La taxe carbone française, un modèle d’inspiration possible pour l’Italie

Résumé : la taxe carbone représente désormais un instrument incontournable pour lutter contre le réchauffement climatique. La France a déjà adopté une législation en la matière, tandis que l’Italie ne l'a pas encore prévue. Cette dernière peut donc tirer profit de l’expérience française, en tenant compte des aspects positifs comme des questions encore ouvertes.

Mots-clefs : Taxe carbone ; Contribution Climat Energie ; France ; Italie.

Les enjeux concernant les changements climatiques sont de plus en plus prégnants. C’est au niveau international que le sujet a été formulé pour la première fois avec la Convention Cadre sur les changements climatiques de l’ONU en 1992 et le Protocole de Kyoto en 1997. Parmi les textes les plus importants figure l’Accord de Paris sur le Climat de 2015 : son objectif est d’atténuer le changement climatique en réduisant les émissions polluantes ; son but est de contenir l'élévation de la température de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels. Depuis 2005, l’Union Européenne a de son côté élaboré un Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet serre : il repose sur un principe de plafonnement et d’échange des droits d’émission. Par ailleurs, au niveau national, plusieurs pays ont pris des mesures, plus ou moins efficaces, pour lutter contre le réchauffement climatique et pour réduire les émissions polluantes. L’une des mesures les plus adoptées est ladite « taxe carbone » , une taxe sur les produits dont la consommation entraîne des émissions de CO2, proportionnelle à la quantité de ces émissions. Différents Etats ont adopté une telle taxe, par exemple la Suède et la Norvège depuis 1991. En France, cette taxe a pris la forme de la Contribution Climat Energie créée en 2014. Cependant, l’Italie, après une première tentative, n’a pas encore adopté une mesure comparable même si le sujet est actuellement en débat.

Comment la France pourrait-t-elle fournir un modèle à l’Italie pour la mise en place d’une telle taxe? Pour répondre à cette question nous analyserons tout d’abord le cadre juridique de la taxe carbone en France et en Italie (I) puis nous examinerons en quoi le régime juridique français pourrait inspirer le droit italien (II).

I- LA TAXE CARBONE EN FRANCE ET EN ITALIE

Alors que la France a mis en place une contribution climat énergie depuis 2014 (A), les tentatives d’adoption d’une taxe carbone en Italie ont jusqu’ici échoué (B).

A- La règlementation française : la Contribution Climat Energie.

En France, une Contribution Climat Energie a été introduite par l’article 32 de la loi de finances pour 2014 : elle a pour objectif de taxer les émissions de gaz à effet de serre en fonction des émissions de tonnes de CO2 produites par les différentes énergies fossiles, que ces énergies soient utilisées comme carburant ou combustible. La Contribution Climat Energie est appelée aussi composante carbone car elle ne représente pas une taxe spécifique, mais elle est plutôt une composante des taxes déjà existantes, les Taxes Intérieures de Consommations (TIC). Parmi celles-ci, on trouve la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), la taxe intérieure sur la consommation de gaz naturel (TICGN), et la taxe intérieure sur la consommation de charbon (TICC). Toutefois, la composante carbone n’intègre pas la taxe sur l’électricité.

Le montant du CCE, au moment de l’introduction de la mesure en 2014, était estimé à 7 €/tCO2. En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte a prévu, à son article 1-VVI, que la CCE aurait atteint une valeur 56€ la tonne carbone en 2020 et 100 € en 2030. De plus, la loi de finances pour 2018 a prévu le passage à 86,20 euros la tonne en 2022. Néanmoins, à la suite du mouvement des "gilets jaunes", la hausse prévue pour 2019 a été annulée : maintenant le niveau est de 44,6€/t de CO2.

Le principe fondamental de cette contribution réside dans le principe du pollueur-payeur : les acteurs économiques payent pour les émissions de CO2 qu’ils relâchent dans l’atmosphère. L’objectif est de réduire les émissions en donnant un prix au carbone, dans le cadre du respect des obligations internationales sur les émissions de CO2, pour lutter contre le réchauffement climatique. Ce type de mesures sont aussi nécessaires pour inciter et encourager les choix des consommateurs et des entreprises vers la transition énergétique.

Nous devons aussi rappeler que la France fait partie, depuis 2005, du programme d’échange de quotas d’émission de l’Union Européenne (SEQE-UE). Les entreprises assujetties aux quotas européennes ne sont pas soumises à la composante carbone, afin d’éviter une double taxation.

B- L’absence de législation adéquate en Italie

En Italie, une forme de taxe carbone a été introduite dès 1999, avec la loi de finances n° 448 du 23 décembre 1998, article 8 et en particulier avec son alinéa 7. Elle concernait le charbon, le coke de pétrole et le bitume d'origine naturelle. Elle a été limitée avec l'abrogation de certains paragraphes de l'article 8 par l'article 1 paragraphe 514 de la loi n° 311 du 30 décembre 2004 et surtout par l'article 7 du décret ayant force de loi n° 26 de 2007 qui a abrogé l’alinéa 7, ce dernier mettant en œuvre la directive 2003/96/CE « restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité ».

Ensuite l’introduction d’une taxe carbone a été proposée de nouveau par l’article 15 de la loi no 23 du 11 mars 2014 concernant « des dispositions pour un système fiscal plus équitable, plus transparent et axé sur la croissance ». L’article en question prévoyait que le gouvernement était habilité à introduire de nouvelles formes de fiscalité qui devaient régler les accises sur les produits énergétiques en fonction des émissions d’oxyde d’azote et de carbone. Toutefois cela n’a abouti à aucune nouvelle disposition vu que le gouvernement n’est pas intervenu sur ce propos dans le délai de 12 mois prévu par la loi.

Après ces essais, récemment un débat politique sur le sujet s’est déclenché. En effet, le parti majoritaire du gouvernement actuel, le Movimento Cinque Stelle, après plusieurs annonces, a finalement présenté un projet de loi concernant des « « Mesures relatives à la décarbonisation et au soutien des énergies renouvelables » (Projet de loi n° 1236 du 12 avril 2019). Ce projet doit être encore débattu au Parlement.

De plus, à la fin 2019 le ministre de l’économie italien, au sein des réunions annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Washington, a engagé l'Italie à la Carbon Pricing Leadership Coalition, une initiative volontaire qui réunit différents Etats et entreprises pour aborder les questions du changement climatique et du réchauffement de la planète.Tout cela représente sûrement un progrès dans le chemin pour l’adoption de la taxe carbone

Bien sûr l’Italie, comme la France, font partie du système d’échange des quotas européen (SEQE-

UE). En outre nous devons souligner que l’Italie adopte une taxation énergétique parmi les plus élevés d’Europe mais cette taxation ne prend pas en compte les émissions de CO2 et elle n’a pas pour but la lutte contre le changement climatique.

L’Italie, comme d’autres pays au monde, adopte des subventions environnementales négatives (Ministère de l’environnement italien, Catalogo dei sussidi ambientalmente favorevoli e dei sussidi ambientalmente dannosi, 2016, pages de 382 à 397) : c’est-à-dire des avantages, des prêts à taux réduits et des exonérations fiscales à des activités ayant un impact négatif sur le climat, les ressources naturelles, la biodiversité et l’environnement. Une partie consistante de celles-ci concerne les combustibles fossiles. Or, aussi bien au niveau international, depuis les années 80 à l’occasion de G7 et G20 et avec l’Agenda 2030 pour le développement durable en 2015, qu’au niveau européen, par exemple avec le Livre vert sur les instruments fondés sur le marché en faveur de l'environnement et des objectifs politiques connexes de la Commission en 2007, on encourage la suppression des subventions aux combustibles fossiles afin de limiter leur utilisation. Ceci pourrait être une base pour mettre en place une réforme fiscale écologique, s’inspirant de la législation française.

II – LA FRANCE : UN MODELE A SUIVRE POUR L’ITALIE

Sur la question de la taxe carbone, l’Italie pourrait s’inspirer des aspects vertueux de la législation française, même si certaines difficultés de celle-ci ne doivent pas être éludées.

A- Aspects vertueux de la législation française

Il est incontestable que l’Italie devrait adopter des mesures ultérieures pour limiter les émissions de CO2 : pour cette raison la France pourrait représenter un bon exemple à suivre.

Tout d’abord, comme nous avons déjà précisé, la Contribution Climat Energie n’a pas été introduite comme une nouvelle taxe : il s’agit d’une composante (qui taxe un élément spécifique) dans un système de taxation déjà établie. Cette approche pourra sûrement inspirer l’Italie qui pourrait aménager une taxe déjà existante plutôt que créer une nouvelle taxe.

Un autre élément est le caractère évolutif de cette CCE . D’un côté il est vrai que pour réduire efficacement les émissions de CO2, en respectant les engagements internationaux, il faudrait fixer un prix, par tonne de CO2, beaucoup plus élevé par rapport à celui fixé actuellement en France. A ce

propos, le Fonds Monétaire International estime en 2019 que la taxe carbone – pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris, devrait être fixé à 75 dollars par tonne de CO2 et introduite progressivement d'ici 2030 (FMI, Fiscal Monitor: How to Mitigate Climate Change. Washington, Octobre 2019, pages de 7 à 9). Cependant, de l’autre côté, une taxation déjà élevée à son origine pourrait ne pas être tolérable pour les consommateurs. Pourtant, la solution d’une taxation à caractère évolutif, comme celle de la France, semble être la plus envisageable des solutions, compte tenu que la composante carbone augmente significativement la taxe à laquelle elle est intégrée.

Un enjeu ultérieur est l’emploi des recettes fiscales dérivantes de la composante carbone. En France, par exemple, une partie des recettes, surtout celles dérivantes de la TICPE, est utilisée pour la transition énergétique, sous forme de taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les travaux de rénovation énergétique, et, en ce qui concerne les entreprises, sous forme de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Une étude d’impact de 2019, proposée par l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), et visant la redistribution des recettes, propose deux modalités : une redistribution directe, sous forme de baisse des autres prélèvements obligatoires et une redistribution indirecte à travers le financement des mesures d’aide à l’accompagnement dans le cadre de la transition énergétique, comme par exemple des primes à la conversion. Une deuxième étude d’impact de l’ADEME démontre que l’augmentation de la composante carbone sans la redistribution des recettes affectera l’activité économique. Donc la réussite de ces mesures se joue sur l’efficacité de l’emploi des recettes, notamment dans les secteurs les plus affectés par la taxation : par exemple, dans le cas de la France, le tertiaire et les ménages. En effet ce type d’impositions fiscales pèsent davantage sur les revenus faibles. Il est nécessaire de les compenser avec des mesures et des aides performantes : par exemple, les recettes de la taxe carbone pourraient être utilisées pour réduire d'autres taxes comme celles sur le travail ou pour encourager l’emploi des énergies renouvelables. Une future taxation en Italie devra être accompagnée de mesures spécifiques et d’aides à l’innovation.

B- Questions en suspend

Evidemment dans ce système, il y a des questions qui restent encore ouvertes : la France devra les résoudre et l’Italie devra les prendre en considération.

Tout d’abord nous ne devons pas sous-estimer l’enjeu du prix du pétrole : la baisse des coûts mondiaux de pétrole des dernières années a sûrement aidé à l’adoption de ce type de taxation. Il

nous semble que ce modèle de taxation est tolérable tant que le prix du pétrole reste contenu. En effet, le prix du pétrole est orienté à la hausse depuis 2017 : l’adoption d’une taxe carbone pourrait être difficile dans un contexte de prix du pétrole élevé.

De plus, en France, l’assiette des taxes intérieures de consommation comprend de nombreuses exonérations et remboursements : certaines exonérations sont rendues obligatoires par l’Union Européenne (Directive 2003/96/CE du Conseil restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, articles 2 par. 4 ; 6 et de 14 à 17), tandis qu’une majorité est décidée par chaque Etat. Par exemple le transport routier, l’agriculture, la pêche, et le transport aérien. L’abrogation progressive de ces exonérations serait souhaitable pour la France. De son côté l’Italie, dans le cadre d’une future règlementation, devra en tenir compte.

Enfin, en ce qui concerne les énergies polluantes, en France la taxe sur l’électricité n’a pas encore été intégrée dans la composante carbone, même si, comme les autres sources énergétiques, elle aussi devrait être soumise à une taxation sur les émissions de CO2.

Pour conclure, même s’ils restent des aspects à améliorer, l’Italie gagnerait à s’inspirer de la législation française.

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