Les règles prudentielles applicables aux établissements de crédit en droit français et en droit allemand
La crise financière mondiale de 2007-2008 ayant montré les limites du système bancaire européen, elle a posé la question du renforcement de la supervision des établissements de crédits (Noyer C.). La définition de ces établissements de crédit est inscrite en droit français dans l’article 511-1 du code monétaire et financier et en droit allemand dans le premier article du Kreditwesengesetz (KWG). Cette supervision dont il est question n'est pas seulement assurée par les Etats mais est aujourd'hui pour une grande partie de la compétence européenne. Les règles prudentielles relatives à la supervision bancaire sont «des dispositions contraignantes adoptées par les autorités monétaires, visant à prévenir les faillites bancaires et à assurer le bon fonctionnement des marchés financiers.» (Dollo C. et al.)
Elles trouvent essentiellement leur origine dans les travaux du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (Bonneau T.). D'après la Charte de ce comité (CBCB), celui-ci a pour mission de renforcer la sécurité et la fiabilité financière à travers l'élaboration de normes relatives à la réglementation prudentielle bancaire, l'amélioration de la qualité des pratiques bancaires et de surveillance à l'échelle mondiale ainsi que le développement d' un cadre de coopération en matière de contrôle bancaire. (I/ 1/ Charte dudit comité). Les travaux les plus célèbres du Comité de Bâle en matière prudentielle sont les accords de Bâle et sont au nombre de trois. Le Comité de Bâle a publié, en décembre 2010, un nouveau et dernier document intitulé « Bâle III : dispositif réglementaire mondial visant à renforcer la résilience des établissements et systèmes bancaires », qui prévoit principalement le renforcement du niveau et de la qualité des fonds propres et l'introduction de nouveaux ratios. L'Accord de « Bâle III » prévoit sa mise en oeuvre, qui est progressive et doit s'étendre du 1er janvier 2013 au 1er janvier 2019.
Les exigences prudentielles au sein de la Charte n'ont pas un caractère juridiquement contraignant dans le sens où le CBCB n'est investi d'aucune autorité supranationale (I/ 3/ Ibid). Cependant, ces travaux ne sont pas restés sans écho en ce que ce dernier accord a été traduit en droit de l'Union européenne par la directive « CRD 4 » et le règlement « CRR », adoptés le 26 juin 2013 (Routier R. et al.). La directive «CRD 4» a été transposée en droit français par la loi n ° 2013- 672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires et l'ordonnance n ° 2014- 158 du 20 février 2014 complétée par deux décrets du 3 novembre 2014 et divers arrêtés. En Allemagne, la directive «CRD 4» a été transposée par la «CRD-IV-Umsetzungsgesetz » du 28 Août 2013.
Le règlement (I), qui est directement applicable dans tous les États membres de l'UE, énonce les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit en matière de fonds propres (A), de liquidité (B) et de risque de crédit (C). La directive (II), elle, qui a été transposée dans le droit national des États membres de l'UE, donc de la France et de l'Allemagne, fixe les règles relatives aux coussins de fonds propres (A), à la gouvernance d'entreprise (B) et à la rémunération et aux bonus des banquiers (C).
I / Le règlement «CRR»
A/ Exigences de fonds propres
La définition des fonds propres figure dans le règlement n ° 575/ 2013, du 26 juin 2013 : Il s'agit de la somme des fonds propres de catégorie 1 et des fonds propres de catégorie 2. Certains échelons sont affectés aux fonds propres en fonction de leur qualité et du risque. Alors que les fonds propres de base de catégorie 1 («hartes Kernkapital») permettent à une banque de poursuivre ses activités et de rester solvable, les fonds propres de base de catégorie 2 («Ergänzungskapital»), considérés comme étant des fonds propres complémentaires, permettent, en cas d'insolvabilité d'une banque, de rembourser les déposants et les créanciers de rang supérieur. Le règlement oblige ainsi les banques à provisionner des fonds propres de manière suffisante de façon à couvrir les pertes inattendues et rester solvables en cas de crise. Le montant total des fonds propres que les banques et les entreprises d'investissement doivent détenir devrait, d'après l'article 92 du règlement n ° 575/ 2013, représenter au minimum 8 % des actifs pondérés en fonction du risque. Selon le même article, ce montant doit comprendre 4,5 % de fonds propres de base de catégorie 1, qui doivent correspondre «au capital social et aux primes d'émission associées, aux réserves, aux résultats non distribués et aux fonds bancaires pour risques bancaires généraux» (Routier R. et al). Ensuite, 1,5 % de fonds propres additionnels de catégorie 1 («zusätzliches Kernkapital») correspondent aux «instruments de dette perpétuelle, dégagés de toute incitation ou obligation de remboursement» (ibid). Enfin, les derniers 2 % de fonds propres de catégorie 2 correspondent « aux instruments de dette subordonnée d'une durée minimale de 5 ans» (Ibid).
B/ Exigence de liquidité
Le cadre législatif concernant les exigences de liquidité est prévu dans la sixième partie du règlement «CRR» et prévoit l'introduction de deux ratios de liquidité de sorte que la capacité d'une banque puisse faire face à des retraits importants en cas de crise. Le ratio de couverture des besoins de liquidité à court terme («Mindestliquiditätsquote») impose aux établissements de crédit une détention suffisante d'actifs liquides de haute qualité («erstklassige liquide Aktiva“) pour prévenir tout déséquilibre éventuel entre entrées et sorties de trésorerie sur une période de tensions («Stressszenario») de trente jours calendaires (412 du règlement «CRR»). Au 1er janvier 2018 ce ratio devra, selon l’article 460 du règlement «CRR», avoir progressivement atteint les 100 %. Parallèlement, le ratio de financement stable net («Strukturelle Liquiditätsquote»), qui devrait entrer en application au 1er janvier 2018 après une période d'observation («Beobachtungsphase»), exige que le financement stable disponible soit supérieur au financement stable nécessaire sur une période cette fois-ci d'un an. Pour l'instant, seul un respect adéquat des obligations à long terme est exigé par l'article 413- 1 du règlement « CRR ». L'article 11 du KWG fournit en Allemagne les règles relatives aux exigences de liquidité pour les établissements de crédit en prévoyant que tout établissement de crédit doit mettre en place des moyens pour que celui ci soit en permanence solvable. Des précisions par rapport à l' article 11 du KWG sont apportées en Allemagne par un règlement sur la solvabilité des établissements bancaires (Solvabilitätsverordnung -SolvV) du ministère fédéral des finances et un règlement sur la liquidité des établissements bancaires (Liquiditätsverordnung -LiqV) du Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (Bafin). Le règlement «CRR», en tant que droit suprême, autorise la poursuite des exigences nationales en matière de liquidité jusqu'à ce que le ratio de couverture des besoins de liquidité à court terme atteigne les 100 %. Ainsi, le règlement sur la liquidité des établissements bancaires (LiqV) s'applique aussi pour les établissements de crédit prévus par le règlement «CRR» jusqu'à l'introduction complète dudit ratio et s'applique de manière indéterminée pour les établissements de crédit non prévus par le règlement « CRR »(Tonner et Krüger).
C/ – Exigences limitant les grands risques
Les exigences en matière de suivi des grands risques sont actuellement couvertes en France par le règlement 93-05 du 21 décembre 1993 relatif au contrôle des grands risques et en Allemagne par l'article 13 du KWG relatif aux grands risques dits «Klumpenrisiken ». Le règlement «CRR» insiste tout particulièrement sur le contrôle des grands risques, qui consiste à «interdire aux établissements de crédit de trop concentrer les risques qu'ils encourent » (Routier R.). En son article 392, le règlement «CRR» définit un grand risque comme étant une exposition (tout actif et tout élément hors bilan) d'un établissement sur un client ou un groupe de clients liés, lorsque sa valeur atteint ou dépasse 10 % des fonds propres éligibles de l'établissement. A cet égard, l'article 393 dudit règlement relatif à la gestion des grands risques impose aux établissements de se doter de dispositifs de contrôle interne appropriés, dans le but d'identifier, de suivre , de déclarer, et de comptabiliser l'évolution de tous les grands risques. Ces grands risques doivent faire l'objet d'une déclaration régulière à l'autorité de contrôle en vertu de l'article 394 du même règlement. Le règlement «CRR» ajoute la nécessité de respecter en permanence un rapport maximum de 25% entre l'ensemble des risques nets pondérés et les fonds propres envers un même bénéficiaire. (art. 395). Lorsque ce bénéficiaire est un établissement de crédit ou un groupe d’établissements de crédit, l’ensemble des risques nets pondérés n’excède pas 150 000 000 € ou 25 % des fonds propres de l’établissement de crédit assujetti (le montant le plus élevé étant retenu).
Le présent règlement et la directive «CRD 4» combinés forment le cadre juridique régissant les règles prudentielles applicables aux établissements de crédit. Par conséquent, une étude conjointe de ladite directive est alors nécessaire.
II/ La directive « CRD 4 »
A/ Coussins de fonds propres
Des obligations de fonds propres supplémentaires sont prévues pour les établissements de crédit au sein des articles 511- 41- 1 A du CMF ainsi que l'article 10 c et suivant du Kreditwesengesetz (KWG). Au nombre de quatre (Article 128, point 6, de la directive «CRD 4»), ces coussins de fonds propres ont pour but de «prendre en compte le risque macroéconomique ou systémique et le cycle économique» (Routier R.). Le coussin de conservation de fonds propres («Kapitalerhaltungspolster», § 10 c KWG) prévoit que tous les établissements de crédit doivent détenir un coussin de conservation de fonds propres catégorie 1 à hauteur de 2,5% de l'exposition totale de la banque au risque. (Art. 511- 41- 1 A III CMF). Ayant pour but de préserver les fonds propres des banques, si une banque ne dispose pas de ce coussin, elle devra alors limiter ou arrêter le versement de dividendes ou de bonus («Ausschüttungsbeschränkungen»). Ensuite, le coussin de fonds propres contra-cyclique («Antizyklischer Kapitalpuffer», § 10d KWG) dont le taux est fixé en France par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) et en Allemagne par le BaFin, se situe généralement entre 0 à 2,5 % des actifs pondérés en fonction du risque (Article 136 de la directive «CRD 4») et vise, selon les recommandations du comité européen du risque systémique en date du 18 Juin 2014, à « protéger le système bancaire des pertes potentielles liées à l’exacerbation d’un risque systémique cyclique». Le HCSF, à travers sa décision n°D-HCSF-2017-3 du 30 septembre 2017, tout comme le BaFin dans sa décision dite «générale» en date du 28 Décembre 2015 ont décidé de maintenir ce taux à 0%. Le coussin applicable aux établissements d'importance systémique mondiale («Kapitalpuffer für global systemrelevante Institute»,§ 10f KWG) pouvant être fixé entre 1 et 3,5 %, seulement la Deutsche Bank en Allemagne et la BNP Paribas en France doivent répondre à cette exigence supplémentaire, pour lesquelles le taux de 2% a été fixé (Liste de 2016). Alors que les États membres ont aussi le droit d'imposer aux banques de détenir un coussin de risque systémique («Kapitalpuffer für systemische Risiken», § 10e KWG) constitué de fonds propres de catégorie 1 pour prévenir et atténuer les risques systémiques ou macroprudentiels non cycliques à long terme, ni la HCSF ni le BaFin ne s'est encore prononcé à ce sujet.
B/ Les modalités de gouvernance et le cadre de surveillance
Alors que l'article 511- 58 du CMF ainsi que l'article 25c alinéa 2 phrase 2 numéro 1 du KWG prévoient, au sein des établissements de crédit, la dissociation des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général, l'ACPR et le Aufsichtbehörde peuvent toutefois autoriser le cumul de ces fonctions. L'article L. 511- 52 du CMF ainsi que l'article 25d 3) du KWG impose aux dirigeants des établissements de crédit présentant une importance significative des règles de cumul des mandats. Même si ces mêmes personnes sont également tenues, en France comme en Allemagne, de consacrer un temps suffisant à l'exercice de leurs fonctions au sein de l'entreprise, l'ACPR et le Aufsichtsbehörde peuvent une nouvelle fois autoriser une personne à exercer une fonction supplémentaire de membre du conseil d'administration ou une fonction équivalente à cette dernière. L'article L. 511- 89 du CMF exige par ailleurs la création de trois comités spécialisés au sein des établissements de crédit (le comité des risques, le comité des nominations ainsi que le comité des rémunérations), alors que les alinéas 7 à 12 de l'article 25d du KWG font mention d'un comité en plus: le comité de vérification («Prüfungsauschuss»). A cet égard, la première phrase de l'alinéa 10 du même article ajoute qu'il est possible d'établir un comité des risques et de vérification commun si «cela est utile». Les exigences en matière de contrôle interne («Interne Revision») prévues à l'article 74 de la directive «CDR 4», sont prévues à l'article L. 511- 55 du CMF et sont précisées par un arrêté du 3 novembre 2014. Etant donné que l'article 25a du KWG est assez vague à ce sujet (Tonner et Krüger), le BaFin à concrétiser l'importance de cette fonction de contrôle interne dans la Mindestanforderungen an das Risikomanagement (MaRisk) dont la dernière version date du 27 Octobre 2017. Le système de gouvernance allemand étant basé sur le principe de «cogestion » («Mitbestimmung»), l'information passe en principe par le directoire (Vorstand) pour arriver ensuite jusqu'au conseil de surveillance (Aufsichtsrat).Enfin, l'article 511- 47 du CMF, issu de la loi n ° 2013- 672 du 26 juillet 2013 de séparation et régulation des activités bancaires (LSRAB), impose aux établissements de crédit les plus importants d'effectuer certaines activités et opérations que par l'intermédiaire de filiales dédiées, ce qui marque une séparation entre les activités bancaires et financières. L'article 33 du KWG établit, pour cette même raison, des exigences de fonds propres plus strictes concernant les activités bancaires que pour les activités financières.
C/ Les règles en matière de rémunération et bonus des banquiers
L'Autorité bancaire européenne (ABE) a publié le 21 décembre 2015 des lignes directrices pour une politique de rémunération solide selon l'article 74 alinéa 3 et l'article 75 alinéa 2 de la directive 2013/36/EU et des indications selon l'article 450 du règlement «CRR», qui intègrent au sein des principes de ladite directive quelques modifications relatives à la rémunération, comme par exemple l'introduction d'une limite pour la partie variable de rémunération par rapport au montant de la part fixe de cette rémunération, que l'on retrouve à l'article 511-78 du CMF ainsi que dans le KWG au sein de l'article 25a alinéa 5. Cependant, en France comme en Allemagne, cette limite peut, sous certaines conditions, être portée au double du montant de la rémunération fixe (Routier R.) En l'absence de quorum, cette approbation peut également être acquise avec 75% des voix des actionnaires présents. Par ailleurs, L'article 25a alinéa 1 phrase 3 numéro 6 du KWG complète les exigences minimales relatives à la gestion du risque (MaRisk-Regelungen) en prévoyant que celle ci comprend en particulier un système de rémunération approprié, transparent et destiné au développement durable de l'établissement de crédit. Selon les articles 25a alinéa 6 du KWG ainsi que l'article 1 phrase 1 numéro 5 du BAFinBefugV, le BaFin peut apporter des détails concernant ces exigences à travers des règlements comme par exemple la Verordnung über die aufsichtsrechtlichen Anforderungen an Vergütungssysteme von Instituten du 16.12.2013, qui régit aujourd'hui également les règles en matière de rémunération. L'article 511- 41- 3, III, 2 ° du CMF dispose que l'ACPR peut demander à ce qu'un établissement de crédit limite la rémunération variable du total des revenus nets « lorsque la solidité de sa situation financière est compromise ou susceptible de l'être » (Routier R.) Enfin, les établissements de crédit d'importance significative ont, en France (C. mon. fin., art. L. 511- 89) comme en Allemagne (Article 25d Alinéa 12 du KWG), l'obligation de mettre en place un comité des rémunérations («Vergütungskontrollausschuss»), ces deux comités analysant les politiques et pratiques de rémunérations.
La crise mondiale financière a nécessité la mise en œuvre d'une profonde réforme de la réglementation et de la supervision des banques dans le monde. L'approche retenue par l’Union européenne pour la réforme du cadre prudentiel bancaire - en choisissant la voie d'un règlement européen notamment – est cruciale en ce qu'elle constitue une étape fondamentale dans l’harmonisation de la surveillance prudentielle des banques au sein de l’Union pour justement éviter qu’une crise du même type ne se reproduise . Il va ainsi de soi, comme on peut l'établir à travers cette étude comparée entre les deux systèmes juridiques, que de grandes similitudes en ressortent. Par ailleurs, un grand nombre de banques européennes, parmi lesquelles les grands établissements allemands et français, respectent déjà les exigences européennes. Ces nouvelles règles prudentielles ont permis d'instaurer en France comme en Allemagne un système financier plus solide qu'avant la crise.
Bibliographie:
- Régulation bancaire et financière européenne et internationale, Thierry BONNEAU, Bruylant, 3e édition 2016, pages 35-36
- Droit bancaire, Françoise Dekeuwer-Défossez et Sophie Moreil, Mémentos, Dalloz, 11ème édition 2016, pages 27-37
- Droit bancaire, Richard Routier et al, Précis, Dalloz , 1ère édition 2017, pages 127-135
- Economie, Christine Dollo et al, Aide-mémoire Sirey, 6ème édition, page 220
- Revue d'économie financière REF 112: Les systèmes bancaires et européens (2) Nouvelles perspectives, (CRD IV est un atout pour les banques françaises et européennes), Christian Noyer, 2013. Disponible sur le site : https://www.aef.asso.fr/publications/revue-d-economie-financiere/112-les-systemes-bancaires-europeens
- Rundschreiben 09/2017 (BaFin) - Mindestanforderungen an das Risikomanagement – (MaRisk). Disponible sur le site : https://www.bafin.de/SharedDocs/Veroeffentlichungen/DE/Rundschreiben/2017/rs_1709_marisk_ba.html?nn=7847010