droit souple.

 

Quand bien même une reprise telle quelle de l’IMBR par une agence de l’ONU ou dans un traité international paraît illusoire, l’idée d’une déclaration internationale (sous l’égide de l’ONU ou d’une nouvelle agence ONUsienne qui engloberait l’Organisation Internationale pour les Migrations par exemple) reconnaissant et regroupant les droits des migrants est posée par ce projet, et est séduisante. Ce document peut ainsi servir de base de travail que ce soit pour des initiatives multilatérales comme l’Initiative migrants dans les pays en crise (MICIC), ou pour la création d’un instrument contraignant de droit international, puisqu’il est en grande partie fondé sur des normes existantes.

De même, l’IMBR pourrait servir de référence pour la rédaction d’une législation nationale conforme au droit international et qui respecte les droits de l’Homme des migrants. Il peut aussi avoir une fonction d’interprétation en tant que déclaration des différents droits existants tant au niveau international que régional, d’évaluation de la qualité d’une politique publique précise en considérant l’efficacité du point de vue de l’effectivité de tel ou tel droit. Par ailleurs, les droits de l’homme garantis au niveau international sont souvent difficiles d’accès pour le particulier, a fortiori un migrant. Or une déclaration des droits rend possible une meilleure accessibilité et partant une meilleure connaissance de ses droits par le migrant, ce qui donne plus de chances à celui-ci ou aux associations de défense de migrants de les revendiquer et d’accroître leur effectivité. Plus d’accessibilité entraîne également plus de doctrine et de commentaires et donc améliore la promotion des droits. Cela se reflète particulièrement au niveau du manuel (Handbook[8]) et des commentaires suivant les articles de l’IMBR, qui constituent des guides stratégiques pour vulgariser les droits en langage non technique, promouvoir l’émancipation des migrants, anticiper et répondre aux menaces sur les droits énoncés par l’IMBR, et influer sur les politiques publiques en matière d’immigration.

L’IMBR a donc un double rôle : d’une part améliorer l’effectivité des droits déjà existants, d’autre part compléter le droit international positif et être un outil pour militer afin de reconnaître de nouveaux droits aux migrants internationaux en droit international. En d’autres termes, un tel Bill of Rights entérine le caractère inévitable des migrations, et plutôt que d’essayer de les limiter, cherche à les accompagner au mieux dans le respect des normes légales internationales. Il change le prisme : plutôt que de classifier les migrants selon les raisons de leur migration, il les considère en tant qu’êtres humains avec des droits.

 

[1] Soft law et droit souple sont employés de manière interchangeable dans cet article.

[2] https://www.law.georgetown.edu/academics/centers-institutes/isim/imbr/im...

 

[3] https://www.law.georgetown.edu/academics/centers-institutes/isim/imbr/im...

 

[4] “States continue to attempt to govern migration largely on a unilateral basis. This has led to a lack of coherence between global, regional and national governance and retreat from binding United Nations based frameworks”  (ma traduction)

[5] http://www.unhcr.org/fr/protection/idps/4b163f436/principes-directeurs-r...

[6] G. ABI-SAAB, « Eloge du “droit assourdi”. Quelques réflexions sur le rôle de la soft law en droit international contemporain », in Nouveaux itinéraires en droit, Hommage à François Rigaux, Bibliothèque de la Faculté de droit de l’Université catholique de Louvain, Bruxelles, Bruylant, 1993

[7] http://www.ohchr.org/Documents/Publications/Traffickingfr.pdf

[8] https://www.law.georgetown.edu/academics/centers-institutes/isim/imbr/im...