Le projet de réforme organique du régime de la crise d'entreprise et de l'insolvabilité en droit italien : les enjeux du régime du curateur de faillite et du commissaire judiciaire - Leila Haye

           À la lumière de la prochaine réforme du droit des entreprises en difficulté italien, cet article a pour objet de comparer les fonctions de l'administrateur judiciaire de droit français et les organes équivalents du droit italien, à travers les figures du curateur de faillite et du commissaire judiciaire. L’intérêt de cette comparaison revêt toute son importance dans l’optique du droit de l'Union européenne, et en particulier du Règlement (CE) n˚ 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, remplacé par le Règlement (UE) n˚ 2015/848 du 20 mai 2015 qui entrera en vigueur en juin 2017. Connaître ces organes de la procédure, telles qu’ils sont réglementés par leurs droits respectifs est essentiel lorsqu’une procédure collective est transnationale. Ainsi, l’annexe B du nouveau règlement désigne les organes des droits nationaux des États membres qui peuvent être considérés comme des praticiens de l’insolvabilité.

            À titre liminaire, il est fondamental de s’intéresser aux définitions de ces praticiens de l’insolvabilité. En droit français, les administrateurs judiciaires sont des mandataires de justice, personnes physiques ou morales, chargés par décision de justice d'administrer les biens d'autrui ou d'exercer des fonctions d'assistance ou de surveillance dans la gestion de ces biens (C. com., art. L. 811-1)[i]. Ils exercent leurs activités dans le cadre des procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires. Dans une logique de droit comparé, le réflexe serait de traduire littéralement cette notion en italien, « amministratore giudiziario », notion qui existe, mais qui est trompeuse car par ce terme, le décret ministériel n. 160 du 19 septembre 2013, désigne les personnes physiques ou morales nommées par l'autorité judiciaire pour la conservation et la gestion des biens saisis et confisqués[ii]. En droit italien, la notion d'administrateur judiciaire correspond à plusieurs organes qui varient en fonction de la procédure retenue, ainsi en cas de faillite, le tribunal nomme un curateur de faillite, alors qu'en cas de concordat préventif ou d'administration contrôlée, est nommé un commissaire judiciaire. Dans leurs essences, ces deux figures ne sont pas si distinctes l'une de l'autre, car de très nombreuses dispositions concernant le curateur sont applicables au commissaire judiciaire. Substantiellement, le curateur de faillite a l'administration du patrimoine de la faillite, et le commissaire judiciaire a, quant à lui, une mission de surveillance du débiteur dans l'administration de ses biens, et une mission d'information.

            Le droit italien régit ces organes de la procédure dans le décret royal du 16 mars 1942, dénommé loi sur la faillite, lequel a fait l'objet de très nombreuses modifications législatives dont la dernière en date, a été dénommée « mini-réforme », avec le décret-loi n. 83 du 27 juin 2015[iii]. Le décret royal du 16 mars 1942 est en voie d’être abrogé : en effet, la Commission Rodorf, instituée par un décret du Ministre de la justice le 28 janvier 2015, a proposé un projet de loi d'habilitation du Gouvernement italien portant réforme organique du régime de la crise d'entreprise et de l'insolvabilité[iv]. Cette réforme répond aux sollicitations de l'Union européenne, et plus en particulier, à la recommandation de la Commission du 12 mars 2014 relative à une nouvelle approche en matière de défaillances et d'insolvabilité des entreprises, qui a, entre autre, pour objectif « d’assurer aux entreprises viables en difficulté financière […] un accès aux cadres nationaux en matière d’insolvabilité leur permettant de se restructurer à un stade précoce afin de prévenir leur insolvabilité et d’optimiser ainsi leur valeur totale pour les créanciers, les travailleurs, les propriétaires et l’économie dans son ensemble »[v]. Une des grandes innovations de cette réforme est qu'elle propose d'abandonner le terme « faillite », et donc sa connotation négative, ce qui aurait nécessairement une incidence sur la dénomination du curateur de faillite sans changement substantiel sur ses activités.

            Les fonctions du curateur de faillite et du commissaire judiciaire de droit italien sont-elles assimilables à celles de l'administrateur judiciaire de droit français ?

            Il existe des différences substantielles quant à la réglementation de ces organes de la procédure (I). Cependant, les fonctions du curateur et du commissaire judiciaire sont en voie d'être renforcées, se rapprochant ainsi du système français (II).

 

  1. Des différences substantielles quant à la réglementation des administrateurs judiciaires français et des curateurs de faillite et commissaires judiciaires italiens

 

            Les régimes français et italien se caractérisent par des incompatibilités fondées sur l'absence d'un corps professionnel en droit italien alors que celui-ci est fondamental en droit français (A). Se pose, d’autre part, la question du principe d’unicité en droits français et italien (B).

 

  1. Le régime des incompatibilités: fondement de la nécessité d’un corps professionnel à part entière ?

 

            En France, alors qu'il existe un monopole des administrateurs judiciaires, en effet, l'article L. 811-2 du Code de commerce précise que « nul ne peut être désigné en justice pour exercer ces fonctions […] s'il n'est inscrit sur la liste établie par une commission nationale instituée à cet effet », ceci n'est pas le cas du système italien.

            Il faut se référer à l'article 28 de la loi de faillite, lequel détermine les conditions pour la désignation du curateur de faillite, conditions également applicables au commissaire judiciaire par un renvoi exprès. Depuis une réforme de 2006, cette disposition a été élargie en ce qui concerne les personnes qui peuvent être appelées à exercer ces fonctions. Outre les catégories professionnelles traditionnelles, c'est-à-dire les avocats, les diplômés en sciences commerciales, experts comptables, peuvent être désignés les cabinets d'associés ou les sociétés constituées de professionnels, ou encore ceux qui ont exercé des fonctions d'administration, de direction et de contrôle dans des sociétés anonymes, tout en prouvant leurs aptitudes entrepreneuriales et qu'ils n'aient pas fait l'objet d'une faillite[vi]. Hormis la situation de l'avocat et des sociétés entre professionnels, ces critères entreraient dans la situation française d'incompatibilité. En effet, en droit français, contrairement au droit italien, les administrateurs judiciaires sont une profession à part entière. Ceci ressort notamment des incompatibilités, car la qualité d'administrateur judiciaire est incompatible avec l'exercice de toute profession, à l'exception de celle d'avocat, et avec toutes les activités à caractère commercial. Cependant, le législateur réserve la possibilité de nommer une personne non inscrite sur la liste, à condition que le tribunal motive spécialement sa décision au regard de l'expérience et de la qualification particulière de cette personne en raison de la nature de l'affaire.

            Le régime italien des incompatibilités du curateur et du commissaire judiciaire peut faire l'objet de critiques, notamment en raison de la difficile évaluation de leurs compétences n'existant pas de profession en tant que tel. En France, le monopole des administrateurs judiciaires permet de contrôler les compétences des professionnels inscrits sur les listes. Ces critiques ont été entendues puisque le législateur italien a cherché à rendre son système plus transparent par la création d'un registre national accessible au public dans lequel sont regroupées les ordonnances de nomination des curateurs de faillite et des commissaires judiciaires. De plus, le projet de réforme organique va plus loin, en renforçant les incompatibilités et en prévoyant en son article 2, n), la création d'une liste auprès du Ministre de la justice des personnes destinées à recouvrir ces fonctions, avec les indications de leurs compétences professionnelles, de leur indépendance et de leurs expériences. Le Conseil national des diplômés en sciences commerciales et des experts comptables (CNDCEC) critique cette disposition et demande sa suppression, sauf pour les personnes qui ont exercé des fonctions d'administration, de direction et de contrôle dans des sociétés anonymes[vii]. Cette liste permettrait pourtant de rapprocher les deux régimes et d'atténuer leurs différences, par la création d'une véritable profession.

 

            Ces premières différences sont également à relever dans le nombre de curateurs ou de commissaires judiciaires qu'il est possible de désigner à l'ouverture de la procédure.

 

  1. La question du principe dunicité en droit français et droit italien

 

            Une autre caractéristique du droit des entreprises en difficulté italien est le maintien, malgré de nombreux débats, du principe d'unicité du curateur et du commissaire judiciaire, alors que le droit français y a définitivement renoncé comme le démontre l'introduction récente de l'obligation de désigner un second administrateur judiciaire dans les dossiers plus complexes de sauvegarde (C. com., art. L. 621-4-1), de redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-9) ou de liquidation judiciaire (C. Com., art. L. 641-1-2). Par ce principe d’unicité, est entendu la possible désignation d’un seul curateur de faillite ou d’un seul commissaire judiciaire, et cela peu importe la complexité de la procédure ouverte.

            La première version de l'article 32 de la loi de faillite prévoyait que « le curateur de faillite exerce personnellement ses attributions et ne peut pas les déléguer à d'autres personnes sauf s'il s'agit d'opérations isolées et sous autorisation préalable du juge-délégué ». À nourrir le débat, est intervenue une décision du Tribunal d'Ivrea du 30 mai 2006, qui avait admis la désignation de deux curateurs, au motif que la loi de faillite n'interdisait pas expressément la désignation de plusieurs curateurs. Mais, depuis la réforme de 2006, le nouveau dispositif de l'article 32 ne laisse plus place au doute, le principe d'unicité est confirmé, même lorsqu'est désigné curateur de faillite ou commissaire judiciaire un cabinet d'associés ou une société constituée de professionnels[viii].

            Ce principe suscite des interrogations sur la plan pratique, en effet, face au phénomène des grands groupes d'entreprises, en cas de difficultés, la désignation d'un seul curateur de faillite ou d'un seul commissaire judiciaire est-elle suffisante ? Clairement, le droit français, par l'introduction de l'obligation de désigner un second administrateur judiciaire dans les dossiers plus complexes a répondu par la négative. Ainsi, il est légitime de s'interroger sur l'opportunité du choix italien du maintien du principe d’unicité. Cette interrogation est d'autant plus renouvelée que le projet de réforme prévoit expressément la désignation d'un seul curateur et d'un seul commissaire judiciaire pour les groupes d’entreprises. Donc, le droit italien s’oppose au droit français qui a décidé de prendre en compte les nouvelles exigences liées aux difficultés des grands groupes d’entreprises dont la complexité impose parfois la désignation d’un second administrateur judiciaire.

 

            Outre les différences organiques entre l'administrateur judiciaire français et le curateur de faillite et le commissaire judiciaire italiens, leurs fonctions se recoupent, si ce n'est que les organes de la procédure italiens sont soumis à un contrôle plus restreint.

 

  1. Vers un rapprochement des fonctions de l’administrateur judiciaire français et du curateur de faillite et du commissaire judiciaire italiens ?

 

            Dans la discipline actuelle, les fonctions du curateur et du commissaire judiciaire sont limitées par un système de contrôle contrairement à ce que prévoit le droit français pour l’administrateur judiciaire (A), toutefois, la réforme à venir prévoit de renforcer les fonctions du curateur et du commissaire judiciaire (B).

 

  1. Les fonctions limitées du curateur de faillite et du commissaire judiciaire par rapport à l’administrateur judiciaire français

 

            En droit italien, il est nécessaire de distinguer les missions du curateur de faillite et du commissaire judiciaire[ix]. En ce qui concerne la procédure de faillite, l'article 31 de la loi de faillite dispose que le curateur a l'administration du patrimoine de la faillite et effectue toutes les opérations de la procédure sous la surveillance et le contrôle du juge-délégué et du comité des créanciers. Par conséquent, le juge-délégué a une mission de contrôle qu'il partage, non seulement avec le tribunal mais aussi avec le comité des créanciers. Cette mission se manifeste par des pouvoirs d'autorisation au regard des nombreux actes de gestion et de liquidation du patrimoine que doit accomplir le curateur de faillite. Ainsi, le curateur est lié à l'approbation du juge-délégué et du comité des créanciers dans l'exercice de sa mission. En revanche, relativement à la procédure de concordat préventif, l'article 167 de la loi de faillite attribue au commissaire judiciaire une mission de surveillance du débiteur dans l'administration de ses biens, et une mission d'information. Toutefois, cette mission reste elle-même subordonnée au contrôle du tribunal, qui conserve un rôle important quant à l'autorisation de certains actes.

            Le droit français reconnaît deux types de pouvoirs à l'administrateur judiciaire, des pouvoirs propres qui lui sont directement conférés par la loi, énumérés de manière limitative par le Code de commerce et dont il est le seul à pouvoir les exercer ; et des pouvoirs confiés par le juge et dont la nature et l'étendue dépendent de la mission qui lui est confiée. Il existe trois types de missions : une mission de surveillance en cas de procédure de sauvegarde uniquement car elle n'affecte par les pouvoirs de gestion du débiteur ; une mission d'assistance en procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire ; et enfin, une mission de représentation en procédure de redressement judiciaire, qui conduit à un dessaisissement du débiteur[x].

            Contrairement au droit italien, l'administrateur judiciaire dispose d'une large autonomie dans la mise en œuvre de ses pouvoirs et de ses missions, certes déterminées et limitées par le juge au préalable. En effet, la loi de faillite italienne subordonne l'action du curateur et du commissaire judiciaire, d'une part, au contrôle du juge-délégué, et d'autre part, au contrôle du comité des créanciers. Ainsi, leur autonomie se trouve limitée par l'autorisation de deux organes distincts, l'un juridictionnel, et l'autre mis en place pour préserver les intérêts des créanciers. Cette restriction est critiquable car elle alourdit la mission du curateur de faillite et du commissaire judiciaire. De plus, son opportunité peut-être contestée, puisque un régime de responsabilité, similaire au régime français est prévu, ainsi, contre les actions de ces organes de la procédure allant contre l’intérêt de la société en difficulté ou contre les intérêts des créanciers, il serait possible d'engager leur responsabilité, ce qui constitue un réel auto-contrôle.

           

            En raison de ces critiques, le projet de réforme organique du régime de la crise d'entreprise et de l'insolvabilité, prévoit d'étendre les fonctions du curateur et du commissaire judiciaire.

 

  1. Un projet de réforme italien des fonctions du curateur et du commissaire judiciaire encore peu ambitieux en comparaison au droit français

 

            La réforme organique du régime de la crise d'entreprise et de l'insolvabilité a, entre autre, pour objet de rendre plus efficaces les fonctions du curateur et du commissaire judiciaire.

            Quant au curateur, ce renforcement passe, en premier lieu, par une plus grande garantie de l'indépendance et de l'impartialité de cet organe, puisqu'il est prévu d'ajouter une nouvelle cause d'incompatibilité, c'est-à-dire l’impossibilité d’être désigné en raison de précédentes fonctions exercées au sein de l'entreprise. De plus, la liquidation devrait être essentiellement confiée au curateur, sur la base du programme rédigé par ses soins et au préalable approuvé par le juge. Toutefois, cette impulsion réformatrice a été limitée par la volonté de ne pas bouleverser radicalement le système actuellement en vigueur de la loi de faillite, puisque a été écartée la proposition de confier au curateur la mission de former le passif.

            S'agissant du commissaire judiciaire, il est intéressant de souligner le rôle qui lui est assigné dans la toute nouvelle procédure d’alerte, pour le moment inconnue du droit italien.

            Toutefois, cette réforme est encore à l'état de projet, il faut attendre la loi d'habilitation et l'intervention du Gouvernement pour pouvoir se prononcer sur cette évolution des fonctions du curateur et du commissaire judiciaire. Cependant, dans une première approche, il ne semble pas que les fonctions seront bouleversées, puisque les modifications semblent être prévues par touches. Il est donc légitime de s'interroger, quant à la discipline du curateur et du commissaire judiciaire, s'il s'agira vraiment d'une réforme organique, ou plutôt de simples retouches.

 

 

 

[i] A. Lienhard, Procédures collectives 2017/2018, Paris, Dalloz Encyclopédie Delmas Droit commercial, 2016, 7ème édition.

[ii] Consiglio Nazionale dei Dottori commercialisti e degli Esperti contabili, Linee guida in materia di amministrazione giudiziaria dei beni sequestrati e confiscati, octobre 2015.

[iii] Legge Fallimentare (Regio Decreto 16 mars 1942, n. 267) mis à jour du D.L Sviluppo 22 juin 2012, n. 83 converti en L. 7 août 2012, n. 134 et du D.L Crescita 2.0 18 octobre 2012, n. 179, converti en L. 17 décembre 2012, n. 221, comme modifié par la L. di stabilità 24 décembre 2012, n. 228.

[iv] Disegno di legge n. C. 3671, Delega al Governo per la riforma delle discipline della crisi di impresa e dell’insolvenza.

[v] Recommandation n˚ 135/2014/UE, considérant (1).

[vi] E. Frascaroli Santi, Il diritto fallimentare e delle procedure concorsuali, Padova, Ceda, 2016, 2ème édition.

[vii] Consiglio Nazionale dei Dottori commercialisti e degli Esperti contabili, Delega al governo per la riforma organica delle discipline della crisi di impresa e dell’insolvenza, 8 juin 2016.

[viii] G. Trisorio Liuzzi, Manuale di diritto fallimentare e delle procedure concorsuali, Milano, Giuffrè, 2011.

[ix] Juriscope, Le statut juridique des syndics en droit italien, juin 2004.

[x] M.L. Coquelet, Entreprises en difficulté. Instruments de paiement et de crédit, Paris, Dalloz HyperCours, 2015, 5ème édition.